mardi 28 février 2023

Femme Fragile: ? La Livreuse de Charbon

 

Femme fragile ? La Livreuse de Charbon

Une photographie de 1917 dans les trésors de Gallica la bibliothèque numérique de la BNF.



(agence Rol Marcel Rol --BNF--Historia www.historia.fr/sites/historia.fr/files/media/u44)

 

Nous sommes en pleine guerre de 1914-1918. Les hommes sont soldats ou blessés, morts. Les femmes doivent assurer les besoins de leur famille. Elles travaillent à la place des mobilisés, de l’usine à la ferme.

Nous les retrouvons dans des métiers théoriquement exclusivement masculins : bouchers, conducteurs de bus ou d’ambulance, cordonniers, livreurs de charbon. 

Il faut se rappeler qu’à cette époque on se chauffe au bois et au charbon dans des poêles ou dans des cheminées. En ville, dans les immeubles lorsqu’ils sont équipés d’ascenseur, les concierges veillent au grain : les ascenseurs sont réservés aux personnes et pas aux marchandises surtout salissantes !! Donc les livraisons se font par les escaliers…. Les sacs de charbon pesaient autour de 50 kg et les immeubles pouvaient avoir jusqu'à cinq étages avec des escaliers de service peu commodes. Et le charbon était une denrée rare, contrôlée par l’Etat, donc nécessité faisait loi !!

Dans cette guerre, l'économie du pays a tenu un peu près grâce en partie aux femmes.... Au retour de la paix on ne s'en souviendra pas toujours, mais l'élan était lancé ...

 

 

vendredi 24 février 2023

Un loup chez nous ?

 

Dernièrement à Collias, près de chez nous les chasseurs ont repéré une empreinte qui pourrait bien être celle d'un loup. (Le Républicain d'Uzès et du Gard n°3926-3927-22/29 déc 2022)





Cela nous rappelle un "bien fâcheux événement" survenu au milieu du 19ème siècle

Un bien"fâcheux événement" :

 

Le Journal des Débats du 21 juillet 1850 reprend une information du Journal d'Uzès du 12 juillet de la même année : "un bien fâcheux événement : une énorme louve enragée a porté dans la nuit dernière et dans la matinée d'aujourd'hui l'effroi et la destruction à Montaren, La Capelle, St Hippolyte, St Siffret, Vallabrix et Pouzilhac qu'elle a parcouru comme un éclair mordant gens et bêtes qu'elle rencontrait dans sa course vagabonde. Le sieur Simon Jourdan restant au mas de Pamery près de Pouzilhac apprend vers neuf heures du matin que le féroce animal s'est dirigé dans une prairie où son jeune frère gardait une ânesse. Jourdan ne consulte que son courage prend son fusil court à la prairie y rencontre l'animal qui vient droit à lui la gueule béante. Mais il l'attend de pied ferme et 2 ou 3 mètres de distance seulement il lâche la détente de son arme et la louve tombe. Que Jourdan récolte nos félicitations pour cet acte de courage et le mal immense qu'il a prévenu.

 

Le sieur Jourdan est bientôt arrivé avec sa capture à Uzès et y a reçu de l'autorité compétente les félicitations les plus flatteuses, les acclamations de la presque totalité de la population d'Uzès et notamment la reconnaissance des nombreuses victimes de la bête qui arrivaient en charrettes, en mulets, ou à pied pour se faire panser chez le docteur Chabanon qui a prodigué ses soins les plus prompts et les plus assidus aux blessés ; après quoi il est partit pour aller porter secours à ceux qui trop maltraités n'ont pu venir les chercher à son domicile "...
Le docteur Chabanon médecin à l'Hôpital d'Uzès va suivre les personnes mordues, 23 au total et nous laisser une trace historique et scientifique très intéressante. La louve passe d'abord vers 20 h à Montaran où elle blesse 2 personnes, puis 22 h elle est à St Siffret faisant un blessé. Elle enchaîne à 23 h 30 à Pouzilhac avec 3 blessés, à minuit St Hippolyte, un blessé Une heure après elle est chez nous à Vallabrix et là nous devons déplorer 8 personnes blessées, 6 adultes et 2 enfants, des moutons, des chiens, un cheval. Une demi-heure après elle mord une personne au hameau du Moutet. A 2h du matin elle est à Masmolène, 1 blessé. La Capelle la  verra à 2 h 30, 2 blessés. Paméry déplorera 4 victime à 3 h et la louve finira sa vie entre ce village et Pouzilhac. 


Nous voyons, si les faits rapportés n'ont pas été exagérés, la grande rapidité de la bête.
Dans notre village elle a le temps en venant de St Hippolyte et en allant au Moutet dans l'espace d'une demi-heure de frapper 8 personnes, plus les animaux qu'elle a blessés !! Il est vrai qu'en ce mois de juillet, les gens dorment souvent dehors à la fraîche sur les terrasses, sous le figuier du jardin, sur l'aire de battage, nous dit le médecin.


Le docteur Chabanon écrit dans sa relation des faits que "les morsures sont faites avec une telle rapidité qu'ils (les blessés) s'en aperçurent pour ainsi dire à peine, étant si subitement troublé dans leur sommeil"... Des 23 blessés, un seul survécut au fléau.

(Illustration Le Livre de la Jungle R. Kipling édition 1895)



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mardi 14 février 2023

Bédoin l'Infâme

 


Bédoin l’Infâme :

Bédoin est un petit village au pied du Mont Ventoux. Lavande, tilleuls, cigales, tout respire la paix, la sérénité. Pourtant un drame a endeuillé ce bourg en1794.

A cette époque Bédoin compte autour de 2700 habitants. La France est plongée dans un climat de terreur depuis les massacres de septembre 1792 et la loi des suspects de septembre 1793. On emprisonne, on guillotine à tout-va.

A Bédoin, les habitants sont restés très attachés au Pape malgré le rattachement du comté du Venaissin à la République en 1791. Ils acceptent mal les changements dus aux bouleversements politiques. Peut-être un foyer contre-révolutionnaire ? Tout au moins un foyer royaliste qui lui vaut le surnom de « Vendée du Midi ».

Depuis novembre 1793 le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône sont en guerre contre-révolutionnaire, guerre larvée. Marseille y perd temporairement son nom de janvier à février 1792 à la suite d’une révolte contre la Convention.


Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826). "Plantation d'un arbre de la Liberté". Gouache sur carton découpé collé sur une feuille de papier lavée de bleu. Paris, musée Carnavalet.

Cependant jusqu’en 1794, le village de Bédoin est relativement calme. Mais dans la nuit du 1er au 2 mai 1794,( 12 au 13 floréal  an II)  l’arbre de la Liberté planté deux ans auparavant, est arraché, les décrets de la Convention affichés devant la maison commune sont traînés dans la boue et retrouvés au matin près de la fontaine à côté de la porte Saint-Jean. L’arbre est abandonné au pied des remparts dans le « pré aux porcs ». Le bonnet phrygien qui le surmontait est jeté dans un puits !!

L’affaire demande des sanctions exemplaires. L’administration d’Orange et de Carpentras nomme un certain Etienne-Christophe Maignet représentant du Gouvernement révolutionnaire pour les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Celui-ci délègue l’agent national Le Go accompagné du 4ème Bataillon de l’Ardèche basé à Carpentras commandé par Louis-Gabriel Suchet. Le 5 mai avant le lever du jour, les soldats occupent le village.

Le 14 floréal Maignet prend un arrêté imprimé à 12 000 exemplaires aux frais de Bédoin affichés dans les département du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône par lequel il ordonne d’indiquer les coupables.

Maignet saisit probablement ce prétexte pour faire un exemple dans le Comtat où les contre-révolutionnaires sont nombreux, essentiellement issus de la petite noblesse et des notables installés. Il s’était fait remarquer lors du siège de Lyon et des répressions des insurrections fédéralistes. Il est lui-même avocat, député, fils de notaire, un personnage ambigu, maniant sévérité et une certaine préservation des grandes villes comme Lyon et Marseille. A Avignon il se met en chasse des « bandes noires »,  une coalition d'influences locales et de notabilités, protégée par  « Jourdan Coupe-Tête ». A Marseille il souffle le froid et le chaud. Il s’en prend aux cimetières mais redonne son nom à la ville dans un souci d’apaisement :

 « Considérant que l'homme en paraissant sur la terre y vient sans préjugé et, qu'en la quittant il ne doit laisser aucune trace de ceux qui ont pu l'assiéger pendant sa vie, ordonne d'enlever des cimetières tous tableaux, peintures ou inscriptions capables d'alimenter le fanatisme, et d'inscrire ces seuls mots sur la porte d'entrée : « Silence, ils reposent ! »

A Bédoin, première mesure, les membres de la municipalité n’ont pas fait enfermer les nobles de la commune : ils sont arrêtés. Les militaires vivent chez les habitants comme c’était l’habitude avant la Révolution, (les mauvaises habitudes ne se perdent pas). On presse les habitants de dénoncer les coupables, on vol, on viole, on détruit…On perquisitionne, on profane les objets de culte, la flèche du clocher est renversée, les maisons sont pillées… Les conseillers municipaux, les nobles, les prêtres et autres notables sont paqués dans l’église. En vain…

Extraits de l'arrêté du 17 floréalII :

.. » que le sort de l’ancienne Sodome étant réservé à l’infâme Bédoin, il faut à l’exemple de l’Etre Suprême avertir le juste qui pourroit s’y trouver, d’abandonner ses frères corrompus, et de venir à nous pour nous faire connoître les coupables et les égarés »…

« Considérant que la justice ne saurait donner trop d’éclat à la vengeance nationale dans la punition du crime abominable qui s’est commis à BEDOUIN que ce n’est qu’en frappant sur le lieu même où il a été commis […] que l’on pourra porter l’épouvante dans l’âme de ceux qui oseraient encore méditer de nouveaux attentats […]
« Ordonne que le Tribunal criminel du département de Vaucluse […] se transportera dans le plus court délai à BEDOUIN, pour y instruire la procédure et y faire exécuter de suite le jugement qu’il rendra ».

Cet arrêté ordonne « que le pays qui a osé renverser le siège auguste de la Liberté est un pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire ».

Alors, furieux Maignet menace de brûler le village et le 21 floréal (10 mai) le tribunal criminel d’Orange arrive à Bédoin avec la guillotine. Le procès doit montrer le bon exemple. Les charges retenues contre les accusés sont de l’ordre de « négligences coupables », « parent d’émigré »… On enquête sur les relations sociales et familiales de tout un chacun, on creuse les moindres détails… Déjà lors du rattachement du comté du Venaissin à la France en 1791 des troubles avaient eu lieu dans le village. Les conseillers municipaux penchaient vers le fédéralisme en 1793. On reproche aussi à la municipalité, tenue par des Jacobins, des abus de pouvoir et le peu de zèle lors du déclenchement de l’affaire. Maignet qualifie le village d’être « en état de contre-révolution ».

Bref la cause était entendue dès le début du procès.

Le 28 mai (9 prairial), le tribunal est installé sur la grande place en plein air, là où se tenait l’arbre de la liberté. 130 personnes sont arrêtées !!


(archives du Vaucluse)

Les condamnations : 63 personnes à mort dont 8 femmes, la plus jeune a 19ans, 2 religieuses, 10 « mis hors la loi », un condamné aux fers, 13 à la réclusion et 1 à un an de détention. 52 sont remises en liberté mais soumises à l’arrêté du 17 floréal. Parmi les 63 condamnés à mort, le maire, des membres du comité de surveillance de la Garde  Nationale, des nobles, des prêtres réfractaires, des notables… Quatre femmes sur les 130 personnes refusent de porter la cocarde au tribunal, bien que le port en soit obligatoire depuis le décret du 14 germinal an 1 (3avril 1793) et feront l’objet d’une ordonnance spéciale.

Les exécutions ne peuvent avoir lieu qu’avec l’accord de la Convention à Paris. L’autorisation n’arrive que le 26 mai (7 prairial). Trois longues semaines que la troupe est arrivée et en action dans le village. Mais dès le 23 mai les deux prêtres sont guillotinés, le 28 mai c’est le tour des autres condamnés à mort.

35 des condamnés sont guillotinés mais pour aller plus vite et l’odeur devenant insupportable, les 28 autres sont fusillés. (ou 16 et 47 selon les sources). Une fosse commune sur la route de Flassans a été creusée à la hâte pour recevoir les corps dénudés.

Cela ne suffit pas à Maignet qui ordonne de faire disparaitre le village en l’incendiant. Les 3 et 4  juin, l’église, la mairie, le château, les moulins à huile, les magasins de soie, 433 maisons sont en grande partie brûlés. Ses terres agricoles stérilisées au sel. Le village est interdit et le territoire est partagé entre les communes voisines. Les habitants sont déportés et assignés à résidence dans les villages voisins. Huit chapelles sont détruites, les soldats font sauter une partie de la voûte de l’église paroissiale … On cherche à tuer l’identité, le passé de ce village par ces symboles.

L’arrestation de Robespierre et son exécution les 27 et 28 juillet 1794 (9thermidor an 2) sonnent la fin de la Terreur Révolutionnaire. Une pétition est lue devant la Convention en faveur de « Bédoin l’anéanti » le 15 frimaire an 3 (5 décembre 1794).  Maignet n’est pas désavoué. Le 24 frimaire an 3 (14 décembre 1795) une indemnité est accordée à ceux dont la maison a été incendiée, les terres sont restituées.

Le 14-15 floréal An 3 (4 mai 1795), Bédoin est réhabilité. Le nouveau représentant en mission Jean Antoine Joseph Debry ou De Bry préside une cérémonie solennelle de réhabilitation.

Une foule participe à la cérémonie, 15 000 nous dit-on. Le village reçoit un dédommagement, mais leurs bourreaux, les procureurs ne seront pas condamnés. Une colonne expiatoire est dressée sur le lieu de l’exécution des victimes de la Terreur sur l’emplacement de la guillotine.

Maignet se retire prudemment de la scène politique mais il reprend son métier d’avocat, estimé sous le Directoire et l’Empire, exilé sous la Restauration, et accueilli dans sa ville lors des Trois Glorieuses. Il finit bâtonnier au barreau d’Ambert jusqu’à son décès en 1834

En 1866 les familles des victimes font construire une chapelle, la chapelle de Beccaras sur l’emplacement de la fosse commune. Une plaque mentionne le nom et l’âge des victimes. François-Xavier Allemand rescapé de 1794 donne le terrain pour bâtir cette chapelle et demande à y être enterré, rejoignant ainsi les onze membres de sa famille victimes de la Terreur. Grâce aux dons faits par les descendants, en 1866, Pierre Allemand, curé de Bédoin se charge de faire construire la chapelle. Alexis Faravel et Etienne Gravier en sont les constructeurs.

Les extrémismes de tous les bords sont toujours un recul de l’Humanité…. Jusqu'où peut-on aller pour imposer et justifier ses idées ? Le doute est une vertu !!!


 Chapelle de Beccaras

 

Sources et pour en savoir plus : D'après le texte rédigé pour le lutrin du monument aux victimes de la Révolution française, par Stéphanie Collet du service "Culture & patrimoine" de la CoVe.-- /archives.vaucluse.fr/ressources/dossiers-pedagogiques-enseignants/laffaire-de-bedoin-un-exemple-de-terreur-provinciale-2114.html--- Le Drame de Bédoin - (marquise-de-florans.fr)-- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin.html-- Sous la Terreur, l’affaire de Bédoin (Vaucluse) – Famille Ginoux--- www.horizon-provence.com/bedoin/--- wiipedia.org --- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin/sites-et-monuments/la-chapelle-de-beccaras.html--- Bédoin l'infâme - Mes petites histoires de Marseille et de Provence (canalblog.com)---

 

 

samedi 4 février 2023

La galette des Rois

 

(galette feuilletée frangipane)

La Galette des Rois ou de l’Epiphanie –Une Histoire de Galette

 

Le mois de janvier semble totalement consacré à manger une galette et à « tirer les rois » : toutes les occasions sont bonnes, en famille, entre amis, au travail, dans les réunions d’associations….. Il fait froid, mauvais temps et nous avons envie de nous réunir pour festoyer en commun !! La galette doit s’accompagner de la coutume du « Roi boit », bien évidemment. Galette ou couronne des Rois selon les goûts et les régions...

 L’Épiphanie, célébrée le 6 janvier par les catholiques et le 19 janvier par les orthodoxes, est une commémoration religieuse en hommage à l’arrivée des rois mages à Bethléem. Elle serait l’une des plus anciennes fêtes du christianisme. Le nom lui-même est d’origine grecque signifiant « apparition ».

Mais la tradition du partage d’une galette n’est aucunement liée au christianisme.

La distribution des parts de galette est théoriquement aléatoire. Il était de coutume que le plus jeune convive se place sous la table et nomme le bénéficiaire. Etienne Pasquier raconte :  « Le gâteau, coupé en autant de parts qu’il y a de conviés, on met un petit enfant sous la table, lequel le maître interroge sous le nom de Phœbus ou Apollon, comme si ce fût un qui, en l’innocence de son âge, représentât un oracle d’Apollon. À cet interrogatoire, l’enfant répond d’un mot latin domine (seigneur, maître). Sur cela, le maître l’adjure de dire à qui il distribuera la portion du gâteau qu’il tient en sa main, l’enfant le nomme ainsi qu’il lui tombe en la pensée, sans acception de la dignité des personnes, jusqu’à ce que la part soit donnée où est la fève ; celui qui l’a est réputé roi de la compagnie, encore qu’il soit moindre en autorité. Et, ce fait, chacun se déborde à boire, manger et danser »

 

Nos anciens mangeaient lors de l’Epiphanie une simple « galette de ménage », brioche pour les plus riches, pâte à pain pour les plus pauvres, agrémentée de confiture, de pâtes de fruits maison.  On l’appelait aussi « galette de plomb », ce qui laisse entendre qu’elle n’était pas très légère !! La galette feuilletée nous viendrait des temps des croisades.. Les Turcs en auraient la recette. EnTurquie, en Perse, de temps immémorial, on mange le « bourreck » qui est notre galette feuilletée. Les chevaliers de France prisonniers chez l’Infidèle, durent trouver cette pâtisserie à leur gout !! Quant à la frangipane qui garnit la galette feuilletée, on la devrait au comte Cesare Frangipani, qui aurait donné la recette qui porte son nom à Catherine de Médicis.

La « fève » était d’abord  un haricot ou une fève. Mais il se trouvait des convives peu scrupuleux qui les avalaient pour se soustraire aux devoirs quelquefois coûteux de leur éphémère royauté, et on les remplaça plus tard par un bébé de porcelaine (enfant Jésus qu’on ne pouvait pas décemment avaler ou discrètement glisser dans sa poche),  d’une digestion infiniment moins facile. Il était de coutume que le roi du jour paie une tournée générale à l’assemblée. Au cours des ans, la fève deviendra toutes sortes de sujets, santons, monuments, animaux, figurines de dessin animé et même petit lingot chez un pâtissier….


(Galette provençale)

D’où nous vient cette coutume ? Un auteur du 18ème siècle avança une explication qui « collait » avec son époque :

« Il s’est glissé, dit-il, dans toutes nos provinces, une très méchante et détestable coutume, qu’en la veille des Rois on fait des assemblées, où sont invités pêle-mêle hommes, femmes, ecclésiastiques ou laïques pour souper tous ensemble.

« On prépare un festin magnifique et on tire au sort un Roi et une Reine ; et les offices de leur cour sont aussi distribués de la même façon à tous les conviés. Après quoi, le Roi et la Reine, ayant pris le haut bout, chaque fois qu’ils boivent, tous les assistants crient à gorge déployée : Le Roi boit ! La Reine boit ! »

 « Les libertins, ajoute-t-il, ont accoutumé d’apporter, pour raison de cette bouffonnerie, que les Mages, entrant dans l’étable, aperçurent le divin Enfant qui prenait pour lors la mamelle et qu’ils se mirent à crier : le Roi boit !... »

La fête des Rois. Chromolithographie de la fin du XIXe siècle

L’origine de cette fête n’est probablement pas celle-là. On mangeait la galette  déjà au temps d’Hugues Capet ; à ce moment-là c’était une pâtisserie lourde et compacte.

Le Duc Louis de Bourbon à la fin du 14ème siècle avait coutume de fêter l’Epiphanie et montrer ainsi sa piété : « il faisait roi un enfant de huit ans, le plus pauvre que l’on trouvât en toute la ville. Il le revêtait d’habits royaux et lui donnait ses propres officiers pour le servir. Le lendemain, l’enfant mangeait encore à la table du duc, puis venait son maître d’hôtel qui faisait la quête pour le pauvre roi. Le duc de Bourbon lui donnait communément quarante livres, tous les chevaliers de la cour chacun un franc et les écuyers chacun un demi-franc »« La somme montait à près de cent francs que l’on donnait au père et à la mère pour que leur enfant fût élevé à l’école »..

En 1311 dans la charte de Robert II de Fouilloy évêque d’Amiens, la galette feuilletée est mentionnée. Il arrive même que l’on paye les redevances seigneuriales avec ce gâteau !!!

En fait, il semble que la galette des rois trouve son origine dans les Saturnales romaines, fêtes situées entre fin décembre et début janvier, lorsque les jours « grandissent » à nouveau. Un esclave était désigné comme « roi d’un jour » dans chaque famille au cours d’un banquet par tirage d’une fève d’un gâteau. Ce roi ou Prince des Saturnales avait le pouvoir d’exaucer tous ses désirs pendant une journée avant parfois d’être mis à mort ou plus simplement de retourner à sa servitude. Il pouvait pendant ce jour donner des ordres à son maître.

Plus tard sous les règnes des rois Louis XIII et Louis XIV, des « coqs » ou « cuiseniers » turcs sont très présents dans notre pays et surtout à Paris ; ont-ils amené avec eux la fameuse galette ? C’est peut-être pour cela que la galette feuilletée se dit « parisienne », à la différence de la galette aux fruits confits de notre sud. Ce qui est sûr, c’est que la galette feuilletée nous vient d’Orient.


(galette briochée)

Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire, il n’y eut pas de festin d’Epiphanie sans galette. Au Moyen-Age, souverains et peuple ne manquaient pas de se réjouir à l’occasion de l’Epiphanie. Chez les ducs de Bourgogne, se déroulaient des fêtes somptueuses où les pauvres et le menu peuple avaient leur part. Dans la plupart des contrées il était de coutume de garder une part pour le pauvre qui attendait à la porte…Les corporations tiraient au sort par la découverte de la fève, un roi qui toute l’année gardait cette dignité. Les clercs du Parlement et de la Chambre des Comptes allaient en cortège porter des parts de galette aux conseillers et dignitaires. La fête dépassait largement le cadre de la famille, se répandait dans les rues…

Au 16ème siècle sous le roi François 1er, celui qui était le roi de la fève était réputé chanceux pour l’année. Il était d’usage lorsque l’on se rencontrait au début de l’année de dire : « Je suis aussi ravi de vous avoir rencontré que si j’étais roi de la fève. »

Louis XIV gros mangeur, ne manquait jamais de célébrer cette fête brillamment et bruyamment. Lorsqu’apparaissait la galette le roi donnait le signal du vacarme. Dangeau  nous a rapporté le souvenir de ces soirs de fête des Rois où le souverain — que l’histoire nous présente trop volontiers comme un personnage rogue et figé dans sa dignité — frappait et faisait frapper chacun de sa fourchette ou de son couteau contre son assiette et menait le charivari « comme dans un franc cabaret ». Fi de la rigoureuse étiquette, du protocole imposé à la cour !!!

En 1714 à Paris, boulangers et pâtissiers entrent en conflit à propos de la galette : jusqu’alors seuls les pâtissiers-oublieurs et fabricants de pain d’épice avaient le privilège de fabriquer la galette. Mais les boulangers se mirent à faire des galettes qu’ils envoyaient en cadeau à leurs clients… Le Parlement dut intervenir par deux arrêts : interdiction absolue aux boulangers absolue « de fabriquer et donner à l’avenir aucune espèce de pâtisserie, d’employer du beurre et des œufs dans la pâte et même de dorer leur pain avec de l’œuf. »

Les pâtissiers triomphaient et cela jusqu’à la Révolution. Mais la défense n’a d’effet que pour Paris et l’usage prohibé continue d’exister dans la plupart des provinces.

Toujours au 18ème siècle on raconte que le cardinal de Fleury donnant un dîner pour l’Epiphanie avait réuni autour de la table onze convives tous plus âgés que lui si bien que ce fut lui, pourtant à 92 ans passés, qui eut l’honneur de « tirer le gâteau » comme étant le plus jeune.


(Fête de L’Epiphanie –Alsace –chromolithographie fin 19ème siècle)

En 1774, il parait que les trois petits-fils de Louis XV tirant les rois, la fève se cassa en trois. Chacun d’eux en eut un morceau et on y vit un avenir où tous les trois règneraient. Ce qui fut le cas : Louis XVI, Louis XVIII, Charles X !!

Une année, en 1711, le Parlement de Paris interdit la galette : le pays était ruiné, affamé, le blé était rare. Mais l’année suivante la royauté et le pays étaient sauvés et la galette refit son apparition.

La Révolution de 1789 essayait en vain d’abolir la fête des Rois. Pierre-Louis Manuel en 1792 réclama l’interdiction de cette « réjouissance anticivique et contre-révolutionnaire ». La Convention se contenta de baptiser la galette « gâteau de l’Egalité »  et l’Epiphanie devint « la Fête du Bon Voisinage » après s’être appelée « le jour des Sans-Culottes ». Mais pour le peuple et les pâtissiers la galette resta le « gâteau des Rois ». L’éphémère royauté de la fève sera plus forte que les bouleversements politiques et les révolutions….

Au début du 19ème siècle, à Paris, la vogue des galettes était telle qu’un établissement célèbre la « Mère Marie »près de la barrière de Fontainebleau,  utilisait jusqu’à 20 sacs de farine par jour !!

Une autre idée des ventes de galettes à Paris : avant la Première Guerre Mondiale, les marchands de galette du Gymnase « Le Père Coupe-Toujours » en moins de vingt ans, avaient passé trois mille kilos de papier chaque année pour envelopper les morceaux de galette distribués aux clients. Les propriétaires successifs de cet établissement, fortune faite, se sont retirés dans de belles villas à Saint-Cloud ou à Ville-d’Avray !!

Chaque année une galette géante est livrée au Palais de l’Elysée depuis 1975. Mais au nom du respect des principes de la République, pas de fève dans la galette !!

Maintenant chacun invente sa galette : aux pommes, à la crème de marron, noisettes, chocolat… Vive la Galette !!!

Sources et pour en savoir plus : Pierre Jean-Baptiste Legrand d'AussyHistoire de la vie privée des Français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours ; Paris, 1783, 3 vol. in-8o.--Étienne PasquierRecherches de la France, Paris, Martin Colet, 1633.--/www.nationalgeographic.fr/histoire/epiphanie-dou-vient-la-tradition-de-la-galette-des-rois Margot Hinry –D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1935)-France Pittoresque--