mardi 14 février 2023

Bédoin l'Infâme

 


Bédoin l’Infâme :

Bédoin est un petit village au pied du Mont Ventoux. Lavande, tilleuls, cigales, tout respire la paix, la sérénité. Pourtant un drame a endeuillé ce bourg en1794.

A cette époque Bédoin compte autour de 2700 habitants. La France est plongée dans un climat de terreur depuis les massacres de septembre 1792 et la loi des suspects de septembre 1793. On emprisonne, on guillotine à tout-va.

A Bédoin, les habitants sont restés très attachés au Pape malgré le rattachement du comté du Venaissin à la République en 1791. Ils acceptent mal les changements dus aux bouleversements politiques. Peut-être un foyer contre-révolutionnaire ? Tout au moins un foyer royaliste qui lui vaut le surnom de « Vendée du Midi ».

Depuis novembre 1793 le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône sont en guerre contre-révolutionnaire, guerre larvée. Marseille y perd temporairement son nom de janvier à février 1792 à la suite d’une révolte contre la Convention.


Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826). "Plantation d'un arbre de la Liberté". Gouache sur carton découpé collé sur une feuille de papier lavée de bleu. Paris, musée Carnavalet.

Cependant jusqu’en 1794, le village de Bédoin est relativement calme. Mais dans la nuit du 1er au 2 mai 1794,( 12 au 13 floréal  an II)  l’arbre de la Liberté planté deux ans auparavant, est arraché, les décrets de la Convention affichés devant la maison commune sont traînés dans la boue et retrouvés au matin près de la fontaine à côté de la porte Saint-Jean. L’arbre est abandonné au pied des remparts dans le « pré aux porcs ». Le bonnet phrygien qui le surmontait est jeté dans un puits !!

L’affaire demande des sanctions exemplaires. L’administration d’Orange et de Carpentras nomme un certain Etienne-Christophe Maignet représentant du Gouvernement révolutionnaire pour les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Celui-ci délègue l’agent national Le Go accompagné du 4ème Bataillon de l’Ardèche basé à Carpentras commandé par Louis-Gabriel Suchet. Le 5 mai avant le lever du jour, les soldats occupent le village.

Le 14 floréal Maignet prend un arrêté imprimé à 12 000 exemplaires aux frais de Bédoin affichés dans les département du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône par lequel il ordonne d’indiquer les coupables.

Maignet saisit probablement ce prétexte pour faire un exemple dans le Comtat où les contre-révolutionnaires sont nombreux, essentiellement issus de la petite noblesse et des notables installés. Il s’était fait remarquer lors du siège de Lyon et des répressions des insurrections fédéralistes. Il est lui-même avocat, député, fils de notaire, un personnage ambigu, maniant sévérité et une certaine préservation des grandes villes comme Lyon et Marseille. A Avignon il se met en chasse des « bandes noires »,  une coalition d'influences locales et de notabilités, protégée par  « Jourdan Coupe-Tête ». A Marseille il souffle le froid et le chaud. Il s’en prend aux cimetières mais redonne son nom à la ville dans un souci d’apaisement :

 « Considérant que l'homme en paraissant sur la terre y vient sans préjugé et, qu'en la quittant il ne doit laisser aucune trace de ceux qui ont pu l'assiéger pendant sa vie, ordonne d'enlever des cimetières tous tableaux, peintures ou inscriptions capables d'alimenter le fanatisme, et d'inscrire ces seuls mots sur la porte d'entrée : « Silence, ils reposent ! »

A Bédoin, première mesure, les membres de la municipalité n’ont pas fait enfermer les nobles de la commune : ils sont arrêtés. Les militaires vivent chez les habitants comme c’était l’habitude avant la Révolution, (les mauvaises habitudes ne se perdent pas). On presse les habitants de dénoncer les coupables, on vol, on viole, on détruit…On perquisitionne, on profane les objets de culte, la flèche du clocher est renversée, les maisons sont pillées… Les conseillers municipaux, les nobles, les prêtres et autres notables sont paqués dans l’église. En vain…

Extraits de l'arrêté du 17 floréalII :

.. » que le sort de l’ancienne Sodome étant réservé à l’infâme Bédoin, il faut à l’exemple de l’Etre Suprême avertir le juste qui pourroit s’y trouver, d’abandonner ses frères corrompus, et de venir à nous pour nous faire connoître les coupables et les égarés »…

« Considérant que la justice ne saurait donner trop d’éclat à la vengeance nationale dans la punition du crime abominable qui s’est commis à BEDOUIN que ce n’est qu’en frappant sur le lieu même où il a été commis […] que l’on pourra porter l’épouvante dans l’âme de ceux qui oseraient encore méditer de nouveaux attentats […]
« Ordonne que le Tribunal criminel du département de Vaucluse […] se transportera dans le plus court délai à BEDOUIN, pour y instruire la procédure et y faire exécuter de suite le jugement qu’il rendra ».

Cet arrêté ordonne « que le pays qui a osé renverser le siège auguste de la Liberté est un pays ennemi que le fer et la flamme doivent détruire ».

Alors, furieux Maignet menace de brûler le village et le 21 floréal (10 mai) le tribunal criminel d’Orange arrive à Bédoin avec la guillotine. Le procès doit montrer le bon exemple. Les charges retenues contre les accusés sont de l’ordre de « négligences coupables », « parent d’émigré »… On enquête sur les relations sociales et familiales de tout un chacun, on creuse les moindres détails… Déjà lors du rattachement du comté du Venaissin à la France en 1791 des troubles avaient eu lieu dans le village. Les conseillers municipaux penchaient vers le fédéralisme en 1793. On reproche aussi à la municipalité, tenue par des Jacobins, des abus de pouvoir et le peu de zèle lors du déclenchement de l’affaire. Maignet qualifie le village d’être « en état de contre-révolution ».

Bref la cause était entendue dès le début du procès.

Le 28 mai (9 prairial), le tribunal est installé sur la grande place en plein air, là où se tenait l’arbre de la liberté. 130 personnes sont arrêtées !!


(archives du Vaucluse)

Les condamnations : 63 personnes à mort dont 8 femmes, la plus jeune a 19ans, 2 religieuses, 10 « mis hors la loi », un condamné aux fers, 13 à la réclusion et 1 à un an de détention. 52 sont remises en liberté mais soumises à l’arrêté du 17 floréal. Parmi les 63 condamnés à mort, le maire, des membres du comité de surveillance de la Garde  Nationale, des nobles, des prêtres réfractaires, des notables… Quatre femmes sur les 130 personnes refusent de porter la cocarde au tribunal, bien que le port en soit obligatoire depuis le décret du 14 germinal an 1 (3avril 1793) et feront l’objet d’une ordonnance spéciale.

Les exécutions ne peuvent avoir lieu qu’avec l’accord de la Convention à Paris. L’autorisation n’arrive que le 26 mai (7 prairial). Trois longues semaines que la troupe est arrivée et en action dans le village. Mais dès le 23 mai les deux prêtres sont guillotinés, le 28 mai c’est le tour des autres condamnés à mort.

35 des condamnés sont guillotinés mais pour aller plus vite et l’odeur devenant insupportable, les 28 autres sont fusillés. (ou 16 et 47 selon les sources). Une fosse commune sur la route de Flassans a été creusée à la hâte pour recevoir les corps dénudés.

Cela ne suffit pas à Maignet qui ordonne de faire disparaitre le village en l’incendiant. Les 3 et 4  juin, l’église, la mairie, le château, les moulins à huile, les magasins de soie, 433 maisons sont en grande partie brûlés. Ses terres agricoles stérilisées au sel. Le village est interdit et le territoire est partagé entre les communes voisines. Les habitants sont déportés et assignés à résidence dans les villages voisins. Huit chapelles sont détruites, les soldats font sauter une partie de la voûte de l’église paroissiale … On cherche à tuer l’identité, le passé de ce village par ces symboles.

L’arrestation de Robespierre et son exécution les 27 et 28 juillet 1794 (9thermidor an 2) sonnent la fin de la Terreur Révolutionnaire. Une pétition est lue devant la Convention en faveur de « Bédoin l’anéanti » le 15 frimaire an 3 (5 décembre 1794).  Maignet n’est pas désavoué. Le 24 frimaire an 3 (14 décembre 1795) une indemnité est accordée à ceux dont la maison a été incendiée, les terres sont restituées.

Le 14-15 floréal An 3 (4 mai 1795), Bédoin est réhabilité. Le nouveau représentant en mission Jean Antoine Joseph Debry ou De Bry préside une cérémonie solennelle de réhabilitation.

Une foule participe à la cérémonie, 15 000 nous dit-on. Le village reçoit un dédommagement, mais leurs bourreaux, les procureurs ne seront pas condamnés. Une colonne expiatoire est dressée sur le lieu de l’exécution des victimes de la Terreur sur l’emplacement de la guillotine.

Maignet se retire prudemment de la scène politique mais il reprend son métier d’avocat, estimé sous le Directoire et l’Empire, exilé sous la Restauration, et accueilli dans sa ville lors des Trois Glorieuses. Il finit bâtonnier au barreau d’Ambert jusqu’à son décès en 1834

En 1866 les familles des victimes font construire une chapelle, la chapelle de Beccaras sur l’emplacement de la fosse commune. Une plaque mentionne le nom et l’âge des victimes. François-Xavier Allemand rescapé de 1794 donne le terrain pour bâtir cette chapelle et demande à y être enterré, rejoignant ainsi les onze membres de sa famille victimes de la Terreur. Grâce aux dons faits par les descendants, en 1866, Pierre Allemand, curé de Bédoin se charge de faire construire la chapelle. Alexis Faravel et Etienne Gravier en sont les constructeurs.

Les extrémismes de tous les bords sont toujours un recul de l’Humanité…. Jusqu'où peut-on aller pour imposer et justifier ses idées ? Le doute est une vertu !!!


 Chapelle de Beccaras

 

Sources et pour en savoir plus : D'après le texte rédigé pour le lutrin du monument aux victimes de la Révolution française, par Stéphanie Collet du service "Culture & patrimoine" de la CoVe.-- /archives.vaucluse.fr/ressources/dossiers-pedagogiques-enseignants/laffaire-de-bedoin-un-exemple-de-terreur-provinciale-2114.html--- Le Drame de Bédoin - (marquise-de-florans.fr)-- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin.html-- Sous la Terreur, l’affaire de Bédoin (Vaucluse) – Famille Ginoux--- www.horizon-provence.com/bedoin/--- wiipedia.org --- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin/sites-et-monuments/la-chapelle-de-beccaras.html--- Bédoin l'infâme - Mes petites histoires de Marseille et de Provence (canalblog.com)---

 

 

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