vendredi 24 novembre 2023

 


Une vie de chien ou chienne de vie ? :
(voir et revoir sur ce blog le 15/04/2017)
Chien-écureuil dans la cuisine

Chiens attelés à une mitrailleuse Guerre 1914-1918
Le chien de compagnie est une idée très récente. Jusqu’à peu, les chiens étaient avant tout élevés dans le but d’accomplir une tache. Même au 18ème et 19ème siècle, les chiens miniatures que les riches dames mettaient dans leurs manchons servaient de bouillottes à leurs belles mains !
Nous avons profité largement de ces animaux qui ne demandent qu’un peu d’attention et qui nous accompagnent depuis probablement le temps des cavernes. Leur ancêtre le loup nous a fait confiance à ce moment-là, peut-être à tort ?!!

 Une loi du 2 mai 1855 rend obligatoire une taxe sur les chiens au profit exclusif des communes. Déjà à Tours en 1842 les élus avaient essayé de remplacer la taxe sur le sel par un impôt sur les objets de luxe et les chiens.. Cet impôt ne sera pas très rentable pour l’Etat et les communes.
Il faut y voir un autre intérêt, semble-t-il sanitaire. Avant 1855, trois millions de chiens environ peuplaient le pays, et les cas de rage étaient fréquents, un peu plus de deux cents cas par an pour les humains.  Un arrêté du baron Haussmann à Paris  en 1852 affirme que cette taxe est « le seul moyen de prévenir l’accroissement incessant des chiens et des nombreux accidents qui en découlent » « ces animaux absorbent une quantité considérable de substances alimentaires qui pourraient être employées à la nourriture d’animaux plus utiles »…Sale temps pour les chiens !!

Cette loi de 1855 fait baisser très rapidement de moitié le nombre de chiens ainsi que les cas de rage canine chez les humains. Cela a  entrainé aussi une disparition importante des chiens âgés ou infirmes, malades ou en liberté, ce qui a peut être apporté une meilleure santé chez les survivants. On s’est aussi posé la question des chiens employés dans l’industrie, comme ceux qui tournaient la roue des forgerons ou ceux attelés à une charrette de livraison, souvent esclaves d’un autre temps. Ils avaient leur utilité même dans les cuisines, tournant la roue et le tournebroche de la cheminée. Assez bizarrement, cette loi a aidé la cause animale, du chien en particulier, ce qui n’était pas prévu au départ.
Chien ambulancier Camp de Mailly octobre guerre 1914-18
Les communes pouvaient fixer elles-mêmes le montant de cette taxe entre 1 et 10 francs, ceci après avis du Conseil Général. La taxe était différente selon les qualités de l’animal : la première catégorie comprenait les chiens d’agrément et ceux de chasse, les chiens en liberté dans les rues, les chiens de promenade, ceux admis au foyer de leur maître, les chiens âgés ou infirmes…..Dans la deuxième catégorie étaient catalogués les chiens de garde, et les autres utilitaires : chiens d’aveugle, les chiens de bergers, de bouchers, gardien d’habitation, d’atelier, et les chiens employés pour des besoins industriels. Il fallait que leur utilité soit majeure, déterminée et justifiée. La race n’entrait pas en ligne de compte, un petit chien pouvant être un excellent gardien.


Chaque propriétaire devait faire chaque année une déclaration en mairie, avec le nombre de chiens et leur usage. Un récépissé faisait foi du paiement de la taxe. Les bébés chiens allaités encore par leur mère au 1er janvier étaient exemptés de la taxe. Dans quelques villes une médaille était accrochée au collier du chien attestant que l’impôt avait été payé.
Chien à la forge
Chien facteur


D’après le Petit Code Rural des Contributions directes à l’Usage des autorités municipales de 1889 (M Desliguières et Lambert – A Sagnier  Galica), en cas de fausse déclaration, incomplète, ou en retard, la taxe pouvait être doublée, voir triplée ou quadruplée en cas de récidive.


Chien pour invalide de guerre
(Jardins de la Fontaine Nîmes – Invalide de la guerre de 1914 – carte postale ancienne Fouillade Nîmes)

A Vallabrix la taxe était de 6 frs pour la première catégorie. Un peu trop cher en 1893 d’où la décision du 15 février de cette année-là de la baisser à 4 frs par chien. Les chiens de cette première catégorie était nombreux, pour la chasse mais aussi parce qu’il était coutumier que les chiens traînent dans les rues à cette époque, attirés par les éviers qui se déversent allègrement dans les passages.

 Les chiens ont beaucoup servi pendant la guerre de 1914-18, tractant des mitrailleuses des wagonnets, portant des trousses de secours et même des munitions et des mines… Est-ce que l’armée payait une taxe pour ces chiens ?

En 1935 le conseil municipal vallabrixois augmente la taxe pour les chiens de 2ème catégorie qui passe de 1 frs à 2 frs sur conseil du préfet. Les chiens de bergers et les gardiens d’habitation sont visés.
A ce jour nous ne savons pas quand cette taxe sera supprimée sur notre commune. La loi de juin 1971 la supprime sur tout le territoire sauf le Bas-Rhin, Haut-Rhin et la Moselle. Elle n'était pratiquement plus exigée depuis une dizaine d'années.


























En 2005 on comptait huit millions de chiens en France. Certains pays (Belgique, Luxembourg, Suisse…) ont encore cette taxe. Chez nous régulièrement nos autorités  en reparlent. En 1999 à  Montpellier, la taxe Toby au poids de l’animal, en 2000 à Paris avec le député Gautier  qui rendait le tatouage obligatoire et la taxe facultative. Tout cela sans suite. Cette taxe récupérée par les communes, permettrait de financer le nettoyage des rues et de responsabiliser les propriétaires d’animaux. Ce serait aussi l’occasion d’un recensement des animaux et des maîtres.

Actuellement, les chiens de travail sont mieux traités et mieux considérés : chien pour handicapé, chien d’avalanche, chien de recherches policières, chiens de traîneau pour touristes…. Même les chiens de chasse ou de garde voient le vétérinaire. L’industrie fait fortune avec les aliments et produits dérivés pour chiens. Mais il y a toujours des exceptions que nous devons dénoncer comme ces élevages industriels de chiens.
Le nombre de chiens de compagnie dans notre village diminue de jour en jour. Les chiens gênent les plus âgés qui veulent voyager une fois à la retraite. Ils nous obligent à marcher pour leur promenade quotidienne, ils laissent des poils partout… Mais on se prive de câlins, de beaux regards, de clowneries..























Taxe sur les chiens 1957 -  Le Toupin – Ampus – (internet)


            
Sources : archives communales de Vallabrix – Petit Code Rural Desliguières et Lambert – BN Galica -  Cartes postales anciennes et documents prêtés amicalement (collection Antoinette Jandreau et Juliette Magneux) – cartes postale Delcampe -www.assembléenationale 1/3/2000 proposition de loi– Blog les Couloirs de Bercy – animalblog internet- Maryvonne Ollivry Paris Match Bêtes de tranchées 2-4-2014-



₪₪₪₪₪₪₪₪₪

Vallabrix Les remparts, maison André Gouffet au fond

mardi 14 novembre 2023

Pleurer des larmes de crocodile

 

Pleurer des larmes de crocodile. © Crédit illustration : Araghorn

Pleurer des lames de crocodile :

Pleurer des larmes de crocodile pour émouvoir son entourage et obtenir quelque chose, qui ne s’y pas essayé, au moins dans sa tendre enfance !!

D’où nous vient cette expression ? Comme toujours pour répondre à cette question, on se replonge dans les auteurs anciens, même antiques. Le célèbre grammairien Pierre-Marie Quitard (1792-1882) nous renvoie aux Grecs et aux Romains. Mais il semble bien que les auteurs de l’Antiquité n’ont rien écrit à ce sujet. Aristote dans son Histoire des Animaux en deux volumes ne fait pas référence à ce stratège crocodilien pour attirer sa proie. L’origine de cette expression serait probablement plus moderne.

Nous la retrouvons dans toutes les langues de l’Europe occidentale, italien, espagnol, portugais, allemand, hollandais, anglais… Donc nous pouvons penser qu’elle s’est répandue grâce à un ouvrage connu dans ces pays où se parlent ces langues. On pense alors au Livre des Merveilles du Monde de Jean de Mandeville.

Ce livre sera reproduit à plus de 250 exemplaires dans dix langues, un exploit pour l’époque. Cet engouement permet de penser qu’un grand nombre de personnes en occident à cette époque considéraient la terre comme sphérique.

Jean de Mandeville de son vrai nom Jean de Bourgogne est un personnage qui mérite tout notre intérêt !! Il décède à  Liège le 17 novembre 1372 après une vie fantasmagorique où réalité, rêves, mensonges, chimères s’entrechoquent. On qualifie ses récits de voyages de « triomphe du merveilleux et du rêve sur la réalité » (Charles Valter ).Mais de toutes évidences, la société a besoin de ce »merveilleux » après une période noire de la peste du 14ème siècle, qui a fait des ravages. Soif de récits, de découvertes, d’ailleurs.

La date de sa mort est parvenue jusqu’à nous grâce au géographe Abraham Orletlius qui trouve son tombeau dans le couvent des Guillemins de Liège. L’épitaphe est la suivante :

 « Ici repose le noble D. Jean de Mandeville, aussi appelé à la barbe, guerrier, seigneur des Champs, né en Angleterre, professeur de médecine très pieux, orateur, et bienfaiteur très généreux des nécessiteux qui, ayant fait le tour du monde, finit sa vie à Liège. L'an du Seigneur 1372, le 17e jour du mois de novembre. ».


Mediathèque d’Arras "Jehan de Mandeville chevalier natif d'Angleterre grand voyageur tant par mer que par terre en plusieurs quartiers du monde, comme se peult veoir par ses escriptz, morut l'an 1372 gist aux Willemins lez la cité de Liege", fol. 267 du Recueil d'Arras –BVMM--

 

Sur la stèle était gravé un portrait de l'homme en armes, portant une barbe fourchue, le pied sur un lion, une main bénissant son visage, avec ces mots en langue vernaculaire7 :

« Vos qui paseis sor mi, pour l’amour deix proïes por mi. »

 

Il était peut-être médecin mais affirmait être un chevalier anglais. Il prétendait avoir voyagé pendant 34 ans en Egypte, dans différents pays d’Asie, de Chine tout en admettant n’avoir pas été au-delà de la Palestine. Il serait parti le jour de la Saint-Michel en septembre 1322. A son retour en 1356 il raconte avoir été mercenaire au service du sultan en lutte contre les Bédouins. Il aurait servi quinze années dans l’armée du grand Khan.. Dans son Livre des Merveilles il s’inspire du livre de Marco Polo pour les parties au-delà de la Palestine. Il est admis maintenant que ses récits de voyages sont largement imaginaires et on parle même de plagiats.

Dans son ouvrage, il décrit la Terre Sainte et les différents itinéraires qui y conduisent.  L’Asie, Asie Mineure, Asie centrale, Inde, Chine, îles de l’océan Indien, ainsi que d’une petite partie de l’Afrique, Afrique du Nord, Libye, Éthiopie y sont décrites, dessinées, rêvées, révélées au lecteur…

 Marie-Hélène Tesnière : « L'originalité réside moins dans ce qu'il dit, l'auteur n'étant probablement jamais allé au-delà du Proche-Orient, que dans le travail de réécriture qu'il suppose, à partir d'une vingtaine de sources ».

C’est dans ce contexte qu’arrive notre crocodile : « En Afrique, au pays des Egyptians, proche la seconde cataracte du Nil, habitent, parmi les roseaux, d’énormes lézards de trois toises et plus de longueur, de figures difformes et de mœurs sanguinaires, dont le seul métier est, quand ils ne dorment pas étendus au soleil sur la vase chaude, de guetter les hommes et les animaux qui se hasardent sur les bords du fleuve, pour s’en saisir et les dévorer. 

« Nonobstant leur aspect farouche, leur voracité insatiable, et la dureté telle de leurs écailles que point ne sauroit la percer un robuste archer de son vireton le plus aigu, ces animaux féroces sont pourvus d’une sensibilité exquise ; à ce point que souventes fois les ai moi-même ouys geignants ou se lamentants es rozeaux, poussants des sanglots qui semblent mugissement de bœufs, et versants, ainsi qu’il m’a été assuré, larmes qui jaillissent du pertuis de leurs yeux, comme de pommes d’arrosoirs. »

« Maintes foys, continue le naïf conteur, au dire de mes guides, gens réputés pour leur prud’homie et leur grande honnêteté, aucuns voyageurs, trompés par l’effusion de ces larmes, et s’assurant que tant de gémissements ne pouvoient provenir que de coeurs vrayment marris de tant de crimes et assassinats, s’estant voulu approchier des pélunques èsquelles se tiennent ces grands lézards, furent eux-mêmes saysis et méchamment dévorés par ces traîtres et hypocrites qui pleurent non par douleur vraye de leurs péchiés, mais par feintise pour engaigner les trop crédules, et bien et commodément se remplir le ventre en les dévorant. »

Voici probablement l’origine de cette expression « pleurer de larmes de crocodile !!

 Vision du Paradis terrestre Jean de Mandeville Voyages Le Livre des Merveilles Paris 1410-1416

 

 

Et notre Mandeville ? Il a probablement séjourné en Egypte si on regarde de près ses textes. Pour ce qui concerne les autres voyages, il décrit des terres vues par d’autres : il reproduit les déformations habituelles des géographes du Moyen Age ajoutées à la compilation d’ouvrages de réels voyageurs dominicains ou franciscains. On trouve aussi dans ses textes des références aux classiques de la littérature antique (Pline le jeune, Solinus…).

Son Livre des Merveilles est construit sur un canevas fourni par les deux plus récents récits de voyage dont il disposait au moment de sa rédaction, en 1356 : le Liber de quibusdam ultramarinis partibus du voyageur dominicain Guillaume de Boldensele (vers 1285 - vers 1338) et la Descriptio orientalium partium du missionnaire franciscain Oderic de Pordenone (vers 1286 - 1331), tous deux datant des années 1330.

Néanmoins, l’oeuvre de Mandeville témoigne d’un état de la science géographique au milieu du XIVe siècle, et tandis que la première version imprimée date de 1478, il existait déjà 35 éditions de son récit en 1501, attestant l’influence considérable de ce dernier. Martin Behaim le cite longuement dans les notices de son célèbre globe, on assure qu’il a été utilisé par Christophe Colomb et Martin Frobisher l’emporte dans son expédition à la recherche du passage du Nord-Est en 1576. On pourrait citer une longue suite de notices louangeuses écrites entre la fin du XIVe et celle du XVIIe siècle sur ce chevalier savant, polyglotte, curieux de tout, qui avait parcouru « l’universel monde » en véritable Ulysse des temps modernes.


Frontispice de l’édition de 1371 du Livre des Voyages. De morbo epidemiae, traduction française
sous le titre Préservation de Epidémie (Volume 1), manuscrit français NAF 4515 de la BnF
composé par Jean de Mandeville en 1371

 

Sources et pour en savoir plus :  Jean de Mandeville, Voyages, Manuscrit BNF, 1371 (lire en ligne [archive])----Voyage autour de la Terre (Trad. et comm. par Ch. Deluz, 1993), éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à Livres, XXVIII + 301 p. (ISBN 2-251-33919-1)--- wikipedia.org--- La France Pittoresque  « Le Courrier de Vaugelas » paru en 1874 et « Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres » paru en 1989)Publié / Mis à jour le VENDREDI 15 SEPTEMBRE 2023, par REDACTION--- Jean de Mandeville, Le Livre des merveilles du monde, édition critique par Christiane Deluz Paris, Éditions du CNRS, 2000 (Coll. Sources d'Histoire Médiévale, 31)--- /journals.openedition.org/medievales/956---

 

 

 

samedi 4 novembre 2023

Canicule

 

 

La chaleur à Paris en 1911 (groupe de personnes se faisant servir de l’eau
près d’une fontaine Wallace). © Crédit photo : Agence Rol

 

Juillet 1911, la France suffoque

Nous avons périodiquement des vagues de chaleur en juillet. Rien à voir avec ce que nous avons subi cette année. Celle de juillet 1911 fera date !Sécheresse, températures anormalement élevées, du 5 juillet au 13 septembre 1911 sur toute l’Europe et probablement un surplus de 46 719 morts, dont 30 000 dans la petite enfance. Un intense débat s'engagera en France sur l'hygiène infantile, nourriture, langes, hydratation, nourrices…. Une vague de chaleur qui compte parmi les plus longues de l’Histoire.

Elle fait la Une des journaux, mais surtout elle marque notre peu d’adaptation. Articles de presse alarmant ou rassurant, ironiques, fatalistes, nous ne comprenons pas ce qui ce passe. Chaleur sénégalaise !!

Cette chaleur s’installe chez nous début juillet, excessive. Claude Berton journaliste au Gil Blas du 9/7/1911 écrit : « Paris compte depuis quelques jours une voyageuse inattendue et dont la visite l’a fort surpris, une voyageuse venue de très loin : la vague de chaleur. En arrivant, elle tombe des nues cette fille des tropiques apportant dans les plis de sa robe ces deux enfants : le siroco et le simoun….. elle est encombrante, envahissante, indiscrète, partout elle pénètre, elle s’insinue, elle se glisse, et sa présence pesante, alourdissante, migraineuse, se fait sentir, s’impose impérieusement. Personne et rien ne lui échappe ».

« . Elle fait haleter dans la rue les pauvres chevaux recrus de fatigue et en même temps elle essouffle les moteurs des autos qui chauffent et ne peuvent refroidir leur circulation d’eau, elle fait éclater les pneus et craquer les vieux meubles. Les très anciens bois réchauffés croient sentir tout d’un coup la sève remontée en eux ; ils se dilatent de joie et, crac ! ils se fendent. Les femmes la haïssent cette révélatrice des teints artificiels, des teintures et des fards, cette empêcheuse de mettre des corsets trop étroits et des chaussures trop justes et des gants trop serrés. Elle est brutale avec les dames, comme ces assistantes des douanes commises à la fouille des femmes : « Allons, ma petite, ne mets pas tant de noir autour de tes yeux, il fondra et tu auras l’air de pleurer du cirage. Un corset cuirassé ? Tu es folle. Tes petits souliers, tes gants à la pointure étroite ?... Folle ! folle ! tu ne pourras ni respirer, ni marcher, ni faire un mouvement. Il faut t’habiller à la forme de ton corps et non à la forme de la mode ». Elle passe aux terrasses des cafés et les gros hommes buvant la saluent de cet axiome : « Je marche, donc je sue »…. Elle vide les maisons de leurs habitants qui viennent dans les rues pour la fuir. Mais dans les rues, ils la retrouvent encore. Elle fait vaciller sur sa base la glace que le maître d’hôtel grave présente aux convives, rouge comme un homard cuit ; elle sèche les fleurs du surtout ; elle donne aux meilleurs vins une tiédeur écœurante, et quand elle n’est pas un sujet de conversation, elle ralentit les propos et les rend déliquescents et vagues comme la crème des petits fours dont elle fond le granité et dont elle fait transsuder le beurre et le sucre. Elle fait tourner les sauces et elle fripe, casse et ramollit les cols et les plastrons les plus blancs et les plus rigides.

Elle rôtit le couvreur sur son toit, le batelier dans sa barque, l’arroseur lui-même qui croit la combattre avec sa lance. Elle endort les gardiens de musées, les sergents de ville en faction, les midinettes à leur travail, et même sur les fortifs, les bandits vautrés dans l’herbe, ferment leurs yeux, cédant à son invincible torpeur…. »--« la grande rôtisseuse, la grande cuisinière de la nature. Je rôtis, je grille, je rissole, je fais bouillir, mitonner, braiser, votre nourriture, vos grains, vos fruits, vos légumes, et la pâture de vos animaux. L’immense menu que la Providence vous dispense, c’est moi qui suis chargée de vous le servir à point. C’est votre vie que je réchauffe. »

Notre mode de vie de l’époque, notre façon de nous habiller ne font pas bon ménage avec la canicule ; vêtements amidonnés, corsets, costumes masculins… Nourritures grasses, alcools, villes aux appartements et rues étroits, air vicié par les fermentations des égouts… et en campagne, les prés jaunis, les cours d’eau au plus bas…

Fin juillet, la vague de chaleur s’est enracinée. On enregistre 40 degrés à l’ombre le 23 à Paris. Les 22 et 23 juillet, 38 °C sont observés à LyonBordeaux et Châteaudun.

 

Canicule dans les rues de Paris en juillet 1911

Le chroniqueur scientifique Max de Nasouly du journal Les Annales Politiques et littéraires du 30  juillet 1911 ne juge pas cette chaleur anormale. Les maxima à Paris se produisent presque toujours en juillet et août, de 36,1 à 39 degrés. Lors de l’Exposition Universelle de 1900 se fut le cas. Température excessive, inconfortable mais habituelle… C’est sa persistance qui est surprenante. « La façon systématique avec laquelle soufflèrent en juin les vents d’Est, du Nord-Est et du Nord, devait nous faire prévoir que l’on ne pouvait éviter, en juillet, une grande sécheresse ; et cela, aux approches de la canicule, fixée, depuis l’antiquité, vers le 20 juillet, et dont les anciens disaient : Bibit ardens Canis (Le Chien céleste est assoiffé). »

« Depuis le 2 juillet, date à laquelle on reçut quelques ultimes gouttes de pluie, jusqu’au 23 du mois, l’arrosage céleste a été interrompu. Il convient de constater, d’ailleurs, que la quantité de pluie tombée depuis le 1er janvier en 1911, est de 202 millimètres, alors que la normale, la moyenne, aurait dû être de 303 millimètres. C’est donc bien la sécheresse : mais ne nous exclamons pas trop ! Au grand courant « à base d’Est » que nous venons de supporter succédera logiquement un « courant d’Ouest » compensateur ; il faudra bientôt probablement consoler les gens de ne pouvoir sortir sans parapluie. Attendons un peu et méfions-nous du « virage météorologique ».

 

Les méfaits de la chaleur : une victime de l’insolation. Illustration de couverture
du Petit Journal : supplément illustré du 13 août 1911


Une nouvelle vague de chaleur en août après une brève accalmie. A Paris à midi sur le boulevard, 47 degrés, à trois heures, 37 degrés, 14 jours à plus de 30 degrés dans la capitale.

Septembre, après une nouvelle accalmie, la chaleur est à nouveau là. Le 10 septembre dans le Petit Parisien, un article mentionne 35,6 à l’ombre. L’observatoire de Montsouris enregistre la même température. La moyenne thermométrique a été supérieure de 8,4 degrés à la normale.

La fatigue est là. Deux ou trois jours de forte chaleur  sont supportables. Mais lorsque le thermomètre s’obstine, et que les nuits sont sans fraicheur, nous ne comprenons plus. La dépression n’est pas loin. Perte d’appétit, d’énergie physique, on ronchonne,….C’est d’ailleurs la même chose en cas de froid excessif et persistant.

Même en ayant conscience de l’imprécision des instruments de mesure de l’époque, nous sommes bien obligés de conclure que ce supplice thermique est anormal. (1872 ? autre canicule enregistrée mais à l’époque, « l’abri météo », la boîte blanche qui accueille le thermomètre, était entrouverte et orientée au nord. D’où un risque de réverbération du soleil, faisant monter le mercure.) L’académicien Jules Claretie y va de son article :

« Dame Nature est ironique et se moque des créatures. Elle les gèle en hiver, elle les étouffe en été. C’est une mère qui tourne facilement à la marâtre. Barbey d’Aurevilly, qui aimait ce vieux mot, eût dit volontiers : « C’est une « bourrelle ».

Les conseils politiques ou qui se veulent pratiques pleuvent. Ces docteurs d’occasion commandent de rester chez soi aux heures chaudes, de ne sortir que le soir, prendre les choses comme elles viennent… Mais l’ouvrier, le paysan doivent bien travailler, les mères de familles doivent faire bouillir la marmite !! Prendre le frais sous les platanes, ou au parc, c’est réservé à certains et pas à d’autres.

« 8, impasse Mortagne, dans le onzième arrondissement, quarante à cinquante locataires sont obligés de passer leurs nuits sur le trottoir », photo parue dans le Journal le 14 août 1911 - source : RetroNews-Bnf

Cette année-là, on chercha des explications : El Nino qui débute en mai 1911 et persiste jusqu’en 1913, la vague de chaleur sur les Etats-Unis avant de venir chez nous…Les « taches du Soleil », qui ont été observées depuis longtemps par notre éminent maître Camille Flammarion et par l’abbé Moreux…. Déjà en 1870 puis en 1884, une vague de chaleur inexplicable déferla sur le pays.

Maintenant les scientifiques se demandent si l’emploi massif de la lignite au 19ème siècle comme source d’énergie n’est pas une des causes de ce réchauffement climatique. En effet, la machine à vapeur entre en masse dans l’industrie, les logements, chez les artisans, dans le transport (bateaux, chemins de fer….), la pollution industrielle chimique, minière serait aussi incriminée dans une société non préparée à de tels dangers.


Paris pendant la canicule de 1884 : place du Théâtre-Français.
Illustration de couverture du Monde illustré du 23 août 1884

 

Sources et pour en savoir plus : /www.geo.fr/histoire/canicule-a-lete-1911-cette-vague-de-chaleur-qui-a-fait-plus-de-40000-morts-210946--- sciencepost.fr/ete-1911-la-canicule-fait-plus-de-40-000-morts-en-france/ ---- lesavoirperdudesanciens.com/2018/08/ete-1911-la-canicule-a-fait-plus-de-40-000-morts-en-france/----D’après « Gil Blas » des 9 juillet et 10 août 1911,--« Les Annales politiques et littéraires » des 30 juillet et 20 août 1911et « Le Petit Parisien » du 10 septembre 1911)Publié / Mis à jour le JEUDI 17 AOÛT 2023, par REDACTION La France Pittoresque—wikipédia.org-- Catherine Rollet, « La canicule de 1911. Observations démographiques et médicales et réactions politiques [1] » [archive], sur Annales de démographie historique n°120, 2010 (consulté le 7 août 2018)