samedi 27 juillet 2019

La Bête à Bon Dieu de l'Abbé La Treille ?







La Bête à Bon Dieu de l’Abbé La Treille ?


Une histoire (arrangée ?) où il est démontré que la coccinelle est bien l’outil de la Providence !! Où il est démontré aussi que l’Histoire n’est pas une science exacte…

Pierre-André naît le 20 ou 29 novembre 1762 de père et mère inconnus. Il est présenté au baptême le 30, en l’église de Saint-Cernin de Larche à 15 km de Brive-la Gaillarde. Baptême à la sauvette. Pierre Laval et Marthe Dupeyrou, un ménage de paysans, l’ont reçu discrètement en nourrice d’un chirurgien de Brive, le sieur Laroche. La vie avait bien mal commencé pour notre futur abbé. Même son nom de La Treille ne lui sera donné légalement par jugement du tribunal de Brive qu’en juillet 1813.
Son père biologique est le baron d’Espagnac, officier brillant, qui s’est illustré au siège de Tournai et à la bataille de Fontenoy. Gouverneur de la Bresse et du Bugey, il s’attaque aux exactions des bandes de Mandrin. Avec un brevet de Maréchal de Camp il retourne à Brive, sa terre natale, puis s’installe à Paris. Il est marié, avec quatre enfants, écrit ses mémoires, ses campagnes militaires… Mais il a une liaison avec une jeune femme mariée à un officier que ses devoirs ont appelé au loin. Elle appartient à une noble famille de Bresse. Elle accouche de Pierre-André clandestinement à Brive ou près de Brive peut-être au lieudit La Treille.
Le baron Jean de Sahuguet d’Amarzit d’Espagnac est gouverneur de l’Hôtel des Invalides en 1766. Il ne reconnaitra pas cet enfant qui est adultérin, mais il suivra toujours ses études et même un temps l’appellera près de lui à Paris.
Le chirurgien Laroche et sa fille vont prendre soin du bébé, maladif, chétif en ses premières années. Puis en âge d’étudier, son père biologique le confie à un ami négociant de Brive, le sieur Malepeyre de la Place qui sera une sorte de tuteur pour Pierre-André. Au collège de Brive l’élève se montre doué, très appliqué. Latin, grec, chimie, botanique, zoologie, entomologie…. Il obtient le grade le Maître es art, (licence de sciences pour nous) au collège du Cardinal Lemoine. Puis son père le fait entrer au Grand Séminaire de Limoges. Mais cette protection va s’éteindre en 1783 avec le décès du 
baron.



buste en bronze signé, P. Merlieux (cimetière Père-Lachaise Paris) 
      
Ordonné en 1786, il devient précepteur d’un cousin d’Espagnac. Il se consacre à étudier les sciences naturelles que son tuteur Malepeyre lui en avait donné le gout très tôt. Le Limousin en cette période est la province où le mouvement intellectuel et scientifique est très actif, très vivant. Pierre-André participe à des réunions scientifiques de très haut niveau. Il a accès à de riches bibliothèques où il peut consulter les œuvres de Buffon, les planches zoologiques de l’Encyclopédie, le Dictionnaire de Valmont… Il passe ses vacances, ses jours de congés à la poursuite d’insectes avec des compagnons scientifiques.
A l’orée de la Révolution de 1789, c’est donc un abbé un peu malingre, souvent alité, mais féru de sciences naturelles, herboriste, collectionneur d’insectes. Il est partisan du progrès, des lumières, d’une certaine liberté, et donc les évènements politiques ne l’effrayent pas. A Paris il rencontre Fabricius, Lamarck, il est élu en 1791 à la Société d’Histoire naturelle de Paris après des recherches sur une sorte de guêpe, la mutille. Il semble hors du temps, hors des péripéties révolutionnaires.

 mutille catalane
Mais la Révolution et ses règles le rappelèrent à l’ordre. Comme tout ecclésiastique il devait prêter le serment républicain sous peine de privation de traitement et de liberté. Notre abbé n’y prend pas garde, la tête dans les nuages d’insectes et par arrêté du 18 mars 1793 il est inscrit sur la liste des réfractaires. Il essaie de contester, il fait intervenir le conseil municipal de Brive, mais rien n’y fait et le 8 novembre il est arrêté. Plusieurs mois de prison à Brive, Tulle. Et sur instructions du ministre de l’Intérieur, il est désigné avec 91 autres à partir pour la Guyane. Le voici à Bordeaux enfermé dans l’ancien séminaire transformé en prison, après un voyage de Tulle en mauvaises charrettes. A Bordeaux l’atmosphère est dramatique. Madame de La Tour du Pin raconte dans ses mémoires l’exaltation d’un membre du Club national des Patriotes : « N’oubliez pas de nous défaire de cette vermine empoisonnée : redoublez vos efforts pour  que ces serpents de prêtres réfractaires sortent du sein de cette ville…. Je voudrai que l’on fît la dépense pour aller les vendre au roi du Maroc, ce roi achète toutes les p… de l’Europe… » On crie dans les rues « mort aux prêtres ». La populace en assassine, on guillotine un médecin qui leur venait en aide. La disette attise les haines. Lacombe, un escroc devenu président du tribunal révolutionnaire de Bordeaux dira : «  il s’agit moins de punir les ennemis de la patrie que de les anéantir… ». Barère du Comité de Salut Public lui fait écho : «  l’homme qui terrasse les ennemis du peuple fût-ce avec un excès de zèle, ne peut être inculpé… ».

Le 9 Thermidor et l’arrestation de Robespierre arrivent et les autorités semblent moins pressées d’envoyer les prisonniers en Guyane.  Mais ces voyages sont toujours programmés. La Treille partageait sa cellule avec un mourant, un vieil évêque. Chaque matin un aide-chirurgien venait panser le moribond. Notre abbé l’aidait et sinon une amitié, du moins un intérêt était né entre eux. Quelques jours avant la mort de l’évêque, La Treille voit entre les rainures du plancher une minuscule bestiole aux couleurs vives. Pierre-André se précipite, la ramasse, et réclame d’urgence une épingle et un bouchon à l’aide-chirurgien pour piquer l’animal. Son visage s’est illuminé : « c’est une rareté ». L’aide-chirurgien lui demande l’autorisation de l’emporter pour la faire voir à une personne qui a une belle collection et qui pourra peut-être donner le nom scientifique de l’insecte.

La personne en question est le jeune Bory de Saint-Vincent, quinze ans mais déjà naturaliste de valeur. Il cherche dans ses livres la description de l’insecte, en vain. L’insecte n’a jamais été décrit par les savants. On ne connait ni sa famille, ni son mode de reproduction… Et pourtant en cette fin 18ème nombreux sont ceux qui s’intéressent aux insectes.




Là l’histoire fourche : pour les uns, Pierre-André est tombé sur une coccinelle, pour les autres une nécrobie, insecte que l’on retrouve sur les matières animales en décomposition, insecte plutôt secret et discret, que l'on trouve par exemple dans les cercueils. Pourquoi cette différence d’interprétation de la part des historiens ?

Pourtant la coccinelle était connue des jardiniers, des anciens, qui prédisaient le beau temps lorsque la bestiole s’envolait. Une légende du Moyen-Age en avait fait un porte-bonheur : un homme au 10ème siècle condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis lui doit sa survie. Alors qu’il est condamné à avoir la tête tranchée, une coccinelle se posa sur son cou ; le bourreau tenta de l’enlever mais elle revint à plusieurs reprises au même endroit. Le roi Robert II devant cette intervention qu’il jugea divine gracia le condamné.

Mais l’abbé La Treille devait aller mourir en Guyane. Le temps presse pour le sauver. Le jeune Bory raconte :
« Je fus de suite trouver mon père et M Auber mon oncle, qui sortis eux-mêmes de prison depuis le 9Thermidor avaient repris dans notre ville où la Terreur cessait graduellement, leur grande influence de fortune et de position. Je leur appris qu’un naturaliste habile était détenu et je les priais de s’intéresser pour lui. Dargelas que je prévins aussi se joignit à nous. Avec l’ordre de sortie, Dargelas court au séminaire réclamer le prisonnier. La troupe venait de partir pour le funeste embarquement. Nous courons au port ; les malheureux sont déjà sur le ponton. Dargelas prend un bateau et vient au milieu de la rivière où l’on appareillait, puis il montre le document ordonnant la levée d’écrou. La Treille lui est livré, il nous l’amène et trois jours après comme il s’hébergeait avec nous on apprit que le navire qui portait ses compagnons d’infortune avait sombré en vue de Cordouan et que les marins seuls s’étaient sauvés sur la chaloupe du bord… ».

Tout est miraculeux dans le sauvetage in extrémis de notre abbé : la découverte du petit insecte non décrit, la décision favorable de levée d’écrou du tribunal de Bordeaux, décision le 25 décembre 1794 jour de Noël… Le bateau prison qui devait l’envoyer en Guyane qui s’appelait Le Républicain et qui sombre sans lui dans l’estuaire de la Gironde !!.
La Treille baptisa, classa et décrivit l’insecte : necrobia (du grec necros, mort et bios, vie), ce qui semblerait justifier l’hypothèse de la nécrobie. En 1807 la famille des coccinellidae est établie par Pierre-André, coccinus car écarlate. En fait il s’intéressa aux deux insectes ce qui a peut-être trompé les historiens. Et puis la mémoire collective le préfère en expert en coccinelles plutôt qu’en insectes nécrophages.



La libération de notre abbé est confirmée « à charge pour lui de prêter serment ». Mais en 1797 il est toujours sur la liste des prêtres non assermentés : oubli de l’administration ou de Pierre-André ? Il aura bien du mal à récupérer ses livres confisqués lors de son arrestation ainsi que ses maigres biens toujours sous séquestre. Il se voit frapper de proscription à cette date et ses amis du Muséum et le général Marbot doivent intervenir.

Sa fin de vie sera plus sereine. Chargé des collections d’entomologie au Jardin des Plantes, professeur de zoologie à l’école vétérinaire d’Alfort, membre de l’Académie des Sciences en 1814…. Il succède au professeur Lamarck au Muséum… Publications, ouvrages sur les fourmis, les salamandres, les crustacés et surtout sur les coléoptères.   En 1821 il est fait chevalier de la Légion d’Honneur. Une plaque sur marbre d’Henri Couteilhas, l’immortalise, inaugurée en grande pompe en octobre 1907, mais semble-t-il apposée sur le mur d’une maison qui n’est pas sa maison natale…. Il est inhumé au cimetière du Père- Lachaise à Paris (division 39).








Sources : Colette et Guy Héraud Historia janvier 1983 n°434---Louis de Nussac Biographie de Pierre-André La Treille--- wikipedia.org -- /sites.google.com/site/briveatraverslescartespostales/--inauguration-de-la-plaque-en-l-honneur-de-pierre-andre-latreille-en-1907
/www.appllachaise.net/appl/article.php3?id_article=774
-- Ph. Huet, La Coccinelle, ou la véritable histoire de la bête à bon Dieu, de Terran, 2004, 96 p.-- Nobiliaire universel de France ou recueil général des généalogies https //books.google.fr/books Nicolas Viton de Saint Allais 1815--- - /www.jardindesplantesdeparis.fr/fr/galerie/escaliers-monumentaux/bustes/pierre-andre-latreille-1762-1833
-- https://fracademic.com/dic.nsf/frwiki/241960




theconversation.com/en-rouge-et-noir-la-genetique-des-pois-de-la-coccinelle-104118




dimanche 21 juillet 2019

Les Deux Hercules de Castelvieil




Les deux Hercule de Castelviel




Vous ne trouverez plus le petit village de Castelvieil à la sortie d’Uzès sur la route de Blauzac. Ce n’était pas un gros village, quelques maisons vigneronnes, quelques moutons, même pas une chapelle. Un (ou le seigneur) du village avait dans les temps lointains suivi la croisade de Saint-Louis et en était revenu accompagné d’un maître d’armes à la peau foncée, aux cheveux crépus, noir de  jais. Un homme dévoué corps et âme au seigneur. Ce combattant venu d’un autre monde impressionnait les habitants du village et des alentours. Les jeunes rêvaient de se mesurer à lui. Une légende vivante qui enseignait l'art du combat avec fourches et bâtons. Les mauvaises langues disaient que les femmes des alentours n'étaient pas insensibles à son charme. Ce qui explique peut-être que le seigneur en question ait survécu aux guerres du Levant et que les habitants de Castelvieil encore au 17ème siècle soient combatifs et très bruns de peau et de cheveux….
Le village comprenait une petite quinzaine de familles encore en 1780, 68 habitants dont déjà certains âgés de plus de 50 ans. Le 19ème siècle a fini de le  vider de ses jeunes hommes, partis vers les mirages qu’étaient les villes. C’est vrai que le phylloxéra détruisit les rêves de nos jeunes vignerons et les mines embauchaient en Cévennes avec l’espoir d’une autre vie et une paie assurée. La route d’Alès n’était pas loin. Les vieux petit à petit s’en sont allés, et les cheminées n’ont plus fumé, les toits sont tombés, les murs aussi.
Pourtant Castelvieil avait connu ses heures de gloire avec ses deux Hercules.
Le premier surnommé Pinatel, de son vrai nom Abraham Coste, devient célèbre pendant les guerres de religion de 1560-1629. Son prénom laisse penser qu’il est protestant, ce qui pourrait expliquer déjà à cette époque la fin programmée du village. C’est un berger, très grand, costaud, tanné par le soleil, le poil noir abondant, une barbe de patriarche, le regard charbonneux. Un taiseux, un solitaire….. Une grand-tante l’avait recueilli après le décès de ses parents.
Ce jour de juin 1591 un groupe de soldats catholiques de la Sainte Ligue envahissent le village. Des maisons commencent à brûler, les habitants tentent de fuir, les corps tombent. La fumée, les cris, l’enfer… Les soldats chapardent poules et chèvres, pillent les placards. Pinatel avec pour arme pour se défendre, sa fureur et son envie de vivre, arrache un pin d’un coup de rein et s’en sert comme d’une massue, tournoyante, fendant des cranes, cassant des jambes, des bras des envahisseurs… L’ennemi bat en retraite devant  ce « démon noir » démesuré, sorti de nulle part.
On ne sait pas ce qu’il advint de Pinatel après cet exploit. Il ne semble pas avoir été poursuivi par la justice. Il est vrai qu’en ces temps troublés, les autorités avaient d’autres Pinatel à fouetter. Il paraîtrait que plus tard les jeunes filles alentour lui faisaient les yeux doux, le découvrant enfin, lui qui auparavant ne méritait même pas un regard !!



Anonymous 1590 — Histoire Geographie 5ieme Nathan
Procession_de_la_Ligue_1590_Musee Carnavalet—wikipedia.org-

Le second Hercule, Joseph Bastide est né dans une famille de cultivateurs catholiques dans les années 1670. Dès son jeune âge, pourtant petit dernier de la fratrie, il est plus grand, plus musclé que ses trois frères, les dépassant facilement d’une tête, puis de deux… Très vite il aide les habitants de son village pour les travaux lourds. Il s’attèle à un charroi de bois pour le vieux Simon. Il porte sur ses épaules les fagots, les panières, la brebis malade… Des bœufs se sont embourbés dans le fossé avec leur char et personne ne peut les en sortir, Joseph est là, soulevant, poussant, tirant. Un âne est tombé dans un puits, Joseph arque-bouté contre les parois le hisse sur la margelle…. Les consuls d’Uzès ayant entendu ses exploits vont l’appeler pour faire transporter une herse en fer de plus de dix quintaux. Elle avait servi jadis à fermer une des portes de la ville. Naturellement le travail devait se faire contre un petit salaire. Joseph soulève donc l’engin et le transporte à l’endroit convenu.
Mais une fois le travail exécuté, les consuls se mirent à lésiner sur le prix. Joseph n’avait pas assez peiné pour justifier ce salaire…. On n’avait pas pensé que ce serait si facile…  Joseph avait eu l’honneur de servir la ville …. Et puis Joseph leur parait un peu benêt, autant en profiter !! La mauvaise foi est un sentiment humain, surtout chez les politiques ! Alors ni une ni deux, sans un mot, Joseph « le benêt » soulève la herse pour s’en aller la remettre où il l’avait trouvée. Du coup les consuls trouvèrent finalement que le travail méritait le salaire prévu et payèrent Joseph avec de grands remerciements.
Les soirs en cassant des noix au coin du feu, les conteurs amusèrent beaucoup leur auditoire avec cette aventure et Joseph y gagna célébrité, attention de son vivant et même bien après… Et puis il fait bon se moquer de ceux qui nous dirigent !
Tous les villages ont eu à une époque un Hercule, un personnage haut en couleur, héroïque, exemple à suivre. Nos deux Hercule de Castelvieil sont-ils légende, ou réalité d’un moment ?

Source : là où elle est maintenant, grand merci à Rosette pour son récit. Elle seule savait nous ravir de ces histoires dites avec accent, verve, et poésie..

dimanche 14 juillet 2019

Un abbé libertin sous Louis XIV


Un abbé libertin sous Louis XIV





Gravure de Charles Devrits—19ème

Voici l’histoire de l’abbé Guillaume Anfrye de Chaulieu, (1639-1720), un homme de son temps, poète, libertin, qui endosse le costume de religieux par convention sociale, comme c’était l’habitude pour un cadet de famille.
Il nait à Fontenay en Vexin au domaine de Beauregard, un petit château dans la famille depuis peu. Du bâtiment en 1986, il ne reste pas grand-chose, deux petites maisons de gardien transformées en gites ruraux, un modeste portail, une ferme avec un potager tracé sur le modèle de celui de La Quintinie, une remise à voitures,  une grotte artificielle et sa source « La Madelon » qui alimente un petit étang. Le domaine aura d’autres propriétaires. En 1870 il sera occupé par les Prussiens puis par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.
Son père est maître des comptes à Rouen. Et même doyen des conseillers-maîtres des comptes de Rouen lorsqu’il décède en juillet 1655. Son frère aîné a une carrière toute tracée : il sera conseiller au Parlement de Normandie et Guillaume, le cadet, destiné comme de coutume à l’Eglise. Mais la vocation n’était pas au rendez-vous.
Ami du duc de Bouillon, familier des frères Vendôme (descendants d’Henri IV et de la Belle d’Estrée), il obtient entre autres bénéfices ecclésiastiques l’abbaye d’Aumale. Les Vendôme, dont Philippe grand prieur des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem de France avaient formé un petit groupe  autour d’eux en société épicurienne qui se réunissait au Temple à Paris. Guillaume s’installe dans l’enclos du Temple d’où son surnom plus tard d’Anacréon du Temple.
Guillaume usant de ses relations s’essaya d’abord à la diplomatie en Pologne à la cour de Jean III Sobiesky dont la belle-sœur était l’épouse du marquis de Béthune ami de notre abbé. Ce fut un échec cuisant. De retour à Paris il entre en poésie !!
« Quoi que nos docteurs puissent dire, du Bonheur que là-haut goûtent les bienheureux, le vrai paradis où j’aspire c’est d’être toujours amoureux… »
On ne le verra plus que dans la suite de Philippe de Vendôme et les cénacles de l’Epicure, notamment au Temple. Les soirées y sont agitées, on y ripaille, le feu des vins, les charmes et les pièges de l’amour, les joutes intellectuelles… Le beau monde défile, Jean de la Fontaine, le marquis de la Fare, le chevalier de Bouillon, Ninon de l’Enclos… (qui s’encanaillaient de l’omelette au lard du peuple). Guillaume de Chaulieu le lendemain de ses soirées versifiait sur la beauté des dames, l’éclat du cristal…. Il chante les joies simples de la vie, l’amour, le vin, la paresse, l’inconstance, l’amitié. Le bonheur éphémère, le temps qui passe et la mort qui approche, une certaine mélancolie…. Sa poésie est enjouée, légère, élégante. Chaulieu se laisse aller à la douceur de l'heure présente. Rien de vulgaire chez lui, une sensibilité, une sagesse souriante ….
« Qui veut aller trop loin, Prince souvent recule ; modère un peu ton amoureuse ardeur pour avoir la valeur d’Hercule, on  n’est pas obligé d’en avoir la vigueur !! »

Certains s’amusaient en cette fin de règne de Louis XIV, pendant que d’autres survivaient. En 1703 Louise Bénédicte de Bourbon duchesse du Maine crée un ordre de chevalerie l’Ordre de la Mouche à Miel. Guillaume en fait partie avec une quarantaine d’autres personnages dont semble-t-il Voltaire à un moment. Ninon de l'Enclos d'ailleurs laissera une petite somme à Voltaire en mourant. Une petite Cour, hommes et femmes, rassemblée au château de Sceaux, sous la coupe de la maîtresse de maison. (ci-dessus les médailles de l’Ordre)
. Les règles en étaient un rien dictatoriales : « art 2 : Vous jurez de vous trouver dans le palais enchanté de Sceaux […] sans même que vous puissiez vous excuser sous prétexte de quelque incommodité légère comme goutte, excès de pituite ou  gale de Bourgogne.»- Article 3 : « Vous jurez […] de ne point quitter la danse si cela vous est ainsi ordonné que vos habits ne soient percés de sueur et que l'écume ne vous en vienne à la bouche. ». On ne pouvait quitter la soirée sans l’autorisation de Louise qui distribuait volontiers des punitions.  



Le château de Sceaux en 1736.—anonyme-- wikipedia.org--
Un autre ecclésiastique, le chanoine Maucroix, tout aussi libertin et poète, influença notre Guillaume. Il courtisait une gourgandine « La Framboisière » qui un jour lui fit cette répartie : « parler sans cesse d’amour, à votre âge et avec cet habit ! ».. Il lui répondit : »à ne rien dissimuler nous sommes d’humeur bien contraire ; vous le faites sans en parler, et moi j’en parle sans le faire !! »
Guillaume de Chaulieu se retirait de temps en temps à Fontenoy dans sa campagne qui « avait du siècle d’or conservé l’innocence….Le silence et la paix règnent dans ce bocage ; le calme de ce beau séjour n’est troublé que par le ramage des hôtes de ces bois… ». Il y retrouvait surtout Mlle Rochas une délicieuse actrice pour laquelle il eut une durable passion : »…Je goûte en te voyant mille et mille plaisirs, j’éprouve loin de toi les chagrins de l’absence… ».
Il brigue un fauteuil à l’Académie Française en 1703. Mais le roi détestait les Vendôme et comme notre poète était leur ami, Louis XIV fit élire le sieur de  Lamorgnon contre Charlieu. Mais Lamorgnon n’avait rien demandé et refusa le fauteuil. C’est de ce jour que l’Académie Française décida que nul ne serait élu dorénavant s’il n’avait brigué un fauteuil et fait sa cour à ses futurs confrères !! C’est donc la faute de notre abbé si maintenant un prétendant à l’immortalité académique se voit obliger de flatter 39-40 Habits Verts avant d’endosser le sien !!!
Toujours est-il que Guillaume de Chaulieu sera très déçu de cette non-reconnaissance de son talent.


(Marguerite Jeanne de Launay –wikipedia)
Malgré des crises de goutte, il continue son mode de vie, ses nuits passées à boire, à manger, ses menus plaisirs. A 80 ans il s’éprend de Marguerite Jeanne de Launay, la future Mme de Staël de 43 ans sa cadette : « vous aimer fait le charme de ma vie, vous plaire, vous rendre heureuse.. le plus doux projet de mon cœur, faire toutes vos volontés, flatter vos fantaisies, vous donner des plaisirs… ». La belle lui répondit : « il faut prendre dans chacun ce qu’il a de bon, utiliser chez eux ce à quoi ils sont propres et ne rien attendre de plus… ». De toute évidence, il a fait chou-blanc !! Mlle de Launay était chevalière de l’ordre de la Mouche à Miel et ils se rencontraient chez la duchesse du Maine à Sceaux. Tous deux correspondront longtemps. Il lui sera un ami dévoué.
Sa fin sera plus édifiante que sa vie. Il rendit l’âme le 27 juin 1720 ; il aurait soupiré : « la mort est simplement le terme de la vie… Pourquoi craindre Dieu puisqu’il est l’infinie bonté… ».
Il lègue à l’église de son village natal 4000 livres pour ses funérailles et une messe annuelle à perpétuité. Mais son enterrement l’aurait bien amusé. Il avait souhaité reposer au cimetière de Fontenay. Un bénédictin de Saint-Denis devait accompagner la dépouille et la remettre entre les mains du curé du village. Mais ce moine s’enivra en route et s’endormit profondément. Le bénédictin resta à l’auberge et son valet se chargea seul de la mission. Le curé du village en voyant le peu d’équipage, crut à une plaisanterie. Guillaume de Chaulieu en était tout à fait capable ! Donc le brave curé refusa d’ouvrir son église pour célébrer les funérailles et renvoya le cercueil au cimetière persuadé qu’il ne contenait qu’une bûche. En ouvrant le cercueil, il reconnut enfin le corps de l’abbé de Chaulieu en habits sacerdotaux. Il se dépêcha de réparer sa bévue, mais le scandale fit grand bruit. Le pauvre curé fut puni de deux mois de séminaire par l’archevêque de Rouen !!
Les écrits de Guillaume de Chaulieu seront édités avec ceux de son ami le marquis de La Fare en 1714-1750-1774. L’Eglise a peut-être perdu un sage, mais nous avons gagné un poète.
Quelques citations de notre abbé à la fin de sa vie :
« À présent l’expérience m’apprend que la jouissance de nos biens les plus parfaits ne vaut pas l’impatience ni l’ardeur de nos souhaits. »--« La patience rend plus léger les maux que l’on ne peut guérir »…-- « Il n’y a rien de plus artificiel que quelqu’un qui cherche à séduire à tout prix. C’est ce qui échappe qui est intéressant »….




Château de Beauregard – Fontenay en Vexin- carte postaleClément Maréchal-


Sources :. Michel de Becker  Un abbé libertin sous Louis XIV Historia p24 sept 1986 n°477--  short-edition.com/fr/classique/guillaume-abbe-de-chaulieu-- Marianne de Meyenbourg, “Almanach de 1721 et emblème de la Mouche à Miel”, la duchesse du Maine, une mécène à la croisé des arts et des siècles, Éd. Université de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p. 161-175.--www.toutelapoesie.com/poetes.html/poesie/guillaume-abbe-de-chaulieu-r1-- Gilbert Bouriquet, L’Abbé de Chaulieu et le libertinage au grand siècle, Paris, Nizet, 1972.-- Antoine Adam, Les Libertins au XVIIe siècle Paris, Buchet-Chastel, 1964 ;--Pierre-Antonin Brun. Autour du dix-septième siècle. Les libertins. Maynard. Dassoucy. Desmarets. Ninon de Lenclos. Carmain. Boursault. Mérigon. Pavillon. Saint-Amant. Chaulieu, Genève, Slatkine Reprints, 1970 ;--Jean Gravigny, Abbés galants et libertins aux XVIIe et XVIIIe siècles : Chaulieu, Voisenon, Bernis, Paris, A. Méricant 1900-1985 ;-- /cartespostales.eu/autrescommunes/51953-FONTENAY_EN_VEXIN_-_Ch_teau_de_Beauregard_-_tr_s_bon__tat.html


« Mesdames, souriez afin que plus tard vos rides soient bien placées. »

Madame de Maintenon





dimanche 7 juillet 2019

Hôtel des Invalides à Avignon


L’Hôtel des Invalides à Avignon




Noviciat des Jésuites Avignon
Les guerres du 20ème siècle nous ont appris à porter une grande attention aux soldats blessés, handicapés, aux « gueules cassées » et d’une manière plus générale « aux anciens combattants ». Ce n’a pas toujours été le cas au début du 19ème siècle où ces hommes, de la République ou du Premier Empire, blessés dans leur chair étaient considérés comme « de vieux débris de la Grande Armée ». Au lendemain de l’Empire napoléonien, on comptait autour d’un million de soldats à réinsérer. Pour les monarchies renaissantes de ce début de siècle, ils n’avaient évidemment pas droit à la reconnaissance des royalistes.
Sous tous les gouvernements, c’est posé le problème des anciens soldats invalides. Les familles ne pouvaient pas toujours prendre en charge ces hommes qui avaient pourtant servi le pays au prix fort. Ils étaient souvent réduits à la mendicité, à la délinquance pour les plus valides. A Avignon pendant près de cinquante ans une annexe de l’Hôtel des Invalides parisien est installée sur les bords du Rhône. Cette succursale occupe ce qui fut au 16ème siècle l’université d’Avignon et un noviciat jésuite. Lorsque Louis XV occupe la ville en 1768, il fait expulser les jésuites. Les religieuses de Sainte-Praxède rachète le noviciat en 1790, mais il est fermé en 1801 et place alors à l’Hôtel des Invalides d’Avignon.
Celui de Paris est fondé en 1674 sous le roi Louis XIV qui aimait tant la guerre : »un Hôtel Royal d’une grandeur et espace capable d’y recevoir et y loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduques de nos troupes et d’y assurer un fonds suffisant pour leur subsistance et entretenement »… Le roi pense aux handicapés mais aussi aux soldats retraités. Environ 10 000 invalides accueillis à la fin de son règne, 15 000 sous le Consulat et 26 000 en 1812 sous l’Empire de Napoléon. D’où la nécessité de créer de nouvelles succursales, d’abord à Versailles, puis Louvain, déplacée ensuite sur Arras, enfin Avignon. Celle de Nice restera à l’état de projet. Chacune devait accueillir 2 000 invalides.


Avignon est rattachée à la France en 1791. C’est un désastre économique pour la ville. Sa population passe de 60 000 personnes environ à moins de 20 000. Les biens ecclésiastiques nationalisés ne trouvent pas toujours acquéreurs et nombre d’églises, de couvents deviennent communaux à la charge de la ville. L’université, ses collèges qui participaient largement à la vie économique disparaissent. L’émigration au début de la Révolution, en particulier des familles juives, casse le commerce et les activités économiques qui en dépendent. La ville se propose donc pour accueillir une succursale prévue dans la 8è région militaire. « … la ville a des droits aux faveurs du gouvernement tant par sa position et localité que par les sacrifices qu’elle a faits à la Révolution, les pertes énormes qu’elle a essuyées et les sentiments vraiment patriotiques qui animent ses habitants ».
En décembre 1800 (29 frimaire An IX) le général Fugière est commandant de la future succursale. On pense un temps au Palais des Papes, mais trop difficile à aménager. Ce sera « les ci-devant monastères de Saint-Louis, de Saint-Charles et des Célestins ». (juin 1801). Autour de Saint-Louis et des Célestins, deux hectares de parc. Saint-Charles sera rendu à l’archevêché en 1823. Les premiers blessés de l’Armée d’Egypte débarquent dès 1801 à Toulon, Marseille de septembre à novembre. Des soldats souvent victimes d’ophtalmies dans le désert et devenus aveugles.
Pour être admis, il faut soit une infirmité au moins constituée par la perte d’un membre ou de la vue, ou avoir plus de soixante ans, une pension militaire et plus de trente ans de service. Les campagnes militaires comptent double. Il faut aussi ne plus pouvoir subvenir à son entretien, à sa nourriture et avoir un certificat de bonne conduite accordé par les autorités militaires ou civiles. L’admis est exempt d’imposition, de charges. Il est nourri, logé, blanchi. Il a droit aux soins, et s’il a des enfants, leur éducation est gratuite, les garçons placés comme enfants de troupe, tambours, enfants de chœur… Il peut aussi si son état le lui permet vivre à l’extérieur et postuler aux emplois de garde-champêtre ou garde-forestier, buraliste….


Avignon -noviciat des Jésuites
A Avignon, en 1812, 500 hommes environ, à l’état sanitaire satisfaisant, au calme et loin de toute préoccupation, un climat plus favorable, un encadrement militaire mais plus familial. La longévité y est plus grande qu’à Paris. En 1814, le taux de mortalité des invalides à Paris est de 91,7% contre 71% à Avignon. Des Français, mais aussi des Italiens, Hongrois, Belges, Suisses, et même un Russe qui avaient rallié les troupes napoléoniennes.
Une infirmerie de 60 lits, en fait un vrai hôpital avec médecin, chirurgiens, infirmiers, sœurs infirmières, barbier, garçon de pharmacie. Remèdes, lunettes, appareils orthopédiques étaient fournis. Selon le rapport de Larrey en 1834, l’établissement comptait 17% d’amputés, 5% d’aveugles.

Des dortoirs propres et aérés, des lits avec paillasse, matelas, traversin, draps et une à trois couvertures. Une armoire pour deux pour les vêtements et les chaussures, une tablette porte-chapeau…. Des réfectoires avec des tables rondes et des « chauffoirs » pour se réunir… Chacun avait droit à un habit, une redingote, une veste, un bonnet de police et un chapeau en feutre renouvelés tous les trois ans, un pantalon et un caleçon long renouvelés chaque année. La lingerie se composait ainsi : cinq chemises, trois coiffes de nuit, trois serviettes de table, trois essuie-mains, deux paires de draps. Chaque année aussi chacun avait droit à une paire de demi-guêtres noires, deux paires de bas en laine et coton, trois paires de souliers, trois mouchoirs de poche, un col noir, une paire de bretelles, deux bonnets en laine et coton noir pour l’été et l’hiver. Chacun avait aussi une bouteille, un gobelet en étain, des couverts…
Les repas étaient servis à 10 h et 16 h, deux repas par jour, deux plats pour les soldats et les sous-officiers. Les officiers avaient droit à un plat de plus avec un complément de viande, les officiers supérieurs avaient droit en plus à un dessert et une salade. (Les principes d’égalité et de fraternité  de la Révolution étaient oubliés dans les assiettes !!). Chaque jour une livre et demi de pain, une livre de viande remplacée trois fois par semaine par des œufs, du poisson, du fromage. Une chopine de vin de 46 cl par repas, des légumes secs le matin, des légumes verts le soir. La soupe en semaine est au pain et légumes, le dimanche au riz ou vermicelle. Cet ordinaire est parfois amélioré, pour la fête des Rois, pour l’anniversaire des journées de Juillet après 1830.  Alors chacun avait en plus du jambon désossé, un second plat de légumes, une ration d’eau de vie, une demi-livre de brioche….
Les bâtiments s’ordonnaient autour d’une cour principale avec une fontaine avec une inscription latine : » l’Hôpital Militaire du Fleuve ». Des allées, des murs qui portent des noms familiers aux anciens combattants, Iéna,  Austerlitz, Wagram, des dates, des noms qui rappellent des belles actions, des paroles mémorables chères aux vieux cœurs des soldats.
Un pic d’occupation autour de 1820, un peu plus de 1 100 pensionnaires résident dans l’Hôtel d’Avignon. Vers 1850, on retombe sur 483 pensionnaires.
Certains de ces hommes vont fonder une famille à Avignon ou dans ses alentours. Parmi les 483, 300 étaient mariés et pères de famille. Donc cette succursale a bien contribué à renouveler la population de la ville et lui a apporté une nouvelle vie économique, sociale. Ces anciens militaires lorsqu’ils ont un petit boulot, sont précis, avec « l’exactitude d’une pendule ». En 1820 un pensionnaire est garde du port d’Avignon, en 1845 un autre est garde-champêtre à la Tour-d’Aigues, des fonctions qui amélioraient l’existence de l’invalide.
Cet établissement fait vivre une foule de petits commerces et industries. La ville encaissait autour de 30 000 francs par an et on évalue à un million la plus-value de consommation sur Avignon et ses environs.
Mais certains des invalides ne sont pas toujours bien acceptés dans la population avignonnaise. Désœuvrés, ils sont facilement buveurs, bagarreurs, vantards. On les voit sur les places auprès des jeux de boules, commentant la stratégie, donnant des conseils, agaçants les joueurs. Dans les guinguettes, ils sont tous entrés les premiers dans les capitales de l’Europe, aux côtés de Napoléon, figure héroïque inséparable de ces vieux soldats. A ces hommes il ne reste souvent qu’un passé commun de trente ans de vie. L’Empereur a bu dans leur gourde, leur a pincé la joue, ils ont tenu la bride de son cheval !!!! Les anciens souvenirs au fur et à mesure de la descente du litre de vin s’animaient d’exagérations, de bravades.. « chacun assourdit son voisin de ses hauts faits d’armes ou de ceux de ses chefs et le champ de bataille demeure à celui dont les poumons sont les plus vigoureux et les libations les plus copieuses »… Il fallait bien rompre la monotonie d’une vie oisive de déplacé. (Messager du Vaucluse 1838).
Ils ont souvent à faire à la police. Rivalités, jalousie entre pensionnaires, ou avec d’autres vétérans installés à Avignon, injures, coups et blessures, même atteinte à la pudeur ou pédophilie. Entre 1804 et 1814 sur 684 affaires, 30 concernent des invalides de l’Hôtel. Mais le 19ème siècle est une époque très violente, politiquement, socialement. La plupart des invalides d’Avignon vont afficher un bonapartisme menaçant, agaçant pendant les Cent Jours de 1815 et la Terreur Blanche qui en suivit. Et la population d’Avignon royaliste ne se privera pas d’en attaquer pendant cette période.
Avec la présence de ces invalides, Avignon et sa population héritent de la  mémoire des années de souffrances des guerres de l’Empire par le spectacle des infirmités, des traumatismes divers subis par ces hommes. Ces « vieux débris » meurent dans l’indigence pour la plupart, faisant héritiers leurs compagnons de menus biens, vêtements, gobelets, quelques sous.

A peine créée, cette succursale est menacée de fermer en 1803. Une partie des pensionnaires sont évacués vers celle de Louvain. Cela se fait dans des conditions déplorables. Une lettre de mai 1803 d’un quartier-maitre trésorier de la succursale à son beau-père commissaire ordonnateur de l’Hôtel des Invalides de Paris : (AM d’Avignon, 1 Z 18, fonds Blanchard-Benoît. lettre de Benoît à son beau-père, 3 mai 1803)
 « Le second convoi est parti ce matin pour Louvain. Il est composé de presque tous Piémontais [sic], Polonais et autres étrangers car nous avons ici des grecs et des mameluks. Le premier [convoi] composé de vieillards et de gens très mutilés a fait réellement pitié à voir partir. Pour faire à cet âge et dans cet état une route aussi longue et sur des charrettes, il en mourra nécessairement beaucoup qui resteront dans les hôpitaux en route. Il y en avait de forts mécontents qui disaient, quand nous rencontrerons des conscrits, nous leur diront “allez donc vous faire casser bras et jambes pour être traités ainsi ensuite”. Ils n’ont pas tout à fait tort car il y en a de plus de 80 ans et même de 92. Comment à cet âge peut-on supporter une pareille route ! Car avec l’étape il faut faire son manger soi-même ».
A la Restauration, par ordonnance royale du 12 septembre 1814, toutes les succursales sont supprimées sauf celle d’Avignon qui est sauvée un temps : «… le climat d’Avignon était plus favorable à la santé et aux habitudes d’un certain nombre de nos invalides… » Le flux d’invalides militaires commence à se tarir. On va chercher à les accueillir tous à Paris. Une nouvelle menace de fermeture en 1820. La seconde République cherche à faire des économies sur les budgets de l’Etat et de l’Armée et en 1850 l’Hôtel des Invalides de Paris pouvant accueillir 4000 pensionnaires n’en avait que 2899. Le décret du 27 février 1850 sonne le glas de la succursale d’Avignon.
Pétitions, appel à l’humanité, interventions diverses, rien n’y fait. 
Les invalides intransportables sont orientés vers l’hôpital civil de la ville ; d’autres seront recueillis par leurs familles, mais bien peu en ont encore une.
340 sont dirigés vers Paris. Le 6 novembre 1850 à 14 h les invalides les plus robustes marchant lentement vont jusqu’à l’île de la Barthelasse sur la rive gauche du Rhône où deux bateaux à vapeur les attendent, l’Althen et Le Mogador. Ils sont précédés par un détachement du 12è régiment de Chasseurs à Cheval, leur colonel, le maire d’Avignon. Les autres sont transportés et embarqués le 7 avec le commandant en second, le chirurgien-major, l’aumônier, le personnel infirmier et celui des services. Le 8 au matin les bateaux lèvent l’ancre. La remontée du Rhône à cette période est difficile du fait des rapides. C’est une expédition pénible pour nos anciens combattants.


Le Parisien 1850 entre Chalon et Lyon 400 personnes embarquées.

Des escales, Donzère, Valence, Condrieu pour passer la nuit sur leurs bateaux. Puis Lyon où ils attendent quatre jours. Puis la Saône, et Chalon-sur-Saône où ils changent de bateaux pour continuer dans les canaux du Centre et celui de Bourgogne. En tête un remorqueur à roues à aubes, Le Neptune tirant la péniche-infirmerie en tête et six autres, accolées deux à deux. On imagine ces invalides, souvent vieillards, en plein mois de novembre, enfermés, immobiles dans ces péniches. On imagine leur angoisse devant un avenir inconnu, les manœuvres du train de péniches pour franchir les écluses au gabarit insuffisant pour ce long convoi… De Chalon jusqu’au passage à la Seine, pas moins de 130 écluses !! Le Neptune au passage des ponts subit des avaries, cheminées arrachées, tambours des roues… A Melun le 24 on décide de transférer les invalides par voie ferrée depuis peu installée. Le convoi arrive à Paris le 25, des voitures hippomobiles conduisent nos invalides à l’Hôtel des Invalides, reçus par le général Petit dans le réfectoire des officiers. Ils rejoignent enfin leurs dortoirs.
Ceux d’Avignon comme ceux de Paris à leur décès sont inhumés dans la fosse commune, d’abord au cimetière de Montparnasse puis en 1882, la section des Invalides de ce cimetière est transférée à celui de Vaugirard.
En 1852, les bâtiments de la succursale sont remis à la ville d’Avignon qui y installe l’hospice civil Saint-Louis. Il fermera en 1892. Les  bâtiments, le cloître sont inscrit au titre des monuments historiques depuis le 13 décembre 1950. Une partie sera aménagée en hôtel par l’architecte Jean Nouvel en 1987.
Mais l’Histoire n’est pas finie pour nos invalides, vétérans des guerres révolutionnaires ou impériales. Le retour des bonapartistes avec Napoléon III appelait à une reconnaissance officielle de ces soldats. Il fallait aussi affirmer une légitimité politique pour le nouvel empereur, sur le trône après un coup d’état en 1851. Les derniers survivants recevront la médaille de Ste Hélène qui les rattachait directement à la mémoire de Napoléon 1er, dont le souvenir idéalisé continuait à hanter les campagnes françaises. Il fallait faire renaître l’idéal bonapartiste qui reconnaissait le talent et le mérite sans distinction de naissance, de fortune et ainsi s’attacher une légitimité populaire.






Des Vallabrixois l’ont reçu :
























 D’autres Vallabrixois ont pu recevoir cette médaille. Nous n’avons pas eu accès aux listes complètes.


ancien bateau-mouche sur la Saône 1859 ?

Pendant que nous y sommes rendons aussi hommage à Louis Gay, soldat sous Louis XIV—(guerre de succession /Espagne)(arch dép Gard J 1000)








 

Sources : -Louis CABIAC 1774-1854 : »Du ruisseau aux Invalides », Epopée d’un Bagnolais de
la Révolution au Second Empire. Pierre THIENARD Dépoy légal 1er trimestre 2003 ©Tous droits réservés  --
Bibliothèque Municipale d’Avignon : Musée de l’Armée Les Invalides Trois siècles d’histoire 1974 ----  Alboize de Pujol Description pittoresque de la Succursale de l’Hôtel des Invalides d’Avignon 1845-- Nathalie Petiteau Université d’Avignon  © Presses universitaires de Provence, 2003-- AM d’Avignon, 1 J 158, registre des copies de lettres du bureau de police d’Avignon, copie de lettre n° 196, 31 janvier 1820.-- /books.openedition.org/pup/5573?lang=fr
-- généanet.org---www.revuemethode.org/sf021607.html -- AM d’Avignon, 1 M 46, reprise des bâtiments de la succursale des invalides par le département de la Guerre, 10 septembre 1818.
Général A. CAMELIN, « La succursale des invalides d’Avignon, 1801-1850 », dans Revue historique des Armées, 1974, n° 4, p. 32-59 + A Gamelin  La Succursale des Invalides à Avignon  internet---- Service historique de l’Armée de terre, Xy 261.-- - article L’Invalide de  Emile De la Bédollierre dans  Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXe siècle éditée par Léon  Curmer. Réédité par  Omnibus en février 2003.--- D. FOUCAUD, Délits et violence sous le Premier Empire : aspects de la criminalité avignonnaise--- numelyo.bm-cartes postales  bateaux lyon.fr/BML:BML_01ICO001014cd009bd42a7d?&query[0]=isubjectgeographic:%22Lyon%20(Rh%C3%B4ne)%20--%20Arrondissement%20(02e)%22&query[1]=isubjectgeographic:%22L
[Ancien bateau-mouche, sur la Saône, au niveau des quais Fulchiron et Maréchal Joffre
1859--- Couradou de Vallabrix février 2015 médiathèque ou site du village Fonds historique--- Listesdes médaillés de la Croix de Sainte-Hélène stehelene.org/php/accueil--