vendredi 29 juillet 2022

dimanche 24 juillet 2022

 



(éditions Clair-Obscur)

Un tour de France à vélo à 80 ans !

(voir et revoir sur ce blog du 25/7/2018)
Le « Petit Journal » du 15 juin 1932 nous raconte Emile Korn. A 80 ans, ce doyen du Vélo-Club de Valentigney dans le Doubs vient d’entreprendre en solo le tour de France à bicyclette. Ce jour-là il fait étape à Paris qu’il ne connaissait pas encore. Son voyage va durer plusieurs mois. Pèlerinage, plutôt voyage initiatique, passion pour le vélo. La marque Peugeot le sponsorise.

La « Grande Boucle », le Tour de France, est revenu comme chaque mois de juillet. Avec ses exploits, ses beaux paysages. Avec le temps, le spectateur n’imagine plus vraiment ce que ce périple demande de sueur, de douleur. C’est encore, malgré le peu de vélos utilisés actuellement dans notre pays, l’événement sportif qui connait un succès populaire qui ne se dément pas d’année en année. Malgré les soupçons de tricherie qui reviennent aussi chaque année. C’est la fête pour les villes et villages traversés, une publicité qui n’est pas gratuite mais efficace.
Uzès 2012














 Lorsque la Grande Boucle est passée par Uzès en 2012, une semaine avant, des camping-cars stationnaient le long du parcours, parasols déployés. Il n’était pas question de s’installer devant l’un d’eux, l’excitation était déjà là. Depuis sa création, cet événement sportif a suscité des vocations sinon d’exploits sportifs mais de voyages. Symbole de liberté, d’air pur, de joie de vivre….Nous pouvons nous rappeler les « Congés Payés » de 1936 et les photos de nos familles ou de nos cousins scouts qui partaient en vacances à vélo. Et les affiches publicitaires, véritables œuvres d’art, qui nous vantent un monde à vélo raffiné.





  ( Emile Korn
et sa bicyclette Peugeot- pub déguisée-photo Fressard Audiacourt -wikipedia).
Au début du 20ème siècle, les industriels du cycle, la presse spécialisée ont besoin de développer le sport cycliste. La bicyclette a un sérieux concurrent, l’automobile. Pourtant ce mode de transport s’est bien développé dans nos campagnes et dans nos villes depuis la moitié du 19ème siècle. A tel point que nos édiles se dotent de règlements. Dans notre village, comme dans d’autres : interdiction de laisser son vélo la nuit dans les rues en particulier près des débits de boissons, obligation de mettre pied à terre dans les pentes, interdiction d’effrayer animaux et personnes, obligation de rouler avec une lanterne ou lumière le soir, les déplacements de nuit qu’en cas de « grande nécessité et urgence »…. A Uzès les jours de marchés ou de foires interdiction de circuler à l’intérieur de la ville, interdiction de rouler sur les trottoirs…Le contrevenant se verra confisquer sa bicyclette et risquera une amende. Depuis une loi d’avril 1893 une taxe est perçue sur chaque vélo, un quart de cet impôt doit revenir théoriquement aux communes qui doivent tenir un registre. 10 frs par an et par vélo, 12 frs pour les tandem. Chaque vélo sera muni d’une plaque qui indiquera si l’utilisateur est en fraude ou pas. Cette plaque sera remplacée par un timbre, puis l’impôt disparaîtra en 1956. Assez rapidement l’Etat avait « oublié » de rétrocéder aux communes leur part de taxes-vélo.
En 1903, Henri Desgrange a l’idée de créer cet événement sportif Le Tour de France pour relancer son journal « L’Auto » et affaiblir son concurrent « Le Vélo ». La première édition de la course Bordeaux-Paris s’était déroulée en mai 1891. Desgranges est lui-même un sportif : il établit le premier record de l’heure sans entraîneur (car encore amateur) en mai 1893. Il arrête la compétition pour se consacrer à sa carrière de journaliste en 1895.Il devient aussi directeur de piste.
Le règlement de la course du Tour de France sera mis en place petit à petit, des modifications se feront sur le tas.

Les coureurs du Tour font rêver, ils deviennent des « géants de la route », les ascensions des cols, les traversées des montagnes écrivent la « légende du Tour ». 1913, première ascension du col du Galibier, création du maillot jaune en 1919… Journaux, radio (TSF à l’époque) racontent les épreuves, tiennent en haleine les spectateurs. Contre la puissance des équipes de marque qui verrouillent la course, création des équipes nationales en 1930. Mais les marques payaient des droits d’entrée jusqu’alors et donc amenaient des ressources financières. La caravane publicitaire prend le relais. Les équipes de marque reviendront plus tard avec l’émergence de la télévision qui offre de nouvelles ressources.



Un temps mis en réserve, le Tour renait après la Seconde Guerre Mondiale. Le journal L’Auto est devenu L’Equipe, Jacques Goddet et Félix Lévitan ont repris les rênes de l’organisation. Des grands noms, Fausto Coppi, Louison Bobet et pour ma génération, la bataille toujours recommencée entre Poulidor et Anquetil qui remporta cinq Tours de France. C’était toute une époque : réunis autour du poste de radio on écoutait les journalistes qui s’étranglaient en commentant, Yvette Horner et son accordéon entraient dans les appartements, les klaxons, la pub. Les voisins qui refaisaient la course… Nostalgie, nostalgie!!
(photos  Fondation Berliet
Latil B2 Pathé Tour de France 1930---Les rendez-vous de la Reine)

Le Tour de France s’internationalise dans les années 1980 : équipes et coureurs de toutes les nationalités, épreuves hors de nos frontières. Cette course a fait son chemin dans le cyclisme mondial. Un récent sondage indiquerait une perte d'intérêt du public français pour cet exploit sportif. Peut-être une perte de sens ?
Paradoxe des paradoxes, les affaires de dopage font avancer la recherche médicale en matière de toxicologie et de pharmacologie. Il semble que l’on s’achemine vers un sport plus « propre ». Quoique !!!

Ce juillet 2018, un tiers des étapes passe en Occitanie : Mende, Carcassonne, Bagnères de Luchon, col de Portet, Pau….Lourdes et Laruns avec plusieurs cols au programme dont le Tourmalet avec ses 2115m d’altitude. La Région espère des retombées économiques et touristiques importantes grâce à cet événement. 
Si déjà nos élus pouvaient avoir envie de construire des pistes cyclables le long de nos routes pour sécuriser nos voyages à bicyclette, ce serait une bonne chose !! Uzès a montré l'exemple.














Uzès 2014 -



Sources : Le Petit Journal 15-6-1932 --wwwhistoire-genealogie.com --- Jacques Goddet, L'Équipée belle, Robert Laffont-Stock, Paris, 1991-- Thierry Cazeneuve  1903-1939 L'invention du Tour,  L'Equipe  coll. « La Grande histoire du Tour de France » (no 1), 2010, 62 p. (ISBN 978-2-8152-0293-0 -- Jean-Paul Vespini1903, Le Premier Tour de France, Paris, Jacob Duvernet, 2013, 278 p. (ISBN 978-2847244663) --Jacques Seray et Jacques LablaineHenri Desgrange, l'homme qui créa le Tour de France, Saint-Malo, Editions Cristel, 2006, 368 p. (ISBN2-882-84421-042-2)—wikipedia – B Voisin-Escoffier Couradou janvier 2012 site internet Vallabrix Fonds Historique) --Le Journal de ma Région n°13 juin2018 ---merci à Michel -Desplan pour son document sur les Vieilles Affiches --- photos Uzès www.uzes.fr/Tour-de-France-2012-par-Uzes-un-petit-tour-et-puis-s-en-va_a932.html




mardi 12 juillet 2022

 Le Tour de France 1904 à Nîmes

(voir et revoir sur ce blog du 22/06/2020)
La célèbre course cycliste n’aura pas lieu en cette année 2020 en juillet, la faute à l’épidémie. On imagine mal la foule encourageant les coureurs tout le long de la route, même si le déconfinement se passe bien. Peut-être fin août ? Une autre parenthèse de 1939 (33ème édition) à 1947 pour cause de Seconde Guerre mondiale.

En 1903, Henri Desgrange a l’idée de créer cet événement sportif Le Tour de France pour relancer son journal « L’Auto » et affaiblir son concurrent « Le Vélo ». La première édition de la course Bordeaux-Paris s’était déroulée en mai 1891. Desgrange est lui-même un sportif : il établit le premier record de l’heure sans entraîneur (car encore amateur) en mai 1893. Il arrête la compétition pour se consacrer à sa carrière de journaliste en 1895.Il devient aussi directeur de piste.
Le règlement de la course du Tour de France sera mis en place petit à petit, des modifications se feront sur le tas..
Le Tour de France cycliste de 1903 a connu un succès important. Maurice Garin gagnant de l’édition 1903 avait empoché 3000 anciens francs, une somme importante pour l’époque.
L’édition de 1904 ne sera pas de tout repos. Chauvinisme, agressions, fraudes, menaces indiquent  un manque d’esprit sportif de la part des participants et des spectateurs. Une violence qui atteint son paroxysme… Des spectateurs s’en prennent aux coureurs pour favoriser leur favori, souvent le gars du cru.
Six étapes comme l’année précédente. Des étapes qui se disputent en partie la nuit, d’où une certaine facilité pour les coups tordus. Les règles sont les mêmes qu’en 1903, mais les cyclistes qui abandonnent ne peuvent concourir à nouveau, d’où l’intérêt de pousser les rivaux à l’abandon. Départ le 2 juillet.
(Maurice Garin wikipedia  créditsJules Beau (1864-1932)).
Des favoris, Maurice Garin, de l’équipe « La Française », Lucien Pothier, Hippolyte Aucouturier dit »le terrible », un ancien Henri Paret de 50 ans et un benjamin Camille Fily de 17 ans.
Dès la première étape, 467 km, le ton est donné : Montgeron-Lyon, quatre hommes masqués sur la route dans une torpédo, menacent Garin dit « le petit ramoneur », et Pothier dit « le boucher de Sens ». « Vous ne passerez pas St Etienne ! Si vous continuez on vous tuera !! ». Les deux hommes ont à ce moment-là un peu plus de 45 minutes d’avance sur le peloton. (« La Fabuleuse Histoire du Tour de France » 1983 Pierre Chany Thierry Cazeneuve)

La deuxième étape est Lyon-Marseille, 374 m.. . Alfred ou Antoine Faure est en tête. Mais au col de la République, quelques 200 Stéphanois bloquent le peloton pour assurer sa victoire. Des coureurs racontent
"Tout à coup, dans le haut de la côte, Faure démarre brusquement et prend deux ou trois longueurs. Nous levons la tête pour apercevoir cinquante mètres devant nous, un groupe d'une centaine d'individus formant la haie de chaque côté de la route ; ils sont armés de gourdins et de pierres ; Faure s'engage résolument et passe ; alors les gourdins se lèvent sur les suivants."
Les officiels de la course tirent en l’air et la situation redevient quasi normale. Mais Garin se blesse à la main et Giovanni est assommé !
C’est lors de cette étape que le Cévenol Ferdinand Payan de l’équipe Champeyrache est disqualifié : il aurait pédalé dans le sillage de son entraîneur et fait un bras d’honneur à Henri Desgrange, le patron du Tour.
        (Ferdinan Payen—collection privée de Neantvide 23mars2013)

Lucien Pothier se serait abrité derrière une voiture. Pierre Chevalier lâché par le peloton est pourtant classé dans les premiers, mais il avoue être monté dans une voiture, profitant de l’obscurité ! Il finira 3ème de l’étape entre Montgeron-Lyon..
Maurice Garin est soupçonné d’avoir pris le train !
Pour la troisième étape Marseille-Toulouse, 424km, nous n’avons plus que 37 coureurs sur les 88 engagés. Ce 13 juillet le départ est sifflé à 21 h. Tout se passe relativement bien jusqu’’à Nîmes. Les supporters de Ferdinand Payan n’acceptent pas son élimination lors de l’étape précédente. Une centaine d’entre eux font le déplacement d’Alès à Nîmes, en vélo pour manifester. Arrivés à Nîmes à la hauteur de la route d’Arles, le parcours est semé de tonneaux, de ferrailles.
Au point de contrôle du Grand Café ce jeudi 14 juillet à 1h 25 du matin, plusieurs milliers de Nîmois applaudissent la course sans hostilité. Mais les Alésiens sont là et l’arrivée des coureurs déclenche une émeute. Les forces de l’ordre sont très vite débordées.  Aucouturier « Le Terrible » se défend à grands coups de vélo, puis se réfugie dans le Grand Café. Il prend le tablier d’un garçon de café pour se faire passer pour un employé. Ses assaillants arrivent demandent où est « Le Terrible ». Il prend la fuite pour reprendre l’étape qu’il va remporter d’ailleurs. Il quitte Nîmes, le visage en sang. D’autres coureurs sont poursuivis dans les rues de la ville sous une pluie de pierres. Les pneus des voitures sont lacérés. Le directeur de la course Desgranges doit tirer des coups de feu pour disperser les agresseurs.
La route menant à Montpellier est jonchée de clous, de tessons de bouteilles, de barbelés…
Lors de la cinquième étape Bordeaux-Nantes, encore des clous sur les routes et des crevaisons. L’assistance mécanique n’est pas encore autorisée et Henri Cornet termine les 40 derniers kilomètres avec deux pneus crevés !!
L’arrivée de la sixième étape a lieu à Ville d’Avray, le vélodrome du Parc des Princes à Paris est impraticable à cause d’un violent orage.
Maurice Garin,1897- vainqueur initial du Tour de France 1904.
23 coureurs terminent la course ; Maurice Garin est initialement le vainqueur de cette édition 1904, Aucouturier a remporté 4 étapes. Mais 29 coureurs sont disqualifiés ! Le classement ne sera homologué que le 2 décembre. Huit coureurs dont les quatre premiers sont déclassés et suspendus. Henri Cornet cinquième du classement général initial est déclaré vainqueur. Maurice Garin est suspendu de course pendant deux ans, Lucien Pothier est suspendu à vie mais la sanction sera revue et allégée à trois ans de suspension. C’est la commission sportive de l’Union Vélocipédique de France qui prend ces décisions, pour des motivations qui sont encore obscures pour nous car ses archives ont disparu en 1940 lors de leur mise à l’abri pendant la guerre.
La presse s’en donne à cœur joie : « des scènes de sauvagerie …des actes monstrueux.. des actes dignes d’apaches.. » On rend responsable Ferdinand Payan qui aurait fomenté ces bagarres.

   Henri Cornet, le vainqueur du Tour de France 1904
Henri Desgranges pense un temps jeter l’éponge et abandonner le Tour de France. Il considère le Tour comme "mort de son succès, des passions aveugles qu'il aura déchaînées, des injures et des sales soupçons qu'il nous aura valus des ignorants et des méchants."
Mais ses collaborateurs, ses actionnaires et les annonceurs publicitaires le dissuadent. Finalement le Tour 1905 aura bien lieu, mais avec des règles différentes. Pour limiter la triche des épreuves de montagne, plus d’épreuves de nuit, le classement établi non plus au temps mais aux points…
Nîmes sera encore ville étape en 1905, 1908, 1910…. 

Henri Cornet disputera sept autres Tours de France, sans jamais y jouer un rôle important.
Ces évènements ont en fait construit le Tour pour la durée. D’autres modifications au fil du temps peaufineront cette épreuve qui enthousiasme toujours les foules.

Sources : Gazette de Nîmes n°893 14/20 juillet 2016--- (« La Fabuleuse Histoire du Tour de France » 1983 Pierre Chany Thierry Cazeneuve) --- Adrien Pecout www.lemonde.fr/sport/article/2013/07/13/en-1904-le-pire-tour-de-france-de-l-histoire_3446550_3242.html---/fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_1904---Christian-Louis EclimontLe Tour de France en 100 Histoires Extraordinaires, Paris, First2013, 380 p. (ISBN 978-2754050449)---  Histoire du Tour de France (archives)sur le site officiel du Tour de France--- photo https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8a/1897garin.jpg?uselang=fr



lundi 4 juillet 2022

 


Le Fort de Peccaïs


Un monument à visiter au cœur de la Camargue, bordé d'étangs aux envols d'oiseaux, au clapotis de fleur de sel, aux horizons infinis....
Le fort de Peccais ou Peccaï en provençal est une construction du 16ème siècle, au cœur d’une nature languissante et silencieuse, proche d’Aigues-Mortes en Camargue. Etrange construction au milieu des marais. Bateau fantôme qu’on imagine peuplé d’êtres d’un autre univers.  Le delta du Rhône autrefois fut hérissé de forts et de tours de guet au gré de la mouvance des cours d’eau qui ont modifié constamment la géographie de la Camargue. Le fort et l’abbaye de Sylveréal construit sous le règne d’Henri III en 1577, détruit puis rebâtit au 18ème siècle, l’abbaye de Psalmodi, celle d’Ulmet à l’est de l’étang du Vaccarès ne sont plus que dans nos mémoires… la tour Saint-Louis à Port Saint Louis du Rhône, construit vers 1737 encore debout. La Camargue affamée de pierres engloutit les œuvres des hommes dans ses sables.
Tour Saint-Louis
Le fort de Peccais est inscrit monument historique par arrêté du 13 décembre 1978. Il est en fort mauvais état, longtemps ignoré même des habitants d’Aigues-Mortes. Il est vrai que la promenade n’est pas de tout repos : c’est le royaume des moustiques et des arabi, petites mouches très actives.
ruines de Psalmodi

Le fort est situé au cœur du marais de Peccais, marais salant exploité dès l’Antiquité et même probablement dès l’époque néolithique. De ce marais sont nés les Salins du Midi au 19ème siècle. Une si longue exploitation et peu de vestiges certainement détruits au fur et à mesure de l’utilisation du site. Des céramiques grecques du VIème et Vème siècle avant notre ère ont été malgré tout trouvées sur le site, prouvant l’exploitation et le commerce du sel du delta du Rhône.
Peut-être un ingénieur romain du nom de Peccius serait à l’origine du nom de ce marais. Il aurait été en charge de l’exploitation des salines.
 
Grenier à sel Moyen Age -BNF
 
Au Moyen-Age, l’abbaye du sel, Psalmodi, possédait en partie les salines de Peccais qui faisaient sa richesse. Encore aujourd’hui, une terre jouxtant le fort s’appelle la « plaine de l’abbé », souvenir de cette possession monastique. Le reste des terres de Peccais appartenaient aux seigneurs d’Uzès et d’Aimargues qui les inféodèrent à des petites propriétaires tout en se réservant le droit de septain, c’est-à-dire le septième de la récolte. Un seigneur de Saint-Quentin la Poterie notre voisine, possédait un bout de cette terre si convoitée, terre qu’il échangera contre une tour de son château, tour que le roi Louis VIII possédait on ne sait pas pourquoi, peut-être un résidu de la croisade contre les Albigeois.
(grenier à sel Moyen-Age)
Une convention entre le seigneur d’Uzès et les moines établissait un règlement commun pour l’exploitation des marais. «…. les mesures, boisseaux ou setiers employés dans leurs salins respectifs seraient de même dimension et que les ouvriers chassés de la propriété des uns ne seraient point reçus dans la propriété des autres… » . Il semble que l’exploitation d’un nouveau salin, le Salin de l’Abbé » date de cette époque. La Confrérie du Sel de Mer date du 12ème siècle. Elle est réactivée actuellement avec un Grand Prévôt, trois membre de droit les « protecteurs-nés ». Elle tient son chapitre pour la fête de la Saint-Louis avec l’intronisation de nouveaux chevaliers et ambassadeurs.
Départ de la septième croisade d'Aigues-Mortes, sur un chenal creusé dans le marais de Peccais)
Puis arrive le roi Louis IX, Saint-Louis, qui a des vues sur le secteur pour construire Aigues-Mortes, son port pour embarquer vers l’Orient. Dès 1244, les maçons d’Alès sont requis pour travailler « sous peine de leurs personnes et de leurs biens ». En 1248 le roi achète une partie des terres de Peccais à l’abbé de Psalmodie. Le pape Innocent IV autorise la transaction avec l’évêque d’Uzès (archives nationale J295n°12 Layette III p45 n°3706 et archives départementales du Gard H 109 n°12) Le roi accorde aux habitants du secteur, le droit de prélever librement dans les salines le sel nécessaire à leur consommation.
Philippe III son fils achète aux Hospitaliers la Terre des Ports à l’ouest de Psalmodi en 1272. Son petit-fils Philippe le Bel en 1290/92 récupère à l’est du territoire les terres seigneuriales en échange de divers châteaux de la région. Ainsi Bermond d’Uzès en cédant ses droits sur Peccais devient seigneur de Pouzilhac, Saint-Martin-de-Jonquières et Remoulins, ville verrou sur le Gardon et le Rhône proche. Le roi donne les salins en fermage contre le septième de la récolte. Des fortunes vont se construire sur le droit d’exploiter à ferme les salines. Un grand négociant du 14ème siècle Francesco di Marco Datini, finança le retour du pape Grégoire XI à Rome contre le droit d’exploitation de Peccais, avec son associé Nastagi di ser Tommaso : le sel entreposé et vendu à partir des greniers à sel de Beaucaire, Orange, Pont Saint esprit remontait le Rhône et fit de Datini une puissance économique incontournable alliée aux drapiers, autre puissance économique de l’époque…. Nous sommes dans les années 1367-1376.
(Aigues-Mortes Porte de la Reine ou de Peccais- une glacière sur le devant).
Pendant la Guerre de Cent Ans, les Bourguignons tiennent la ville d’Aigues-Mortes. En janvier 1421 les troupes royales les attaquent avec succès les soldats bourguignons qui sont passés par les armes et la légende dit que leurs corps sont entassés dans la « Tour des Bourguignons » en plusieurs couches bien salées en attendant d’être enterrés.
Dans les années 1500, l’exploitation s’intensifie. François 1er en 1532 fait creuser un canal qui relie les salins à la mer. C’est le chenal du Grau-Henri qui s’ensabla rapidement. Il restreint aussi le droit des habitants d’Aigues-Mortes à prendre du sel pour leur consommation en fixant un plafond. Ce sera le résultat d’une longue procédure entre la ville et le roi qui ne put abolir la franchise accordée par Saint-Louis.
En 1546, les salines s’agrandissent : le Grand Prieur de Saint-Gilles fief de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem construit le salin de Saint-Jean dans un étang proche de Peccais.


Mais il faut lutter contre la contrebande et le pillage des salins. Le roi a le monopole de la distribution du sel qui assure une source importante de revenus par le biais des impôts (la gabelle).
Enfin en 1568, la construction du fort de Peccais est décidée pour protéger les salines et les canaux qui servent au transport. Pirates, pilleurs, contrebandiers infestent la Camargue et nos côtes. Les « barbaresques » venaient s’embusquer dans les bras du Rhône pour attaquer les bateaux qui venaient à la foire de Beaucaire. François 1er d’ailleurs exemptera de toute peine le meurtre de ces pilleurs même en cas d’erreur de la part du meurtrier ! Des braconniers de poissons en feront les frais… Le sel est le principal mode de conservation des aliments. Celui qui domine l’exploitation du sel domine l’économie. Le sel va générer des conflits entre pays mais aussi entre provinces : contrôle des voies de passage pour le transport du précieux ingrédient, installation de monopole, utilisation du sel comme arme entre belligérants, développement du transport maritime et des échanges commerciaux…arrivée des harengs de la mer du Nord sur le marché européen !

Ce fort à quelques 5 kilomètres de la mer, était là pour maintenir l’ordre dans ces temps troublés des Guerres de Religion naissantes. Il était essentiel pour l’économie de la Camargue, dont le sel et la pêche étaient les seules sources de richesse. Et puis, Aigues-Mortes était située entre la Provence et le Languedoc, avec le Rhône, voie de transport. Il va suivre de très près notre Histoire, prenant toute sa place dans les épisodes sanglants des guerres de religion. Pendant  longtemps ce secteur sera la plaque tournante du commerce, des déplacements, des enjeux politiques.
(au fond les camelles blanches de sel)
160 mètres entre les pointes des deux bastions est-ouest, des fondations supposées sur pilotis comme la Tour de Constance d’Aigues-Mortes. Des archives du 17ème siècle nous décrivent une porte monumentale à fronton, trois corps de bâtiments autour d’une cour centrale, des logements pour le gouverneur, le major, la troupe, des hangars, des magasins, une boulangerie, une petite chapelle. Deux citernes de grande capacité surmontées d’une petite coupole. Une glacière très utile dans ce pays où l’eau était saumâtre et le soleil de plomb. La glace venait des Cévennes. Un lieu insalubre où sévissait le paludisme. En 1742, on trouve dans les archives le curetage du fossé et de l’avant-fossé pour « enlever toutes les vases qui corrompent l’air et nuisent à la santé de la garnison »..
Tout cela a disparu pour servir de carrière aux Camarguais. Il ne reste qu’un quadrilatère flanqué aux quatre angles d’un bastion, un fossé et un contre-fossé que l’on devine. Tapi dans les salicornes et les tamaris nains. Peu visible dans les vastes horizons plats camarguais.
En 1569, le fort est un temps aux mains des protestants.  Peccais est constamment disputé entre troupes catholiques et soldats huguenots. Le roi envisage de démolir le fort, mais Montmorency désobéit et le fait réparer. En 1598, sous le roi Henri IV, le fort devient place de sûreté et est confié au pouvoir des protestants avec une garnison de 18 hommes. Montpellier et Aigues-Mortes reçoivent une garnison de 128 soldats, la Tour Carbonnière, trois hommes. C’est en 1599 que Henri IV crée le poste de contrôleur général en Languedoc, qui remplace les Visiteurs de Gabelle, emploi crée en 1411 et ancêtre de notre percepteur.
 
Le fort abrite parfois des personnages hauts en couleur. En 1627 pendant la guerre de religion déclenchée par Rohan, le gouverneur protestant de Peccais Jacques Gautier seigneur de Saint-Blancard, lieutenant de Rohan, s’autoproclame amiral du Levant, arme des bateaux et entreprend la guerre de course, pillant nos côtes jusqu’à l’Ile de Ré où il trouvera la mort.
(Porte de la Reine ou de Peccais- remparts d’Aigues-Mortes-gravure 19ème –anonyme BNF)
Le gouverneur suivant Charles de Saint-Simon de 1634 à 1644 ne mettra jamais les pieds à Peccais. Mais le roi ordonne en 1636 des réparations importantes du fort. L’intendant des fortifications d’Argencourt nous a laissé un devis qui laisse entendre qu’il s’agit de réparations importantes, peut-être une reconstruction. Un impôt est levé sur tous les contribuables du Languedoc pour ces réparations, 36 000 livres au moins. Ce tribut plus la gabelle, des émeutes ensanglantent notre province. Celle de Carcassonne aboutit en 1657 à la décision de justice très lourde : les cloches qui avaient sonné le tocsin seront fondues, la ville écope d’une très forte amende, ses foires et marchés sont supprimés, la maison consulaire rasée, plus de grenier à sel, canons transférés, des peines de mort…. Heureusement cette sentence ne sera pas appliquée dans sa totalité car il faut préserver l’essor économique de la ville.
D’autres réparations du fort auront lieu au 17ème siècle, mais il a perdu de l’importance. Sa présence ne décourage pas les faux-sauniers. La contrebande était pourtant punie par l’envoi aux galères ou de peine de mort en cas de contrebande armée. En 1637 l’intendant du Languedoc se plaignait des difficultés à lutter contre les faux-sauniers : « les marais remplis de roseaux et de broussailles qui leur servent d’entrepôts et de retraite leur donnent une sûreté à n’être pas découverts… ». « Ils se servent des petits bateaux utilisés pour la chasse aquatique… ».
A la fin du 17ème siècle dix-sept salins étaient en activité dans le marais de Peccais : L’Abbé, Les Aubettes, Bourbuisset, Les Brassives, La Courbe, La Donzelle, Les Étaques, La Fangouze, La Gaujouze, Le Gay, La Lone, Le Margagnon, Mirecoule, Roquemaure, Saint-Jean, Les Tuillières et Les Terrasses. Un consortium de propriétaires sauniers est créé en 1716 ; l’Eglise ne s’associe pas à cette société. Elle possède encore les salins de l’Abbé et de Saint-Jean. Un syndic élu tous les ans gère l’exploitation commune. Plus tard l’évêché d’Alès propriétaire du salin de l’Abbé les rejoignit.
La garnison du fort en 1775 n’était composée que d’une compagnie d’invalides. La Révolution en 1790 décréta les salins de Peccais propriété de l’Etat. Puis ils seront restitués à leurs propriétaires sauf ceux de l’Abbé et de Saint Jean qui restent dans le giron de l’Etat. Comme à bien d’autres endroits, la bourgeoisie montpelliéraine achète les salins classés biens nationaux.
L’abolition de la gabelle en 1791 signe la fin du fort qui va tomber en décrépitude.


Porteurs de sel --Groupe Salins

Au début du 19ème siècle, le fort est déclassé. Après les grandes inondations du Rhône de 1840 et 1842, une société Renouard et Cie de Montpellier rachète et exploite les salins des marais de l’Abbé et de Saint Jean. En 1842 Achille Durand fermier du salin de Villeneuve convoque en assemblée générale les propriétaires des autres marais qui en 1847 s’associent dans une première Compagnie des Salins. Les débouchés commerciaux sont favorisés par le développement des chemins de fer, l’apparition des bateaux à vapeur sur la Rhône et surtout par les besoins de l’industrie naissante de la soude. En 1856 la Compagnie des Salins du Midi est créée par Auguste Renouard avec son siège social à Aigues-Mortes. Cette société va prospérer et prendre le contrôle et la propriété de tous les salins de la côte méditerranéenne française. La situation est plus fluctuante depuis quelques années. Mais c’est une autre histoire que nous compterons peut-être ici un jour.

Pendant la guerre de 1914-1918, le fort sert de prison. Nous avons vu précédemment que le marquis de Baroncelli en a été le pensionnaire bien malgré lui.

Les troupes allemandes d’occupation pendant la seconde guerre mondiale s’installent dans le fort, construisant à l’intérieur du bâtiment plusieurs petites casemates et un fortin plus important à l’extérieur, proche de l’entrée. Le fort devient ou redevient un emplacement stratégique contre un éventuel débarquement. A la Libération ces ajouts seront dynamités, laissant des ferrailles tordues et des blocs de béton, témoins d’un proche passé.

En 1978 les quelques vestiges et le fossé sont classés à l’inventaire général des monuments historiques. La Cie des Salins du Midi cède le site en décembre 2012 au Conservatoire du Littoral. Des travaux sont envisagés par le Conservatoire des Monuments Historiques.

A visiter à Aigues-Mortes les Salins et son petit train, ses camelles, ses installations….
Tout est salé : les bons mots, l’histoire un peu leste, la note du restaurant, la correction, l’impôt, la peine salée qui condamne le demi-sel, peine prononcée par un juge poivre et sel. Et même le mari paresseux qui selon la coutume, devait être salé au lieu de sa paresse pour lui rendre sa vigueur. On n’oublie pas le salaire (part de sel attribuée au soldat romain), la sauce, le saucisson, la salade….. On en trouve d’autres ?
Plan Aigues-Mortes gravure de Belin 1764 BNF


Sources : Henri-Paul Eydoux Monuments Méconnus Provence 1978  édit Librairie Académique Perrin --  Christiane Villain-Gandossi Les salins de Peccais au 14ème siècle d’après les compte du sel de Francesco Datini Annales du Midi 1968 + Comptes du sel Paris 1969 collection des documents inédits sur l’Histoire de France VolVII –Ménard Histoire de Nîmes archives nationales J295 n°33  Preuves p 388 + Pagézy – Jean Raybaud Histoire des Grands Prieurs de Saint-Gilles 1904 édit Abbé Nicolas Nîmes in 8è T1 p188 – wikipedia –photos collection privée + France-voyage, tripadvisor.fr -- Guilaine (J.) et Fabre (D.), dir, Histoire de Carcassonne, Privat, 2001.-- Jean-Félix Cuny  Le Sel que j'aime édit Hachette Art de Vivre ---Groupe Salins --Aigues-Mortes Musée du Sel --