mercredi 27 décembre 2017

"Abus criminel des dances"-1700



 

 

« Abus criminel des dances »

Un petit bijou trouvé aux archives départementales du Cantal :
Le dimanche1er mai 1700 à Cézens petit village du Cantal un procès-verbal est établi contre un groupe de jeunes gens qui se sont rassemblés entre amis : Antoine Palagou vacher de son état jouait de la musette, ses compagnes et compagnons originaires de Cézens et de Brezons dansaient devant la grange d’Estienne Roullant, lieu en haut de la place publique du village. Le vicaire de la paroisse le sieur Blanc, devant témoins leur demande d’arrêter sans succès : «malgré toutes nos remontrances et menace qu’on leur a fait de les dénoncer à mondit seigneur (l’évêque), bien loin de cesser, ils ont escandaleusement  continué à dancer ». Insouciance de la jeunesse, effronterie envers un vicaire bougon.. ?
 (1607 fête au village gravure BNF).
Ce procès-verbal est envoyé au tribunal diocésain, c’est-à-dire à l’évêque. Mais les archives de l’officialité ayant disparu nous ne savons pas comment fut traitée cette affaire. Habituellement il était prévu une amende de 100 livres par contrevenant, somme importante pour le peuple.

C’est effectivement en connaissance de cause que le vicaire intervient. Sous l’Ancien Régime, il est défendu de danser les jours de fêtes religieuses, comme le dimanche, jour du Seigneur. Un arrêt des Grands Jours d’Auvergne (tribunal) en 1665, une déclaration du roi Louis XIV en 1688 et les ordonnances de l’évêque de Saint-Flour le rappellent : « deffandent la profanation des festes par l’abus criminel des dances ».
Depuis 321 et l’empereur Constantin, le jour du Seigneur, c’est-à-dire le dimanche, est jour de repos dans les villes. Au Moyen Age, l’ensemble des travailleurs, à la ville comme à la campagne sont concernés et le chant et la danse sont interdits. François Ier le rappelle en 1520, les ordonnances sur ce sujet s’accumulent ce qui laisse à penser combien leur application était difficile.
Gravure A Durer-1514- BNF
 La danse apparaissait comme un mouvement impudent, indécent dès lors que les deux sexes se côtoyaient. Fléchier en 1665 dans ses Mémoires sur les Grands Jours d’Auvergne décrit une danse « la goignade » sorte de bourrée comme : « la danse du monde la plus dissolue », avec « des figures qui sont très hardies et qui font une agitation universelle de tout le corps. Vous voyez partir la dame et le cavalier avec un mouvement de tête qui accompagne celui des pieds, et qui est suivi de celui des épaules et de toutes les autres parties du corps, qui se démontrent d’une manière très indécente »… « ils tournent sur un pied, sur les genoux, fort agilement ; ils s'approchent, se rencontrent, se joignent l'un l'autre si immodestement, que je ne doute point que ce ne soit une imitation des bacchantes dont on parle tant dans les livres anciens ». Plus tard Taine dans ses Essais décrit la goignade « danse fort tortillée et fort risquée » (Taine, Essais crit. et hist.,1858, p. 239). Qu’aurait-il dit de nos danses modernes, rock, hip pop et même d’une simple valse ou java de papa !!
En fait, nos rois craignaient surtout les rixes, les abus, ivrogneries etc. qui trop souvent sont la suite logique des rassemblements de jeunes gens venus s’amuser, peut-être aussi les attroupements où l'on pouvait discuter et se "monter la tête"contre le pouvoir du lieu.
Le tribunal d’exception de Clermont de 1665-1666 rappelle l’interdiction de tenir foire, marchés et danses publiques les jours de dimanche et fêtes, qui sont cause « de toutes sortes de lascivetés, yvrogneries, blasphèmes exécrables, et batteries sanglantes qui s’y font et des meurtres qui y arrivent ». Seigneurs et consuls avaient pris l’habitude d’autoriser la tenue de foires, de spectacles lors des jours de fêtes, ce qui amenait du monde et permettait de percevoir des taxes en conséquence. il n'y a pas de petits profits !!




Bonne année 2018 et si l’an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins !!


Et puis dansons !!!
Procès-verbal recto-verso

     

mercredi 20 décembre 2017

La bûche de Noël

  

La Bûche de Noël :

Revoici un Platter. Thomas fils que nous avions vu dans un article précédent. Il a pris plaisir à raconter les us et coutumes de notre Languedoc. Nous sommes le 24 décembre 1597.
 « Le 24 décembre (1597) dans la soirée de Noël à la tombée de la nuit, nous étions sur le point de faire collation, dans la maison de mon logeur Monsieur Carsan. Ce personnage est papiste, ainsi que son fils ; sa femme et sa fille en revanche, appartiennent à la religion réformée. J’ai donc vu qu’on mettait sur le feu une grosse bûche de bois. Celle-ci est appelée dans leur langage local (en langue d’oc) un cachefioc, ce qui veut dire cache-feu ou couvre-feu. On procède ensuite aux cérémonies ci-après décrites.
De fait en cette même soirée, on dépose une grosse bûche de bois sur le gril, par-dessus le feu. Quand elle commence à brûler, toute la maisonnée se rassemble autour du foyer, dès lors, le plus jeune enfant (s’il n’est pas trop petit, auquel cas il appartiendrait au père ou à la mère d’agir en son nom pour l’accomplissement du rite) prend dans sa main droite un verre plein de vin, des miettes de pain et un peu de sel, et dans la main gauche un cierge de cire ou de suif, allumé. Immédiatement les personnes présentes, du moins celles qui sont de sexe masculin, tant jeunes garçons qu’adultes, ôtent leurs chapeaux ; et l’enfant susdit, ou bien son père s’exprimant au nom d’icelui, récite le poème suivant, rédigé dans leur langue maternelle :
Ou Monsieur s’en va et vent, (en quelque endroit que se rende le maître de la maison, qu’il aille ou vienne)
Dious donne prou de ben, et de mau ne ren,(puisse Dieu lui donner beaucoup de bonnes choses et rien de mauvais)
Et Diou donne des fennes enfantans, et de capres caprettans, (et que Dieu donne des femmes qui enfantent, et des chèvres qui feront des chevreaux)
Et des fedes agnolans, et vacques vedelans (et des brebis agnelantes, et es vaches vêlantes)
Et des saumes oulinans, et de cattes cattolans (et des ânesses poulinantes, et des chattes chatonnantes ou productrices de chatons)
Et des rattes rattonans, et de mau ne ren, (et des rates faisant des ratons, autrement dit, rien qui soit mal)
Sinon force ben (sinon beaucoup de bonnes choses)

Tout cela étant dit, l’enfant jette une pincée de sel sur la partie antérieure de la bûche, au nom de Dieu le Père, idem sur la partie inférieure au nom du fils, et enfin, sur la partie médiane au nom du Saint-Esprit ; Une fois ces rites effectués, tout le monde s’écrie d’une seule voix : Allègre ! Diou nous allègre, ce qui veut dire : « En liesse ! Dieu nous mette en liesse ! ». Ensuite l’enfant fait de même avec le pain, puis avec le vin et finalement tenant en main la chandelle allumée, il fait couler des gouttes de suif ou de cire brûlante aux trois endroits de la bûche, au nom de Dieu le Père, du fils et du Saint-Esprit. Et tous reprennent en chœur le même cri qu’ils ont déjà poussé : « En liesse ! ». 
A ce qu’on dit, un charbon ardent en provenance d’une telle bûche ne brûle pas la nappe si on le pose dessus. On conserve avec soin toute l’année les fragments de la bûche en question, noircis au feu et l’on pense que quand une bête ou un être humain souffre de tumeurs une application de ces ci-devant braises maintenant éteintes sur la grosseur ou bosse empêchera que celle-ci ne s’accroisse et même la fera disparaître. Les cérémonies de la bûche étant terminées, on sert une collation magnifique sans viande ni poisson, mais avec du vin fin, des fruits et des confiseries (les treize desserts). Et sur la nappe qui reste mise toute la nuit, on laisse un verre à moitié rempli de vin, du pain, du sel et un couteau. J’ai vu tout cela de mes yeux vu… ».

La coutume de ne pas desservir la table du souper de Noël vient de la croyance que les anges ou les morts de la famille devaient pouvoir s’y restaurer. Ici seuls les hommes sont admis aux rites.
La tradition de la bûche de Noël existait dans tout le pays. La cosse de Nau en Berry, tréfoué en Orléanais….Ceppo en Italie, au Québec jusqu’à la fin des grandes cheminées au 19ème siècle. Son origine est liée au solstice d'hiver. On peut estimer que cette tradition s'est propagée grâce aux populations indo-européennes, soit vers 2500 avant J.-C. Un reste païen, bénédiction du feu au moment où les rigueurs de l’hiver se faisaient sentir. Un moment de rassemblement de tous les habitants de la maison, parents, domestiques, hôtes. Probablement aussi un reste de la fête druidique de la lumière de nos ancêtres du Nord.
Pendant toute la féodalité et même après dans certaines provinces, il s’agissait d’un impôt en nature payé au seigneur par son vassal. A Noël on apportait du bois, à Pâques des œufs ou un agneau, à l’Assomption du blé, à la Toussaint du vin ou de l’huile..

Frédéric Mistral (prix Nobel de Littérature en langue d'oc en 1904) nous raconte la bûche de Noël du 19ème siècle en Provence :
Frédéric Mistral
Les hommes apportaient à la maison un vieux tronc d’olivier, le cariguié, choisi pour brûler toute la nuit. Ils s’avançaient solennellement en chantant :
Cacho fio. Cache le feu (ancien).
Bouto fio. Allume le feu (nouveau).
Dieou nous allègre. Dieu nous comble d’allégresse !
Le papé arrosait ce bois soit de lait, de miel en souvenir de l’Eden, soit de vin en souvenir de la vigne cultivée par Noé et de la première rénovation du monde. Tout en prononçant :
Alègre ! Alègre ! Dieu nous alègre.
Calendo vèn, tout ben vène
E se noun sian pas mai, que noun fuguen men !
Dieu vous rague la graci de veire l’an que vèn.
(Dieu nous tienne en joie ; Noël arrive, tout bien arrive ! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins !)
Le plus jeune à genoux récitait les paroles apprises de génération en génération : « O feu, réchauffe pendant l’hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l’étable du laboureur ni le bateau du marin. »
 « Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d’olivier, blanchissait sous les cendres et que l’aïeul vidait, à l’attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l’ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit. » « C’est la Bonne Dame de Noël qui s’en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.
 « Et vite alors, tandis que la bûche s’éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait : Braves gens, le bon Dieu est né, n’oubliez pas les pauvres ! Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux et de nougats – car on aime fort le nougat dans le Midi – et ils donnaient aux pauvres le reste du festin ».
Cette description faisait partie primitivement du texte de « Mireille » de Mistral.
 « Ah ! Noël, Noël, où est ta douce paix ? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles ? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas ? Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un cœur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.
« Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d’enjolivures. Déjà s’allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémices des moissons. Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L’aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l’ébranle et, le chargeant sur l’épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement. Le vénérable aïeul d’aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. Il a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. Il a mis sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses guêtres de peau.
« Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s’agite... Eh bien ? posons-nous la bûche, enfants ? – Allégresse ! Oui. Promptement, tous lui répondent : Allégresse. Le vieillard s’écrie : Allégresse ! que notre Seigneur nous emplisse d’allégresse ! et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins ! Et, remplissant le verre de clarette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l’arbre fruitier. Le plus jeune prend l’arbre d’un côté, le vieillard de l’autre, et sœurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
« Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l’air le gobelet de verre : O feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps ! Bûche bénie, allume le feu ! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l’âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l’huile et escargots dans l’aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d’amandes et fruits de la vigne. D’une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester muets ! »
 
Les grandes cheminées vont disparaitre en particulier dans les appartements. Les poêles les remplaceront. Des petites bûches serviront de décor de Noël sur les tables. Et vers 1870 le gâteau arrivera sur les tables. Roulé, ressemblant à une bûche. Raisins secs qui se conservent bien et qui annonce un avenir prospère et fertile, et chocolat pour la gourmandise.




Sources : LeRoy Ladurie Le Siècle des Platters - La France Pittoresque -Bûche de Noël (Origine et histoire de la)(D’après « La nuit de Noël dans tous les pays » paru en 1912 Publié / Mis à jour le vendredi 23 décembre 2016, par LA RÉDACTION - Véronique Dumas, « La bûche de Noël », Historia,‎ novembre 2011, p. 98 (ISSN 0750-0475) - "Fêtes de la table et traditions alimentaires", par Nadine Cretin, éditions Le Pérégrinateur --. transenprovence.over-blog.com – décors Noël cabschau - Centerblog – printerest  -

 Joyeux Noël


Pour rire

jeudi 14 décembre 2017

Le Clocher du village - Témoin de notre vie sociale


Horloge du clocher de Vallabrix

Le Clocher du village – Témoin de notre vie sociale

Notre horloge de clocher (ou horloge d'édifice) depuis quelques temps n’avait plus envie de nous accompagner dans notre vie. Un bon nettoyage, quelques réglages, et elle s’est remise en route, nous espérons pour quelques années encore. Le temps de réfléchir, pour peut-être la remplacer par une électrique. Nous espérons aussi que si elle doit partir pour quelques réparations, qu’elle nous revienne. Depuis quelques années les horloges anciennes comme la nôtre sont sorties des caves, des clochers pour être exposées et raconter notre passé et notre présent. Des projets pédagogiques magnifiques sont montés à partir de cet objet de musée. Sans les innovations horlogères au cours des siècles, aurions-nous découvert les métiers à tisser comme les Jacquards, les mécanismes industriels, et même l’ordinateur ?. Avec les horloges nous avons découvert au fil du temps les engrenages, les automates ….. « sur les engrenages des horloges d'édifices, le profil est passé d'une forme triangulaire à d'autres plus élaborées, déterminées par tâtonnement puis, aux XVII e et XVIII e siècles, à des profils plus scientifiques : le profil épicycloïdal et le profil en développante »….(wikimedia). Et puis avec les horloges, la mesure du temps devient laïc, appartient à tout un chacun. 
(Horloge astronomique lunaire Cathédrale St Jean Lyon 1379-Chris73 mars2006 wikimédia communs)
Quel penseur ou philosophe ne s’est pas penché sur ce dilemme, sur l'espace-temps ?. A découvrir aussi les horloges astronomiques et astrolabiques, la mesure du temps associée aux astres, des chefs-d’œuvre qui sont arrivés jusqu’à nous.


Analyse du mécanisme d’une horloge à foliot 15ème siècle –travail personnel Kergeo 2-3-2017- wikimedia commons

Notre horloge actuelle est installée dans notre clocher en novembre 1935 – coût 6500 frs sous la mandature de Joseph Desplans. Elle vient de Lyon, du célèbre horloger Léon Delorme (48 rue de l’Hôtel de Ville – Lyon). C’est un modèle Charvet . (Charvet Aîné à Lyon à partir de 1852. --Charvet semble fabriquer ses horloges électriques mais achète les horloges mécaniques dans le Jura, chez Cretin-L'Ange ou Bailly-Comte. L'entreprise est ensuite reprise par Léon Labrosse qui rachète Cretin-L'Ange en 1906, puis Delorme et ses célèbres automates, puis Fortune.)

Horloge verticale d'origine morézienne de 1798
 En 1937, des objets de la précédente horloge seront vendus en adjudication, cordes, même passables, ferrures, boiseries…. Deux cordes de 26 et 36 mètres. La précédente était probablement une morézienne Paget comme le seul cadran que nous avions à l’époque. 
Nous ne savons pas quand une première horloge est logée dans notre clocher. En 1610 nos consuls paient un reliquat de salaire au guetteur qui officie dans « la tour de l’Horloge ». Donc nous pouvons penser que nous avions à cette époque un mécanisme dans le clocher actuel, bâtiment qui date de la fin du 15ème siècle. Avant cette période pendant la Guerre de Cent Ans, notre village, les environs jusqu’à Avignon, Arles ont été ravagés par le Prince Noir anglais, les routiers de Du Guesclin, la peste noire etc…. Le village est en ruine ainsi que la seigneurie du moment. Il est probable qu’une première horloge ait été installée par notre seigneur suivant Mathieu de Bargeton qui achète Vallabrix en 1536, un peu « m’as-tu-vu », appartenant à la noblesse depuis peu mais issu d’une riche famille bourgeoise. Notre façade Renaissance date de son époque. Nîmes est déjà équipée d’une horloge depuis 1405. Notre village va régulièrement à partir du 17ème siècle payer l’entretien de l’horloge et même son remplacement. Donc à ce moment-là propriété de la communauté et non du seigneur.

Depuis la nuit des temps, nous avons besoin de comprendre, de nommer, l’espace « temps ». Ne serait-ce que pour réguler, synchroniser nos activités, marcher d’un même pas. Sans parler de ce qu’ont connu tous les peuples anciens : l’interrogation du demain, un autre jour, après le coucher du soleil. Toutes les religions, toutes les sociétés posent la question du lendemain, du renouveau de la lumière.
(Estampe L’Horologium de Charlemagne  - Horloge hydraulique 806 –Mathieu Planchon L’Horloge son histoire rétrospective-1923 )
Les Romains nous avaient apporté une division en douze espaces-temps pour la journée de lumière et douze pour la nuit. Basés sur le soleil et sur ce que nous appelons maintenant notre horloge biologique. 

(Bible Moralisée- Environ 1250 Illustre la guérison du Roi Ezéchias -Horloge à eau et système de sonnerie).
A partir du Vè et VIème siècle, notre espace-temps sera mesuré en heures canoniales c’est-à-dire uniquement les moments de prières et offices religieux. Les cloches rythment la vie des villageois. En cette période d’invasions, les monastères sont les seules institutions un peu près solides, organisées, sécurisées. On est aux champs avant prime par exemple. Matines pour l’aurore, prime pour le lever du soleil, tierce 3ième heure après le lever du soleil, sexte, none, vêpres coucher du soleil, complies, vigile, en tout 8 espaces-temps. Le découpage romain ne sera pratiquement plus utilisé, quelques érudits seulement le comprennent. Les deux systèmes ne coïncidaient pas ce qui fait qu’au 11ème siècle, « none » se retrouve à midi, (ce qui donna en anglais le mot noon). Mais dès le 8ème siècle, dans les bourgs, petit à petit, le système religieux sera utilisé pour des événements civils, sonnerie des cloches pour un incendie, une attaque, un rassemblement, proclamer un avis, ouvrir les portes de la ville… Sonneries diverses, musique différente selon l'événement, un langage communautaire rassembleur. Telle cloche pour appeler les hommes armés, tel son pour l’ouverture du marché etc… Les cloches et leurs sonneries représentaient l’identité sociale et politique du bourg ou du village. Un "tout" communautaire, une prise de conscience qui vont s’installer petit à petit.
                                                    andrezel-village.e-monsite.com

Du 11ème au 13ème siècle, les rendements agricoles augmentent du fait de réformes, (jachères, ferrage des chevaux, moulins à vent, charrue à roue et à versoir…) ; les villes et les bourgs cherchent leur indépendance (consulats par exemple chez nous), non sans mal. Le commerce se développe, les foires et les marchés prospèrent un peu partout. La population s’accroît. Le 13ème siècle c’est l’apparition des universités (Sorbonne, Toulouse, Montpellier..) qui témoignent d’un renouveau intellectuel mais surtout d’un désir d’indépendance vis-à-vis du pouvoir ecclésiastique et laïc. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premières horloges mécaniques. Depuis 1271, évolution probable des horloges à eau, qui se mécanisent petit à petit. Ou plus exactement à partir des réveils à eau qui permettaient de réveiller le sonneur dans les monastères ou les villes pour qu’il aille sonner les cloches. Le mécanisme était couplé à une petite cloche actionnée par des leviers ou rouages. Inventions, améliorations, tâtonnements et l’horloge mécanique nait vers 1330. Elle sonne les  heures par coup sur la cloche grâce à la mise au point du système de la roue de compte. L’espace-temps religieux s’oublie peu à peu dans l’espace civil. 
Les horloges hydrauliques pouvaient avoir un réservoir à eau assez grand : en 1198 Jocelin de Brakelond raconte que lors d’un incendie à l’abbaye de Bury St Edmunds les moines coururent à l’horloge( « horologium ») chercher de l’eau.

Les riches seigneurs ou bourgeois auront leur horloge mécanique murale à poids-moteur (la rollex de l’époque ?). Le pape d’Avignon en 1365, les roi Philippe le Bel et Charles V (1314/1377). L’invention du ressort spirale plat dès avant 1390 et la miniaturisation est en marche avec les « horloges de table », puis les premières montres dès 1490 qui feront partie des costumes d’apparat de la Cour.

Dès 1350 nous retrouvons ces horloges de clocher en  Italie du Nord, dans l’Empire Allemand, en France, dans les grandes villes princières d’Europe, Angleterre, Pays-Bas. Puis vers 1371 dans les villes moyennes et jusqu’aux frontières de l’Europe. D’abord verticales, puis horizontales.

Une horloge de clocher modifiée par monsieur Bourreau (adjonction de moteurs électriques):



A Nîmes une querelle qui en dit long. Depuis 1399 chanoines et consuls de Nîmes se disputaient au sujet du clocher de la cathédrale, les uns refusaient que les seconds y installent un guetteur qui pourtant en ces temps de Guerre de Cent Ans était bien utile.
Les consuls en 1405 obtiennent du roi l’autorisation d’installer une horloge dans ce clocher, une sorte de droit de jouissance de l’édifice. La ville paiera les frais, cloche, main d’œuvre… Mais les chanoines refusèrent de sonner les heures, la cloche est endommagée…. On se chipota jusqu’en 1410. L’historien Ménard nous raconte l’accord du vendredi 22 d'août de l'an 1410. On voit par l'exposé de cet acte que « Gaucelme de Deaux, étant évêque de Maguelonne, avait donné une grosse cloche aux Habitants de Nîmes, pour être employée à sonner les heures, que cette cloche avait été placée dans le clocher de la cathédrale, où elle servait non seulement à l'usage de la ville, mais aussi pour sonner les offices, que néanmoins quelqu'un des chanoines l'avait ensuite malicieusement endommagée, qu'on l'avait réparée à la vérité, mais fort imparfaitement ». Par cet accord il fut convenu :

« 1° que la cloche en question serait remise aux consuls, avec les roues, les ferrures et tout l'attirail de l'horloge;
2° que les consuls feraient bâtir une tour à l'hôtel de ville, pour l'y placer et servira sonner les heures ;
3° qu'ils seraient obligés d'y tenir une horloge publique à perpétuité pour l'usage des habitants, ainsi que pour celui de l'église ;
que les chanoines et les gens d'église auraient à l'avenir l'entre franche des vins qu'ils retiraient de leurs bénéfices ou clé leurs patrimoines, situés hors du territoire de Mules, ainsi que les religieux mendiants pour les vins de leurs quêtes. « 

Les chanoines s’en sortent plutôt bien.

Les archives communales mentionnent bien le coût d’une horloge sur ordre des consuls en 1405. Une clé pour la tour de l’horloge sera fabriquée en 1412 pour 5 livres. La tour de l’Hôtel de ville demandée par le 2ème de l’accord sera construite et achevée en 1412, donc la clé était pour cette tour de l’Horloge.

Il semble qu’il n’y ait pas de cadran extérieur à cette horloge car en 1653 le sieur Jacques Bernard maître horloger de Nîmes propose pour 160 livres « de faire les roues et ressorts nécessaires à faire mouvoir une aiguille qui démontrera les heures alentour d'un quadrant que messieurs les consuls se chargent de faire au dehors de la tour de l'horloge à la face qui regarde la rue de la maison de ville (aujourd'hui rue de l'Horloge) et sur la porte d'icelle. »
Ce cadran coûtera 200 livres, exécuté par Jean François, peintre, « tenu de peindre à l'huile un cadran desmontrant les douze heures du jour... de la rondeur qui sera nécessaire, et remplir le carré de peinture or et azur ; plus faire audit cadran un soleil d'or dont les pointes aboutiront aux heures et demi heures du cadran et au dessus faire les armoiries du Roy avec les supports d'or sur une aix carrée et à costé d'icelles, deux trophées d'armes, aussy sur deux aix bien attachées et au dessous dans le carré du cadran sur le fond de ladite tour, faire du costé droit les armoiries de monseigneur le duc d’Orléans, lieutenant-général du Languedoc et de l'autre costé les armes delà ville ; et au bas du dit cadran un escripteau en lettre d'or contenant les noms des sieurs consuls portés par deux anges et le milizime de la présente année, finalement sera tenu de faire un petit couvert de bois de noyer, couvert de fer blanc double pour empêcher la pluie de gâter ce cadran. » (archives communales KK 16).

Les cadrans vont apparaitre, d’abord avec une seule aiguille qui indique l’heure et le temps avant l’heure suivante. Nous n’avons pas encore besoin d’une grande précision. Nous sommes passés à une indication sonore avec les cloches complétée par une indication visuelle.


En France au 19ème siècle, les mairies, les écoles, les gares, s’équipent et même les petites communes qui construisent ou récupèrent des beffrois pour y installer une horloge (voir St Quentin la Poterie, Pougnadoresse…). Elles sont parfois agrémentées pour le regard ou l’amusement d’un jaquemart ou d’automates, des petits chefs-d’œuvre de mécanismes. Mais avec l'industrialisation et la prolifération des horloges et leur précision, la pression du temps s’accroit sur les gens, il n’est plus question d’être en retard pour prendre le train ou pour un rendez-vous. La notion de l’espace-temps s’est rétrécie. Lorsqu’au Moyen Age une vague indication temporelle suffisait, maintenant nous sommes dépendants d’un ensemble d’horaires précis et nous ne pouvons pas y échapper étant donné le nombre d’horloges, réveils, montres, sur nos appareils électroniques… C’est certainement une des raisons de notre intérêt pour les horloges anciennes, d’une époque où  "on prenait le temps" ?

Le Jacquemart de Nîmes installé en 1830 servait d’enseigne publicitaire à la boutique de MM Berger, oncle et neveu, située au 6 de la place de la Mairie. Parfois appelé « le mandarin » à cause de ses moustaches ( ?), notre Jacquemart représente un personnage en costume turc. Les Berger étaient Horlogers Officiels de la Compagnie des Chemins de Fer. Le journal « Le Courrier du Gard »  du 17 juillet 1839 recommande aux voyageurs « de régler leurs montres sur la seule pendule régulateur dans le magasin des MM Berger». Cela ne doit pas suffire car quelques jours plus tard, le journal indique que les portes des trains seront fermées cinq minutes avant le départ car les retards systématiques des voyageurs provoquent des « désordres indescriptibles, des risques de chutes, de perte de bagages… ».
Le Jacquemart donnait les heures précises des gares de Nîmes et de Beaucaire mais c’était aussi l’horloge de référence pour tous les Nîmois, qui si l’on en croit la presse locale, « ne doivent pas trop se fier aux horloges de la ville ».
Usines d’horloges d’édifice Paul Odobey 1907
Devenue Terraillon dans les années 1970


Usine Odobey Morez

                                                                                    
L’industrie horlogère va se développer dans notre Jura autour de Morbier, Morez. Dans les archives dès le 18ème siècle, tout un artisanat annexe et des emplois parfois à domicile sont favorisés par cette industrie.
Nous abordons une évolution très moderne. On trouve des accords commerciaux qui fixent des conditions de ventes entre les fabricants d’horlogerie de Morez par un traité du 12 août 1856. Des sociétés commerciales se créent, des réseaux de vente essaiment dans tout le pays. Publicité, expositions, vantent nos productions. Nos horloges sont imitées en Angleterre. Bailly-Comte emploie entre vingt et trente ouvriers dans les années 1850, Louis-Delphin Odobey jusqu'à 80 à son apogée La taille des bâtiments des fabriques Odobey est également là pour témoigner de l'importance de la production. L'entreprise Collin - Château de Foncine-le-Haut emploie quant à elle plus de 40 personnes vers 1890.

Atelier des régleuses – Ecole d’horlogerie de Saint-Imier 1910-1920






 En 1891 l’heure de Paris devient l’heure de référence nationale. Puis unification de l’heure au niveau international. En France mars 1911 pour s’aligner sur l’heure officielle celle du méridien de Greenwich. On ne parlera pas ici du système de l’heure d’été et d’hiver institué en 1917, abandonné en 1945 pour réapparaitre en 1976. En 1960 on redéfinit la seconde qui n’est plus 1/3 600 d’une heure solaire moyenne, mais la durée de 9.192.631.770 vibrations de l’atome de césium. Nous sommes carrément passés dans un autre monde !!
Dans nos petits villages, l’horloge publique et ses cloches font l’objet de débats houleux parfois : réparations, sonneries nocturnes…. Elles sonnent les événements heureux ou malheureux, mariages, baptêmes, glas, parfois les messes dominicales. Elles sonnent le tocsin en cas d’incendie, d’inondations subites à la place ou en complément d’une alerte SMS. L’angélus rythme notre journée. Pour les croyants et les non-croyants. L'horloge publique est encore l'identité du village. En panne, les habitants se rendent compte de son absence, du vide sonore. Que nous le voulions ou non elle fait partie de notre ADN.


Horloge Charvet de Lyon,
en fait très probablement une horloge
Bailly-Comte de Morez

A lire l’excellent travail de Philippe Monot Horloges d’Edifice, leurs  fabricants, leur usages. Internet

Sources :  Gerhard Dohrn-van Rossum pour sa thèse de doctorat, travail publié en différentes langues, en particulier en français sous le titre L'histoire de l'heure - L'horlogerie et l'organisation moderne du temps, Editions de la Maison des sciences de l'homme, Paris 1997 - "Histoire de la ville de Nîmes", tome II, par Adolphe Pieyre, 1886, pages 278 à 280  - Copyright © 2004-2010  Philippe Monot Horloges d’Edifice, leurs fabricants, leurs usages  - AFAHA - l'Association Français des Amateurs d'Horlogerie Ancienne. - ANCAHA - Association Nationale des Collectionneurs et Amateurs d'Horlogerie Ancienne et d'Art. -  Fondation haute Horlogerie  - horlogerie.suisse.com -  horlogerie Lycée Diderot Paris  - Pierre Dubois, Histoire de l'horlogerie, Paris, 1849, p. 65-66.- Joëlle Chevé, « L'horloge », Historia,‎ novembre 2011, p. 75 (ISSN 0750-0475). – Ménard Histoire de la Ville de Nîmes 1758 différentes éditions – Mathieu Planchon L’Horloge son histoire rétrospective-1923  - archives départementales du Gard, municipales de Nîmes – archives municipales de Vallabrix – Couradou décembre 2015 L’Eglise de Vallabrix médiathèque ou site internet de Vallabrix. -



Office du tourisme Morestel Horloge de Vasselin fabrication Odobey cadet




Séraphin Romanet -1875 environ -Morbier


















Pernes les Fontaines Concessionnaire Horlogerie Odobey






Horloge Bailly-Comte de Morez, 1860  Signée et distribuée par Charvet (Lyon). Sonnant les heures et les demies. Remontage toutes les 8 jours