vendredi 24 janvier 2020

Josette Clotis et André Malraux


Josette Clotis et André Malraux

Josette est née à Montpellier dans le département de l’Hérault le 8 avril 1910. Elle décède en Corrèze à Saint-Chamand le 12 novembre 1944. Femme de lettres, romancière, journaliste, nous nous souvenons surtout qu’elle fut une des compagnes d’André Malraux. A l’ombre de ce géant, elle va connaitre bien des nuits d’orage, de désillusions. Un destin tragique qui se termine par sa mort et celle de ses deux fils qu’elle a eu avec Malraux.
(Josette -babelio.com)
Son père Joseph est catalan français, sa mère Adrienne est aveyronnaise. Ils se marient à Montpellier en décembre 1909. Josette est déjà en route.
Cheveux blonds bouclés, yeux aigue-marine, elle aime la plage, le soleil, participe aux concours des reines de beauté… Le père inspecteur des impôts, est muté à Beaune-la Rolande dans le Loiret, à une cinquantaine de kilomètre d’Orléans, dans la grisaille. De 1947 à son décès en 1958 il sera maire d’Hyères dans le département  du Var.
Sa mère suit souvent des cures thermales à Balaruc-les-Bains dans le département de l'Hérault pour son arthrose et Josette l’accompagne retrouvant ainsi son soleil, le bonheur des baignades dans l’étang de Thau, ses amis d’enfance. La famille passe ses vacances à Palavas-les-Flots près de Montpellier.
Adolescente Josette écrit des poèmes, tient son journal ; déjà journaliste elle prend la plume pour la revue Eve dans le courrier « de l’Une à l’Autre ». Elle a pris le pseudo de TipToe, c’est à dire en anglais « sur la pointe des pieds ». Elle a 22 ans.
Elle écrit son premier roman en 1928 ; Henri Pourrat l’aidera à le mettre en forme. Le livre s’intitule « Le Temps Vert ». Ce roman évoque la vie de sa mère, de nombreux personnages de Béziers, Montpellier, l’Aude, le Rouergue…. Elle rencontre Henri de Montherlant par l’entremise de Jeanne Sandelion grande amie et admiratrice de l’écrivain. Un temps elle sera sa dactylo, en particulier pour le manuscrit « L’Age où l’on croit aux Iles ».
 En 1932 elle s’installe à Paris et devient journaliste à Marianne, un hebdomadaire littéraire fondé depuis peu par la NRF. Gallimard à la sortie de son roman cette année-là lui signe un contrat pour dix autres romans..  C’est la consécration.
Elle devient la star du moment, photographiée, interviewée… Elle est radieuse. Les journalistes l’encensent : son profil de camé, son port de tête, la cascade de cheveux blonds, le pied mince…. C’est la nouvelle coqueluche du Tout-Paris. Elle est souvent invitée chez Gaston Gallimard à Deauville où elle rencontre d’autres célébrités comme Antoine de Saint-Exupéry.
C’est dans les locaux de  la NRF au 5 rue Sébastien Bottin qu’elle va croiser un beau ténébreux, la mèche en bataille sur le front, cigarette au bec : André Malraux vient de publier « La Condition Humaine ». Nous sommes en 1932. L’année suivante, ce livre lui vaudra le prix Goncourt.
C’est le coup de foudre pour les deux. Josette est jolie, belle certes, mais aussi spontanée, drôle. Elle a un bon coup de fourchette, elle aime une cuisine de terroir, sans prétention. Ce n’est pas une intellectuelle engagée avec passion comme Clara l’épouse de Malraux. Josette est fascinée par André. Il a séjourné en Asie, en URSS, rencontré des hommes politiques de ces pays, essayant de peser avec André Gide sur le gouvernement allemand…
(photo wipedia.org)
Son journal intime est son confident. Josette ne côtoie pas le même milieu et elle héritera du surnom « la provinciale ». Elle est très critique sur les gens fréquentés par Malraux : »des intellectuels hors de la vie, des cinglés, des gens qui ont besoin de se saouler, de se droguer, de coucher avec tout le monde, de se faire psychanalyser… ».
Le couple devient amant probablement en décembre 1933. C’est le début pour Josette de périodes d’attente, d’espérance d’un télégramme, d’un coup de téléphone. Des rendez-vous furtifs, des escapades souvent écourtées… Josette s’est installée dans une chambre d’hôtel, sur le chemin de Gallimard et le domicile d’André rue du Bac. André vient d’avoir une petite fille Florence avec son épouse Clara. Josette rêve d’une vie de famille, unie, stable. Elle est souvent, trop souvent seule ; elle revient fréquemment chez ses parents qui s’inquiètent de cette existence, de cette liaison sans lendemain. Elle a cessé d’écrire, semble-t-il, et son existence lui semble vide.
Josette grappille quelques instants avec son grand homme qui ne se gêne pas pour batifoler aussi avec Louise de Vilmorin. La vie de Josette peut se résumer ainsi : »pas un objet que nous avons acheté ensemble. Pas un quartier où nous ayons habité ensemble ; une maison, un loyer, un lit contre un mur, une concierge. Pas une ligne, une note, un mot dans ses écrits qui me concerne. Ai-je existé ? S'il part demain, si… Je resterais les mains vides ».
C’est avec Clara qu’il défile pour le 14 juillet, mais il passe ses vacances d’été avec Josette en Belgique, à Bruxelles, Bruges, Gand.. Clara avec intelligence dans un premier temps reçoit les maîtresses de son mari à son domicile. Puis l’atmosphère va se gâter.
André dès 1934 se sent pousser des ailes ; aventurier, archéologue, journaliste…Moyen-Orient, Asie, Afrique. Il a trois femmes à fuir : une épouse exaspérée avec un bébé, une maîtresse inquiète, une autre Louise qui a d’autre chat à fouetter. Quand il rentre de voyage, Josette le repose des querelles et des insultes de Clara.
Malraux et Maxime Gorki en URSS en 1934, Marianne, 15 avril 1936.
Moscou, l’Espagne avec Clara et Josette…les Etats-Unis en avril 1937 avec Josette. Elle ne se mêle pas de politique contrairement à Clara qui critique les positions de son époux depuis Paris. Aux USA, Josette préfère rencontrer des écrivains américains, des artistes. La guerre d’Espagne marque profondément André. Militant antifasciste il combat de 1936 à 1937 aux côtés des Républicains espagnols. De retour en France dans un chalet de Vernet-les-Bains dans les Pyrénées Orientales, il écrit, dix heures par jour ; ce sera « l’Espoir », son sujet, la guerre d’Espagne toute proche de l’autre côté des montagnes ; Josette dactylographie, calme, passive. Rendez-vous à Toulon avec Clara à qui André soumet son manuscrit. Elle suggéra semble-t-il beaucoup de corrections que Malraux accepta.  Ce roman est publié en 1937, une adaptation filmée sera tournée en 1938.
Malraux doit gagner de l’argent pour nourrir toute sa petite famille : en 1939, son découvert chez Gallimard est de plus de 170 000 frs ; les pensions alimentaires qu’il doit se montent à 44 000 frs pour Clara, 11 000 pour Josette et 5000 frs pour grand-mère Lamy. Gaston Gallimard patiente car l’écrivain phare de la maison d’édition attire d’autres auteurs. Et puis il sait qu’André est une valeur sûre.
En 1940 Josette est enceinte, son amant souhaiterait qu’elle avorte. Malraux parle de divorcer d’avec Clara, mollement. Il n’est pas facile en cette période de divorcer et encore moins d’une femme juive. Il est incorporé en avril 40 comme dragon au 41è dépôt de cavalerie motorisé près de Provins. Pacifiste il a prévenu son capitaine : « ne comptez pas sur moi pour tirer ». Il se retrouve prisonnier des Allemands d’abord dans la cathédrale de Sens, puis au stalag 150 au bord de l’Yonne. Il s’évadera en compagnie de son frère Roland, début novembre.
Josette a rejoint ses parents à Hyères : sa mère s’offusque du ventre rond de sa fille, son père un peu moins. Les enfants nés hors mariage, les bâtards, étaient une honte pour toute la famille encore à cette époque.
Josette accouche dans une clinique de Neuilly, un garçon Gauthier que le demi-frère d’André, Roland encore célibataire, reconnaîtra comme son fils.
(Roland et Madeleine son épouse-bibliobs.nouvelobs.com)
En janvier 1941 Josette et André s’installe à Roquebrune-cap-Martin jusqu’à l’automne 1942 dans la villa « La Souco » appartenant à des amis anglais d’André Gide. La maison est somptueuse avec un maître d’hôtel qui va chercher des provisions en Italie à vélo !!  André renoue avec des écrivains comme André Gide et Roger Martin du Gard. Il prend ses distances avec Drieu la Rochelle qui collabore avec l’occupant. Pourtant son fils Vincent né en 1943 aura pour parrain cet écrivain sulfureux à la demande de Josette qui admire l’intellectuel Drieu. « …Voudriez-vous être le parrain de ce second bébé ? …Voulez-vous regarder cet enfant un peu d’un autre œil que l’œil ordinaire, en quelque sorte je vous le confie…. ».
Josette comme Clara n’est pas dupe des mensonges de son amant : »il est plus soucieux de faire une œuvre d’art que de dire des choses exactes »… Elle le voudrait homme au foyer et homme de lettres. Il lui parait « rond, bonasse, américain, avenant, jeune.. mais quand la bouche retombe et que le regard devient aigu, c’est celui d’un clergyman, d’un singe, d’un vieux bonze… ». Elle paie les impôts de l’écrivain. Il ne semble pas lui en être reconnaissant : « Pourtant il doit bien exister au monde un être qui approuverait ma manière d’être… » écrit-elle.
Après la fin de la zone libre, Malraux et Josette quittent la Côte d’Azur pour le département de l’Allier. Le bébé surnommé Bimbo est hébergé un temps chez un maçon à Beaulieu-sur-Dordogne.
En 1943 le couple s’installe à Saint-Chamand en Corrèze. Il loue une partie d’un petit château pour 2 200 frs par mois qu’il aura souvent de la peine à payer. Gallimard bouchera les trous du budget comme d’habitude. Les parents de Josette leur envoient des colis de nourriture. Une des amies de Josette raconte : « elle veut un couple fraternel, une confiance tendre, sans premier rôle, elle veut vivre avec lui côte à côte, pas à la remorque. »…
Peu à peu Malraux se tourne vers la Résistance. Ses  frères Roland et Claude, résistants, sont arrêtés par les Nazis. Malraux devient le colonel Berger et entre dans la clandestinité.. Il est à la tête de 1500 maquisards du Lot, Dordogne et Corrèze.
(Le « colonel Berger » sur le front d'Alsace, fin 1944.)
En novembre 1944, Adrienne Clotis vient voir sa fille et ses petits-fils à Saint-Chamand. La mère et la fille se disputent pour la énième fois à propos de Malraux. « Il ne t’épousera jamais, il est égoïste, c’est un rouge, un intello parisien qui ne comprend rien à ta façon de vivre… » . Le séjour est écourté, un fil est rompu. Josette accompagne sa mère à la gare, l’installe dans le train. La dispute continue, coléreuse. Le chef de gare siffle le départ du train. Josette se dépêche de descendre du train, mais sur le marchepied perd l’équilibre et tombe sous les roues du dernier wagon. Elle décède à 34 ans à l’hôpital de Tulle. Malraux apprend la tragédie à Strasbourg. Il écrira « la mort de la femme aimée c’est la foudre… ». A sa façon il a certainement beaucoup aimé Josette, reposante, aimante, réaliste.
Pour Malraux, l’addition est cruelle. La mort lui rappelle la réalité de la vie : la femme qu’il avait tant mal aimée, ses deux frères Claude lieutenant fusillé à 23 ans par les Nazis, Roland mort à 32 ans dans un bombardement allié. Lui restent ses deux fils, Madeleine la veuve de Roland et son neveu Alain. André, Madeleine et les trois garçons s’installent ensemble à Paris, intimité de raison devant l’urgence de l’après-guerre. Plus tard André et Madeleine s’épouseront le 13 mars 1948.
Malraux n’évoquera jamais la mémoire de Josette. Pudeur, incapacité d’être un père qui se montre aimant, incapacité de « lâcher-prise », de baisser la garde ? Son fils aîné dira « ce que Malraux m’a dit sur maman, tiendrait sur un timbre-poste… ». Le père d’André ne lui a pas montré le mode d’emploi : volage, s’auréolant de conquêtes sans discrétion, une mère meurtrie. Son grand-père Alphonse autoritaire, rude avec ses employés et ses enfants, probablement alcoolique, rebelle avec les autorités. André enfant souffrait de tics, peut-être du syndrome de Gilles de la Tourette. A-t-il eu besoin de se construire une carapace qui l’a enfermé dans un égocentrisme tenace ?
Les fils de Josette sont sportifs, artistes, adultes très proches. Vincent fait un mètre quatre-vingt-douze. A l’hiver 1959, en Italie, Gauthier fait une pneumonie à virus avec hémiplégie foudroyante. Il s’en remet surtout grâce à son frère Vincent. Ils sont amoureux et font le serment de se marier le même jour pour « énerver papa le ministre ».
Et puis la tragédie qui continue. Ce jour   du 23 mai 1961 à 20 heures à Lacanche en Côte-D’Or sur la Nationale 6, l’Alfa Romeo roule trop vite sur la chaussée mouillée et s’encastre dans un arbre. Lequel des deux frères conduisait ? On ne le saura jamais. Gauthier est mort sur le coup, Vincent succombe à son arrivée à l’hôpital de Beaune. Ils ont à peine 20 ans !!
Malraux et Madeleine seront rapidement sur place. L’abbé Bockel officiera un service religieux à la demande inattendue de Malraux.
André est dévasté devant cette espèce de fatalité, cette malédiction qui fait que tout lui échappe. Le jour de l’enterrement il dira : « avec eux, c’est toute la part de Josette qui est renvoyée au néant ».
laregledujeu.org/2018/12/14/34676/gauthier-et-vincent-la-tragedie-des-fils-malraux/
Bruno de Stabenrath—André Malraux, ses fils Gauthier, Vincent et son neveu Alain

Sources : Olivier Todd André Malraux une Vie édit NRF Gallimard 2001--- Hubert Delobette  Femmes d’Exception en Languedoc-Roussillon  édit Le Papillon Rouge 2010 ISBN 978-2-917875-13-1---Suzanne Chantal Le Cœur Battant, Josette Clotis André Malraux édi Grasset 1976—wikipedia.com -- Archives Nle OBS-- laregledujeu.org/2018/12/14/34676/gauthier-et-vincent-la-tragedie-des-fils-malraux/Bruno de Stabenrath -- www.parismatch.com/People/Politique/J-ai-epouse-mon-beau-frere-Andre-Malraux-Par-Madeleine-Malraux-149903--- photos wikipédia.org , museearcheologienationale --
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Publications de Josette Clotis : »Le Temps vert », préface d'Henri Pourrat Gallimard, 1932-- « L'Accident » in L'Almanach des champs, octobre 1930-- « Le Vannier » in L'Almanach des champs, NRF, no 238, 1er juillet 1933, et NRF en 1946, précédé d'une lettre d'André Malraux, p. 85-91.---Une mesure pour rien, Gallimard, 1934-- Cahier, 1939



mardi 14 janvier 2020

Montpellier la Belle


Montpellier la Belle :




Le site de Montpellier est visité par les hommes depuis au moins 11 000 ans : une fouille rue de la Fontaine-du-Pila fait état d’un campement de chasseurs au bord du Verdanson.
Mais en fait Montpellier naît au milieu du Moyen-Age profitant d’une période de croissance économique, démographique et culturelle. Centre du savoir par son université, cosmopolite dès ses origines, elle attire les intellectuels de toute l’Europe malgré la crise des 14è et 15è siècles qui plomba l’économie de tout le sud, hiver de 1364 où même l’étang de Thau est gelé, peste noire, guerre de Cent Ans….. Les guerres de religion du 16è siècle vont sérieusement impacter aussi le commerce de la ville. Verrou entre l’Espagne aragonaise et l’Italie, la France et le comté de Toulouse la ville connut d’autres épisodes sanglants. Mais ce n’est pas le lieu aujourd’hui d’en parler. Peut-être plus tard. Ceci dit, l’Histoire façonne les hommes bien plus qu’ils ne la transforment !!

Le rivage méditerranéen entre les Alpes et les Pyrénées est une terre de peuplement et de passage : Phéniciens, Grecs, Ibères, Ligures, Celtes, et Rome ont tous laissé des influences multiples. Le Languedoc devenu colonie romaine en 123 avt notre ère se dote d’une route la Voie Domitienne, axe qui unit l’Italie à l’Espagne.  Cette voie est construite vers 118 av JC à l’instigation du général romain Cneus Domitius Ahenabarbus d’où son nom.

La ville de Montpellier voit le jour en 985 au sud de cette voie et au nord de la Route du Sel, sur le Cami Roumieu, le Chemin Romain qui passe entre ces deux routes. Il s’agit au départ d’un domaine rural, une simple « villa » nous dit une charte de donation délivrée par Bernard comte de Melgueil. (Maugio) donnée à Guillem seigneur dans la vallée de l’Hérault. On parle alors du Mons Pestelarium.
(logo ou en-tête de la mairie de Montpellier)
Dès le 11ème siècle la famille des Guillem devient plus puissante que celle des comtes de Melgueil. Les alliances par mariages illustrent la position des seigneurs de Montpellier : Guillem VII épouse en 1156 une descendante d’Hugues Capet, Mathilde et Guilhem VIII se marie en 1174 avec Eudoxie, nièce de l’Empereur de Byzance. Le bourg compte au début du 14ème siècle 40 000 habitants, la deuxième ville du royaume de France, à égalité avec Rouen. En 1100 on comptait seulement 5000 habitants environ. Deux collines très proches forment le site de la ville, dominant la plaine ; un bourg se développera sur chacune de ces collines pour se rejoindre plus tard.

    Les Guillem favorisent le commerce en attirant les marchands itinérants par des conditions d’implantation avantageuses. Le cami roumieu est un des chemins de pèlerinage pour Saint-Jacques de Compostelle. Montpellier est une étape pour les pèlerins grâce à une petite chapelle dédiée à Marie (place Jean Jaurès)(crypte de Notre-Dame des Tables au 13ème siècle ?). Cette chapelle est située au cœur du bourg par son emplacement mais aussi à l’origine du développement de la ville. On la retrouve sur les armes de Montpellier, la Vierge Marie devant une église dorée. On ne dira jamais assez l’importance des pèlerinages pour l’économie des contrées traversées. Le pèlerin achète, dort, mange, se soigne, développe l’artisanat, donc apporte au commerce un souffle nouveau. La famille des Raymond de St Gilles-Toulouse, les abbés de Cluny ont bien compris l’importance économique des pèlerinages en donnant des terres, favorisant l'installation d'artisans tout au long des chemins de Compostelle de notre région.
Sceau de Guilhem VIII jouant de la harpe, 1190.

Benjamin de Tudèle en 1160 nous dit : « la ville est fort fréquentée par toutes les nations, tant chrétiennes que mahométanes et on y trouve des négociants venant notamment du pays de Algarbes (Mahreb, Andalousie), de toute l’Europe et de la terre d’Israël » « c’est la ville où l’on trouve le plus de lettrés d’importance ». Les fouilles archéologiques montrent des tombes juives et musulmanes sur le site. Les écoles et universités enseignent le droit et la médecine à bon nombre d’étudiants européens. Nous pouvons nous souvenir des Platter, (sur ce blog Du Mendiant au Professeur du 13/09/2017). Une liberté d’esprit de la part de Guilhem VIII qui en 1181 autorise quiconque quelles que soient ses origines et sa confession à enseigner la médecine à Montpellier. La médecine va connaitre un essor prodigieux grâce aux connaissances des trois civilisations, juive, arabo-musulmane, chrétienne. Ce souverain apparaît comme le patron des arts et des sciences.

(biu-montpellier-medecin)
Au 13ème siècle Montpellier est le principal port d’entrée des épices ; Marseille n’est pas encore française. Les bateaux marchands venaient de Tyr, Alexandrie, Constantinople,….Barcelone, Majorque, Venise.. Des comptoirs montpelliérains étaient implantés dans toutes ces villes. Nous exportions les draps écarlates (spécialité des drapiers-vermillon) vers toute l’Europe et même l’Orient. Nos chênes kermès nous donnaient des cochenilles qui fournissaient la teinture rouge. Nous vendions des produits régionaux, herbes aromatiques, réglisse, miel, fruits comme les figues, abricots, melons, légumes, vins, et plaque tournante internationale, nous revendions poivre, safran d’Espagne, cannelle, sucre de Candie, clou de girofle…. En direction du nord de l’Europe, Paris… Le miel de Narbonne, la réglisse de Montpellier vont fabriquer les fameuses « grisettes de Montpellier », petits bonbons en forme de petit pois que les pèlerins achetaient dès le 13ème siècle. Au 14ème siècle on dénombre autour de 170 "parfumeurs", vendeurs d'épices, plantes aromatiques dans l'Ecusson !!

Des documents nous racontent Montpellier : 
Le Petit Thalamus est créé au début du 13ème siècle : les consuls de la ville y consignent l’histoire au jour le jour de la ville. Une richesse pour les historiens et pour l’identité de la cité. Ces écrits couvrent la période de 1204 à 1604, depuis les origines du consulat, coutumes, statuts, établissements urbains, listes consulaires, annales en occitan puis en français, les rencontres, les visiteurs….. Une mémoire commune et une conscience urbaine. (à voir aux archives municipales ou sur internet)


Mais d’où vient le nom de « Montpellier » ? Des hypothèses qui ajoutent au charme mystérieux de ce lieu. De nombreux linguistes se sont penchés sur cette énigme comme le célèbre A Germain.

Le Mont du Verrou, le Mont des Jeunes Filles, des Epices….
-         Mons Pessulus ou la montagne fermée par un verrou ferait allusion à des palissades qui entouraient le bourg pour le protéger sur ces chemins de grands passages. Autre hypothèse : aux origines de la ville construite au milieu de la garrigue, les habitants avaient seuls le droit de pâture, la palissade interdisait ainsi aux troupeaux étrangers de venir pâturer.

-         Le Mont des Jeunes Filles, poètique mais peu probable : «Le comte de Maguelone Aigulf -contemporain de Pepin-le-Bref- frappé des graves changements politiques auxquels il assistait, consulta, dit-on, un talmudiste, son médecin et son familier. Celui-ci lui fit voir, au milieu d'un bois et pendant le silence de la nuit, deux arbustes, deux arbrisseaux mystérieux qui d'abord distants l'un de l'autre se réunirent bientôt en un grand arbre à doubles racines. Apparut ensuite une jeune fille avec deux têtes, ces deux têtes, à leur tour, se condensèrent en une seule ravissante de beauté et rayonnante de gloire qui d'une bouche fatidique se mit à prophétiser l'avenir. Or, ajoute la légende, le comte Aigulf, dans le bois et au même endroit où il avait eu cette apparition jeta les fondements d'une ville et cette ville se serait alors appelée Montpellier.»

-         Mont Puellarum : de Monspuelium en latin qui fait référence soit aux deux sœurs de Saint Fulcan qu’Arnaud de Verdale évêque de Maguelonne dit avoir été maitresses et donatrices du domaine de Montpellier ou bien soit à la beauté de ses jeunes filles. La tradition veut que dans la ville de Montpellier «les femmes sont les plus jolies du royaume avec les meilleurs ports de tête ».(mont puellarum, mont des pucelles)

-         Le Mont Pistilarius ou mont des épices ; les garrigues alentour devaient fournir du thym, romarin, sauge….

-         Mont Pestellario, mont des pastels : cette plante qui sert à teinter les toiles – Pestemmarium, mont des épices…

-         Mont Petrosum, colline des pierres…. peut-être l'hypothèse la plus réaliste, étant donné les garrigues qui entourent le site.

Montpellier reste toujours aussi énigmatique, secrète, comme ses belles dames !!



 (tour de la Babote)

Sources : Jeannine Redon, Nouvelle histoire de Montpellier, ed. du Mont, Cazouls-les-Béziers, 2015, 271 p. 350 illustr.--- Jean Segondy, Histoire de Montpellier, 1re partie : Montpellier, ville seigneuriale. Les Guilhem et les rois d’Aragon, Xe et XIVe siècles, Montpellier, 1968.-- Christian Amalvi et Rémy Pech, Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat SAS, coll. « Histoire des villes », 2015, 925 p.--- Félix Platter et Thomas Platter, récits de voyages entre 1499 et 1628, édités par Emmanuel Le Roy Ladurie , Le Siècle des Platter, 2 tomes, Éd. Fayard, 1995 et 2000.--- Albert Fabre, Petite histoire de Montpellier : depuis son origine jusqu'à la fin de la Révolution, Monein d. Princi Negue, 2006, 236 pages (Arremoludas, no 153) (ISBN 2-84618-337-6).---wikipedia.org-- presse locale et régionale : La Gazette économique et culturelle (magazine hebdomadaire), La Gazette de Montpellier (hebdomadaire), La Marseillaise - -- photos montpellier.fr—biu-montpellier.fr---Traumrune/wikimedia communs/CCBY-SA3.0—23/10/2014---


Les Trois Grâces -fotocommunity.fr-D'après Etienne Dantoine 1773-1776




samedi 4 janvier 2020

Vitamine C Le Scorbut à nouveau là


La Vitamine C :Le Scorbut à nouveau là


Après les fêtes de fin d'année, nous avons bien besoin de vitamines. Voici l'histoire de la vitamine C.
La vitamine C ou acide ascorbique a vaincu un des grands fléaux de l’humanité : le scorbut. Pourtant il revient dans certaines populations avec des carences alimentaires dues à la pauvreté mais aussi à notre mode de vie.
Ce nom évoque les histoires de marins ; mais cette maladie sévissait aussi dans les régions arides ou désertiques ainsi que dans nos campagnes. C'était la maladie des déshérités, souvent mortelle en elle-même, sinon par les maux qu'elle générait.
Joinville en 1249 sous le roi St Louis nous décrit une maladie qui décime les rangs des croisés à la bataille de Damiette. De même en 1498 l’équipage de Vasco de Gama est ravagé par le même mal face aux côtes du Mozambique : 100 marins sur les 160 en meurent.
Jacques Cartier en 1535 « découvre » le Canada. L’hiver est très froid, les deux navires sont bloqués par les glaces. Les marins campent du début du mois de novembre 1535 à fin avril 1536 à l’embouchure du fleuve St Laurent. Les hommes s’affaiblissent de jour en jour, ils contractent ce que l’on appelait « la maladie des marins ». Un, puis deux, puis 25 meurent sur les 100. On ne peut les enterrer tant la terre est gelée. Jacques Cartier fait le serment d’aller à Notre Dame de Rocamadour à son retour en France si la maladie recule. C’est encore l’époque où l’on croit que les maladies sont des punitions de Dieu. 
(https://www.atsenti.com/blogue/annedda-ultime-verdict Julie Laforest février 2017)
 Un indien, Domagaya, fils du chef iroquois Donnacona se présente et propose un remède : une décoction de feuilles et d’écorce d’un arbre « Anneda ». Il y ajoute de l’écorce de sapin et des épinettes blanches des aiguilles. Les marins survivants en boivent tous les jours, et miracle ils retrouvent la santé. L’anneda du nom que lui donne les indiens serait le sapin baumier ou le cèdre blanc d’Amérique ou encore le pruche du Canada. Les trois arbres servaient dans la pharmacopée des autochtones. Jacques Cartier en a bien ramené des boutures mais sans susciter un grand intérêt. Par la suite on parlera d’arbre de vie.
Dans les années 1610 le chirurgien anglais Woodhall mentionne l’intérêt des citrons et des oranges dans le traitement du scorbut. Puis vers 1670 Vernette dans son traité sur cette maladie fait allusion à une possible carence qui déclencherait le scorbut. Il faut attendre 1734 avec le Hollandais Bachstrom pour que l’on avance d’une manière significative : il affirme que la maladie est due à l’absence de légumes et de fruits dans l’alimentation.

En 1744 un médecin de la marine anglaise James Lind conduit une expérimentation lors d’un voyage de Gibraltar à Hyères pour tenter de confirmer l’hypothèse de Bachstrom. Il embarque sur le navire le Salisbury à Gibraltar 12 malades scorbutiques au même stade de la maladie : taches sur la peau, lésions buccales, tendance paralysante…. Ils sont nourris de la même façon : bouillon de mouton frais, pudding, biscuits bouillis, orge, raisins secs, riz, groseille rouge, sagou et vin. Mais il assemble les malades deux par deux et leur distribue un complément  : le premier groupe a une pinte de cidre, le second 15 gouttes d’élixir de vitriol trois fois par jour, le troisième 2 cuillerées de vinaigre trois fois par jour, le quatrième une demi-pinte d’eau de mer, le cinquième deux oranges et deux citrons, le sixième une noix de muscade d’un électuaire recommandé par un chirurgien comprenant de l’ail, de la moutarde, du raifort, du baume du Pêyrou et de la myrrhe.
Quinze jours de traitement rigoureusement surveillé. Un seul groupe est guéri celui qui a eu droit aux fruits. Lind avait prouvé que le jus de citron et d’orange constituait un traitement efficace contre le scorbut qui n’était ni contagieux, ni d’origine infectieuse, mais bien une maladie carentielle.

Mais il fallut du temps pour que les médecins en particulier dans la marine acceptent cette conclusion. Mac Bride était La référence à la cour d’Angleterre ; il avait écrit des règles thérapeutiques sacro-saintes quelques années auparavant et il n’était pas question de l’usage des jus de fruits pour lutter contre le scorbut. D’autres médecins lui emboîtaient le pas comme Pringle, Hunter, pourtant universitaires de renom. Ils s’appuyaient sur l’expérience du frère de Mac Bride, navigateur aux Falkland aujourd’hui Malouines dont l’équipage ne présentait pas de signe de scorbut bien que ne consommant pas de jus de fruits. Peut-être à cause des nombreuses escales qui étaient l’occasion de manger des fruits et des légumes ?
Enfin G Blanc en 1793 fait adopter par la marine anglaise l’utilisation du jus de fruits en guise de prévention du scorbut. James Lind était mort depuis un an. Cette pratique restera secret militaire pendant toute la période des guerres napoléoniennes. Les forces françaises subiront les ravages de la maladie au contraire des marins anglais.  La déroute de Trafalgar à cause de Lind et du scorbut ??
Il faudra un certain temps pour comprendre l’efficacité indéniable des jus de fruits contre le scorbut. En 1907 une expérience en Norvège sur un cobaye au régime carencé en fruits et légumes : il guérit quand son régime alimentaire redevient normal. Le scorbut est bien dû à une carence alimentaire.
En 1928 Szent-Gyorgi isole l’acide hexuronique dans les capsules surrénales du cobaye et du singe, puis en 1932, le même acide dans le jus de citron. Ce sera le prix Nobel pour Szent-Gyorgi, Haworth, et Reichstein. Les expériences dès lors vont montrer que c’est l’absence de cet acide qui est la cause du scorbut. On sait maintenant que la vitamine C intervient dans bien d’autres secteurs, vieillissement, cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète…simplement pour la bonne humeur et un certain confort.
Mais le scorbut oublié réapparaît dans certaines populations, chez l’adulte comme chez l’enfant en Europe et en particulier dans les pays développés. Les médecins ont parfois du mal à le diagnostiquer, pensant l’époque de cette maladie révolue. Il faut dire que les signes cliniques peuvent être variés et communs à bien d’autres maladies : saignements de gencives, purpura, douleurs osseuses, anorexie, anémie….. et baisse des défenses immunitaires. La maladie peut être fatale en cas de retard de diagnostic ou en cas de traitement inapproprié.
Malnutrition, précarité sociale mais aussi en présence d’une dénutrition chez des malades qui ne consomment aucun agrume, aucun fruit, des symptômes qui doivent alerter.
Depuis 2016, 2017,2018 La Revue de Médecine Interne fait état de cas de scorbut à Nice, Montpellier. Une patiente avec des troubles du comportement alimentaire, anorexie et ablation partielle de l’estomac, purpura, douleurs osseuses résistantes aux médicaments. Des SDF à Montpellier. Des personnes âgées de plus de 75 ans à Rouen et à Reims en institution ou chez elles. Des nourrissons nourris au lait sans vitamine…. Et que dire des sandwichs, des handburgers avec une feuille de salade et parfois une rondelle de tomate !! Au pays de la gastronomie, nous ne savons pas toujours nous nourrir et nous vivons à cent à l’heure… Et la machine se dérègle !!
Le professeur de médecine montpellerien Jacques Mirouze (1921-1991) s’interrogeait en 1987 sur la grandeur et la décadence de la vitamine C : »Grandeur …sans hésitation, la preuve en est faite après des siècles d’égarement. Décadence…sûrement pas puisque les plus grands biologistes et médecins discutent encore aujourd’hui de sa place dans le confort de notre vie de tous les jours »…Nous n’avons pas fini de parler de la Vitamine C !! Orange, cassis, poivrons, persil, chou, et autres fruits et légumes… pleins de vitamine C à consommer sans modération.

Sources : Jacques Mathieu et al., L'annedda : l'arbre de vie, Québec, Éditions du Septentrion, coll. « Cahiers du Septentrion », 2009, 187 p. (IISBN9788-2-89448-591-0 OCLC 440241088---  www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/toponymie/fiche.aspx?ldFiche=598 --- Professeur Jacque Mirouze de l’Académie de Médecine Historia fév 1987 n)482p 64/68--- Emmanuel Bévillon, Jacques Cartier, le scorbut et la bière de sapinette Yannick Romieux Revue d’Histoire de la Pharmacie 1993 n)296 Persée internet--  Marc Gozlan 9/9/2018 www LeMonde.fr/blog/realités biomedicales/Le-retour-du-scorbut-unemaladie-que-l’on-croyait-disparue/-- www.nutrivita.fr/histoire-vitamine-c/---www .diabètemagazine.fr/la-vitamine-c-et-votre-sante-clouer-le-bec-aux-idees-recues/ ---