vendredi 30 août 2019

Dame Carcas


Dame Carcas



(entrée du château comtal photo Luc Joubert)
Les légendes sont là pour alléger la rugosité de l’histoire. Elles ont aussi un rôle pédagogique, moral. La légende de Dame Carcasse ou Carcas en fait partie. Elle nous raconte la force des femmes, leur ingéniosité. Par sa jugeote, cette femme apporte paix et fertilité à sa ville. Amazone occitane, elle en impose aux hommes, même aux plus forts. Elle se conduit en chef politique, militaire. Et puis que la loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure !! D’autres femmes ont montré le bon exemple en Occitanie, Ermessende de Carcassonne (975-1058), comtesse de Barcelone et de Gérone, dont le sceau était en deux langues : arabe et latin, Almodis de la Marche (1020-1071), Ermengarde vicomtesse de Narbonne qui participe à de nombreuses opérations militaires contre les arabes en 1148….dont la prise de Tortosa. Elles ont été chantées par les troubadours. Mais revenons à Dame Carcas.


En ce temps-là Carcassonne était assiégée par l’armée de Charlemagne. La ville était aux mains des Sarrasins dirigés par le roi Balaac (ou Ballac). En fait Charlemagne avait 17 ans (en 759) et n’était pas encore empereur. C’est probablement son père Pépin le Bref qui assiège la ville. Mais Pépin coincé entre son père Charles Martel et son fils Charlemagne ne fait pas le poids dans la légende épique à conter. Et puis Dame Carcas en devient plus grande avec Charlemagne dans l’histoire qui suit.
Le roi Balaac est capturé dès le début du siège. Charlemagne lui demande de devenir son vassal, de livrer la ville et de devenir chrétien. Le roi refuse. Il est aussitôt exécuté. Sa veuve Dame Carcas se retrouve à la tête de la ville et doit la défendre. Le siège va durer cinq ans. 
Elle va d’abord remplacer les soldats morts par des mannequins de paille dans chaque tour et cachée derrière eux avec quelques habitants tire des flèches pour faire croire que la garnison de la ville est encore importante. Mais au début de la sixième année, l’eau et la nourriture se mirent à manquer. L’inventaire des réserves laissait entendre que c’était le commencement de la fin.. Mais la ville étant sarrasine donc musulmane, la plupart des habitants ne mangeaient pas de porc et donc il restait encore quelques cochons. Quand l’avant-dernier sac de blé fut mangé, elle sacrifia le dernier animal, une truie nourrie avec le dernier sac de blé. Elle précipita l’animal par-dessus les remparts. La truie en s’écrasant laissa échapper de son ventre le blé. Les assiégeants eurent l’illusion que la ville avait encore beaucoup de nourriture, puisqu’on pouvait gaspiller un porc et un sac de blé. Découragée l’armée de Charlemagne leva le siège.




Alors Dame Carcas, Grande Dame, sonna le cor pour rappeler Charlemagne. Pour certains conteurs, elle fait sonner toutes les cloches de la ville. Peut-être fait-elle les deux.
Elle ouvrit les portes à l’empereur, et au passage de celui-ci une tour s’abaissa par miracle pour le saluer. En hommage au courage de la Dame, l’empereur baptisa la ville Carcassonne (Carcas sonne). La dame fut elle aussi baptisée et mariée à un comte franc qui administra la ville. De ce couple descendraient les seigneurs chrétiens de Carcassonne.

 (Dame Carcas sonne le cor et remet les clefs de la ville à Charlemage. Illustration de Christian Jaumes « le Manuscrit enluminé de la légende de dame Carcas 2019)




 (wikipedia.org—Pinpin own work -14juillet2007--(Multi-license with GFDL and Creative Commons CC-BY 2.5)
Dame Carcas, statufiée : ceci est une copie, l’authentique est au château comtal depuis 1997. Probablement réalisée vers 1538 pour le passage de la sœur de François 1er Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre. Les poètes avaient comparé Marguerite à dame Carcas. Des marguerites ornent les manches de son habit. Les consuls et les habitants de la ville espéraient son soutien dans la défense de leurs privilèges contestés par la Ville basse de Carcassonne. Une inscription en latin SVM, "je suis Carcas". La statue a été réalisée à la hâte ; une clef de voûte en remploi pour le visage, le buste sculpté pour l’occasion. Plus tard, une vasque en guise de couronne. Sous le roi Henri III, la statue est englobée dans une porte de la cité, porte détruite en 1900 lors de l’édification du pont-levis dans le cadre des travaux de restauration de la ville.


(le château vu de l’intérieur de la Cité- les hourds en bois au faite du rempart et des tours)


Carcassonne la belle Cité, sera maintes fois restaurée, remaniée. Sur la route d’Espagne, les rois vont s’intéresser de près à la cité. Louis VIII qui améliore le système de défense en particulier la Barbacane d’Aude. Son fils Saint-Louis qui conçoit le deuxième rempart, commençant par faire déblayer la colline en rasant les faubourgs….L’entrée se fera dorénavant par la barbacane St Louis. Lors de la guerre entre Philippe le Hardi et l’Espagne la cité devient la place centrale des opérations. La Porte Narbonnaise revue, la tour du Trésor, les courtines voisines, le rempart intérieur reconstruit, des tours rehaussées, les lices creusées… Les travaux sont ingénieux, on met à profit ce que l’on a appris lors des croisades. Le roi vint les inspecter en 1285. Philippe le Bel s’occupa de l’église Saint-Nazaire : le transept et le chœur devaient être restaurés. Des architectes du Nord s’en chargèrent et ces parties nouvelles seront en style gothique d’Ile-de-France en vigueur.
Il semble que cette restauration sera la dernière marquante avant celle de Viollet-le-Duc au 19ème siècle. Le traité des Pyrénées de 1659 rattache le Roussillon au royaume et la cité n’a plus le même rôle stratégique. Au 17ème siècle la Ville Basse (habitations en dehors de la forteresse) se développe, activité drapière, commerces….. En 1745 l’évêque s’établit dans la Ville Basse et délaisse la Cité. Petit à petit les fortifications vont servir de carrière pour les habitants de la Ville Basse. La Cité va renaître au 19ème siècle, silhouette qui raconte une Histoire tourmentée, parfois obscure, une histoire d’hommes et de femmes.



Vue plongeante sur les défenses de la Porte Narbonnaise. Porte qui donne accès à la cité ; à notre avis, la plus belle, la plus imposante, avec un système de défense complexe et complet. Seule la porte d’Aude peut rivaliser avec elle.

 
(La montée de l’Aude –photo Luc Joubert)








La Tour du Vieulas : Miracle ? En fait les tours de l’enceinte romaine de la ville ont des fondations insuffisantes et se sont pratiquement toutes inclinées. (photo Gauthier Langlois)




(photo Luc Joubert)
Le château comtal est l’œuvre de Bernard Aton Trencavel, du 12ème siècle. Trencavel, qui tranche bien, tout un programme. Nous retrouverons les Trencavel lors de la croisade contre les Albigeois. Le château était une véritable forteresse intérieure, hautes murailles, petitesses des ouvertures. Les remparts, la Cité pouvaient être pris, le château pouvait résister longtemps. Le chemin de ronde des remparts s’arrêtait devant les murs abrupts du château. Du côté de la Cité, il était défendu par une grande barbacane, un large fossé enjambé par un petit pont et deux tours immenses. Les hourds surplombaient le pied des murs.




(gisant chevalier 12ème siècle-photo Luc Joubert)
Carcassonne n’a pas attendu Dame Carcas pour exister. Un oppidum fortifié le Carcaso était mentionné par Pline l’Ancien « Carcaso Volcarum Tectosage ». Les Volques Tectosages arrivent dans la région vers 300 av Jc. Ils exploitent la mine d’or de Salsigne. Les Romains intègrent Carcassonne à la colonie Narbonnaise vers 122 av notre ère, mais circulent déjà depuis longtemps car l’endroit est un carrefour commercial important. Avec eux la ville devient la colonie Julia Carcaso. Les premiers remparts datent probablement du 3ème siècle de notre ère. Après les Romains, les Wisigoths, les Francs, les Arabes avec le wali Ambiza…..puis à nouveau les Francs et les comtes carolingiens. Ainsi va l’Histoire !!
(A voir aussi dans la Ville Basse les plafonds peints du 15ème siècle de la bastide Saint-Louis de Carcassonne)



Sources : François Grimal et Luc Joubert (photos) Cité de Carcassonne  éditeur Caisse Nationale des Monuments Historiques 1966---Carcassonne plus de 6000 ans d’histoire in Histoire de l’Antiquité à nos Jours Hors-série n°56 juillet 2019 Jean Vaquer, Michel Passelac, Charles Peytavie, Gauthier Langlois, Dominique Baudreu, Frédéric Loppe, Hugo Chatevaire, Claude-Marie Robion….--

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.