vendredi 27 octobre 2023

Nîmes et ses Crocodiles

 

Nîmes et ses Crocodiles


www.objectifgard.com/2017/01/02/nimes-les-crocodiles-de-lhotel-de-ville-une-histoire-en-escalier/
Les 4 crocodiles du grand escalier de l'Hôtel de Ville de Nîmes (Photo Anthony Maurin).

voir et revoir blog 26/09/2018

Nîmes et ses crocodiles

L'as de Nîmes

Il y a quelques années j’avais assisté à une scène cocasse sur le marché de Nîmes. Une touriste interrogeait un paysan sur la présence des crocodiles à Nîmes. Elle avait visité la ville la veille et s’étonnait de la présence de ces animaux un peu partout. Tout en emballant ses tomates il lui répondit avec l’œil qui frise, que l’empereur Auguste avait ramené des crocodiles d’Egypte et les avait installés dans le canal de la Fontaine de Nîmes !!. On aime parfois se moquer gentiment de nos visiteurs.


Des crocodiles, il y en a effectivement partout à Nîmes, statues, voirie, clubs sportifs, gadgets, bijoux, vêtements….et mairie. ( 1985 STARCK réalisé une variante de l'iconographie du blason)
J’avais déjà évoqué rapidement l’histoire de cet emblème (sur ce blog Les Arènes de Nîmes des Romains, des Chevaliers des Arènes…4-6-2018).
Après la victoire d’Actium contre les égyptiens de Marc Antoine et de Cléopâtre, Octave devient Auguste et Nîmes obtient le droit de battre monnaie : un dupondius, l’as de Nîmes avec un crocodile sur une face. Un temps nous avons pensé que cette bestiole rappelait les vétérans nîmois de l’armée romaine qui avaient combattu en Egypte. Mais ces pièces se sont répandues dans le sud–est de la Gaule donc un usage qui n’était pas que local. Elles commémorent en fait la victoire d’Actium avec sur une face les portraits d’Auguste et d’Agrippa, le général qui épousera la fille unique d’Auguste.
Sur l’autre face le fameux crocodile représentant l’Egypte enchaînée à une palme, une couronne de laurier d’Auguste pendante à un rameau de la palme, (et non à un palmier). « un crocodile à la palme enchaîné et un chapelet de laurier en icelle pensile ».  Octave, Auguste, "digne des dieux", militaire talentueux et fidèle serviteur de l'Empire ! Peut-être aussi récompense pour nos gaulois Volques Arécomiques qui s'étaient engagés aux côté des Romains dans la bataille d'Egypte.
La palme rappelle Apollon le dieu grec invoqué par Octave-Auguste. Le crocodile la queue recourbée vers le haut et la palme évoque un navire de la bataille. La chaîne entre Apollon le dieu lumineux et le crocodile animal de l’obscurité nous parle de la domination du Bien sur le Mal. (voir Alain Veyrac Le Symbolisme de l’As de Nîmes au crocodile édit Monique Mergoil).
Ces pièces seront retirées de la circulation vers l’an 30.


www.in-medias.fr/sitecroco/pages/monnaie/TYPE%202/type2%20page4.html

Mais ce crocodile ne va plus nous quitter.
Les Chevaliers des Arènes qui occupaient l’amphithéâtre avaient récupéré sur leur blason le fameux crocodile enchaîné. Le blason de Nîmes et des consuls sera d’abord un simple « champs de gueule rouge », puis en 1516 François Ier permet à la ville d’y ajouter un « thoreau d’or ». Et en 1535, ce même roi, grand amateur de l'Antiquité ,autorise Nîmes à changer son blason : le crocodile enchaîné, la palme devient le palmier. Les lettres COL NEM sont l’abréviation de colonie nîmoise, « colonia nemasensis ».
    
1er blason de Nîmes- le second de 1516- le troisième de 1535
Mais venons-en aux crocodiles exposés à la mairie. Ces quatre animaux ont d’abord été installés dans la salle du conseil consulaire, assistant ainsi aux délibérations. Puis ils ont émigré dans une antichambre et maintenant dans le grand escalier de la mairie. Ce sont des vrais crocodiles empaillés selon la coutume égyptienne.
 


Un tout premier de 1586 sera perdu. Quatre autres ont rejoint notre ville, maintenant protégés et classés monuments historiques. Sous leurs ventres, une plaque en fer indique la date de réception de chacun.

Le premier date de 1597. Sur sa plaque on peut lire le nom des consuls que je vais essayer de traduire : Louis de Momcamp (Montcamp) seigneur de Saint Veran, Antoine Dupris, bourgeois, Olivier Lateule marchand, Guillaumes Revergat  laboureur. Une autre archive mentionne le premier crocodile (de 1586 perdu) ainsi que les raisons de l’achat de celui de 1597. Il s’agit de se rappeler l’histoire de la ville, marquer les esprits du « peuple et habitants de la dite ville ». Nous ne savons pas comment ils sont arrivés à Nîmes, achetés, donnés ?
En 1597 nous venons de vivre le plus gros des guerres de religion, nous avons un nouveau roi Henri IV, il est grand temps de rassembler les gens, de reconstruire une communauté, pourquoi pas autour de l’histoire ancienne de la ville.

1682 Académie du Gard


Les archives nous racontent :
« Le premier d'iceux en l'année mil cinq cens quatre vingts six estant consulz Messieurs Anthoine Davin docteur et advet Jacques de Baudan sieur de Vestric Jacques Guigou merchant et Louys Lombard laboureur. Et le second en l'année mil cinq cens nonante sept estant Consulz Messrs Louys de Montcamp seigneur de Sainct Veran Anthoine Duprix bourgeois Olivier Lateule merchant et Guilhaumes Rovergat laboureur. Lesquels sieurs consulz desd. années auroient juge a propos de recouvrer lesd. animaux pour fere entendre au peuple et habitant de lad. ville que les anciennes armoiries et enseignes de ceste ville ayant esté :
un coleuvre enchene a une palme et un chapeau de laurier en icelle pensile en champ de gueules et dauantaige escript en lettres antiques majuscules ces deux mots COL : NEM.
Lad. Palme entre lesd. deux mots comme aparoissoicten des vieilhes et antiques medailles. Ied. coleuvre palme et chapelet de synople comme plus aprochant du naturel d'iceux la chaine et les lettres d'or le tout sur led. champ de gueules. »….
« et pour un plus grand decorement de lad. maison consulaire a la perpetuelle memoire de la chose publique ».

Le deuxième ou troisième si l’on compte celui de 1586, a été acheté à Marseille pour 165 livres en 1671. Sur sa plaque ventrale : 1671 du consulat Noble François de Gevaudan sieur de Roquecourbe, Pierre Fauquier Bourgeois, Anthoine Courbessac greffier, Claude Estienne St André tailleur d’habits ouvriers, Pierre Escot bourgeois, Claude Borrelli marchand. L’acte d’ »achaipt du troisesme croquedille » est en date du 1er août 1671 devant notaire. Les vendeurs sont sieur Raymond Menard et Leon Alamel, marchands habitant Marseille. Le crocodile  mesure 14 pans et de grosseur à proportion qui rejoindra les deux autres crocodiles pendus dans la grande salle de la maison consulaire. Nous pouvons penser que le tout premier de 1586 n’a pas encore été perdu.

Achaipt du troisiesme croquedille
L'an mil sis cens septante un et le premier jour du mois d'aoust apres midy regnant tres chrestien Prince LOUIS par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre par devant moy notaire royal soubsne et tesmoingz après nommés establis en personne sieur Raymond Menard et Leon Alamel marchants et compagnie Lesquels de leur gré en consequence de la desliberation prinze par Mssr les Consuls ussistes daucungz des princip Consllers au Conseil politique ordinaire de ceste ville en execution du traitté faict entre les parties ont faict vente à Messieurs noble Françoys de Gevaudan sieur de Roque Courbe Pierre Fauquier bourgeois Anthe Courbessac greffier et Claude Estienne St André tailheur d'habits premier second troisième et quatrieme Consulz de ceste ville de Nismes la présente année en la de qualité pour et au nom de la ville et communauté stipulant et acceptant d'un crocodille de la longoeur de quatorze pans et de grosseur a proportion que les dits sieurs Menard et Alamel ont faict aporter en ceste ville de la ville de Marceilhe ou ils font leur residance. Et leadits sieurs Consulz achaipte iceluy pour le mettre et fere appendre dans la grand salle de la maison consulaire pour le decorement d'icelle et fers attacher a un poultre ensuitte des autres deux croquedilles quy y ont este cy deuant appendue.
Le prix comprend les frais et dépenses, le crocodile arrive à Marseille et de là est livré à Nîmes devant la porte de la maison consulaire. Le prix sera versé à la livraison. Des chaines neuves ont été achetées pour pendre au plafond le crocodile.
«… le prix et somme de cent soixante cinq liures quest sa legitime valeur heu esgard au prix de leur acbaipt et autres frais et despences qu'il a convenu fere pour le fere porter en la ville de Marceilhe et de la en ceste ville payable jcelluy »…
 
Le troisième ou quatrième si l’on compte celui de 1586, de 1692 est donné à la ville contre une rente de 15 livres par an. Sur sa plaque ventrale 1692, les consuls Noble Guillaume du Noyer, Anthoine Sautel bourgeois, Emmanuel Marignan marchand, Claude Durand menager, Raymond Chastang bourgeois, Gedeon Bastide médecin chirurgien..

Le 13 septembre 1692, les consuls se penchent sur l’acquisition d’un autre crocodile. Le Premier Consul Du Noyer a rencontré à la foire de Beaucaire Raymond Ménard, déjà connu pour la transaction précédente. Il a en sa possession un crocodile d’une grosseur extraordinaire qui vient du Levant (Egypte), bien plus gros que les autres et donc d’un plus grand embellissement. A charge pour la ville d’octroyer pour sa fille Jeanne Saint Louis de Menard, religieuse dans le couvent de Sainte Ursule une pension annuelle de 15 livres sa vie durant. Ce qui le consulat accepte.

Ledit Sieug Du Noyer premier Consultant en son nom que de ses collègues a proposé que le Sr Raymond Menard Mart de Marseille ayant eu du leuant vn crocodile d'une grosseur extraordinaire l'aurait fait porter en la ville de Beaucaire pendant la tenue de la foire, où le dit sieur Du Noyer s'étant trouvé, le dit sieur Menard le seroit venu voir et après luy avoir fait voir led. Crocodille, il luy auroit proposé d'en faire faire l'acquisition par la ville : que ses armes étants un crocodile enchainé à un Palmer, et celuy cy étant plus gros que ceux qny sont dans l'hôtel de ville, cela seroit d'un plus grand embellissemant, en augmenteroit le nombre : qu’il n'était pas d'un prix considérable et qu'il se contenterait que la ville se chargeast de payer à une fille qu'il a religieuse dans le petit couvent Sainte Ursulle de cette ville une pension annuelle de quinze livres pour sa vie seulement priant le Conseil de vouloir sur ce délibérer.

Le suivant est offert en 1703 par Abraham Poussielgue, riche négociant languedocien installé à Malte. Son prénom laisse supposer un protestant exilé ou nouveau converti nostalgique de sa ville natale. La chasse aux protestants détruit l'économie de notre pays. Mais les exilés espèrent encore revenir un jour. La plaque ventrale du crocodile est un peu différente des autres. « 1703 Ce crocodile a été donné à la ville par Sieur Abraham Poussielgue marchand natif de cette ville résidant à Malthe et transporté par les soins de Jean Auveillier marchand bourgeois assesseur de la seconde échelle (du consulat). Etant maire Messire Jacque de Vivet de Montcalm marquis de Montclus Tresque La Bartalasse et autres Places Conseiller du roi président Juge-mage et Lieutenant de Police de la dite ville---Du Consulat Mt Pierre Pison conseiller du roi….
1703

CE CROCODILE A ESTÉ DONNÉ A LA
VILLE PAR SR ABRAHAM POVSSIELGVE
MARt NATIF DE CETTE VILLE RESIDAN
A MALTHE ET TRANSPORTÉ PAR LES
SOINGZ DE SAR JEAN AVVELLIER MARt
BOVRGEOIS ASSESSEVR DE LA SECONDE
ÉCHELLE
ESTANT MAIRE MESSIRE IACQUEB DE
VIVET DE MONTCALM MARQVIS DE
MONTCLVS TRESQVE LA BARTALASSE ET
AVTRES PLACES CONer DV ROY PRÉSIDENT
IVGE MAGE ET LIEVt GEN'AL DE POLICE
DE LA DICTE VILLE
DV CONSVLAT DE MESSrs Me PIERRE PISON
CONer DV ROY AV PRE’ AL ET ASSESSEVR
GVILHAVMES BOISSIERE PROCVREVR
ANTOINE NOTAIRE Me CHIRVRGIEN
ET PIERRE FOVRNIER MÉNAGER

Ce crocodile vient d’Egypte « Degipte », le plus grand que l’on puisse trouver. Il doit servir à décorer le nouvel Hôtel de Ville de Nîmes. Abraham Poussielgue envoie la lettre ci-jointe pour expliquer son geste.
MESSIEURS,
Quoy que mon Comerce mait reteneu depuis plusieurs années dans ce pais. L'éloignement, ni les longuers Du Temps n'ont fait aucune Breche, sur lamour, que jai pour la patrie, et je ne desespère pas d'aller un jours a jouir, du plaisier d'y gouter un parfaict repos, cepandant ayant esté informe, que vous aurez construit une noauelle maison de Ville, je veux avoir l'honneur de contribuer. autan que je puis à Iorner, par un monument qui cellon que jespère ne vous desagreera pas, et pour cest esfet, je me suis aduise de fere venier Degipte, vn Crocodille, des plus grand quond à peut trouuer, jai este serui cellon que je le soiettea, je prand Messieurs la liberté de vous l'offrier, comme vne marque de mon attachement, inuiolable, au bien de la patrie, et à vos personnes en particuliers, Monsieur Jean Auueilliers mon jutime amy, aura la bonté de vous le présenter a de ma part, agreés le, Messieurs, et faictes moi la Grace de le faire placer, ou vous jugeres quil vous puisse seruier d'ornement dans vostre nouvel esdifice, qui cellon quond ma assure est tres beau et digne de vos applications infatigables, au service du public, qui est tousjours heureux soubs de magistrats qui ont autant de probité et de vigilance que vous en aues, Je vous soiette a Messieurs, et pour vostre communauté, et pour vos personnes en particuliers toutte » sorte de prosperite, et je vous prie destre plainemant persuadés, que je rechercheraj, toutte ma vie avec emprecemant les occasions de vous faire conoistre que je suis avec un profonds respect, et un zèle inviolable
MESSIEURS
Vostre tres humble tres obbeissant serviteur .
POUSSIELGUE.
1702. Le 28° aoust à Malthe



Nos crocodiles vont disparaître un temps, oubliés dans les greniers. Mais en 1851-52 sous la mandature de M Vidal maire de Nîmes, des travaux sont entrepris dans l’Hôtel de Ville et nos crocodiles sont redécouverts, poussiéreux, mal en point. Repeints à neuf, restaurés, ils reprirent leur place dans le cœur des Nîmois. Les plaques ventrales en tôle sont peu visibles mais elles renseignent sur les dates d’acquisition, et sur les hommes qui ont joué un rôle dans cette aventure. Normalement la première lettre de chaque mot est peinte en rouge.

Les touristes et les Nîmois ne cachent pas leur plaisir de photographier nos sauriens. Les photos de mariage avec des crocodiles en fond d’image font recette !! Pendant la feria, parfois ils sont de sortie aux fenêtres de l’Hôtel de Ville, saluant la foule.






Feria Pégoulade  NIMES 1907c ...

Rappel des archives, (si elles venaient à disparaître):
 1er août 1671
Achaipt du troisiesme croquedille
L'an mil sis cens septante un et le premier jour du mois d'aoust apres midy regnant tres chrestien Prince LOUIS par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre par devant moy notaire royal soubsne et tesmoingz après nommés establis en personne sieur Raymond Menard et Leon Alamel marchants et compagnie Lesquels de leur gré en consequence de la desliberation prinze par Mssr les Consuls ussistes daucungz des princip Consllers au Conseil politique ordinaire de ceste ville en execution du traitté faict entre les parties ont faict vente à Messieurs noble Françoys de Gevaudan sieur de Roque Courbe Pierre Fauquier bourgeois Anthe Courbessac greffier et Claude Estienne St André tailheur d'habits premier second troisième et quatrieme Consulz de ceste ville de Nismes la présente année en la de qualité pour et au nom de la ville et communauté stipulant et acceptant d'un crocodille de la longoeur de quatorze pans et de grosseur a proportion que les dits sieurs Menard et Alamel ont faict aporter en ceste ville de la ville de Marceilhe ou ils font leur residance. Et leadits sieurs Consulz achaipte iceluy pour le mettre et fere appendre dans la grand salle de la maison consulaire pour le decorement d'icelle et fers attacher a un poultre ensuitte des autres deux croquedilles quy y ont este cy deuant appendue. Le premier d'iceux en l'année mil cinq cens quatre vingts six estant consulz Messieurs Anthoine Davin docteur et advet Jacques de Baudan sieur de Vestric Jacques Guigou merchant et Louys Lombard laboureur. Et le second en l'année mil cinq cens nonante sept estant Consulz Messrs Louys de Montcamp seigneur de Sainct Veran Anthoine Duprix bourgeois Olivier Lateule merchant et Guilhaumes Rovergat laboureur. Lesquels sieurs consulz desd. années auroient juge a propos de recouvrer lesd. animaux pour fere entendre au peuple et habitant de lad. ville que les anciennes armoiries et enseignes de ceste ville ayant esté :
un coleuvre enchene a une palme et un chapeau de laurier en icelle pensile en champ de gueules et dauantaige escript en lettres antiques majuscules ces deux mots COL : NEM.
Lad. Palme entre lesd. deux mots comme aparoissoicten des vieilhes et antiques medailles. Ied. coleuvre palme et chapelet de synople comme plus aprochant du naturel d'iceux la chaine et les lettres d'or le tout sur led. champ de gueules.
Ils auroient obtenu la confirmâon desd. armoyries par lettres pattantes du Roy François premier d'heureuse memoire au mois de juin de l'annee mil cinq cens trente cinq a la poursuite (supplication) de Messieurs Anthoine Arlier docteur et aduocat Jean Albenas bourgeois Mathieu Fazondier notaire Royal et Guillhaumes Forestier abourr consul de lad. ville lad. année mil cinq cens trente cinq despuis lequel temps les sieurs Consulz de lad. ville ont este soigneux de fere conserver lesd. animaux et Messieurs les consuls de la presente année dachaiptez ce troisiesme desd. sieurs Menard et Alamel et compagnie pour le mesme affect et pour un plus grand decorement de lad. maison consulaire a la perpetuelle memoire de la chose publique
Laquelle prosente vente ont faict lesd. sieurs Menard Alamel et compie auxd. sieurs de Roque Courbe Fauquier Courbessac et Estienne St Andre Consulz modernes de lad. ville de Nismes au nom dicelle du susd. croquedille porte et rendu dans ceste ville et au devant la porte de la maion consulaire en la forma susd. et en son entier moyennant le prix et somme de cent soixante cinq liures quest sa legitime valeur heu esgard au prix de leur acbaipt et autres frais et despences qu'il a convenu fere pour le fere porter en la ville de Marceilhe et de la en ceste ville payable jcelluy prix pretendu et laquelle dite somme de cent soixante cinq liures lesd. sieurs Menard Alamel et compagnie ont confessé avoir heue et reellement presentement receue desd. sieurs de Roque Courbe Fauquier Courbessac et Estienne Sainct Andre Consulz de lad. ville et par les mains de sieur Jean Cassan bourgeois recepveur des deniers municipaux de lad. ville La courante année en Louys dor dargent et moneye sen sont tenus pour contens renonsant à l'exception contrair et dicelle somme de cent soixante cinq liures lesd. sieurs Menard et Alamel et compte bien payes et satisfaicts pour ce que dict est en ont quitté et quittent les dits sieurs Consuls Ville et communauté le dit sieur Recepueur desd. deniers municipaux payant pour elle et tous ceux qu'il apartiendra auec promesse que jamais ne leur en sera faict demande et lesd. sieurs Consulz ont decclare auoir receu des mains desd. sieurs Menard Alamel et compagnie le susd. crocodile en son entier quils ont a linstant faict appendre le long d'un poultre de la grande salle de lad. maion consulaire et attacher à iceiluy par des chenes quy ont daté faictes neufves pour cest effet Et ce dessus ont lesd. parties promis de tenir garder et observer soubs les obligaôn jurements et renonciations a ce requises et necessres

Faict et recitte aud. Nismes dans la maion consulaire presents à ce Me Jean Dumas Raymond Chastang habitants dud. Nismes avec parties et moy Ponce Ferrand notaire royal dudit Nismes soubsigne.

1692 
Ledit Sieug Du Noyer premier Consultant en son nom que de ses collègues a proposé que le Sr Raymond Menard Mart de Marseille ayant eu du leuant vn crocodile d'une grosseur extraordinaire l'aurait fait porter en la ville de Beaucaire pendant la tenue de la foire, où le dit sieur Du Noyer s'étant trouvé, le dit sieur Menard le seroit venu voir et après luy avoir fait voir led. Crocodille, il luy auroit proposé d'en faire faire l'acquisition par la ville : que ses armes étants un crocodile enchainé à un Palmer, et celuy cy étant plus gros que ceux qny sont dans l'hôtel de ville, cela seroit d'un plus grand embellissemant, en augmenteroit le nombre : qu’il n'était pas d'un prix considérable et qu'il se contenterait que la ville se chargeast de payer à une fille qu'il a religieuse dans le petit couvent Sainte Ursulle de cette ville une pension annuelle de quinze livres pour sa vie seulement priant le Conseil da vouloir sur ce délibérer.

Sur quoy le Conseil ayant considéré que cette acquisition n'est pas d'une grande dépense pour la ville, attendu l'offre faite par le led Sr Menard, a délibéré que Messieurs les Consuls feront acquisition dud Crocodille et qu'ils passeront contract avec led sieur Menard par lequel ils se chargeront de payer la somme de quinze livres de pension annuelle à la sueur Jeanne Saint Louis de Menard sa fille religieuse dans led monastère du petit couvent Sainte Ursulle de cette ville, et ce pendant sa vie seulement.



Sources :    Albin Michel Les 4 Crocodiles de l’Hôtel de Ville de Nimes 1876 nemausensis internet –Maxime de Mont-Rond Les crocodiles de l’Hôtel de Ville de Nîmes Persée 1853p67-69 –Bibliothèque de l’Ecole des Chartes Ménard --/hiveminer.com/Tags/crocodile%2Cnîmes-- kirsch.free.fr/archives2015/albums/Nimes/index.html--archives départementales et municipales de Nîmes—office du tourisme Nîmes-- association-lapostrophe.fr/2-non-categorise/31-visite-de-nimes—Gwenaël Cadoret Gazette de Montpellier et Nîmes guide de l’été juillet2018—BNF Gallica-- 
place du marché-diaporama mairie nemausensis.com

samedi 14 octobre 2023

La révolte d'Anthoine de Roure

 


La Révolte d’Anthoine de Roure

voir et revoir blog 7/12/2018
Les événements actuels me font penser à un épisode sanglant du 17è/18ème siècle. Il serait bon que l’Histoire ne se reproduise pas et qu’elle nous apprenne quelque chose !

Le régime du roi Louis XIV ne sera pas tendre avec les rébellions du peuple. La révolte du Roure sera une jacquerie ardéchoise antifiscale qui embrasera le Languedoc d’avril à juillet 1670. L’hiver 1669, tous les oliviers de la province gèlent, de Montpellier à Aubenas ; le printemps suivant c’est la grêle qui détruit les récoltes. Le prix de vente du vin et du blé baisse. Le problème religieux démoralise le pays…. Les guerres de Louis XIV saignent les gens. Partout on se plaint de la multiplicité des taxes et impôts. L’évêque de Viviers qui présidait la tenue des Etats du Languedoc à Montpellier observait en novembre 1669 que les tailles (impôts) croissaient plus vite que les revenus des produits de la terre. Aux impositions ordinaires et aux contributions exceptionnelles s’ajoutaient deux mesures très impopulaires : le désarmement des habitants et la réglementation draconienne de la chasse.

La taxe sur les cabarets qui doit financer les travaux du Canal du Midi met le feu aux poudres.
Une rumeur court les campagnes, l’instauration d’impôts nouveaux, sur les chapeaux, les souliers, les chemises, sur les journées des travailleurs, sur la naissance des enfants….10 livres pour la naissance d’un garçon, 5 pour une fille, 5 sous pour un chapeau, 3 pour des souliers…. 10 livres c’est trois semaines de salaire pour un manœuvre !! L’exaspération, la colère sont souvent cousines de l’imaginaire des foules…. La rumeur s’amplifiait, se gonflait au gré d’une rage sourde.

Le 30 avril un commis des fermes Barthélemy Casse venant de Béziers est mis à mal par des manœuvres et des femmes du quartier Saint-Antoine à Aubenas. Il placarde des affiches qui concernent cette fameuse taxe sur les auberges : 2 écus pour chaque cheval de louage, 8 livres pour chaque cabaretier. Donc des taxes qui ne visaient que très peu de personnes. Mais les habitants la plupart ne sachant pas lire croient qu’il s’agit des impôts de la fameuse rumeur. Plusieurs femmes et ouvriers vont attaquer Casse à l’auberge des Trois Pigeons où il est descendu ; il saute par la fenêtre et s’enfuit par la porte de Belvèze. On le poursuit à coups de pierres jusqu’à la tuilerie du sieur Rogier où il demande un confesseur. Les soldats du prince d’Harcourt seigneur d’Aubenas écartent les attaquants et le conduisent au logis du Pont. Le lendemain les mutins décident de s’en emparer. Les femmes enfoncent les portes. En s’enfuyant Casse se noie dans l’Ardèche au Pont-d’Arc.

Le chef des émeutiers Bancatte est arrêté et emprisonné. Le lendemain il est libéré par les manifestantes. Et la région du Vivarais s’enflamme. Le tocsin sonne, la révolte est générale.
En Vivarais 4000 paysans entrent dans le village de Joyeuse où devait se tenir l’Assemblée de l’Assiette (où l’on discute et vote les impôts). Le village de Largentière est aussi investi. On dévalise les commerces, on saccage des maisons… Des paysans armés de faux, de fourches, de quelques mousquets menacent les notables, notaires, prêteurs, nobles… Privas est menacé, Aubenas saccagé... 

Le 14 mai, Anthoine du Roure prend la tête du mouvement sous la pression populaire. C’est un propriétaire terrien, de petite noblesse, de ceux qui travaillent sur leurs terres. Sa famille sortait du Mas de Chartrenas de la paroisse de La Chapelle-sous-Aubenas ; ménagers ayant évolués vers une plus large aisance. Son surnom est le Chevalier-Laboureur. Il vit dans le village de La Chapelle-sous-Aubenas en Ardèche. Il est aisé, il dispose de 10 000 écus de biens et biens apparentés. Il a servi dans l’armée, en Flandres et en Roussillon comme capitaine des milices. Il est éduqué, respecté, intelligent. Bon catholique, trois enfants dont un fils qui étudie chez les jésuites d’Aubenas, il est touché par la misère des paysans et des artisans. C’est un tribun remarquable.. Ce sera sa bannière bleue et un ruban bleu au chapeau qui seront l’emblème de la révolte. Il devient Jacques Roure. Il est âgé de 45 ans environ.

Le gouverneur du Languedoc le Marquis de Castries, depuis Bourg-Saint-Andréol où il est arrivé par marches forcées signe une ordonnance défendant sous peine de mort, les attroupements, la mise en circulation de faux nouvelles irritant le peuple. 200 soldats partent pour Aubenas.
Roure nommé généralissime et protecteur du peuple est à la tête de 6000 hommes venus de 20 paroisses autour d’Aubenas. Ils marchent sur Villeneuve et met en fuite le Grand-Prévôt. Le comte de Vogüé essaie une conciliation jusqu’à ce que le Marquis de Castrie fasse connaître ses nouvelles idées. Ce dernier par une nouvelle ordonnance promet l’abolition du passé, et les troupes de Roure se séparent. On a évité le pire pour un temps. Le commerce et le travail reprennent.

Mais le châtelain d’Aubenas fait savoir que le roi ne pardonne pas les meurtres, les sacrilèges, et l’affichage appelant à la révolte.
Alors tout recommence : les partisans de Roure décident qu’est venu le temps pour eux de gouverner un peu et qu’ils ne veulent plus marcher en aveugles. « Le pot de terre doit casser le pot de fer ». La colère et la surdité des uns et des autres sont mauvaises conseillères.

Des députés promettent d’aller exposer au roi les demandes du peuple. Des soldats arrivent à Aubenas, les bourgeois se réfugient au château et au collège des Jésuites. Roure entre dans la ville avec 8000 hommes. On se tire dessus, des habitants sont massacrés, souvent ceux qui n’ont pas choisi leur camp quel qu’il soit. Au bout de quelques jours le ravitaillement devient difficile et Roure quitte Aubenas avec ses hommes. Des rencontres ont lieu à Alba : on promet à Roure et à ses lieutenants l’amnistie générale s’ils posent les armes et s’ils font amende honorable.
Mais ces entrevues ont pour but de gagner du temps. L’armée royale n’est pas loin. Roure comprend qu’il a été dupé. Il publie un manifeste envoyé à toutes les communautés :"NOUS JACQUES ROURE, À TOUS NOS AMIS, ET À TOUS LES PEUPLES DU VIVARAIS, SALUT !…" Il y expliquait les causes de la révolte, les détournements de fonds publics par des seigneurs et des élus, et exhortait tout le monde à une défense légitime.
Le gouvernement veut frapper un grand coup : les mousquetaires de la Maison du Roi dont d’Artagnan, 3000 fantassins, 1600 cavaliers, 400 suisses et toute la noblesse des alentours.. Tout ce monde se retrouve à Lavilledieu entre l’Auzon et le village… Ce sera un carnage : les cavaliers, les soldats à pied poursuivant les insurgés dans les rochers, les broussailles. Les paysans n’avaient aucune chance.

L’armée royale est à Aubenas le 27 juillet. Le 28 commence le procès des coupables à Nîmes : dans l’immédiat, deux sont roués, six pendus sous les halles, deux autres aux galères, un grand nombre sont banni, deux femmes condamnées au fouet…. Mais la répression sera encore plus effroyable à l’extérieur des tribunaux. Les hameaux brûlés après avoir été pillés, bestiaux, foin, meubles, tout était volé…  600 personnes sont tuées et 400 envoyées aux galères. On torture, on pend, on fouette jusqu’à la mort.
Les soldats pillent, passent au fil de l’épée les gens qu’ils trouvent. C’est la terreur comme punition. Les habitants se terrent dans les montagnes. Il faudra une ordonnance de l’intendant du Languedoc du 20 août 1670 exigeant sous peine de mort que les habitants regagnent leurs demeures pour ramener calme et activités dans la région.
Les biens d’Anthoine du Roure sont détruits, maisons, grange, fondations comprises, les bois dégradés. Sa famille est proscrite. (Sa maison devait être détruite, ses terres vendues et sa famille bannie. La sentence ne fut semble-il pas entièrement exécutée.)
Les clochers des villages de La Chapelle, Ailhon, Lavilledieu sont étêtés, les cloches descendues.
Le 21 août Roure en fuite est condamné par contumace à Villeneuve-de-Berg..
Roure proscrit veut présenter une requête à Louis XIV. Il demande conseil au procureur de Toulouse, Bouet, qui lui déconseille de le faire et lui recommande plutôt de gagner l’Espagne. Mais Bouet pris de remords le fait arrêter à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il sera roué vif à Montpellier le 29 octobre, son cadavre exposé sur le grand chemin de Montpellier à Nîme, sa tête placée au-dessus de la porte Saint-Antoine à Aubenas. Ces crimes : lèse-majesté, rébellion, attroupements avec port d’armes, sacrilèges, incendies, cruautés énormes, expédition d’ordres et de passeports, convocation d’assemblée contre le service du roi….


(Ancienne maison de Jean Balazuc, gendre d'Anthoine du Roure, actuellement mairie de Lachapelle) La ville d’Aubenas est condamnée à 500 écus d’amende envers le roi et La Chapelle à 800 écus ainsi qu’aux frais de justice. Le roi pardonne par une lettre du 30 août 1670 mais le pardon ne s’applique pas aux meneurs et aux cinq ville ou villages accusés d’avoir aidé les révoltés : La Chapelle, Aubenas, Ailhon, Vogüe, Lavilledieu. Ces communautés n’auront plus de consuls, leurs syndics ne porteront plus le chaperon signe de leur dignité. La ville d’Aubenas sera exclue des Etats du Languedoc et du Vivarais. Les villages de La Chapelle et Lavilledieu ne seront pas autorisés à reconstruire leurs remparts…..

L’épouse d’Anthoine reprit son nom de jeune fille Isabeau de Goutte de Vissac. Elle habita à Chasternac, mas de ses beaux-parents. Leur fils revint à Villeneuve-de-Berg en 1695 lieutenant de la Compagnie Bourgeoise, Il sera tué en Alsace en 1703. Leur plus jeune fille Marie épousera Jean Balazuc, maire de La Chapelle. Il sera enterré dans la chapelle de feu Anthoine Roure.
20 ans après les évènements, Isabeau redevint de Vissac-Roure et Marie, Marie du Roure.

Pendant longtemps, des générations d’Ardéchois porteront le deuil de leur martyr. Cette révolte sera souvent rappelée lors des autres émeutes qui émailleront l’Histoire. Déjà en mars 1672 pendant la Révolte des Femmes d’Alzon. Les Ardéchois transmettront la haine des Grands de cette époque, préparant le grand embrasement de 1789. Le nombre de participants côté Roure varie selon les historiens et le moment de l’insurrection. Ce qui est sûr c’est qu’il était très élevé, 4000 à 8000 personnes.

Aubenas aura une place Jacques Roure en 1896 et La Chapelle sous Aubenas une place Anthoine du Roure, Juste Défenseur de la Paysannerie au XVIIème siècle.

Sources : L. Gout, J. Roux, J. Volane, Histoire de l'Ardèche, E. Tourrette, Aubenas, 1908---Raoul de Vissac, Anthoine du Roure et la révolte de 1670, Paris, Emile Lechevalier, coll. « Librairie Historique des Provinces », 1895---Marquis de Voguë., Une famille vivaroise : Histoire d'autrefois racontées à ses enfants, t. 1, Paris, Honoré Champion, 1912---Emmanuel Le Roy Ladurie Les paysans de Languedoc, Paris, Flammarion, 1993 ISBN 978-2080810076  ---Pierre Ribon, D'Artagnan en Ardèche : La révolte de Roure en 1670, Valence, E&R, 2001ISBN 978 2910 669904 --medarus.org/Ardeche/07celebr/07celTex/roure_anthoine.htm----généanet--www.patrimoine-ardeche.com/visites/roure.htm Michelle Pouzache--- wikipedia.org—archives départementales du Gard abbé Charais Insurrection du Bas Vivarais au temps de Louis XIV revue de Villenauve-de-Berg 1986 n°42---archives départementales de l’Hérault C603---et bien d’autres sources---

mercredi 4 octobre 2023

François ier, le Languedoc et Mathieu de Bargeton

 

La salamandre emblème du roi François 1er

François 1er et le Languedoc


Voir et evoir blog 25/11/2018
(François 1er Marignan anonyme - in André Castelot François 1er édit Perrin 1999)
Le roi François 1er (1494-1547) est un monarque flamboyant, qui aime briller, supplanter ses adversaires. Il n’est pas le fils du roi précédent, Louis XII, mais son cousin au 4ème degré, donc il doit faire ses preuves. Surtout qu’avant de devenir roi, il parait à ses contemporaints un peu écervelé, immature, trop sûr de lui. François duc d’Angoulême joue de sa prestance, beau cavalier, large de carrure. Il aime la chasse, le luxe, les femmes. Sa mère, autoritaire et possessive, est très présente dans son enfance, dans la préparation de son avenir. Sa sœur Marguerite l’adore. Il a vingt ans et quatre mois lorsqu’il monte sur le trône à la mort de Louis XII le 1er janvier 1515. Mais dès le début de son règne, il s’entoure de personnalités efficaces. Il prend pour emblème la salamandre, animal un peu magique, symbole du pouvoir sur le feu, donc sur les hommes et le monde. Il dira :  « Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde."



La bataille de Marignan lui apporte succès et gloire dès le début de son règne. Mais François a un défaut : il est très dépensier. La France est riche en cette période, active, peuplée et les ressources engrangées sont importantes. Mais l’entretien de la cour (jusqu’à 15 000 personnes) et d’une armée de mercenaires, les constructions royales, coûtent très largement plus que les recettes. Le roi toute sa vie sera sans cesse à court d’argent, malgré des impôts lourds dont la taille et la gabelle. Et puis trop de privilégiés échappent injustement à l’impôt. Alors le roi va demander plus et en particulier aux habitants du Languedoc, province riche d’artisans, de blé. Le pays exporte ses céréales, ses vins, du sel, ses tissus… On part travailler en Espagne, paysans et artisans, contre de belles monnaies qu’envoie l’Amérique du Sud. François 1er va aussi anoblir des bourgeois qui lui rendent service et s’en faire des affidés. Il cherche du côté du Saint Laurent au Québec et en 1534 Jacques Cartier part explorer « certaines îles et pays où l'on dit qu'il se doit trouver grande quantité d'or et autres riches choses ». On fait flèche de tout bois pour remplir les caisses de l’Etat. (Rien de nouveau en ce bas monde !!)


En 1522 et en 1523 François Ier avait demandé aux Etats du Languedoc de grosses sommes d’argent (59 000 et 25 000 livres). Ses guerres contre Charles-Quint ruinaient le trésor. On a vite oublié que Marignan pourtant une victoire pour nous, avec la paix de Fribourg de 1516, nous coûte selon les sources 700 000 à un million d'écus d’or, indemnité fabuleuse donnée à nos ennemis suisses vaincus !! Une paix perpétuelle est signée : les Suisses s’engagent contre monnaie trébuchante à ne plus servir dans des armées qui feraient la guerre à la France, mais on les embauchera comme mercenaires dans nos troupes.
François 1er voulait donner l'impression d'être "grand seigneur", au-dessus des comptes d'apothicaires ! Homme plein de paradoxes, très différent de son prédécesseur Louis XII qui disait :"J'aime beaucoup mieux les faire rire de mon avarice que de faire gémir mon peuple de mes profusions".... 

Un exemple d'anoblissement d'un bourgeois. Celui qui sera notre seigneur à partir de 1536, Mathieu Bargeton le Jeune est anobli le 19 novembre 1533 par Lettres de Noblesse de François Ier signées à Marseille. On lui doit le renouveau du village et une façade Renaissance dont on voit ici quelques parties.
Le roi rappelle les éléments qui permettent de faire de Mathieu un noble : il a bien servi le royaume et il possède quelques biens. Il y est fait référence à des deniers donnés au roi («prêter nous dit le texte d’anoblissement ? »  probablement à fonds perdus !), pour payer la rançon du roi captif de Charles Quint ou bien pour financer les guerres d’Italie ?. Quant aux biens nobles qu’il possède, il s’agit d’une petite olivette dans le village de Lédenon sans dépendances achetée le 26 septembre 1528, terre qui "autrefois était décorée du titre de baronnie».


Le titre de baron avait perdu au cours des siècles de sa superbe. Les barons au départ étaient de grands vassaux formant la cour judiciaire du roi. Encore à l'époque de Philippe-Auguste au XIIème siècle. En Languedoc ce titre désignait un fief important. Mais au 15ème siècle les barons se retrouvaient au quatrième rang dans la hiérarchie seigneuriale. Théoriquement par les édits de Charles IX et d'Henri III, petits-fils de François Ier, pour autoriser l'érection d'une baronnie il fallait avoir au moins trois châtellenies ou clochers, c'est-à-dire trois domaines distincts. 
Donc notre Mathieu le Jeune au moment de son anoblissement était plus proche de la roture que de la noblesse !! Dans ses lettres d'anoblissement il est fait mention de "grâce spéciale" de la part du roi François 1er. Quels sont les services rendus au roi et au royaume ? Mathieu a-t-il été page, chevalier et écuyer chez quelque noble de la région et militaire au cours d'une des guerres de François 1er, Marignan et autres guerres d'Italie ?
Dans les lettres d'anoblissement il est fait mention de service "tant de sa personne à l'encontre de nos ennemis et adversaires". On imagine Mathieu plus en bourgeois-marchand, ce qu'était sa famille, qu'en foudre de guerre. Mais nous ne savons pas ce qu'il a fait avant sa trentième année. Il est vrai aussi que son grand-père était un riche maître-drapier, métier où l’on rencontrait beaucoup de monde et du beau, français ou étranger, un peu facteur discret, un peu espion.
Toujours dans les lettres d'anoblissement, il est fait référence à des sommes d'argent "prêter" pour subvenir aux grandes affaires du royaume. Cela nous parait plus dans ses cordes. La famille de Bargeton a dû comme d'autres, participer à la rançon de 2 millions d'écus lors de la paix de Dames de 1529 pour racheter la libération de François 1er.

L’anoblissement de Mathieu a été signé à Marseille en novembre 1533. Pourquoi pas à Uzès où le roi François 1er était présent au début de cette année-là ? Mais le 28 octobre 1533 avait lieu à Marseille le mariage de Catherine de Médicis et d’Henri, deuxième fils de François Ier. Etaient présents pour l’occasion le pape Clément VII venu les marier et les représentants de Henry VIII d’Angleterre. Les envoyés de ce dernier étaient là pour faire  annuler l’excommunication de leur roi. La cour de France est à Marseille, avec la fine fleur européenne.
Les lettres d’anoblissement modifient l’image traditionnelle de la noblesse : celle-ci devient un état, une qualité sociale que confère le roi à ceux qu’il veut distinguer. Ces nouveaux nobles se placent au sommet de la hiérarchie sociale sans avoir été adoubés. Ils porteront le titre de seigneur, d’écuyer, pourront acquérir des terres nobles sans avoir à payer la taxe de franc-fief. Ils devront vivre noblement, ne pas déroger en se livrant à une activité marchande.
L'acte d'achat de l'olivette de Lédenon qui permet l’anoblissement de Mathieu de Bargeton, est signé dans le cellier de l'acheteur selon la coutume languedocienne de l'époque. Les deux parties, le vendeur Petrus Brunelli (Pierre Brun) et Mathieu Bargeton étaient sur place dans la cave (apotheca) à vin pour y boire "le vin du marché". L'achat de cette terre qui fut une baronnie est la première marche de la dynastie Bargeton vers la noblesse. La coutume de conclure une vente par un verre de vin se perpétuera jusqu'au 20ème siècle.
L'armorial d'Hozier nous indique que les lettres d'anoblissement de Mathieu sont scellées à la cire verte, expédiées à la Chambre des Comptes et enregistrées au Livre des Chartres n°91. Trois cents écus d'or sont payés au Trésor en mai 1534 pour finaliser l'opération. De nombreux bourgeois vont être anoblis à cette période et vont ainsi remplir les caisses sans fond de l’Etat.
Nous avons du mal à évaluer ce que représente cette somme. L'"écu au soleil" va fluctuer tout au long du siècle. L'afflux incontrôlé d’or en Espagne entraîne une inflation très préjudiciable à l'économie des pays européens. A partir de 1570-74, sa valeur est un peu plus stable grâce à une politique anti-inflationniste. Difficile de comparer. Il semble pourtant que les 300 écus d'or représentaient une somme rondelette.  Les droits seigneuriaux (fief principal avec les trois justices) sur Vallabrix rapportent 10 livres par an soit un peu plus de trois écus d'or. En 1565, dix bœufs dontés (domptés, dressés) et aratoires (pour le labour) coûtent 92 écus d’or.

Lettrine Mathieu de Bargeton

Le roi lui-même depuis novembre 1531 avec toute sa suite fait son "Grand Voyage de France" qui se terminera en hiver 1534, visitant et se faisant voir dans toutes les provinces. Pour les rois comme pour les seigneurs il était important de rencontrer et connaitre ses sujets, réveiller le loyalisme, rappeler l'autorité, et puis voir par soi-même ce qui n'allait pas.
François 1er sera souvent dans notre région, jusqu’en juillet 1538 lors de la rencontre avec Charles Quint à Aigues-Mortes. Charles de Crussol sera de cette entrevue avec les seigneurs d'Uzège dont un de Bargeton, Mathieu probablement, ses fils étant trop jeunes ou peut-être pas encore nés pour certains. Sous la houlette du pape Paul III, Charles Quint et François 1er avait signé à Nice une trêve de dix ans en juin 1538. Charles Quint de retour en Espagne aborde l’Ile Sainte Marguerite sous prétexte d’une tempête et propose à François 1er , à Avignon à ce moment-là, une rencontre à Aigues Mortes. Il faut faire vite. La cour de France est invitée à Vauvert dans un premier temps, puis à Aigues-Mortes.
Les consuls de la petite ville, dont le Premier Consul Franc de Conseil, votent en urgence les fonds nécessaires : d'abord un emprunt auprès des notables de la ville de 850 livres remboursables sur cinq mois, pour le reste on verra plus tard. Le roi sera logé chez le Premier Consul. Le connétable Anne de Montmorency gouverneur du Languedoc est chargé des préparatifs.
A l'occasion de la rencontre François Ier et Charles Quint, selon la formule de l'époque "sous peine de fouet", 6000 pains, 30 barriques de vin,  seront fournis par les habitants. Les chasseurs, les pêcheurs sont invités à apporter gibiers et poissons. Dans le Catalogue des Actes de François 1er (BNF Maréchal Paul), quelques actes indiquent les sommes déboursées par l'Etat. Charles de Vaux viguier d'Uzès reçoit 56 livres pour ses achats en fruits et primeurs pour le festin prévu. Il va d'Aigues-Mortes à Perpignan pour s'approvisionner. Guillaume Vallette chevaucheur d'écurie reçoit 33 livres 15 sous pour aller en poste (en voiture) de Vauvert à Marseille rejoindre le Comte de Tente et les capitaines de galères pour "réception de l'Empereur et sa conduite à Aigues Mortes. (archives nat BNF31463 p237 T3 -31465 juillet 1538). Pour les frais de voyage des valets de la garde-robe du roi, 112 livres, pour le déplacement du maître-queux de la cuisine de bouche, 45 livres. Le barbier et valet de chambre du roi René Pintret, reçoit 225 livres pour divers services et ses frais de voyage.... 100 livres pour le lieutenant d'Arles et le viguier de Nîmes de salaires et vacations pour les préparatifs de l'entrevue, préparatifs et ravitaillement des galères coûteront au Trésor  3 074 livres 10 sous 2deniers, selon Jean Picart «responsable». (31466 à 31490 T3- archives nationales -BNF). Nous voyons que les domestiques royaux sont particulièrement bien payés.

Lorsque le roi arrive le soleil est de la partie. Les habitants sortent de la ville pour accueillir le cortège. Prestige, beauté des costumes… les consuls de la ville attendaient le cortège à la porte principale, revêtus de leurs robes brodées de velours et coiffés de leur chaperon. 300 arquebusiers armés et payés par la ville servaient d’escorte. Le sire de Clermont seigneur d’Aigues-Mortes présente le Premier Consul au roi à qui on remet les clés de la ville. Harangue, salutations, remerciements…. Le roi descend de cheval et vient se placer sous un dais de velours rouge, son épouse la reine Eléonore d’Autriche sous un dais de velours blanc. Et c’est la déambulation dans les rues de la ville, tendues de toiles qui protègent du soleil. La cour est là, Catherine de Médicis femme du dauphin, Henri de Navarre futur Henri IV, son épouse, Marguerite la sœur du roi, le duc de Lorraine, le duc de Guise son frère….cardinaux, évêques, président du Parlement de Paris…. Le dauphin et ses frères n’arrivent que le lendemain.
Ce 14 juillet l’Empereur Charles Quint entre dans la rade avec 52 galères dont 21 de France. Une première entrevue sur l’eau et sur le bateau de l’Empereur, entrevue en français. Le lendemain 15 juillet l’Empereur entre dans la ville à 9 h par la porte de la Monnaie au son des fanfares et des tambours, de l’artillerie de la ville et des bateaux.
On mangea des huîtres qu’on trouva si bonnes qu’on ne cessa d’en redemander. La digestion lourde, Charles Quint gagna sa chambre dans la maison du sieur Chambaud de la Rivière par une galerie qui traversait la rue en guise de pont, galerie nouvellement percée pour l’occasion. La chambre était décorée d’une tapisserie en cuir gaufré représentant des oiseaux becquetant des fruits, des feuillages et des plantes. Un lit avec un baldaquin de soie dont la bordure et les rideaux étaient en franges ornées de perles fines de grand prix….



Histoire Populaire d’Aigues-Mortes » de Nicolas Lasserre
François 1er donna à son invité une bague ornée d’un diamant de 30 000 écus, l’Empereur mit au cou du roi son cordon de la Toison d’Or, et en réponse François 1er passa au cou de Charles son collier de la Croix de St Michel. On but beaucoup au cours de ces entrevues. Les deux monarques prirent des engagements qu’ils oublieront rapidement. La France garde la Bresse, le Bugey et les deux tiers du Piémont, l’Empereur conserve le Milanais.
Charles Quint déclara en partant le 16 juillet que « jamais en aucun lieu il n’avait passé d’aussi agréables journées". La guerre entre les deux hommes et les deux royaumes recommença en 1542, 4 ans seulement après Aigues-Mortes. Un an  après l’assassinat de Rincon ambassadeur de François1er auprès de Soliman.
François 1er passa encore une nuit à Aigues-Mortes et repartit le 17 juillet après avoir remercié les habitants et le Premier Consul Franc de Conseil qu’il autorisé à décorer son blason de la devise : Rex Fortissimo (le roi au très brave).
  D'aucuns ont plus tard ronchonné sur les frais de fanfares, tambours et d'artillerie, la tapisserie en cuir gaufré de la chambre de l'empereur réalisée pour l'occasion et peu utilisée, les damassés des galères gâtés par les embruns, les velours d'Avignon frangés de perles....et la "claque", cris mille fois répétés de vive le roi et vive l'empereur, payée par le connétable Anne de Montmorency organisateur de la fête ! On savait aussi à cette époque soudoyer les acclamations de la foule.
Rabelais, alors ambassadeur du roi et présent à Aigues-Mortes, relata ces fêtes dans le Cinquième Livre, Chapitre 6 de ses œuvres : « Dans cette île, vous n'avez que des cages et des oiseaux ; ils ne labourent ni ne cultivent la terre. Toute leur occupation est de s’esbaudir, gazouiller et chanter… N'ayez pas peur que le vin et les vivres manquent ici, car quand le ciel serait de bronze et la terre de fer, les vivres ne nous feraient pas encore défaut pendant sept ans, voire huit, soit plus longtemps que ne durera la famine en Egypte. Buvons ensemble, en chœur, en communion.» Heureux de vivre nos Camarguais !!
François 1er n’oubliera pas Nîmes et en 1539 signe les lettres patentes qui autorisent  la création de collège et université dans la ville, avec les mêmes privilèges et droits que pour les établissements de Paris, Poitiers et Toulouse. Lors de ses précédents passages il avait accordé à Nîmes en 1516 le taureau sur son blason, puis en 1535 le fameux blason au crocodile enchaîné. Parlant parfaitement le latin, c'est un grand amateur d'antiquités et d'histoire romaine. Mais pour sa visite de 1533, il impose aux consuls et aux nîmois une nouvelle taxe sur les lieux vacants, les garrigues, les rues et places !!

Lettres patentes du mois de Mai 1539 « Par ces présentes, Nous créons, érigeons, ordonnons et établissons en la ville et cité de Nîmes, Collège, Ecole et Université en toutes Facultés de Grammaire et Arts seulement, et, pour la conservation d icelle, donnons et octroyons à cette Université, Collège, Facultés, recteurs, docteurs, maîtres gradués, étudiants et écoliers, bedeaux, messagers, et autres officiers et suppôts de la dite Université, présents et à venir, telle et semblable juridiction et puissance, autorité, privilèges, immunités, libertés, exemptions et franchise qu'ont accoutumé d'en avoir les Universités de nos bonnes villes de PARIS, POITIERS, TOULOUSE et autres du royaume. Et pourront !es docteurs, maîtres et gradués d'icelle Université élire, instituer et créer recteurs et tous autres officiers, sauf et réservé le conservateur des privilèges royaux d’icelle, dont l'institution et provision nous appartiendra.
Si donnons en mandement, par ces mêmes présentes, à nos féaux conseillers tenant notre Cour de Parlement à TOULOUSE que ces présentes ils fassent lire, publier et enregistrer, et de l'effet d’icelles ils fassent jouir la dite ville et cité de NIMES.
Car tel est notre bon plaisir.
Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dites présentes, sauf es-autres choses notre Droit et celui d'autrui en toutes...
Fait à FONTAINEBLEAU en MAI de l'An de Grâce 1539.
Signé: FRANÇOIS PREMIER Contre-Signé: ANNE de MONTMORENCY, Connétable et Grand-MaîIre de FRANCE »





Sources :Lionel d’Albouisse « Entrevue de François 1er et de Charles Quint à Aigues-Mortes en 1538 édit. Lacour1909-2005 – Jean marie Le Gall  L’honneur perdu de François Ier Payot 2015—archives départementales gard-hérault—archives nationales—BNF—B Voisin-Escoffier Mathieu de Bargeton seigneur de Vallabrix site de Vallabrix internet p22 et suivants---élements de la façade Renaissance de Vallabrix milieu 16ème siècle probablement due à Mathieu de Bargeton. Photos collection privée--Rabelais le Cinquième Livre, Chapitre 6 -- fr.wikipedia.org/wiki/Entrevue_d%27Aigues-Mortes --www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2009/07/25/01006-20090725ARTFIG00206--le-roi-contre-l-empereur-.phpCharles Marins Une ville oubliée Aigues-Mortes son passé son présent son avenir Revue des Deux Mondes 3èpériode T1 1874 p780-816--Gazette de Nîmes n°865 -842 François Wiart---


 élements de la façade Renaissance de Vallabrix milieu 16ème siècle probablement due à Mathieu de Bargeton- photos collec privée--