(L’ancienne
colonie pénitentiaire de Luc).
Le Bagne pour
enfants de Luc
(La commune de Luc-Campestre se situe dans le Gard
proche du Vigan en Occitanie.)
ou Le fromage
et les « enfants du bagne » : « Mundatur culpa labore », le
travail efface la faute… Cela rappelle un autre temps pas si lointain « Arbeit macht frei- Le travail rend
libre »!
La France
du début du 19ème siècle est dans un état économique, sanitaire et
social épouvantable. Les bouleversements politiques, les guerres, la naissance
de l’ère industrielle ont détruit les strates sociales. L’entre-deux Guerre du
20ème siècle ne changera pas la donne. L’alcoolisme, le chômage qui
détruisent les familles. Les enfants
sont les premiers touchés par la situation : orphelins, abandonnés,
victimes d’inceste dans ces logements où
l’on s’entassait, vivant en bande, de vols, de mendicité. La prostitution
enfantine est bien installée dans les villes. L’industrie, les mines exploitent
largement les enfants, pour les rejeter lorsqu’ils sont trop grands sous les
métiers à tisser ou dans les boyaux des mines…
Ces enfants sont envoyés
dans des colonies pénitentiaires agricoles, appelées aussi colonies éducatives
agricoles, où les travaux et le bon air sain et vivifiant doivent les remettre
dans le droit chemin. Ils évitent la promiscuité des prisons d’où l’on ressort
comme ce fut le cas à la Petite Roquette de Paris, diminués physiquement et
mentalement à cause des mauvais traitements.
Louis Rastol arrivé
au en 1916 Luc à 13 ans né le 6 décembre 1902 à 8 h à Oran en Algérie, s’engage
dans l’armée classe 1922.

Dans ces centres les
enfants se retrouvent au milieu de nulle part, dans des lieux à l’abri des
regards. En toute discrétion, des travaux très durs vont leur être imposés.
Travail, punitions,
vexations, les révoltes ne sont pas rares comme celle du 29avril 1912 au centre
de Campestre : 18 pupilles se retrouvent en cellule.
Marquès du Luc possédait
une grande propriété sur le Causse Campestre, environ 1500 hectares. Il est conseiller régional du Gard,
membre du jury de surveillance de la ferme école de Mas le Comte, magistrat. Il
connait les travaux de la colonie pénitentiaire de Mettray ouverte en 1839 avec
la devise « sauver le colon par la terre et sauver la terre par le
colon ». Il décide d’installer une colonie éducative agricole sur
son domaine du Causse. Son fils reprendra la main en 1871. A partir de 1880,
l’Etat devant les abus de ces centres, accorde moins de subventions au privé.
Le Luc devient école professionnelle en 1904, on tente d’accueillir des filles,
puis des enfants difficiles de l’assistance publique. Le centre ferme
définitivement en 1929.
Autour du domaine, pas
d’enceinte, le Causse désertique suffit à dissuader les envies de fuite. Et
puis les évasions sont sans espoir : le crâne rasé, la veste avec le mot « Col
Luc » cousu dans le dos avec le numéro matricule, le fugitif était
facilement repérable. Une prime était allouée à celui qui les récupérait.
Parfois comme à Belle-Ile, un maton était de mèche avec les « braves
gens » pour reprendre le fugitif et la prime était partagée. En 1934 une
évasion massive eut lieu dans cette colonie : la prime était de 20 frs par
tête, même les vacanciers participèrent à la traque. A la colonie d’Aniane les
habitants avaient corrompu les gardiens pour qu’ils facilitent les évasions.
Une prime de 50 frs par tête à se partager avec les gardiens.
Punitions corporelles
bien qu’interdites par le règlement, privation de nourriture, cellules pour
trente ou quarante jours, des graffitis qui racontent encore malgré les couches
de peinture. Les cachots avec une petite ouverture en hauteur avec barreaux,
des portes en chêne, des verrous de forte taille, des banquettes en ciment pour
lit…
Graffitis cellule du Luc
1927-
« JE SORTIRAI QUAN DIEU LE VOUDRA VOICI 19 JOUR QUE JE SUI EN CELULE -
Voila 432 heures que je suis en cellule. 224490 minutes et 1393 secondes.
Il compte les jours, les heures jusqu’aux secondes, mais fataliste, il ajoute plusieurs fois : MES ENFIN JE NE MAN FE PA »
Il compte les jours, les heures jusqu’aux secondes, mais fataliste, il ajoute plusieurs fois : MES ENFIN JE NE MAN FE PA »
(Sur ce panneau, on peut voir en plusieurs endroits, 5 points assemblés
comme sur une face de dé. Dans les prisons, ce signe symbolise l’enfermement
entre quatre murs. ) –Michel Veyret)
Gravés sur les murs, des
bribes de vie, des jets de colère, des lambeaux d’espoir, un besoin de
manifester sa présence, son existence….
La plupart des garçons à la sortie ou après une évasion réussie,
s’engageaient dans l’armée coloniale. Quand ils ne plongeaient pas dans la
délinquance violente !!
Source : Michel Veyret
Vue latérale du bâtiment avec, au-dessus des cellules, l’étage du dortoir
des petits et à son extrémité, l’infirmerie.

Les plus jeunes de 6 à 12 ans sont chargés des travaux agricoles dans une terre qui est loin d’être fertile. Nous sommes sur le Causse, une terre de cailloux. Pour les plus petits, l’empierrage, un sac pendu au front et ramassage du moindre caillou pour le verser en bordure du champ à cultiver. Les plus âgés de 13 à 20 ans s’occupaient des travaux lourds agricoles, tracer chemins et routes, moissonner, construction, déblaiements, chargements,..des travaux de bagnards adultes. L’hiver ils faisaient des espadrilles et des paniers d’osier.
Une
rémunération était prévue : 0,20à 0,40frs par mois pour les 9-14ans, 0,40
à 0,75 frs, la somme leur était remise à leur libération. Un régime militaire
et rudimentaire, peu d’hygiène, l’eau est rare sur le Causse. Le matin, lever à
6 h, une prière commune, une tranche de pain (blanc ce qui est rare à cette
époque), et travail dans le vent, le froid de l’hiver et la cagna de l’été. A
13 h, repas, une tranche de pain et de la soupe, un plat de légumes secs. Peu de
viande. Puis travail et retour en colonne et en silence. Cours de moralité et
d’éducation avant la soupe du soir et coucher. Le dimanche les enfants ne
travaillaient pas, mais ils avaient religion et exercices militaires
obligatoires. Quand on regarde le bâtiment, l’absence de cheminée interpelle.
Dans un climat si rude, il devait geler dans les dortoirs. Seules l’école,
l’infirmerie et la cuisine avaient un moyen de chauffage. Un rapport
d’inspection de 1893 indique des affections des voies respiratoires très
nombreuses.
Il ne s’agit pas ici de faire pleurer sur la misère de ces enfants. C’était une autre époque. Ma mère née en 1918 à 8 ans faisait le ménage chez l’instituteur du village et sa sœur ainée au même âge était aide-cuisinière chez le notaire du village voisin. La vie était dure pour tout le monde mais les enfants payaient très largement leur part. Et nous commencions seulement à parler éducation, école pour tous…. La société française est seule responsable de ce qui s’est passé dans ces lieux de misère. Je le dis pour tous ceux qui en ont honte ou qui sont dans le déni. Cette Histoire n’enlève rien au fromage de Roquefort, ni aux habitants de Luc. Les enfants sont encore maltraités dans beaucoup de pays.
(bâtiment au-dessus du gouffre à
peine visible au pied du mur)
« Dans
les ménageries, il y a des animaux -Qui passent toute leur vie derrière
des barreaux - Et nous, on est les frères de ces pauvres bestiaux -On
n’est pas à plaindre, on est à blâmer- On s’est laissé prendre,
qu’est-ce qu’on avait fait, -
Enfants des courants d’air,-Enfants des
corridors,
Le monde nous a fichus dehors,--La vie nous a
foutus en l’air »
(A partir de graffitis - Paroles de la
chanson d’un film sur le pénitencier de Belle-Île que devait réaliser Marcel
Carné après la guerre. Faute de crédit le projet fut abandonné)
La Loire m’a
vu naître
L’Assistance m’a vu paraître
La colonie de Mettray dans la torture
La colonie du Luc dans l’esclavage
Les prisons me verront rentrer
Le bagne me verra souffrir
Et Cayenne sera mon tombeau
Et debler me fera passer le cou
par la lunette
L’échafaud me verra mourir.
Debler : vraisemblablement en référence
à Anatole Deibler (1863-1939) célèbre bourreau qui participa à l’exécution de
395 personnes. Graffitis cellule de Luc-Campestre
Pourquoi je mentionne Roquefort plus haut ? L'explication est simple. Au centre de Luc-Campestre dès 1863 on cherche à améliorer le rendement de
la colonie. Le fromage de Roquefort a besoin d’être maturé en cave pour
développer sa moisissure. Pourquoi ne pas utiliser l’aven de Saint-Ferréol, à
quelques centaines de mètres de la colonie ?
62 mètres de profondeur, une salle partiellement oblique à 82 mètres. En 1882
on bâtit un bâtiment industriel à l’aplomb du vide au-dessus de l’abîme. Un
treuil est installé permettant de monter et descendre dans l’aven. Mais ce
système se révèle peu pratique. Donc les propriétaires vont utiliser une
excavation un peu plus loin, et faire creuser une galerie de 200 m de long en
pente douce. On envisage de mettre des rails dans le tunnel ainsi creusé pour
transporter les fromages. Les historiens ne sont pas d’accord sur la présence
de ces rails et des wagonnets de transport.
(bas du gouffre – bâtiment au sommet)
La galerie fut creusée
en moins d’un an, les travaux dirigés par un ingénieur d’Alès. Contrairement à
ce qui a souvent été dit, elle fut
minée par des professionnels, des traces de foration sont encore visibles.
Mais les enfants ont participé durement malgré tout aux travaux :
déblaiement du bas de l’aven, construction, charroi,….. On imagine les enfants
suspendus au bout d’une corde d’un treuil, descendre pour aménager la grotte,
aplanir le sol, construire des étagères…On imagine leur peur dans ce monde
obscur, énigmatique, plein de bruits étranges...
La galerie « Le sol semble avoir été recouvert de fins stériles afin
de faciliter le déplacement. Des documents évoquent qu'il existât une voie
ferrée de type Decauville. A l'état actuel des recherches, il n'est pas évident
d'affirmer que cela à vraiment existé. Il se pourrait que ça ne soit resté qu'à
l'étape du projet. » (GADJO)
Certains des enfants seront assignés à la production du
fromage. Les autres continueront les travaux des champs.
(Entrée de la fromagerie)

une cheminée d’aération de 60 mètres
de long ainsi qu’une tour pour en protéger le puits d’entrée.
Chasse à l’enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ---Au-dessus
de l'île on voit des oiseaux---Tout autour de l'île il y a de l'eau---Bandit !
Voyou ! Voleur ! Chenapan !--- Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?--- Bandit
! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens---Qui
fait la chasse à l'enfant---Il avait dit "J'en ai assez de la maison de
redressement"---Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les
dents---Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment---Bandit ! Voyou !
Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s'est sauvé---Et comme une
bête traquée---Il galope dans la nuit---Et tous galopent après lui---Les
gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes---Bandit ! Voyou ! Voleur
! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens---Qui
fait la chasse à l'enfant---Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis---Tous
les braves gens s'y sont mis---Qui est-ce qui nage dans la nuit ?-- Quels sont
ces éclairs, ces bruits ?-- C'est un enfant qui s'enfuit---On tire sur lui à
coups de fusil---Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage--Sont
bredouilles et verts de rage---Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu
le continent ! --Au-dessus de l'île On voit des oiseaux---Tout autour de l'île
il y a de l'eau.
Jacques
Prévert – Paroles

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