samedi 4 novembre 2023

Canicule

 

 

La chaleur à Paris en 1911 (groupe de personnes se faisant servir de l’eau
près d’une fontaine Wallace). © Crédit photo : Agence Rol

 

Juillet 1911, la France suffoque

Nous avons périodiquement des vagues de chaleur en juillet. Rien à voir avec ce que nous avons subi cette année. Celle de juillet 1911 fera date !Sécheresse, températures anormalement élevées, du 5 juillet au 13 septembre 1911 sur toute l’Europe et probablement un surplus de 46 719 morts, dont 30 000 dans la petite enfance. Un intense débat s'engagera en France sur l'hygiène infantile, nourriture, langes, hydratation, nourrices…. Une vague de chaleur qui compte parmi les plus longues de l’Histoire.

Elle fait la Une des journaux, mais surtout elle marque notre peu d’adaptation. Articles de presse alarmant ou rassurant, ironiques, fatalistes, nous ne comprenons pas ce qui ce passe. Chaleur sénégalaise !!

Cette chaleur s’installe chez nous début juillet, excessive. Claude Berton journaliste au Gil Blas du 9/7/1911 écrit : « Paris compte depuis quelques jours une voyageuse inattendue et dont la visite l’a fort surpris, une voyageuse venue de très loin : la vague de chaleur. En arrivant, elle tombe des nues cette fille des tropiques apportant dans les plis de sa robe ces deux enfants : le siroco et le simoun….. elle est encombrante, envahissante, indiscrète, partout elle pénètre, elle s’insinue, elle se glisse, et sa présence pesante, alourdissante, migraineuse, se fait sentir, s’impose impérieusement. Personne et rien ne lui échappe ».

« . Elle fait haleter dans la rue les pauvres chevaux recrus de fatigue et en même temps elle essouffle les moteurs des autos qui chauffent et ne peuvent refroidir leur circulation d’eau, elle fait éclater les pneus et craquer les vieux meubles. Les très anciens bois réchauffés croient sentir tout d’un coup la sève remontée en eux ; ils se dilatent de joie et, crac ! ils se fendent. Les femmes la haïssent cette révélatrice des teints artificiels, des teintures et des fards, cette empêcheuse de mettre des corsets trop étroits et des chaussures trop justes et des gants trop serrés. Elle est brutale avec les dames, comme ces assistantes des douanes commises à la fouille des femmes : « Allons, ma petite, ne mets pas tant de noir autour de tes yeux, il fondra et tu auras l’air de pleurer du cirage. Un corset cuirassé ? Tu es folle. Tes petits souliers, tes gants à la pointure étroite ?... Folle ! folle ! tu ne pourras ni respirer, ni marcher, ni faire un mouvement. Il faut t’habiller à la forme de ton corps et non à la forme de la mode ». Elle passe aux terrasses des cafés et les gros hommes buvant la saluent de cet axiome : « Je marche, donc je sue »…. Elle vide les maisons de leurs habitants qui viennent dans les rues pour la fuir. Mais dans les rues, ils la retrouvent encore. Elle fait vaciller sur sa base la glace que le maître d’hôtel grave présente aux convives, rouge comme un homard cuit ; elle sèche les fleurs du surtout ; elle donne aux meilleurs vins une tiédeur écœurante, et quand elle n’est pas un sujet de conversation, elle ralentit les propos et les rend déliquescents et vagues comme la crème des petits fours dont elle fond le granité et dont elle fait transsuder le beurre et le sucre. Elle fait tourner les sauces et elle fripe, casse et ramollit les cols et les plastrons les plus blancs et les plus rigides.

Elle rôtit le couvreur sur son toit, le batelier dans sa barque, l’arroseur lui-même qui croit la combattre avec sa lance. Elle endort les gardiens de musées, les sergents de ville en faction, les midinettes à leur travail, et même sur les fortifs, les bandits vautrés dans l’herbe, ferment leurs yeux, cédant à son invincible torpeur…. »--« la grande rôtisseuse, la grande cuisinière de la nature. Je rôtis, je grille, je rissole, je fais bouillir, mitonner, braiser, votre nourriture, vos grains, vos fruits, vos légumes, et la pâture de vos animaux. L’immense menu que la Providence vous dispense, c’est moi qui suis chargée de vous le servir à point. C’est votre vie que je réchauffe. »

Notre mode de vie de l’époque, notre façon de nous habiller ne font pas bon ménage avec la canicule ; vêtements amidonnés, corsets, costumes masculins… Nourritures grasses, alcools, villes aux appartements et rues étroits, air vicié par les fermentations des égouts… et en campagne, les prés jaunis, les cours d’eau au plus bas…

Fin juillet, la vague de chaleur s’est enracinée. On enregistre 40 degrés à l’ombre le 23 à Paris. Les 22 et 23 juillet, 38 °C sont observés à LyonBordeaux et Châteaudun.

 

Canicule dans les rues de Paris en juillet 1911

Le chroniqueur scientifique Max de Nasouly du journal Les Annales Politiques et littéraires du 30  juillet 1911 ne juge pas cette chaleur anormale. Les maxima à Paris se produisent presque toujours en juillet et août, de 36,1 à 39 degrés. Lors de l’Exposition Universelle de 1900 se fut le cas. Température excessive, inconfortable mais habituelle… C’est sa persistance qui est surprenante. « La façon systématique avec laquelle soufflèrent en juin les vents d’Est, du Nord-Est et du Nord, devait nous faire prévoir que l’on ne pouvait éviter, en juillet, une grande sécheresse ; et cela, aux approches de la canicule, fixée, depuis l’antiquité, vers le 20 juillet, et dont les anciens disaient : Bibit ardens Canis (Le Chien céleste est assoiffé). »

« Depuis le 2 juillet, date à laquelle on reçut quelques ultimes gouttes de pluie, jusqu’au 23 du mois, l’arrosage céleste a été interrompu. Il convient de constater, d’ailleurs, que la quantité de pluie tombée depuis le 1er janvier en 1911, est de 202 millimètres, alors que la normale, la moyenne, aurait dû être de 303 millimètres. C’est donc bien la sécheresse : mais ne nous exclamons pas trop ! Au grand courant « à base d’Est » que nous venons de supporter succédera logiquement un « courant d’Ouest » compensateur ; il faudra bientôt probablement consoler les gens de ne pouvoir sortir sans parapluie. Attendons un peu et méfions-nous du « virage météorologique ».

 

Les méfaits de la chaleur : une victime de l’insolation. Illustration de couverture
du Petit Journal : supplément illustré du 13 août 1911


Une nouvelle vague de chaleur en août après une brève accalmie. A Paris à midi sur le boulevard, 47 degrés, à trois heures, 37 degrés, 14 jours à plus de 30 degrés dans la capitale.

Septembre, après une nouvelle accalmie, la chaleur est à nouveau là. Le 10 septembre dans le Petit Parisien, un article mentionne 35,6 à l’ombre. L’observatoire de Montsouris enregistre la même température. La moyenne thermométrique a été supérieure de 8,4 degrés à la normale.

La fatigue est là. Deux ou trois jours de forte chaleur  sont supportables. Mais lorsque le thermomètre s’obstine, et que les nuits sont sans fraicheur, nous ne comprenons plus. La dépression n’est pas loin. Perte d’appétit, d’énergie physique, on ronchonne,….C’est d’ailleurs la même chose en cas de froid excessif et persistant.

Même en ayant conscience de l’imprécision des instruments de mesure de l’époque, nous sommes bien obligés de conclure que ce supplice thermique est anormal. (1872 ? autre canicule enregistrée mais à l’époque, « l’abri météo », la boîte blanche qui accueille le thermomètre, était entrouverte et orientée au nord. D’où un risque de réverbération du soleil, faisant monter le mercure.) L’académicien Jules Claretie y va de son article :

« Dame Nature est ironique et se moque des créatures. Elle les gèle en hiver, elle les étouffe en été. C’est une mère qui tourne facilement à la marâtre. Barbey d’Aurevilly, qui aimait ce vieux mot, eût dit volontiers : « C’est une « bourrelle ».

Les conseils politiques ou qui se veulent pratiques pleuvent. Ces docteurs d’occasion commandent de rester chez soi aux heures chaudes, de ne sortir que le soir, prendre les choses comme elles viennent… Mais l’ouvrier, le paysan doivent bien travailler, les mères de familles doivent faire bouillir la marmite !! Prendre le frais sous les platanes, ou au parc, c’est réservé à certains et pas à d’autres.

« 8, impasse Mortagne, dans le onzième arrondissement, quarante à cinquante locataires sont obligés de passer leurs nuits sur le trottoir », photo parue dans le Journal le 14 août 1911 - source : RetroNews-Bnf

Cette année-là, on chercha des explications : El Nino qui débute en mai 1911 et persiste jusqu’en 1913, la vague de chaleur sur les Etats-Unis avant de venir chez nous…Les « taches du Soleil », qui ont été observées depuis longtemps par notre éminent maître Camille Flammarion et par l’abbé Moreux…. Déjà en 1870 puis en 1884, une vague de chaleur inexplicable déferla sur le pays.

Maintenant les scientifiques se demandent si l’emploi massif de la lignite au 19ème siècle comme source d’énergie n’est pas une des causes de ce réchauffement climatique. En effet, la machine à vapeur entre en masse dans l’industrie, les logements, chez les artisans, dans le transport (bateaux, chemins de fer….), la pollution industrielle chimique, minière serait aussi incriminée dans une société non préparée à de tels dangers.


Paris pendant la canicule de 1884 : place du Théâtre-Français.
Illustration de couverture du Monde illustré du 23 août 1884

 

Sources et pour en savoir plus : /www.geo.fr/histoire/canicule-a-lete-1911-cette-vague-de-chaleur-qui-a-fait-plus-de-40000-morts-210946--- sciencepost.fr/ete-1911-la-canicule-fait-plus-de-40-000-morts-en-france/ ---- lesavoirperdudesanciens.com/2018/08/ete-1911-la-canicule-a-fait-plus-de-40-000-morts-en-france/----D’après « Gil Blas » des 9 juillet et 10 août 1911,--« Les Annales politiques et littéraires » des 30 juillet et 20 août 1911et « Le Petit Parisien » du 10 septembre 1911)Publié / Mis à jour le JEUDI 17 AOÛT 2023, par REDACTION La France Pittoresque—wikipédia.org-- Catherine Rollet, « La canicule de 1911. Observations démographiques et médicales et réactions politiques [1] » [archive], sur Annales de démographie historique n°120, 2010 (consulté le 7 août 2018)

 

 

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