dimanche 7 juillet 2019

Hôtel des Invalides à Avignon


L’Hôtel des Invalides à Avignon




Noviciat des Jésuites Avignon
Les guerres du 20ème siècle nous ont appris à porter une grande attention aux soldats blessés, handicapés, aux « gueules cassées » et d’une manière plus générale « aux anciens combattants ». Ce n’a pas toujours été le cas au début du 19ème siècle où ces hommes, de la République ou du Premier Empire, blessés dans leur chair étaient considérés comme « de vieux débris de la Grande Armée ». Au lendemain de l’Empire napoléonien, on comptait autour d’un million de soldats à réinsérer. Pour les monarchies renaissantes de ce début de siècle, ils n’avaient évidemment pas droit à la reconnaissance des royalistes.
Sous tous les gouvernements, c’est posé le problème des anciens soldats invalides. Les familles ne pouvaient pas toujours prendre en charge ces hommes qui avaient pourtant servi le pays au prix fort. Ils étaient souvent réduits à la mendicité, à la délinquance pour les plus valides. A Avignon pendant près de cinquante ans une annexe de l’Hôtel des Invalides parisien est installée sur les bords du Rhône. Cette succursale occupe ce qui fut au 16ème siècle l’université d’Avignon et un noviciat jésuite. Lorsque Louis XV occupe la ville en 1768, il fait expulser les jésuites. Les religieuses de Sainte-Praxède rachète le noviciat en 1790, mais il est fermé en 1801 et place alors à l’Hôtel des Invalides d’Avignon.
Celui de Paris est fondé en 1674 sous le roi Louis XIV qui aimait tant la guerre : »un Hôtel Royal d’une grandeur et espace capable d’y recevoir et y loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduques de nos troupes et d’y assurer un fonds suffisant pour leur subsistance et entretenement »… Le roi pense aux handicapés mais aussi aux soldats retraités. Environ 10 000 invalides accueillis à la fin de son règne, 15 000 sous le Consulat et 26 000 en 1812 sous l’Empire de Napoléon. D’où la nécessité de créer de nouvelles succursales, d’abord à Versailles, puis Louvain, déplacée ensuite sur Arras, enfin Avignon. Celle de Nice restera à l’état de projet. Chacune devait accueillir 2 000 invalides.


Avignon est rattachée à la France en 1791. C’est un désastre économique pour la ville. Sa population passe de 60 000 personnes environ à moins de 20 000. Les biens ecclésiastiques nationalisés ne trouvent pas toujours acquéreurs et nombre d’églises, de couvents deviennent communaux à la charge de la ville. L’université, ses collèges qui participaient largement à la vie économique disparaissent. L’émigration au début de la Révolution, en particulier des familles juives, casse le commerce et les activités économiques qui en dépendent. La ville se propose donc pour accueillir une succursale prévue dans la 8è région militaire. « … la ville a des droits aux faveurs du gouvernement tant par sa position et localité que par les sacrifices qu’elle a faits à la Révolution, les pertes énormes qu’elle a essuyées et les sentiments vraiment patriotiques qui animent ses habitants ».
En décembre 1800 (29 frimaire An IX) le général Fugière est commandant de la future succursale. On pense un temps au Palais des Papes, mais trop difficile à aménager. Ce sera « les ci-devant monastères de Saint-Louis, de Saint-Charles et des Célestins ». (juin 1801). Autour de Saint-Louis et des Célestins, deux hectares de parc. Saint-Charles sera rendu à l’archevêché en 1823. Les premiers blessés de l’Armée d’Egypte débarquent dès 1801 à Toulon, Marseille de septembre à novembre. Des soldats souvent victimes d’ophtalmies dans le désert et devenus aveugles.
Pour être admis, il faut soit une infirmité au moins constituée par la perte d’un membre ou de la vue, ou avoir plus de soixante ans, une pension militaire et plus de trente ans de service. Les campagnes militaires comptent double. Il faut aussi ne plus pouvoir subvenir à son entretien, à sa nourriture et avoir un certificat de bonne conduite accordé par les autorités militaires ou civiles. L’admis est exempt d’imposition, de charges. Il est nourri, logé, blanchi. Il a droit aux soins, et s’il a des enfants, leur éducation est gratuite, les garçons placés comme enfants de troupe, tambours, enfants de chœur… Il peut aussi si son état le lui permet vivre à l’extérieur et postuler aux emplois de garde-champêtre ou garde-forestier, buraliste….


Avignon -noviciat des Jésuites
A Avignon, en 1812, 500 hommes environ, à l’état sanitaire satisfaisant, au calme et loin de toute préoccupation, un climat plus favorable, un encadrement militaire mais plus familial. La longévité y est plus grande qu’à Paris. En 1814, le taux de mortalité des invalides à Paris est de 91,7% contre 71% à Avignon. Des Français, mais aussi des Italiens, Hongrois, Belges, Suisses, et même un Russe qui avaient rallié les troupes napoléoniennes.
Une infirmerie de 60 lits, en fait un vrai hôpital avec médecin, chirurgiens, infirmiers, sœurs infirmières, barbier, garçon de pharmacie. Remèdes, lunettes, appareils orthopédiques étaient fournis. Selon le rapport de Larrey en 1834, l’établissement comptait 17% d’amputés, 5% d’aveugles.

Des dortoirs propres et aérés, des lits avec paillasse, matelas, traversin, draps et une à trois couvertures. Une armoire pour deux pour les vêtements et les chaussures, une tablette porte-chapeau…. Des réfectoires avec des tables rondes et des « chauffoirs » pour se réunir… Chacun avait droit à un habit, une redingote, une veste, un bonnet de police et un chapeau en feutre renouvelés tous les trois ans, un pantalon et un caleçon long renouvelés chaque année. La lingerie se composait ainsi : cinq chemises, trois coiffes de nuit, trois serviettes de table, trois essuie-mains, deux paires de draps. Chaque année aussi chacun avait droit à une paire de demi-guêtres noires, deux paires de bas en laine et coton, trois paires de souliers, trois mouchoirs de poche, un col noir, une paire de bretelles, deux bonnets en laine et coton noir pour l’été et l’hiver. Chacun avait aussi une bouteille, un gobelet en étain, des couverts…
Les repas étaient servis à 10 h et 16 h, deux repas par jour, deux plats pour les soldats et les sous-officiers. Les officiers avaient droit à un plat de plus avec un complément de viande, les officiers supérieurs avaient droit en plus à un dessert et une salade. (Les principes d’égalité et de fraternité  de la Révolution étaient oubliés dans les assiettes !!). Chaque jour une livre et demi de pain, une livre de viande remplacée trois fois par semaine par des œufs, du poisson, du fromage. Une chopine de vin de 46 cl par repas, des légumes secs le matin, des légumes verts le soir. La soupe en semaine est au pain et légumes, le dimanche au riz ou vermicelle. Cet ordinaire est parfois amélioré, pour la fête des Rois, pour l’anniversaire des journées de Juillet après 1830.  Alors chacun avait en plus du jambon désossé, un second plat de légumes, une ration d’eau de vie, une demi-livre de brioche….
Les bâtiments s’ordonnaient autour d’une cour principale avec une fontaine avec une inscription latine : » l’Hôpital Militaire du Fleuve ». Des allées, des murs qui portent des noms familiers aux anciens combattants, Iéna,  Austerlitz, Wagram, des dates, des noms qui rappellent des belles actions, des paroles mémorables chères aux vieux cœurs des soldats.
Un pic d’occupation autour de 1820, un peu plus de 1 100 pensionnaires résident dans l’Hôtel d’Avignon. Vers 1850, on retombe sur 483 pensionnaires.
Certains de ces hommes vont fonder une famille à Avignon ou dans ses alentours. Parmi les 483, 300 étaient mariés et pères de famille. Donc cette succursale a bien contribué à renouveler la population de la ville et lui a apporté une nouvelle vie économique, sociale. Ces anciens militaires lorsqu’ils ont un petit boulot, sont précis, avec « l’exactitude d’une pendule ». En 1820 un pensionnaire est garde du port d’Avignon, en 1845 un autre est garde-champêtre à la Tour-d’Aigues, des fonctions qui amélioraient l’existence de l’invalide.
Cet établissement fait vivre une foule de petits commerces et industries. La ville encaissait autour de 30 000 francs par an et on évalue à un million la plus-value de consommation sur Avignon et ses environs.
Mais certains des invalides ne sont pas toujours bien acceptés dans la population avignonnaise. Désœuvrés, ils sont facilement buveurs, bagarreurs, vantards. On les voit sur les places auprès des jeux de boules, commentant la stratégie, donnant des conseils, agaçants les joueurs. Dans les guinguettes, ils sont tous entrés les premiers dans les capitales de l’Europe, aux côtés de Napoléon, figure héroïque inséparable de ces vieux soldats. A ces hommes il ne reste souvent qu’un passé commun de trente ans de vie. L’Empereur a bu dans leur gourde, leur a pincé la joue, ils ont tenu la bride de son cheval !!!! Les anciens souvenirs au fur et à mesure de la descente du litre de vin s’animaient d’exagérations, de bravades.. « chacun assourdit son voisin de ses hauts faits d’armes ou de ceux de ses chefs et le champ de bataille demeure à celui dont les poumons sont les plus vigoureux et les libations les plus copieuses »… Il fallait bien rompre la monotonie d’une vie oisive de déplacé. (Messager du Vaucluse 1838).
Ils ont souvent à faire à la police. Rivalités, jalousie entre pensionnaires, ou avec d’autres vétérans installés à Avignon, injures, coups et blessures, même atteinte à la pudeur ou pédophilie. Entre 1804 et 1814 sur 684 affaires, 30 concernent des invalides de l’Hôtel. Mais le 19ème siècle est une époque très violente, politiquement, socialement. La plupart des invalides d’Avignon vont afficher un bonapartisme menaçant, agaçant pendant les Cent Jours de 1815 et la Terreur Blanche qui en suivit. Et la population d’Avignon royaliste ne se privera pas d’en attaquer pendant cette période.
Avec la présence de ces invalides, Avignon et sa population héritent de la  mémoire des années de souffrances des guerres de l’Empire par le spectacle des infirmités, des traumatismes divers subis par ces hommes. Ces « vieux débris » meurent dans l’indigence pour la plupart, faisant héritiers leurs compagnons de menus biens, vêtements, gobelets, quelques sous.

A peine créée, cette succursale est menacée de fermer en 1803. Une partie des pensionnaires sont évacués vers celle de Louvain. Cela se fait dans des conditions déplorables. Une lettre de mai 1803 d’un quartier-maitre trésorier de la succursale à son beau-père commissaire ordonnateur de l’Hôtel des Invalides de Paris : (AM d’Avignon, 1 Z 18, fonds Blanchard-Benoît. lettre de Benoît à son beau-père, 3 mai 1803)
 « Le second convoi est parti ce matin pour Louvain. Il est composé de presque tous Piémontais [sic], Polonais et autres étrangers car nous avons ici des grecs et des mameluks. Le premier [convoi] composé de vieillards et de gens très mutilés a fait réellement pitié à voir partir. Pour faire à cet âge et dans cet état une route aussi longue et sur des charrettes, il en mourra nécessairement beaucoup qui resteront dans les hôpitaux en route. Il y en avait de forts mécontents qui disaient, quand nous rencontrerons des conscrits, nous leur diront “allez donc vous faire casser bras et jambes pour être traités ainsi ensuite”. Ils n’ont pas tout à fait tort car il y en a de plus de 80 ans et même de 92. Comment à cet âge peut-on supporter une pareille route ! Car avec l’étape il faut faire son manger soi-même ».
A la Restauration, par ordonnance royale du 12 septembre 1814, toutes les succursales sont supprimées sauf celle d’Avignon qui est sauvée un temps : «… le climat d’Avignon était plus favorable à la santé et aux habitudes d’un certain nombre de nos invalides… » Le flux d’invalides militaires commence à se tarir. On va chercher à les accueillir tous à Paris. Une nouvelle menace de fermeture en 1820. La seconde République cherche à faire des économies sur les budgets de l’Etat et de l’Armée et en 1850 l’Hôtel des Invalides de Paris pouvant accueillir 4000 pensionnaires n’en avait que 2899. Le décret du 27 février 1850 sonne le glas de la succursale d’Avignon.
Pétitions, appel à l’humanité, interventions diverses, rien n’y fait. 
Les invalides intransportables sont orientés vers l’hôpital civil de la ville ; d’autres seront recueillis par leurs familles, mais bien peu en ont encore une.
340 sont dirigés vers Paris. Le 6 novembre 1850 à 14 h les invalides les plus robustes marchant lentement vont jusqu’à l’île de la Barthelasse sur la rive gauche du Rhône où deux bateaux à vapeur les attendent, l’Althen et Le Mogador. Ils sont précédés par un détachement du 12è régiment de Chasseurs à Cheval, leur colonel, le maire d’Avignon. Les autres sont transportés et embarqués le 7 avec le commandant en second, le chirurgien-major, l’aumônier, le personnel infirmier et celui des services. Le 8 au matin les bateaux lèvent l’ancre. La remontée du Rhône à cette période est difficile du fait des rapides. C’est une expédition pénible pour nos anciens combattants.


Le Parisien 1850 entre Chalon et Lyon 400 personnes embarquées.

Des escales, Donzère, Valence, Condrieu pour passer la nuit sur leurs bateaux. Puis Lyon où ils attendent quatre jours. Puis la Saône, et Chalon-sur-Saône où ils changent de bateaux pour continuer dans les canaux du Centre et celui de Bourgogne. En tête un remorqueur à roues à aubes, Le Neptune tirant la péniche-infirmerie en tête et six autres, accolées deux à deux. On imagine ces invalides, souvent vieillards, en plein mois de novembre, enfermés, immobiles dans ces péniches. On imagine leur angoisse devant un avenir inconnu, les manœuvres du train de péniches pour franchir les écluses au gabarit insuffisant pour ce long convoi… De Chalon jusqu’au passage à la Seine, pas moins de 130 écluses !! Le Neptune au passage des ponts subit des avaries, cheminées arrachées, tambours des roues… A Melun le 24 on décide de transférer les invalides par voie ferrée depuis peu installée. Le convoi arrive à Paris le 25, des voitures hippomobiles conduisent nos invalides à l’Hôtel des Invalides, reçus par le général Petit dans le réfectoire des officiers. Ils rejoignent enfin leurs dortoirs.
Ceux d’Avignon comme ceux de Paris à leur décès sont inhumés dans la fosse commune, d’abord au cimetière de Montparnasse puis en 1882, la section des Invalides de ce cimetière est transférée à celui de Vaugirard.
En 1852, les bâtiments de la succursale sont remis à la ville d’Avignon qui y installe l’hospice civil Saint-Louis. Il fermera en 1892. Les  bâtiments, le cloître sont inscrit au titre des monuments historiques depuis le 13 décembre 1950. Une partie sera aménagée en hôtel par l’architecte Jean Nouvel en 1987.
Mais l’Histoire n’est pas finie pour nos invalides, vétérans des guerres révolutionnaires ou impériales. Le retour des bonapartistes avec Napoléon III appelait à une reconnaissance officielle de ces soldats. Il fallait aussi affirmer une légitimité politique pour le nouvel empereur, sur le trône après un coup d’état en 1851. Les derniers survivants recevront la médaille de Ste Hélène qui les rattachait directement à la mémoire de Napoléon 1er, dont le souvenir idéalisé continuait à hanter les campagnes françaises. Il fallait faire renaître l’idéal bonapartiste qui reconnaissait le talent et le mérite sans distinction de naissance, de fortune et ainsi s’attacher une légitimité populaire.






Des Vallabrixois l’ont reçu :
























 D’autres Vallabrixois ont pu recevoir cette médaille. Nous n’avons pas eu accès aux listes complètes.


ancien bateau-mouche sur la Saône 1859 ?

Pendant que nous y sommes rendons aussi hommage à Louis Gay, soldat sous Louis XIV—(guerre de succession /Espagne)(arch dép Gard J 1000)








 

Sources : -Louis CABIAC 1774-1854 : »Du ruisseau aux Invalides », Epopée d’un Bagnolais de
la Révolution au Second Empire. Pierre THIENARD Dépoy légal 1er trimestre 2003 ©Tous droits réservés  --
Bibliothèque Municipale d’Avignon : Musée de l’Armée Les Invalides Trois siècles d’histoire 1974 ----  Alboize de Pujol Description pittoresque de la Succursale de l’Hôtel des Invalides d’Avignon 1845-- Nathalie Petiteau Université d’Avignon  © Presses universitaires de Provence, 2003-- AM d’Avignon, 1 J 158, registre des copies de lettres du bureau de police d’Avignon, copie de lettre n° 196, 31 janvier 1820.-- /books.openedition.org/pup/5573?lang=fr
-- généanet.org---www.revuemethode.org/sf021607.html -- AM d’Avignon, 1 M 46, reprise des bâtiments de la succursale des invalides par le département de la Guerre, 10 septembre 1818.
Général A. CAMELIN, « La succursale des invalides d’Avignon, 1801-1850 », dans Revue historique des Armées, 1974, n° 4, p. 32-59 + A Gamelin  La Succursale des Invalides à Avignon  internet---- Service historique de l’Armée de terre, Xy 261.-- - article L’Invalide de  Emile De la Bédollierre dans  Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXe siècle éditée par Léon  Curmer. Réédité par  Omnibus en février 2003.--- D. FOUCAUD, Délits et violence sous le Premier Empire : aspects de la criminalité avignonnaise--- numelyo.bm-cartes postales  bateaux lyon.fr/BML:BML_01ICO001014cd009bd42a7d?&query[0]=isubjectgeographic:%22Lyon%20(Rh%C3%B4ne)%20--%20Arrondissement%20(02e)%22&query[1]=isubjectgeographic:%22L
[Ancien bateau-mouche, sur la Saône, au niveau des quais Fulchiron et Maréchal Joffre
1859--- Couradou de Vallabrix février 2015 médiathèque ou site du village Fonds historique--- Listesdes médaillés de la Croix de Sainte-Hélène stehelene.org/php/accueil--






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