vendredi 24 janvier 2020

Josette Clotis et André Malraux


Josette Clotis et André Malraux

Josette est née à Montpellier dans le département de l’Hérault le 8 avril 1910. Elle décède en Corrèze à Saint-Chamand le 12 novembre 1944. Femme de lettres, romancière, journaliste, nous nous souvenons surtout qu’elle fut une des compagnes d’André Malraux. A l’ombre de ce géant, elle va connaitre bien des nuits d’orage, de désillusions. Un destin tragique qui se termine par sa mort et celle de ses deux fils qu’elle a eu avec Malraux.
(Josette -babelio.com)
Son père Joseph est catalan français, sa mère Adrienne est aveyronnaise. Ils se marient à Montpellier en décembre 1909. Josette est déjà en route.
Cheveux blonds bouclés, yeux aigue-marine, elle aime la plage, le soleil, participe aux concours des reines de beauté… Le père inspecteur des impôts, est muté à Beaune-la Rolande dans le Loiret, à une cinquantaine de kilomètre d’Orléans, dans la grisaille. De 1947 à son décès en 1958 il sera maire d’Hyères dans le département  du Var.
Sa mère suit souvent des cures thermales à Balaruc-les-Bains dans le département de l'Hérault pour son arthrose et Josette l’accompagne retrouvant ainsi son soleil, le bonheur des baignades dans l’étang de Thau, ses amis d’enfance. La famille passe ses vacances à Palavas-les-Flots près de Montpellier.
Adolescente Josette écrit des poèmes, tient son journal ; déjà journaliste elle prend la plume pour la revue Eve dans le courrier « de l’Une à l’Autre ». Elle a pris le pseudo de TipToe, c’est à dire en anglais « sur la pointe des pieds ». Elle a 22 ans.
Elle écrit son premier roman en 1928 ; Henri Pourrat l’aidera à le mettre en forme. Le livre s’intitule « Le Temps Vert ». Ce roman évoque la vie de sa mère, de nombreux personnages de Béziers, Montpellier, l’Aude, le Rouergue…. Elle rencontre Henri de Montherlant par l’entremise de Jeanne Sandelion grande amie et admiratrice de l’écrivain. Un temps elle sera sa dactylo, en particulier pour le manuscrit « L’Age où l’on croit aux Iles ».
 En 1932 elle s’installe à Paris et devient journaliste à Marianne, un hebdomadaire littéraire fondé depuis peu par la NRF. Gallimard à la sortie de son roman cette année-là lui signe un contrat pour dix autres romans..  C’est la consécration.
Elle devient la star du moment, photographiée, interviewée… Elle est radieuse. Les journalistes l’encensent : son profil de camé, son port de tête, la cascade de cheveux blonds, le pied mince…. C’est la nouvelle coqueluche du Tout-Paris. Elle est souvent invitée chez Gaston Gallimard à Deauville où elle rencontre d’autres célébrités comme Antoine de Saint-Exupéry.
C’est dans les locaux de  la NRF au 5 rue Sébastien Bottin qu’elle va croiser un beau ténébreux, la mèche en bataille sur le front, cigarette au bec : André Malraux vient de publier « La Condition Humaine ». Nous sommes en 1932. L’année suivante, ce livre lui vaudra le prix Goncourt.
C’est le coup de foudre pour les deux. Josette est jolie, belle certes, mais aussi spontanée, drôle. Elle a un bon coup de fourchette, elle aime une cuisine de terroir, sans prétention. Ce n’est pas une intellectuelle engagée avec passion comme Clara l’épouse de Malraux. Josette est fascinée par André. Il a séjourné en Asie, en URSS, rencontré des hommes politiques de ces pays, essayant de peser avec André Gide sur le gouvernement allemand…
(photo wipedia.org)
Son journal intime est son confident. Josette ne côtoie pas le même milieu et elle héritera du surnom « la provinciale ». Elle est très critique sur les gens fréquentés par Malraux : »des intellectuels hors de la vie, des cinglés, des gens qui ont besoin de se saouler, de se droguer, de coucher avec tout le monde, de se faire psychanalyser… ».
Le couple devient amant probablement en décembre 1933. C’est le début pour Josette de périodes d’attente, d’espérance d’un télégramme, d’un coup de téléphone. Des rendez-vous furtifs, des escapades souvent écourtées… Josette s’est installée dans une chambre d’hôtel, sur le chemin de Gallimard et le domicile d’André rue du Bac. André vient d’avoir une petite fille Florence avec son épouse Clara. Josette rêve d’une vie de famille, unie, stable. Elle est souvent, trop souvent seule ; elle revient fréquemment chez ses parents qui s’inquiètent de cette existence, de cette liaison sans lendemain. Elle a cessé d’écrire, semble-t-il, et son existence lui semble vide.
Josette grappille quelques instants avec son grand homme qui ne se gêne pas pour batifoler aussi avec Louise de Vilmorin. La vie de Josette peut se résumer ainsi : »pas un objet que nous avons acheté ensemble. Pas un quartier où nous ayons habité ensemble ; une maison, un loyer, un lit contre un mur, une concierge. Pas une ligne, une note, un mot dans ses écrits qui me concerne. Ai-je existé ? S'il part demain, si… Je resterais les mains vides ».
C’est avec Clara qu’il défile pour le 14 juillet, mais il passe ses vacances d’été avec Josette en Belgique, à Bruxelles, Bruges, Gand.. Clara avec intelligence dans un premier temps reçoit les maîtresses de son mari à son domicile. Puis l’atmosphère va se gâter.
André dès 1934 se sent pousser des ailes ; aventurier, archéologue, journaliste…Moyen-Orient, Asie, Afrique. Il a trois femmes à fuir : une épouse exaspérée avec un bébé, une maîtresse inquiète, une autre Louise qui a d’autre chat à fouetter. Quand il rentre de voyage, Josette le repose des querelles et des insultes de Clara.
Malraux et Maxime Gorki en URSS en 1934, Marianne, 15 avril 1936.
Moscou, l’Espagne avec Clara et Josette…les Etats-Unis en avril 1937 avec Josette. Elle ne se mêle pas de politique contrairement à Clara qui critique les positions de son époux depuis Paris. Aux USA, Josette préfère rencontrer des écrivains américains, des artistes. La guerre d’Espagne marque profondément André. Militant antifasciste il combat de 1936 à 1937 aux côtés des Républicains espagnols. De retour en France dans un chalet de Vernet-les-Bains dans les Pyrénées Orientales, il écrit, dix heures par jour ; ce sera « l’Espoir », son sujet, la guerre d’Espagne toute proche de l’autre côté des montagnes ; Josette dactylographie, calme, passive. Rendez-vous à Toulon avec Clara à qui André soumet son manuscrit. Elle suggéra semble-t-il beaucoup de corrections que Malraux accepta.  Ce roman est publié en 1937, une adaptation filmée sera tournée en 1938.
Malraux doit gagner de l’argent pour nourrir toute sa petite famille : en 1939, son découvert chez Gallimard est de plus de 170 000 frs ; les pensions alimentaires qu’il doit se montent à 44 000 frs pour Clara, 11 000 pour Josette et 5000 frs pour grand-mère Lamy. Gaston Gallimard patiente car l’écrivain phare de la maison d’édition attire d’autres auteurs. Et puis il sait qu’André est une valeur sûre.
En 1940 Josette est enceinte, son amant souhaiterait qu’elle avorte. Malraux parle de divorcer d’avec Clara, mollement. Il n’est pas facile en cette période de divorcer et encore moins d’une femme juive. Il est incorporé en avril 40 comme dragon au 41è dépôt de cavalerie motorisé près de Provins. Pacifiste il a prévenu son capitaine : « ne comptez pas sur moi pour tirer ». Il se retrouve prisonnier des Allemands d’abord dans la cathédrale de Sens, puis au stalag 150 au bord de l’Yonne. Il s’évadera en compagnie de son frère Roland, début novembre.
Josette a rejoint ses parents à Hyères : sa mère s’offusque du ventre rond de sa fille, son père un peu moins. Les enfants nés hors mariage, les bâtards, étaient une honte pour toute la famille encore à cette époque.
Josette accouche dans une clinique de Neuilly, un garçon Gauthier que le demi-frère d’André, Roland encore célibataire, reconnaîtra comme son fils.
(Roland et Madeleine son épouse-bibliobs.nouvelobs.com)
En janvier 1941 Josette et André s’installe à Roquebrune-cap-Martin jusqu’à l’automne 1942 dans la villa « La Souco » appartenant à des amis anglais d’André Gide. La maison est somptueuse avec un maître d’hôtel qui va chercher des provisions en Italie à vélo !!  André renoue avec des écrivains comme André Gide et Roger Martin du Gard. Il prend ses distances avec Drieu la Rochelle qui collabore avec l’occupant. Pourtant son fils Vincent né en 1943 aura pour parrain cet écrivain sulfureux à la demande de Josette qui admire l’intellectuel Drieu. « …Voudriez-vous être le parrain de ce second bébé ? …Voulez-vous regarder cet enfant un peu d’un autre œil que l’œil ordinaire, en quelque sorte je vous le confie…. ».
Josette comme Clara n’est pas dupe des mensonges de son amant : »il est plus soucieux de faire une œuvre d’art que de dire des choses exactes »… Elle le voudrait homme au foyer et homme de lettres. Il lui parait « rond, bonasse, américain, avenant, jeune.. mais quand la bouche retombe et que le regard devient aigu, c’est celui d’un clergyman, d’un singe, d’un vieux bonze… ». Elle paie les impôts de l’écrivain. Il ne semble pas lui en être reconnaissant : « Pourtant il doit bien exister au monde un être qui approuverait ma manière d’être… » écrit-elle.
Après la fin de la zone libre, Malraux et Josette quittent la Côte d’Azur pour le département de l’Allier. Le bébé surnommé Bimbo est hébergé un temps chez un maçon à Beaulieu-sur-Dordogne.
En 1943 le couple s’installe à Saint-Chamand en Corrèze. Il loue une partie d’un petit château pour 2 200 frs par mois qu’il aura souvent de la peine à payer. Gallimard bouchera les trous du budget comme d’habitude. Les parents de Josette leur envoient des colis de nourriture. Une des amies de Josette raconte : « elle veut un couple fraternel, une confiance tendre, sans premier rôle, elle veut vivre avec lui côte à côte, pas à la remorque. »…
Peu à peu Malraux se tourne vers la Résistance. Ses  frères Roland et Claude, résistants, sont arrêtés par les Nazis. Malraux devient le colonel Berger et entre dans la clandestinité.. Il est à la tête de 1500 maquisards du Lot, Dordogne et Corrèze.
(Le « colonel Berger » sur le front d'Alsace, fin 1944.)
En novembre 1944, Adrienne Clotis vient voir sa fille et ses petits-fils à Saint-Chamand. La mère et la fille se disputent pour la énième fois à propos de Malraux. « Il ne t’épousera jamais, il est égoïste, c’est un rouge, un intello parisien qui ne comprend rien à ta façon de vivre… » . Le séjour est écourté, un fil est rompu. Josette accompagne sa mère à la gare, l’installe dans le train. La dispute continue, coléreuse. Le chef de gare siffle le départ du train. Josette se dépêche de descendre du train, mais sur le marchepied perd l’équilibre et tombe sous les roues du dernier wagon. Elle décède à 34 ans à l’hôpital de Tulle. Malraux apprend la tragédie à Strasbourg. Il écrira « la mort de la femme aimée c’est la foudre… ». A sa façon il a certainement beaucoup aimé Josette, reposante, aimante, réaliste.
Pour Malraux, l’addition est cruelle. La mort lui rappelle la réalité de la vie : la femme qu’il avait tant mal aimée, ses deux frères Claude lieutenant fusillé à 23 ans par les Nazis, Roland mort à 32 ans dans un bombardement allié. Lui restent ses deux fils, Madeleine la veuve de Roland et son neveu Alain. André, Madeleine et les trois garçons s’installent ensemble à Paris, intimité de raison devant l’urgence de l’après-guerre. Plus tard André et Madeleine s’épouseront le 13 mars 1948.
Malraux n’évoquera jamais la mémoire de Josette. Pudeur, incapacité d’être un père qui se montre aimant, incapacité de « lâcher-prise », de baisser la garde ? Son fils aîné dira « ce que Malraux m’a dit sur maman, tiendrait sur un timbre-poste… ». Le père d’André ne lui a pas montré le mode d’emploi : volage, s’auréolant de conquêtes sans discrétion, une mère meurtrie. Son grand-père Alphonse autoritaire, rude avec ses employés et ses enfants, probablement alcoolique, rebelle avec les autorités. André enfant souffrait de tics, peut-être du syndrome de Gilles de la Tourette. A-t-il eu besoin de se construire une carapace qui l’a enfermé dans un égocentrisme tenace ?
Les fils de Josette sont sportifs, artistes, adultes très proches. Vincent fait un mètre quatre-vingt-douze. A l’hiver 1959, en Italie, Gauthier fait une pneumonie à virus avec hémiplégie foudroyante. Il s’en remet surtout grâce à son frère Vincent. Ils sont amoureux et font le serment de se marier le même jour pour « énerver papa le ministre ».
Et puis la tragédie qui continue. Ce jour   du 23 mai 1961 à 20 heures à Lacanche en Côte-D’Or sur la Nationale 6, l’Alfa Romeo roule trop vite sur la chaussée mouillée et s’encastre dans un arbre. Lequel des deux frères conduisait ? On ne le saura jamais. Gauthier est mort sur le coup, Vincent succombe à son arrivée à l’hôpital de Beaune. Ils ont à peine 20 ans !!
Malraux et Madeleine seront rapidement sur place. L’abbé Bockel officiera un service religieux à la demande inattendue de Malraux.
André est dévasté devant cette espèce de fatalité, cette malédiction qui fait que tout lui échappe. Le jour de l’enterrement il dira : « avec eux, c’est toute la part de Josette qui est renvoyée au néant ».
laregledujeu.org/2018/12/14/34676/gauthier-et-vincent-la-tragedie-des-fils-malraux/
Bruno de Stabenrath—André Malraux, ses fils Gauthier, Vincent et son neveu Alain

Sources : Olivier Todd André Malraux une Vie édit NRF Gallimard 2001--- Hubert Delobette  Femmes d’Exception en Languedoc-Roussillon  édit Le Papillon Rouge 2010 ISBN 978-2-917875-13-1---Suzanne Chantal Le Cœur Battant, Josette Clotis André Malraux édi Grasset 1976—wikipedia.com -- Archives Nle OBS-- laregledujeu.org/2018/12/14/34676/gauthier-et-vincent-la-tragedie-des-fils-malraux/Bruno de Stabenrath -- www.parismatch.com/People/Politique/J-ai-epouse-mon-beau-frere-Andre-Malraux-Par-Madeleine-Malraux-149903--- photos wikipédia.org , museearcheologienationale --
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Publications de Josette Clotis : »Le Temps vert », préface d'Henri Pourrat Gallimard, 1932-- « L'Accident » in L'Almanach des champs, octobre 1930-- « Le Vannier » in L'Almanach des champs, NRF, no 238, 1er juillet 1933, et NRF en 1946, précédé d'une lettre d'André Malraux, p. 85-91.---Une mesure pour rien, Gallimard, 1934-- Cahier, 1939



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