vendredi 30 août 2019

Dame Carcas


Dame Carcas



(entrée du château comtal photo Luc Joubert)
Les légendes sont là pour alléger la rugosité de l’histoire. Elles ont aussi un rôle pédagogique, moral. La légende de Dame Carcasse ou Carcas en fait partie. Elle nous raconte la force des femmes, leur ingéniosité. Par sa jugeote, cette femme apporte paix et fertilité à sa ville. Amazone occitane, elle en impose aux hommes, même aux plus forts. Elle se conduit en chef politique, militaire. Et puis que la loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure !! D’autres femmes ont montré le bon exemple en Occitanie, Ermessende de Carcassonne (975-1058), comtesse de Barcelone et de Gérone, dont le sceau était en deux langues : arabe et latin, Almodis de la Marche (1020-1071), Ermengarde vicomtesse de Narbonne qui participe à de nombreuses opérations militaires contre les arabes en 1148….dont la prise de Tortosa. Elles ont été chantées par les troubadours. Mais revenons à Dame Carcas.


En ce temps-là Carcassonne était assiégée par l’armée de Charlemagne. La ville était aux mains des Sarrasins dirigés par le roi Balaac (ou Ballac). En fait Charlemagne avait 17 ans (en 759) et n’était pas encore empereur. C’est probablement son père Pépin le Bref qui assiège la ville. Mais Pépin coincé entre son père Charles Martel et son fils Charlemagne ne fait pas le poids dans la légende épique à conter. Et puis Dame Carcas en devient plus grande avec Charlemagne dans l’histoire qui suit.
Le roi Balaac est capturé dès le début du siège. Charlemagne lui demande de devenir son vassal, de livrer la ville et de devenir chrétien. Le roi refuse. Il est aussitôt exécuté. Sa veuve Dame Carcas se retrouve à la tête de la ville et doit la défendre. Le siège va durer cinq ans. 
Elle va d’abord remplacer les soldats morts par des mannequins de paille dans chaque tour et cachée derrière eux avec quelques habitants tire des flèches pour faire croire que la garnison de la ville est encore importante. Mais au début de la sixième année, l’eau et la nourriture se mirent à manquer. L’inventaire des réserves laissait entendre que c’était le commencement de la fin.. Mais la ville étant sarrasine donc musulmane, la plupart des habitants ne mangeaient pas de porc et donc il restait encore quelques cochons. Quand l’avant-dernier sac de blé fut mangé, elle sacrifia le dernier animal, une truie nourrie avec le dernier sac de blé. Elle précipita l’animal par-dessus les remparts. La truie en s’écrasant laissa échapper de son ventre le blé. Les assiégeants eurent l’illusion que la ville avait encore beaucoup de nourriture, puisqu’on pouvait gaspiller un porc et un sac de blé. Découragée l’armée de Charlemagne leva le siège.




Alors Dame Carcas, Grande Dame, sonna le cor pour rappeler Charlemagne. Pour certains conteurs, elle fait sonner toutes les cloches de la ville. Peut-être fait-elle les deux.
Elle ouvrit les portes à l’empereur, et au passage de celui-ci une tour s’abaissa par miracle pour le saluer. En hommage au courage de la Dame, l’empereur baptisa la ville Carcassonne (Carcas sonne). La dame fut elle aussi baptisée et mariée à un comte franc qui administra la ville. De ce couple descendraient les seigneurs chrétiens de Carcassonne.

 (Dame Carcas sonne le cor et remet les clefs de la ville à Charlemage. Illustration de Christian Jaumes « le Manuscrit enluminé de la légende de dame Carcas 2019)




 (wikipedia.org—Pinpin own work -14juillet2007--(Multi-license with GFDL and Creative Commons CC-BY 2.5)
Dame Carcas, statufiée : ceci est une copie, l’authentique est au château comtal depuis 1997. Probablement réalisée vers 1538 pour le passage de la sœur de François 1er Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre. Les poètes avaient comparé Marguerite à dame Carcas. Des marguerites ornent les manches de son habit. Les consuls et les habitants de la ville espéraient son soutien dans la défense de leurs privilèges contestés par la Ville basse de Carcassonne. Une inscription en latin SVM, "je suis Carcas". La statue a été réalisée à la hâte ; une clef de voûte en remploi pour le visage, le buste sculpté pour l’occasion. Plus tard, une vasque en guise de couronne. Sous le roi Henri III, la statue est englobée dans une porte de la cité, porte détruite en 1900 lors de l’édification du pont-levis dans le cadre des travaux de restauration de la ville.


(le château vu de l’intérieur de la Cité- les hourds en bois au faite du rempart et des tours)


Carcassonne la belle Cité, sera maintes fois restaurée, remaniée. Sur la route d’Espagne, les rois vont s’intéresser de près à la cité. Louis VIII qui améliore le système de défense en particulier la Barbacane d’Aude. Son fils Saint-Louis qui conçoit le deuxième rempart, commençant par faire déblayer la colline en rasant les faubourgs….L’entrée se fera dorénavant par la barbacane St Louis. Lors de la guerre entre Philippe le Hardi et l’Espagne la cité devient la place centrale des opérations. La Porte Narbonnaise revue, la tour du Trésor, les courtines voisines, le rempart intérieur reconstruit, des tours rehaussées, les lices creusées… Les travaux sont ingénieux, on met à profit ce que l’on a appris lors des croisades. Le roi vint les inspecter en 1285. Philippe le Bel s’occupa de l’église Saint-Nazaire : le transept et le chœur devaient être restaurés. Des architectes du Nord s’en chargèrent et ces parties nouvelles seront en style gothique d’Ile-de-France en vigueur.
Il semble que cette restauration sera la dernière marquante avant celle de Viollet-le-Duc au 19ème siècle. Le traité des Pyrénées de 1659 rattache le Roussillon au royaume et la cité n’a plus le même rôle stratégique. Au 17ème siècle la Ville Basse (habitations en dehors de la forteresse) se développe, activité drapière, commerces….. En 1745 l’évêque s’établit dans la Ville Basse et délaisse la Cité. Petit à petit les fortifications vont servir de carrière pour les habitants de la Ville Basse. La Cité va renaître au 19ème siècle, silhouette qui raconte une Histoire tourmentée, parfois obscure, une histoire d’hommes et de femmes.



Vue plongeante sur les défenses de la Porte Narbonnaise. Porte qui donne accès à la cité ; à notre avis, la plus belle, la plus imposante, avec un système de défense complexe et complet. Seule la porte d’Aude peut rivaliser avec elle.

 
(La montée de l’Aude –photo Luc Joubert)








La Tour du Vieulas : Miracle ? En fait les tours de l’enceinte romaine de la ville ont des fondations insuffisantes et se sont pratiquement toutes inclinées. (photo Gauthier Langlois)




(photo Luc Joubert)
Le château comtal est l’œuvre de Bernard Aton Trencavel, du 12ème siècle. Trencavel, qui tranche bien, tout un programme. Nous retrouverons les Trencavel lors de la croisade contre les Albigeois. Le château était une véritable forteresse intérieure, hautes murailles, petitesses des ouvertures. Les remparts, la Cité pouvaient être pris, le château pouvait résister longtemps. Le chemin de ronde des remparts s’arrêtait devant les murs abrupts du château. Du côté de la Cité, il était défendu par une grande barbacane, un large fossé enjambé par un petit pont et deux tours immenses. Les hourds surplombaient le pied des murs.




(gisant chevalier 12ème siècle-photo Luc Joubert)
Carcassonne n’a pas attendu Dame Carcas pour exister. Un oppidum fortifié le Carcaso était mentionné par Pline l’Ancien « Carcaso Volcarum Tectosage ». Les Volques Tectosages arrivent dans la région vers 300 av Jc. Ils exploitent la mine d’or de Salsigne. Les Romains intègrent Carcassonne à la colonie Narbonnaise vers 122 av notre ère, mais circulent déjà depuis longtemps car l’endroit est un carrefour commercial important. Avec eux la ville devient la colonie Julia Carcaso. Les premiers remparts datent probablement du 3ème siècle de notre ère. Après les Romains, les Wisigoths, les Francs, les Arabes avec le wali Ambiza…..puis à nouveau les Francs et les comtes carolingiens. Ainsi va l’Histoire !!
(A voir aussi dans la Ville Basse les plafonds peints du 15ème siècle de la bastide Saint-Louis de Carcassonne)



Sources : François Grimal et Luc Joubert (photos) Cité de Carcassonne  éditeur Caisse Nationale des Monuments Historiques 1966---Carcassonne plus de 6000 ans d’histoire in Histoire de l’Antiquité à nos Jours Hors-série n°56 juillet 2019 Jean Vaquer, Michel Passelac, Charles Peytavie, Gauthier Langlois, Dominique Baudreu, Frédéric Loppe, Hugo Chatevaire, Claude-Marie Robion….--

jeudi 22 août 2019

Lire ou relire La Saint-Barthélémy La Nuit de la Trahison


François, DUBOIS (1529 - 1584) Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne

La Saint-Barthélemy :

Bientôt le 24 août anniversaire de la Saint-Barthélemy. 24 août 1572, "la nuit de la trahison" comme l'appellent les huguenots.
En cette année-là l’économie française n’est pas au mieux de sa forme. Depuis 1560 le profit agricole recule ainsi que les revenus immobiliers de la terre. La peste de 1562-64, les mauvaises récoltes accablent villes et villages. Les villes, dont Paris, connaissent des gros problèmes d’hébergement, de ravitaillement, submergées par des réfugiés, paysans qui ont tout vendu, fuyant la pauvreté et la guerre civile qui dure depuis dix ans au moins. Le pays fourmille de bandes rivales. Les soldats licenciés courent les rues à la recherche d’une bonne affaire. Les prix flambent. Les levées fiscales du roi et des princes se renforcent. Jacquerie dans le Gers, refus de payer la dîme dans le Languedoc… Une situation totalement instable, angoissante..
Et à Paris, le luxe fait la nique aux vagabonds, aux miséreux : on bâtit les Tuileries, les Grands, nobles ou archevêques de province, se font construire des hôtels particuliers où l’opulence est de mise. On danse dans les palais, on s’habille de soie, on s’amuse, on joue. On organise des "mascarades", fêtes qui conjuguent l'art dramatique, la danse, la gastronomie. Certains mangent bien quand d'autres ont faim. La soierie lyonnaise ou italienne, l’orfèvrerie et les marchands d’armes se portent bien. 

La chaleur en août 1572 à Paris est torride, orageuse. La ville est prête les 23-24 pour les «noces de sang» de la Saint-Barthélemy.
On peut considérer Luther né en 1483 comme le père fondateur du protestantisme. Calvin diffusera cette doctrine dès 1541, formant à Genève des pasteurs qui sillonneront ensuite les quatre coins de l’Europe. Le protestantisme séduit, même à la Cour. Le scandale des « indulgences », un besoin de spiritualité, une société en pleine mutation, font que la religion réformée, le protestantisme, progresse rapidement, d’abord dans les classes aisées, nobles, bourgeoises, chez les artisans. Le secteur rural est moins touché. Les chrétiens en pleine confusion hésitaient « entre deux chaires », se convertissaient, revenaient à la religion de leurs pères. Chacune des deux religions habillait un clan politique pétri d’ambition. La monarchie va louvoyer de son mieux entre les deux partis commandés par les chefs de grandes familles de la noblesse française. Catherine de Médicis la veuve d’Henri II ne croyait pas aux bûchers pour arrêter l’hémorragie : « une mort sur le bûcher en gâte mille vivants ». Les Vaudois persécutés en Provence rejoindront le protestantisme dès le concile de 1532. Dans son journal Pierre de l'Estoile écrit "le mal du siècle  ce sont la passion et l'esprit de parti..."
Dans la première moitié du 16ème siècle, 13 années seulement sans épisode de peste. François Ier est mort en 1547, laissant un pays appauvri, son fils Henri II décède tragiquement sous le coup malencontreux de Montgomery en 1559 lors de joutes. Ses fils sont de santé fragile et vont se succéder à la tête du royaume instaurant un pouvoir très convoité par les Grands du royaume et nous entrainant dans une guerre de religion qui de trêve en trêve, de guérilla en répression va nous conduire jusqu’à l’avènement d’Henri IV. En 1560 c’est « le tumulte d’Amboise » et sa répression sanglante. Nous pouvons dater la première guerre de religion de 1562. Entre cette date et 1598 date de l’Edit de Nantes, huit guerres fratricides entrecoupées d’édits de pacification qui ne seront jamais respectés longtemps. Sur 25 ans, 13 années de paix relative. Comme toujours, les pays voisins n’ont pas été neutres dans les événements, chacun tirant des ficelles.
Mais revenons au 24 août 1572.

La paix de St Germain de 1570 est très mal acceptée par les catholiques-ultra. Ce traité offre une certaine sécurité aux protestants en particulier des villes fortifiées. Gaspard de Coligny le chef des protestants siège à nouveau au conseil royal ce qui agace le parti catholique des Guise. Il est très écouté par le roi Charles qui l’appelle « mon père ». Ce qui n’arrange pas les choses. Le mariage de Marguerite de Valois fille de Catherine de Médicis et sœur du roi, avec Henri de Navarre prince protestant, doit consolider la paix. Mais cette union donne aussi des droits sur le trône de France au chef des protestants. A cette époque la religion du roi détermine celle des territoires qui lui sont soumis. Risque qui ne plait pas au parti des Guise.
Mariage prévu en mai 1572 mais repoussé en août après le décès de la mère du futur marié, Jeanne d’Albret, d’où fermentation des animosités pendant trois mois de plus. Les catholiques intransigeants sont vent debout contre ce projet de mariage, le pape refuse d’envoyer la dispense de consanguinité, le roi d’Espagne Philippe II condamne cette politique de rassemblement.
Le mariage est célébré le 18 août 1572. Dans un esprit de concorde les grands du royaume sont conviés aux festivités, catholiques comme protestants. De très nombreux gentilshommes languedociens sont présents, accompagnant leur prince Henri de Navarre. Le clergé parisien, capucins et dominicains, prédicateurs à chaque coin de rue, martèlent les esprits des passants. Paris est catholique à l’extrême et les Parisiens entendent le discours de ces oiseaux de malheur. Le luxe déployé pour les noces est un affront de plus pour le peuple.

Henri III de Navarre, futur Henri IV et Marguerite de Valois, roi et reine de Navarre (vers 1572). Miniature du livre d'heures de Catherine de Médicis.

Tout ne va pas pour le mieux à la Cour. Malgré le désaccord du pape, le cardinal de Bourbon accepte d’unir les fiancés. Mais les Guise et les Montmorency et leurs alliés respectifs se disputent. Il faut se rappeler que l’épouse de François II, premier fils de Catherine de Médicis, Marie Stuart, fille de Marie de Guise, avait été poussé dans le lit du roi par le parti des Guise qui en espérait beaucoup et avait un gros appétit politique.
Le gouverneur de Paris François de Montmorency doit faire face à des troubles urbains. Mais il préfère quitter la ville sentant le vent tourné. Une rumeur d’une prochaine guerre contre l’Espagne catholique agite les participants à la fête. Le parti protestant avec l’amiral de Coligny, souhaite depuis plusieurs mois l’invasion par nos troupes de la Flandre espagnole aux côtés du prince d’Orange. Une guerre contre Philippe II d’Espagne serait le meilleur moyen de rapprocher catholiques et protestants face à un adversaire commun. Le parti catholique dont les Guise et le duc d’Anjou futur roi Henri III, la reine Catherine n’en veulent pas.

Le 22 août, un certain Charles de Louviers seigneur de Maurevert tire à l’arquebuse sur Gaspard de Coligny alors que celui-ci sort du Louvre et se dirige vers son hôtel particulier rue de Béthisy. Peu de dégâts, l’index de la main droite arraché et le bras gauche touché par une balle qui ne ressort pas.
Les Guise sont les suspects les plus probables. Ils ont pu avoir envie de saboter le processus de paix. Peut-être aussi venger leur père François de Guise assassiné en 1563 possiblement sur l’ordre de Coligny. La famille des Guise est proche du pouvoir royal depuis au moins le roi François Ier et Marignan. Guerriers, cardinaux, une ambition à rayer les parquets. Henri de Guise est un ennemi juré de la Réforme et est partisan de la limitation des pouvoirs du roi. On doit aux Guise  le massacre de Wassy en 1562 déclencheur des guerres de religion. Il sera par la suite le chef de la Sainte Ligue, à la fois parti religieux et politique contre le roi. Le roi d’Espagne lui offrira l’appui de troupes pour lutter contre les soldats du roi. Il finira tué sur ordre du roi Henri III en 1588. Il aura voulu être « calife à la place du calife ».

Massacre de Wassy gravure 1569 Hogenberg photo Charvex archives départementales de la Marne + Genève-wikimédia
Le coup de feu contre Coligny est parti d’une maison appartenant à un des familiers des Guise. Les historiens ont aussi soupçonné le duc d’Albe, Catherine de Médicis.. Mais ceux-là avaient trop à perdre. Un acte isolé ? On ne saura probablement jamais, les archives de ce genre de fait sont rares.
Cet attentat est l’étincelle qui enclenche la machine. La confusion règne. Les chefs protestants réclament justice. Paris est au bord de la guerre civile entre partisans des Guise et les huguenots.. Le roi avec ses proches vient visiter le blessé et lui promet justice. Les Guise font mine de quitter la capitale. Le roi Charles IX et sa mère ne sont pas rassurés, des protestants viennent réclamer bruyamment justice. A partir de ce moment les sources indiquent des chronologies différentes. Une parait plus logique que d’autres :
Le soir du 23, une réunion (le conseil étroit) se tient avec le roi et ses conseillers. La reine mère, le duc d’Anjou, le Garde des Sceaux Birague, le maréchal de Tavannes, le baron de Retz, le duc de Nevers… C’est vraisemblablement ce conseil qui décida d’éliminer les chefs protestants. Les jeunes princes du sang, le roi de Navarre (futur HenriIV) et le prince de Condé seront épargnés.
Les autorités municipales de Paris sont convoquées et on leur ordonne de fermer les portes de la ville et d’armer les bourgeois. Le commandement des opérations est confié au duc de Guise et à son oncle le duc d’Aumale. Ils sont épaulés par des princes connus pour leur intransigeance : le duc de Nevers, le duc de Montpensier, le bâtard d’Angoulême.
Attentat contre Coligny
gravure allemande 
Bartolemio-BNF
Ils se rendent au domicile de l’amiral, le tire du lit, l’achève et le jette par la fenêtre. Les nobles protestants logés au Louvre sont évacués du palais et massacrés dans les rues, surpris de nuit sans possibilité de défense, « tués comme des brebis à l’abattoir » comme l’a écrit Théodore de Bèze.
Ainsi moururent Pardaillan, Beaudiné de Crussol, de Clermont, Quellenec et bien d’autres. Leurs corps seront mis à nu, trainés dans les rues puis jetés dans la Seine. Puis ce fut le tour des chefs protestants logés dans le faubourg Saint-Germain situé alors en dehors de la ville. Certains purent s’échapper comme Caumont ou Montgomery. Au moins 200 nobles huguenots de toute la France seront tués ce jour-là. Les gardes et miliciens catholiques arborent une croix blanche sur leur pourpoint ou leurs chapeaux et une écharpe blanche leur barre la poitrine.
Et puis c’est le massacre généralisé. Le tocsin de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois proche du Louvre, rapidement repris par d’autres clochers appelle les Parisiens à la curée. La tuerie dure plusieurs jours, protestants, mais aussi catholiques soupçonnés de complaisance envers les huguenots, les étrangers, en particulier les Italiens (on se venge de la reine-mère)… Les maisons sont pillées. Par la même occasion, des boutiques sont vandalisées. Les caniveaux sont rouges de sang.
Détail du tableau peint par François Dubois   Catherine de Médicis est représentée en train de dévisager les cadavres.

Cette journée restera le symbole du fanatisme politique. Le peuple est convaincu du bien-fondé de l’épuration : une aubépine fleurit inopinément au cimetière des Innocents au matin du 24, message évident de Dieu !! Les cadavres flotteront longtemps dans la Seine, se décomposeront sur les berges tout au long du cours du fleuve. Il parait que lorsque l'on creusera les berges de la Seine pour les fondations de la Tour Eiffel à la fin du 19ème siècle, on trouvera des milliers de squelettes dans un de ses méandres. 

Dès le matin du 24, .Charles IX ordonne l’arrêt du massacre. Mais la machine est lancée. Les Parisiens exaltés se vengent de tout en une fois : disette, impôts, chômage…..
Des huguenots seront sauvés. Renée de France la tante du roi, Antoine et Louise de Crussol d’Uzès, des princes et princesses de sang à l’abri au Louvre...Le roi le 26 août déclare en endossant la responsabilité de l’exécution des chefs protestants : « ce qui est ainsi advenu a été son exprès commandement […] pour obvier  prévenir l'exécution d'une malheureuse et détestable conspiration faite par ledit amiral, chef et auteur d'icelle et sesdits adhérents et complices en la personne dudit seigneur roi et contre son État, la reine sa mère, MM. ses frères, le roi de Navarre, princes et seigneurs étant près d'eux. »
Selon une chronique, Nicolas de Bargeton, un des fils de Mathieu de Bargeton le seigneur de Vallabrix, était à Paris en août 1572, pour le mariage d’Henri de Navarre et de Margot. Ce qui semble logique étant donné les liens entre les petits seigneurs du Languedoc, les Crussol et la famille royale. Il aurait tenu table de jeux chez lui la veille du mariage dans son hôtel particulier parisien. Son concierge le vallabrixois Simon Coste est tué, ses chevaux volés, ses deux femmes de charge enfuies, les cochères (les portes) sont fracassées et le mobilier vidé. Lui s’en sort vivant, sain et sauf,  car nous retrouvons Nicolas en 1584 en procès avec son frère Pierre de Bargeton contre les consuls de Lédenon (adh cour des comptes de Montpellier 1161-1b28). -adg-adh p265 Inventaire de Dainville T1 B1-B44). Est-il parti de Paris tout de suite après le mariage et ainsi échappera au massacre ?
Pendant cet épisode tragique, à Paris, des Uzétiens sont tués : Galiot de Crussol ainsi que Simon de Jals, écuyer, David Merle et Michel du Lac maître d’hôtel du duc d’Uzès. Dans ses mémoires sur «Les guerres de religion à Castres et dans le Languedoc» Jacques Gaches p 29 a une autre version en ce qui concerne la mort d’un Crussol pendant cet épisode : Jean et Galiot de Crussol, frères de Jacques de Crussol et seigneur de Beaudiné d’Assier, sont présents dans la capitale, et Jean et non Galiot serait celui qui est tué à Paris. Dans ce texte, les trois frères portent le titre de Beaudiné ou Baudinier. (Beaudiné était une baronnie dans la mouvance du comté de Crussol en Vivarais, fief des Crussol).
Le baron François de Peyre époux de Marie de Crussol perdit la vie lui aussi dans cette tuerie. D'après plusieurs chroniques, Marie fervente calviniste aida Mathieu Merle son intendant à recruter une troupe de huguenots qui va devenir nombreuse, solide et souvent cruelle. Mathieu Merle sera sous la direction d’Henri de Navarre un soldat audacieux, habile et expérimenté sans merci. Car une autre guerre dite de religion démarre au lendemain de la Saint-Barthélemy.
Une des conséquences de la St Barthélemy est la prise en main de la sécurité par les villes. Nous voyons arriver des capitaines uzétiens contrôlant les quartiers et les principaux forts aux alentours d’Uzès. Souvent formés dans les troupes de l’ancien chef huguenot Jacques de Crussol. Les fils et petits-fils de notre seigneur Mathieu de Bargeton sont de la partie, avec d’autres jeunes hommes de l’Uzège. Le massacre a renforcé la solidarité protestante. A Uzès la porte St Etienne est protégée par un pont levis et un fossé. En cas de danger, seule cette porte sur les quatre que compte la ville peut être ouverte. En 1574 Uzès fait partie de la «Confédération des Provinces Unies du Midi» sous la protection du Prince de Condé, puis en 1576 sous la protection du roi de Navarre futur Henri IV. Sorte de république romaine avant l’heure.

La province est contaminée dès le 25 au soir.
Le pays tout entier s’embrase. Des Saint-Barthélemy locales d’août à septembre feront au moins 10 000 morts en province. Orléans  le 25 août, Meaux, La Charité sur Loire le 26, le 28 et 29 Angers et Saumur, le 31 Lyon, le 11 septembre Bourges, Bordeaux, Rouen, Toulouse, Albi, Romans, Valence, Orange…. Des agitateurs espèrent renverser le pouvoir. Mais les autorités ne vont pas toujours encourager les massacres. On enferme les huguenots dans les prisons pour les protéger, mais elles sont forcées par les émeutiers comme à Lyon, Rouen, Albi. À Chalon-sur-Saône, les rapports de bon voisinage sont capables de primer sur la haine religieuse : en septembre 1572, on enferme certes les réformés mais plusieurs d’entre eux sont « reçeus à tenir prison ès maisons d’aulcungs catholiques, gens de bien, qui en respondront au peril de leurs vyes », en clair, assignés à résidence chez des catholiques qui en répondent sur leur vie. Les gouverneurs militaires essaient à garder la tête froide en contredisant ceux qui prétendent et affirment que le roi ordonne et approuve les massacres. Mais comment arrêter une foule surexcitée, incontrôlable, hystérique. Environ 30 000 morts au total, plus que sous la Commune de 1871.
A Montferrand en septembre les consuls refusent d’emprisonner Françoise Morel huguenote en raison de sa « grave malladie ». A Lisieux, on laisse en liberté Albert de la Couyère huguenot mais surtout chirurgien, on peut en avoir besoin.
Le roi Charles IX donnera plusieurs versions aux faits, montrant sa totale confusion et peut-être sa culpabilité : une vendetta entre les familles Guise et Châtillon, un complot protestant contre lui….
Le pape Grégoire XIII, enthousiaste, fait chanter un Te Deum en remerciement à Dieu et une médaille est frappée pour célébrer l’événement. Une série de fresques ponctue aussi la version officielle.
Médaille commémorative à l'effigie du pape Grégoire XIII.

Pour Philippe II d’Espagne c’est « le plus beau jour de ma vie ». L’Angleterre prit le deuil et la reine Elisabeth Ier fit faire le pied de grue à l’ambassadeur de France avant d’accepter pour des raisons diplomatiques la version du complot. En Suisse les Genevois firent maigre et jeûnèrent. Les huguenots commencèrent à immigrer en Suisse, à Genève qui devint la « cité du refuge » pour longtemps.
Le massacre de la Saint-Barthélemy par Giorgio Vasari, 1572-1573.
La quatrième guerre de religion n’est pas loin. La question politico-religieuse agite à nouveau le pays. L’Edit de Saint-Germain est annulé. Liberté de conscience, oui, mais on encourage vivement les conversions. Parfois par la méthode douce, à l’égard des proches du pouvoir, selon des mesures discriminatoires pour les autres. Le prince et la princesse de Condé sont remariés selon le rite catholique, les gouverneurs des provinces doivent faire pression sur les gentilshommes protestants pour qu’ils se convertissent entraînant ainsi les habitants.

Là où les communautés protestantes sont minoritaires, elles s’essoufflent et sous la pression abjurent. Dans le sud de la France où les huguenots sont beaucoup plus nombreux et solidaires, ils parviennent à résister. Mais beaucoup de Nouveaux-Convertis d’occasion, pour continuer à travailler, et gérer les villes et villages,  vivre simplement. La Révocation de l’Edit de Nantes et Louis XIV ne leur feront pas de cadeaux en 1685 mais nous n’en sommes pas encore là.
Charles IX espère rétablir son autorité en privant le parti huguenot de ses chefs militaires. Après la capitulation de Mons, le 19 septembre 1572, 600 à 800 français obtiennent du duc d’Albe l’autorisation de rentrer en France. Mais ils sont exécutés une fois passée la frontière. Seul Acier de Crussol, La Noue, Sénarpont seront épargnés. L’échec des pourparlers avec les protestants de La Rochelle enclenche la quatrième guerre de religion.
Le roi a perdu beaucoup de crédibilité. Le peuple souhaite la tenue régulière des Etats généraux. Les catholiques modérés sont hostiles à l’autoritarisme monarchique et c’est la mise en place des Provinces de l’Union et de la conjuration des Malcontents en 1574.
Au lendemain des massacres, des accords nombreux et spontanés sont passés entre protestants et catholiques. Déjà il était habituel dans notre sud, où les intérêts des familles étaient surtout financiers, commerciaux, de prestige plutôt que religieux, les garçons suivaient la religion de leurs pères et les filles celle de leurs mères. Et tout le monde était content. Quand les « politiques » s’en mêlent, l’atmosphère sera plus agressive et on va assister à des razzia, des remparts, des églises démolis, des habitants qui fuient pour sauver leur vie et la Michelade nîmoise de 1567 en réponse à Wassy.
Dans notre sud, les deux religions étaient représentées dans les consulats, dans les instances administratives. On travaillait ensemble bon gré mal gré. Suivant cet exemple, les habitants des deux religions après les massacres vont par ces accords, ces "pactes" s’engager à ne pas prendre part aux violences « en frères, amis et concitoyens ». Les historiens et sociologues, ethnologues…commencent à les étudier.

Nîmes
30 août 1572
Nyons
31 août 1572
Chalon-sur-Saône
31 août 1572
Casteljaloux
1er septembre 1572
Millau
2 septembre 1572
Compeyre
10 septembre 1572
Saint-Affrique
14 sept. 1572
Barre-des-Cévennes
19 sept. 1572

Ce tableau montre que les pactes sont jurés dans l’urgence au rythme des informations qui parviennent. Entre le 30 août et le 19 septembre. A Millau le 2 septembre après « un bruict venant du pais de Languedoc qui auroit coureu que l’on emprisonne ceulx de la religion refformée comme à Montpellier, Gailhac et en d’autres lieux, ceulx de la religion emprisonnent les catholiques ». D’un côté comme de l’autre on emprisonne celui qui n’est pas de sa religion. Le conseil des habitants, consulat élargi est convoqué à son de cloche. Parfois comme à Saint-Afrique, tous les habitants sont présents et s’engagent. Barre-des-Cévennes 36 hommes représentant la plus grande partie des habitants dudit Barre signent l’accord de conciliation.  On voit bien que ces pactes sont passés dans des villes ou villages où les consulats ou conseils de ville sont anciens et expérimentés, souvent mi-partie depuis 1571. . Dans ces lieux les minorités religieuses sont suffisamment fortes et bien intégrées au milieu villageois. Ces pactes de non-Saint-Barthélemy montrent que la coexistence confessionnelle est possible dans notre pays et que ces guerres n’ont de religion que le nom. Et cela quelle que soit la taille du lieu, de 500 à 8000 habitants pour Nîmes. Les habitants sont voisins, alliés par mariage, par le travail, par la solidarité agricole nécessaire, l’interdépendance des activités artisanales et commerciales. Et puis les émeutes ne sont pas bonnes pour le commerce et les affaires.
A Millau dans le pacte, les habitants déclarent « s’entreaymer comme fraires, hantans, frequentans, mangeant, beyant ensemble ».. A Nîmes, on est « vrays citadins, habitans de mesme ville ». Les relations quotidiennes ont construit une identité collective qui est bien plus importante que les identités confessionnelles. Avant de prier séparément, on se fréquente, on mange, on boit ensemble, on participe à la vie de la collectivité..
À Saint-Affrique, le pacte proclame « paix, concorde, amour et amitié » Violences physiques et symboliques sont donc exclues, les habitants s’engageant à ne jamais plus user d’invectives les uns envers les autres. Ce faisant, la parole de paix fonde une paix des paroles.
Dans ces pactes on dit et fait la paix sans référence à des critères religieux qui ne protègent pas du danger, mais pour éviter une épreuve de force éventuelle. La religion importe moins que d’être anciennement implanté, connu, reconnu. C’est la définition déjà de la « citoyenneté ». À Chalon, on promet de « vivre les ungs les aultres comme bons citoiens et habitans ». Embryon de laïcité ? 
Par contre dans les grandes villes, on se méfie des minorités, religieuses ou autres, comme les étrangers, les vagabonds, gens sans « adveu » sans famille, ou sans lien avec le lieu.

Les rivalités politico-religieuses vont reprendre avec la guerre de Rohan qui se termine par la paix d’Allais (Alès) en 1629 avec Richelieu et le roi Louis XIII.  Le bi-partisme consulaire sera supprimé en 1636, on « encourage » les conversions, la Révocation de l’Edit de Nantes de 1685 est en chemin… Nous aurons l’occasion d’en reparler ici. Les énormes dépenses et les dégâts occasionnés par les guerres civiles ou étrangères laissent le pays dans une situation économique désastreuse.  Même les banquiers lyonnais, d'Anvers ou italiens qui prêtaient de l'argent aux souverains et aux nobles en guerre se trouvent à leur tour mis en faillite. 
Pour certains historiens la Révolution de 1789 et surtout le siècle des Lumières sont les héritiers de la Saint Barthélémy tant le choc a été fort et les idées qui en ont découlé se sont immiscées dans les consciences à jamais. Mais nous sommes toujours les héritiers de notre passé.

Autre sujet de réflexion : pourquoi depuis la nuit des temps certains se servent de la religion pour asseoir leur pouvoir sur les autres, même au prix du sang ?
Pour sourire : Catherine de Médicis avait amené avec elle l’artichaut de son Italie natal. Chacun sait  les désordres intestinaux qu'engendre ce légume quand on le met tous les jours à sa table. Elle en abusait tellement qu'au Louvre ses contemporains la surnommait "la Musicienne du soir".

Assassinat de Coligny - Anonyme photo RMN Grand Palais de Chantilly Thierry Le Mage



Sources : François Bayrou  Ils portaient l’Echarpe Blanche édi Grasset 1998  -- Fr Bayrou Henri IV le roi libre  1994  -  C Brouet D Vallet  Le Château de Linchamps Henri de Guise p100-CDDP des Ardennes   -  J Garrisson Protestants du Midi  1980 + L’Edit de Nantes et sa révocation 1985/1998 Le Seuil  -  GARRISSON Janine, La Saint-Barthélemy, Complexes, Bruxelles, 1987  -  P Joxe  l’Edit de Nantes 1998 Hachette  -  P Miquel Les Guerres de Religion 1991 Fayard  -  D Crouzet  La Nuit de la Saint Barthélémy 1994 Paris Fayard  - Nicolas LE ROUX, « Le Massacre de la Saint-Barthélemy », Histoire par l'image [en ligne],.URL:http://www.histoire-image.org/etudes/massacre-saint-barthelemy?language=fr  - -
MUsée virtuel du protestantisme BOURGEON Jean-Louis, Charles IX devant la Saint-Barthélemy, Droz, Genève, 1995 -  B Ketcham Wheaton L'Office et la Bouche  édit Calmann Lévy  p74  1985  -Hérodote 12-12-2015 Un grand massacre de protestants internet -  Cahiers de recherches médiévales et humanistes Jérémie Foa 2012, « La Saint-Barthélemy aura-t-elle lieu ? Arrêter les massacres de l’été 1572 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 24 | 2012, mis en ligne le 01 décembre 2015,. URL : http://crm.revues.org/12924 ; DOI : 10.4000/crm.12924  -  Voir L’Etranger. Recueils de la Société Jean Bodin, t. IX et X, Bruxelles, 1958.  -   AM(archives municipales) Nîmes, LL 11 (30 août 1572). -   AM Millau, CC 42, 2e inv.pièce non numérotée  - AM Clermont, BB 36, décembre 1567.  -  AD Puy de Dôme, 3 E 113, fds II, BB 20, fol. 20 v°. -  AM Chalon-sur-Saône, EE 1. -  AM Lisieux, BB 7, fol. 347. -  AM Chalon-sur-Saône, EE 1. -    J.-P. Chabrol, La Cévenne au village,, p. 183. -  Mémoires d’un calviniste de Millau, éd. J. Rigal, Rodez, Carrère, 1911, p. 222. Et AM Nîmes, (...)  -  O. Christin« Amis, frères et concitoyens, art. cit., p. 93.  - M.Konnert, « La tolérance religieuse en Europe aux XVIe et XVIIe siècles. -   Th. Wanegffelen, Ni Rome ni Genève., p. 318.  – Roger Gau L’avant et l’après Saint-Barthélemy à Toulouse et dans le Tarn -  Victor Carrière Les lendemains de la Saint-Barthélémy en Languedoc – Denis Crouzet Les Guerriers de Dieu  internet – Annales de la ville de Toulouse de Germain de La Faille Colomiez Ecole Sainte-Geneviève – Et bien d’autres textes, analyses…..
A relire Alexandre Dumas La Reine Margot 1845






  Quelques éléments de la façade Renaissance de Vallabrix – Elle a connu les guerres de religion mais n’en a pas souffert semble-t-il.(construction probable entre 1547 et 1555)

mercredi 14 août 2019

Emilien Dumas explorateur du Gard


Emilien Dumas explorateur gardois

(1859- Emilien Dumas-PBS LearningMedia)
Comme beaucoup d’érudits du 19ème siècle, Emilien Dumas est un touche-à-tout : botaniste, géologue, géographe, hydrographe, paléontologue, archéologue…il est difficile de le faire entrer dans une seule case. Toute sa vie il ne cesse de cultiver sa curiosité. Il est l’un de ceux qui vont donner envie de découvertes à de nombreux amateurs-archéologues-chercheurs éclairés du 19ème et du début du 20ème siècle, et cela dans de nombreux domaines.
Jean Louis Georges Emilien Dumas est né à Sommières dans le Gard, le 4 novembre 1804 dans une famille protestante, d’un milieu bourgeois. Il décède le 21 septembre 1870 à Ax-les-Thermes sur Ariège d’un anthrax.  Son père est un négociant instruit qui s’intéresse de très près à l’agriculture et à l’archéologie. La ville de Sommières lui offre un terrain d’investigations très propice en compagnie de son ami le docteur Marc Dax, celui qui est à l’origine de la théorie de la dominance de l’hémisphère gauche du cerveau dans le langage. Une soif de comprendre, de connaître, qui a commencé bien avant la Révolution de 1789, avec le siècle des Lumières. Le territoire du Languedoc est propice aux découvertes, et l’influence protestante permet de contourner les préjugés catholiques. Emilien disait : « Ici en ouvrant sa fenêtre, on entre dans l’Histoire, Rome, Gaule, et bien d’autres, tous nous interpellent, nous demandent de nous questionner.... ».
Le Terreur Blanche de 1815 et ses menaces contre les protestants vont faire éloigner le jeune Emilien jusqu’en Suisse au bord du lac Léman où il va commencer son herbier. Il a 11 ans. Les villes de Morges, de Bâle où se confirme sa passion pour les sciences naturelles et la botanique. Il profite des enseignements du grand théologien protestant Alexandre Vinet. Sa mère décède en 1824 et Emilien retourne à Sommières. En 1828 il fonde une famille avec une riche héritière d’Orange, Pauline Borel, fille d’un propriétaire de filature de soie.
Il découvre le site paléontologique de Pondres dans le Gard en 1828-29 avec son ami Jules de Christol : fossiles humains et animaux, poteries et ossements de hyènes et de rhinocéros, ces derniers aussi dans une grotte de Souvignargues près de Sommières. Ossements d’ours des cavernes, silex, os portant les stigmates d’outils tranchants. Sa carrière est toute tracée. Dans sa vie il rassemble plus de 20 000 échantillons de fossiles et de minéraux, conservés maintenant en partie au musée d’Histoire Naturelle de Nîmes. Ses nombreuses collections touchent l'Antiquité grecque, la botanique, la géologie…
 Il a été élève à Paris du Collège de France, du Collège Royal des Mines et du Muséum national d’histoire naturelle. Il rencontre Georges Cuvier (1769-1832), Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), Adrien de Jussieu (1797-1853). Zoologie, minéralogie, botanique, sa formation en sciences naturelles est complète. Il est confronté à la querelle qui oppose les savants pro-fixismes et ceux qui prônent le transformisme comme Lamarck (1744-1829). Il sera aussi un proche de Paul Tournal, fondateur et conservateur du Musée de Narbonne. Il s’approchera de la théorie de l’évolution que Darwin mettra en place en 1859.

L’Homme Préhistorique et Protohistorique l’intéresse au plus haut point. Mais il va aussi se questionner sur les monuments anciens de l’époque gauloise ou pré-gauloise dans le Gard. Il recense alors 24 dolmens dans 13 communes dont celle de Blandas où il exhume une « peyre cabucelade ».  Pour lui les dolmens ne sont pas des autels sacrificiels comme on l’entendait alors, mais des tombeaux où sont enterrés les chefs de ces peuplades. Des ossements humains sont exhumés avec d’autres objets lors de fouilles de ces monuments. Il s'interroge sur les peuplades qui ont précédé l'installation gauloise, en plein 19ème siècle époque où "le Gaulois" semblait le père de l'humanité.
Il veut comprendre les origines de notre Terre, dans quel ordre chronologique les terrains, les montagnes se sont formés… Il sera le premier à cartographier le département du Gard à partir des cartes de Cassini, les premières cartes topographiques du 18ème siècle. Pendant 20 ans, avec patience et ténacité, il arpente les caractéristiques géologiques et paléontologiques du département, mesure l’altitude, dresse un portrait géographique total du Gard.  Il est celui qui le premier a eu l’idée de colorier les cartes par diverses époques pour circonscrire les divers terrains tertiaires, secondaires, ….

En 1844 il publie la carte de l’arrondissement du Vigan, en 1845 l’arrondissement d’Alès. Il s’intéresse à la constitution géologique de la région Cévennique supérieure du département du Gard dans sa notice de 1846. Un autre ouvrage en 1847 Altitudes ou hauteurs au-dessus du niveau de la mer, mesures à l’aide du baromètre dans les arrondissements du Vigan et d’Alais. La carte de l’arrondissement de Nîmes parait en 1850, troisième volet de son étude géologique du département. Et en 1852, il termine sa carte de l’arrondissement d’Uzès qui ne sera publiée qu’après sa mort. En 1856 une autre publication : « Statistique géologique, minéralogique, métallurgique et paléontologique du département du Gard ».

 
(Carte du Gard arrondissement d’Allais 1845-Gallica-BNF –data.bnf.fr)
On a coutume de considérer Emilien Dumas comme l’un des pères de la recherche empirique en géologie.
Le 19ème siècle est celui des recherches minières pour une révolution industrielle triomphante. Emilien Dumas va travailler avec de grands capitaines d’industrie comme Paulin Talabot. Celui-ci l’envoie en Algérie pour les gisements de fer de Mokta el Hadid, en Sardaigne, Espagne… pour prospecter le sol minier de tous les pays méditerranéens. Le savant est remercié par des actions des compagnies minières qui lui donnent envie de s’aventurer financièrement dans des concessions houillères du bassin d’Alès (concessions de Saint-Germain-Saint Jean du Pin, il en sera le directeur). Mais ce n’est pas ce qui l’intéresse le plus : en sont la preuve, la description du terrain houiller d’Alais et les végétaux fossiles, ainsi que la reconnaissance de l’alternance de deux étages, l’un stérile et l’autre contenant de la houille.

Dolmen ou peyre cabudelade

 
Il retourne à ses chères études dans le dernier versant de sa vie. En 1861, il publie un catalogue des noms des potiers d’origine gauloise, avec 350 estampilles de vases samiens, 72 amphores, 97 lampes funéraires de sa collection personnelle. Un grand pas dans l’approche archéologique grâce à ses travaux comme la séparation des poteries rougeâtres vernissées qu’il pense à usage domestique, et les autres de couleur mate à usage rituel funéraire. Il met en évidence la division du travail et la spécialisation dans les ateliers antiques.

Il était aussi très attiré par le théâtre, n’hésitant pas à monter sur les planches lors de ses études à Paris. Son hôtel particulier de Sommières avait un petit théâtre. Il y monte d’ailleurs en 1837 une troupe d’acteurs, ce qui avait beaucoup choqués ses contemporains. Un scientifique se doit d’être sérieux. Mais cela montre un aspect chaleureux, humain du personnage. Sa vie mondaine lui fait approcher de nombreux acteurs et dramaturges de son époque. La princesse de Solm, Maire Bonaparte-Wyse petite nièce de Napoléon 1er, lettrée et auteure des Chants de l’Exilée est une de ses amies.
Son gout pour le terrain l’a peut-être éloigné de l’intelligentsia française. Il n’avait pas accepté une chaire universitaire et donc il n’a pas laissé une postérité de disciples pour continuer son œuvre dans l’histoire des sciences et surtout de la géologie où ses inventions en méthodologie ont été fondamentales. Il avait dit à son ami Noêl Lafont son confident de toujours et son aide scientifique : « mon pauvre Lafont, vous entendrez dire un jour que je me suis englouti, effondré subitement, et que je ne suis plus qu’un souvenir, n’en soyez point surpris. Pour moi j’y suis préparé, j’envisage avec calme cette fin qui m’attend, et je m’en console en songeant que j’ai eu ma bonne part de jouissances ici bas. » 
Il est membre de l’Académie du Gard et de la Société Géologique de France. Il est aussi Chevalier de la Légion d’Honneur en 1864, participe à la Commission de la topographie des Gaules en 1866. Il sera aussi président de la Société des eaux de Vergèze.
Il décède le 21 septembre 1870 juste après l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg qui l’avait fortement peiné.
Sa fille Amélie et son gendre Armand Lombard-Dumas lui aussi botaniste, vont préserver l’œuvre d’Emilien en donnant sa collection géologique au musée de Nîmes. Pendant 15 jours, 17 voitures de 1 800 kg et 4 hommes seront réquisitionnés pour déménager cette collection de l’hôtel particulier de Sommières à Nîmes !
Ses activités :
Académie de Nîmes : Associé correspondant, 1834.
Institut des Provinces : Membre 1846.



(Hôtel particulier d’Emilien Dumas Sommières –photo Daniel Villafruela mai 2013)-wikipedia)


Sources : Édouard Dumas, Émilien Dumas et l'empreinte de Sommières, Lacour-Ollé, 1993.--  « Émilien Dumas, un géologue éclairé du XIXe siècle » par Laurent Aiglon, in Cévennes Magazine, 2003. Cet article s'appuie sur la correspondance du savant conservée aux archives départementales du Gard  ainsi que sur les carnets du grand géologue. -- Émilien Dumas, Statistique géologique, minéralogique, métallurgique et paléontologique du département du Gard, Paris, A. Bertrand, 1875-1877 (lire en ligne (archives)) Lire à partir de la première partie –Gazette de Nîmes n°864 24 décembre 2015 –musée d’Histoire Naturelle de Nîmes –Arnaud Hurel La France Préhistorique de 1789 à 1941 –wikipedia – BNF gallica data.bnf.fr/15318313/emilien_dumas/--patrimoine.mines-- Lombard-Dumas Armand 1874. Étude sur la vie et les travaux d’Emilien Dumas. Mémoires de l’Académie de Nîmes.-- Vincent, Henri-Maurice-Eugène-Philippe (pseud. Dr V. Du Claux, Dr) 1878. L'oeuvre d'Émilien Dumas.-- Bulletin de la Société d'étude des sciences naturelles de Nîmes, 1877, n° 11-- Dictionnaires biographiques départementaux, s. d., vers 1900. Dumas (Jean-Louis-Georges-Emilien). In Gard. Dictionnaire biographique et album. Paris, Flammarion, 230-237.-- - Aiglon Laurent 2003. Émilien Dumas, un géologue éclairé du XIXe siècle. Cévennes Magazine.-- Raymond Ramousse 12/2014 Comité des travaux historiques et scientifiques Institut rattaché à l’École nationale des Chartes -www.cths.fr/an/savant.php?id=120680© copyright CTHS-La France savante.--paristech.fr/document/Géol_Gard_1852_Uzès_carte-- .editions-lacour.com/Émilien.dumas.et.l.empreinte.de.sommieres.sur.les.familles.