Guillem de Cabestany
ou L’horrible souper
Miniature de Guillem de Cabestany
L’histoire et la légende se sont emparées de ce drame d’amour et de mort, à
tel point qu’il est difficile d’y faire la part de vérité et de fiction. Une
vengeance qui apparait vraisemblable car elle a pour cadre une époque où les
passions étaient violentes et les châtiments rigoureux, les mariages plus de
convention que d’amour.
Le héros de cette histoire est Guillem de Cabestany, chevalier sans
fortune, né d’une région entre Catalogne et Narbonnais, le Roussillon. Un
troubadour comme on se les imagine : beau, de bonne maison, spirituel,
excellant cavalier, courtois. Il a du talent, bon rimeur comme on aimait les
troubadours de l’époque. Il trouva un protecteur en la personne de Raimon(d) de
Castel-Roussillon, un seigneur dur, violent mais riche. Guillem flattait cet
orgueilleux. Raimond en fit d’abord son page, puis n’entendant pas grand-chose
à la poésie, il le donna comme écuyer à son épouse, Saurimonda (ainsi nommée dans le contrat de
mariage entre Raimond et sa femme, parfois nommée aussi Marguerite ou Marie
selon le conteur). Et ce qui devait arriver arriva : la belle et gracieuse
Saurimonda tomba amoureuse de son écuyer.
Guillem, imprudent, célébra les charmes de sa Dame dans ses chansons et
surtout la joie qu’il avait de cet amour partagé.
« Depuis qu’Adam
cueillit sur l’arbre fatal la pomme qui causa les malheurs du genre humain, le
souffle de Dieu n’a pont animé une aussi parfaite créature. Toutes les formes
de son corps sont d’une proportion et d’une élégance ravissantes. Il offre une
blancheur, une délicatesse, un éclat qui le disputent à l’améthyste. La beauté
de ma Dame est si grande que je m’attriste pensant que je ne mérite point
qu’elle s’occupe de mes hommages… ».
Ses chansons sont particulièrement explicites, passionnées. Elles attirent l’attention de tout un chacun, voisins, serviteurs, bavards curieux et ….celle du mari.
Ses chansons sont particulièrement explicites, passionnées. Elles attirent l’attention de tout un chacun, voisins, serviteurs, bavards curieux et ….celle du mari.
Un jour que les deux hommes chassaient l’épervier, Raimond félicite Guillem
pour ses chansons, et de fil en aiguilles, le force à dire qui est la Dame de
ses pensées. Guillem botte en touche et il avoue être amoureux follement de
Dame Agnès la sœur de Saurimonda.
Raimond, tout en espérant, tient à être
bien sûr de la véracité de cet aveu. Les deux hommes se rendent au château de
Robert de Tarascon, l’époux de Dame Agnès.
Raimond prend à part dame Agnès pour la confesser. Elle connait le
caractère violent de son beau-frère, elle aime tendrement sa sœur, et voyant
l’inquiétude sur le visage de Guillem, elle feint la gêne, la confusion, et
comme en dépit d’elle-même elle avoue qu’elle aime Guillem. Discrètement elle
avertit son époux de la supercherie, car elle craint que Raimond ne fanfaronne
et « ne mette les pieds dans le plat ».
Robert de Tarascon qui connait bien le caractère de Raimond, approuve le
stratagème d’Agnès. Il l’encourage même. Tandis qu’il entraîne le jaloux dans
une promenade autour du château, Agnès reçoit le jouvenceau dans sa chambre en
tout bien tout honneur. A l’heure du souper, la jeune femme apparaît toute
joyeuse, pétillante de gaieté comme si elle avait passé un très bon après-midi
dans les bras de son supposé amant. Lorsque le lendemain Raimond et Guillem
quittent le château, le mari de Saurimonda est persuadé qu’Agnès et son écuyer
ont passé la nuit ensemble.
Evidemment une fois chez lui, il ne peut pas se taire et conte toute
l’histoire à son épouse. Elle se croit trahie par son amant. Elle a une explication
avec lui, il lui décrit la supercherie de sa sœur, et elle finit par le croire.
Mais comme elle est aussi sotte qu’elle est belle, elle exige qu’il compose une
chanson dans laquelle il proclame son amour pour elle, affirmant n’avoir aimé
qu’elle. Guillem a beau lui exposer le danger pour elle et pour lui, elle n’en
démord pas. Et il finit par accepter tout en sachant qu’il signe son arrêt de
mort. Il compose « Le Doux souci ».
Comble de l’insolence, il adresse cette chanson au mari blessé dans son
orgueil et qui ne peut plus douter de son infortune connue de tous.
Ceci appelle vengeance !! Castel-Roussillon entraîne l’écuyer dans une
chevauchée hors du château, le poignarde. Il ouvre la poitrine de sa victime,
prend le cœur encore palpitant. Il charge un valet de le porter au cuisinier du
château pour l’accommoder en venaison avec force épices.
Le soir venu, le
souper est servi. Raimond fait présenter à sa femme ce mets qu’elle mange de
bon appétit. A la question de son époux elle répond que ce plat était
excellent. Raimond lui dit : « Il
est juste que vous aimiez mort ce que vous avez tant aimé
vivant !! ». Il lui présente triomphant la tête sanglante de
Guillem et lui apprend ce qu’elle vient de manger.
Saurimonda, horrifiée, dans un
sursaut, lui répond : »vous
m’avez donné là un mets si délectable que jamais plus ne mangerai rien
désormais ». Fou de rage il tire son épée pour la tuer, mais la
fenêtre ouverte permet à sa femme de se jeter dans la cour du château et de
s’écraser sur les pavés.
Ce meurtre et la mort de Saurimonda
scandaliseront la région. Raimond de Castel-Roussillon n’était pas
particulièrement apprécié, mais là, il était allé trop loin dans l’abomination.
Les chevaliers et seigneurs de la contrée demandèrent vengeance à leur suzerain
Alphonse II d’Aragon. (Perpignan et le Roussillon ne sont pas encore français).
Le château de Raimond sera assiégé, pris, et le seigneur mis à mort, ses
seigneuries dévastées. Les corps des deux amants seront portés au cours de
funérailles magnifiques en l’église de Perpignan, leur histoire tragique gravée
sur leur tombeau.
Cette histoire inspira des poètes et des écrivains, en France mais aussi
dans une bonne partie de l’Europe, Pétrarque dans son Temple d’Amour,
Nostradamus, Boccace, Stendhal…jusqu’à nos jours. Le tombeau pendant bien des
années sera un lieu de pèlerinage pour les couples d’amoureux.
Lo dous cossire Le
doux souci
Le doux souci que
m’inspire souvent Amour me fait dire sur vous, Madame, nombre de vers
agréables. Pensif, je contemple votre corps noble et précieux que je désire,
plus que je ne le laisse voir. Et même si je me détourne du droit, je ne vous
renie pas pour autant : sans cesse je vous supplie avec un amour sincère.
Madame, vous en qui la beauté embellit, souvent je m’oublie moi-même à vous
louer et vous demander grâce. Qu’à jamais me haïsse Amour qui vous refuse à moi
si jamais je tourne mon cœur vers une autre ou change d’avis. Vous m’avez ôté
le sourire et donné le souci ; il n’est pas d’homme qui ressente un martyre
plus cruel que le mien, car, alors que je vous désire plus qu’aucune autre qui
soit au monde, j’affecte de vous repousser, de vous désavouer et vous détester
: tout ce que je fais par crainte, vous devez le tenir pour fait de bonne foi,
même quand je ne vous vois pas.
C’est toujours le
début de l’amour, tant me charme, votre maintien, vous à qui je suis soumis ;
il m’est bien clair que je suis vaincu par votre amour, car, avant de vous
avoir vue, mon intention était de vous aimer et de vous servir ; je me suis si
bien donné à vous de tout cœur, sans réticence, qu’aucune autre ne m’apporte de
joie ; je n’accepterais de coucher ni d’être l’amant d’aucune de celles qui
portent bande en compensation de vos saluts. J’ai en mémoire le visage et le
doux sourire, le haut prix et le beau corps blanc et doux ; si, en matière de
foi, j’étais aussi fidèle à Dieu, sans faute j’entrerais tout vif en paradis ;
c’est ainsi que je suis resté ici, sans aucun appui auprès de vous, ce qui m’a
fait perdre quantité de présents : les prenne qui les voudra !.... Ainsi, comment serait-il possible que je ne trouve pas
grâce auprès de vous, mon aimée, vous qui êtes la plus belle qui soit jamais
née ? Nuit et jour, à genoux ou debout, je prie sainte Marie qu’elle me donne
votre amour ; dès l’enfance, j’ai été élevé pour obéir à vos ordres : et que
Dieu me refuse son appui si jamais je veux y renoncer. Noble et douce personne,
permettez-moi de baiser vos gants : je n’ose pas demander autre chose. Il n’est
chose qui vous ait plu, noble dame courtoise, pour interdite qu’elle m’ait été,
que je ne l’aie faite sans me soucier du reste. Sire Raimon, la beauté et le
mérite que possède ma Dame m’interdisent toute autre.
Guillem de Cabestany
Texte et traduction établis par Gérard Gouiran.
Mais qu’en est-il de la réalité ? Les protagonistes ont-ils existé ?
Ce conte qui développe le thème du « cœur mangé » est des plus
célèbres. On le retrouve un siècle plus tard dans le roman du Châtelain de
Couci et de la Dame de Fayel. Une traduction de cette vida nous est donnée par
Stendhal en 1822.
Aux archives des Pyrénées-Orientales un contrat de mariage du 26 mars 1197
certifie l’existence de Raimon de Castel-Roussillon et Sorimonda. Il a été
publié en héliogravure avec transcription d’après une charte partie. On y voit
les biens que chacun apporte et surtout leurs situations matrimoniales
précédentes : lui est veuf avec un fils Bernard qui donne son consentement
au contrat, elle aussi veuve de Ermengaud de Vernet mais sans enfant. Il nous
faut remercier l’archiviste M Alart découvreur du texte. Ce contrat indique comme
date 1197 soit un an après la mort du roi Alphonse d’Aragon, donc il n’a pu
venger les deux amants. Alphonse d’Aragon était bien le protecteur des
troubadours et peut-être de Guillem, mais la chronologie contredit la légende.
Saurimonda de Peralada apporte en mariage avec Raimon ses biens de
Torreilles (Pyrénées-Orientales) sis à côté de Perpignan. Raimon apporte son
domaine de Cosprons, près d’Argelès, ses biens de Banyuls-sur-Mer, ses domaines
de Palol près d’Elnes….
Saurimonda vend en 1205 ses droits seigneuriaux du château de Torreilles
aux Templiers avec l’autorisation de son mari, qui est donc toujours vivant à
cette date et non trucidé par le roi d’Espagne et ses chevaliers.
Des actes de 1210 à 1221 nous montrent une Sauremonde mariée à un troisième
mari Adhémar de Mosset.
Guillem, est le fils de noble Arnau de Cabestany, vassal effectivement des
seigneurs de Castel-Roussillon. Son nom
apparaît en 1162, un des témoins d’un traité de paix entre Guillaume VII
seigneur de Montpellier et les seigneurs de Pignan. Etant donné la date plutôt
un oncle de Guillem ou un membre de sa famille.
L’historien valencien Perez Tomich le cite en 1534 comme ayant pris part à
la croisade contre les Almohades en 1212 aux côtés de Pierre II d’Aragon à la
bataille de Las Navas de Tolosa. A cette bataille il y a aussi Aimar de Mosset
le troisième mari de Saurimonda, ainsi que
Ramon de Toreillas un des témoins signataires de son contrat de mariage
avec Raimond.
Un célèbre historien espagnol du 16ème siècle Pedro Antonio Beuter
énumère les noms des combattants de cette bataille : (follijV)
Guillem aurait fini ses jours dans
la province de Lérida en Espagne où il fonde le village de Cabestany.
Un événement tragique a certainement eu lieu entre Raimond, Sorimonda et
Guillem, mais lequel ? Et tous les trois y ont survécu.
(Каталонские_графства_в_IX-XII_вв.svg:
Nekto-derivative work: Lliura
(d)23 juin2010)
.
Sources :
/www.ville-cabestany.fr/fr/decouvrir-la-ville/nos-identites/guillem-de-cabestany
-- Lucienne
Escoubé Historia L’Horrible souper -mars 1982 – wikipedia --- marmotton66.e-monsite.com-- ---Arthur Langfors Persée
annales du Midi 1914 26-103 p349-356 Troubadour Guilhem de Cabestanh --Vie de
Guillem de Cabestany extraite de Christian Nique (sous la direction de),
Anthologie des littératures occitane et catalane, Académie deMontpellierCRDP2006--
Pierre Bec, Anthologie de la
prose occitane du moyen âge, Aubanel, 1977.--
disciplines.ac-montpellier.fr/catalan/sites/catalan/files/fichiers/dp/panorama/annexos-2.pdf-- elracodekoke.blogspot.com/---/commons.wikimedia.org/wiki/File:Comtats_catalans_s._VIII-XII.svg?uselang=fr
--
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.