mardi 26 juin 2018

Le Salaire de la Peur dans le Gard





Le Salaire de la Peur tournage dans le Gard:

Un tournage au bout de l’enfer


Le 15 avril 1953 le film d’Henri-Georges Clouzot « Le Salaire de la Peur » est projeté au 6ème festival de Cannes. L’un des juges le comédien Edward Robinson à la sortie de la projection s’exclame : »Je viens de recevoir un génial coup de pied au bas-ventre ». Le Grand Prix, l’équivalent aujourd’hui de la Palme d’Or est attribué au film. Fait exceptionnel il reçoit aussi l’Ours d’Or de Berlin. Les récompenses vont se succéder : le Prix Méliès en 1953, le British Academy Film Award du meilleur film en 1955… Un succès immense avec plus de sept millions de spectateurs.

Clouzot en visite au Brésil constate que les grands groupes pétroliers volaient allégrement les ressources naturelles d’Amérique du Sud. Cela lui donne l’idée d’adapter au cinéma le livre de Georges Arnaud « Le Salaire de la Peur ».
L’histoire est celle d’un groupe d’exilés en Amérique Centrale qui tentent de s’échapper de l’enfer du lieu en transportant de la nitroglycérine sur des routes à peine praticables. 500 km dans deux camions, pour éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Une compétition mortelle, surhumaine.. Un sinistre jeu de « quitte ou double » périlleux avec une énorme prime, seul moyen de quitter ce village de Las Piedras (Les Pierres en français, ce qui en dit long sur cet environnement).

Georges Arnaud
 (Georges Arnaud Libération.fr 1986- Photo Louis Monier. Rue des archives)
En 1951, la Production cherche des lieux pour tourner l’adaptation du roman de Georges Arnaud, ou Henri Girard. L’auteur du livre, est né à Montpellier en 1917. Il décède en 1987à Barcelone. A l’âge de 24 ans il est accusé puis acquitté du meurtre de son père, de sa tante et d’un domestique. Après avoir dilapidé son héritage il part pour le Venezuela où il exerce tous les métiers, chercheur d’or, barman, contrebandier, chauffeur de camion. Il rentre en France en 1949. Son livre est vendu à plus de deux millions d’exemplaires. C’est son premier roman. Plus tard il se lance dans le journalisme d’investigation et prendra parti pour le FLN lors de la Guerre d’Algérie. Son activiste politique lui vaudra un autre emprisonnement pour avoir entre autre écrit un livre en 1957 avec Jacques Vergès sur Djamila Bouhired militante FLN qui risquait la peine de mort. En 1960 il est incarcéré pour ne pas avoir dénoncé des indépendantistes algériens ; il reçoit le soutien de personnalité telles que Joseph Kessel, Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert, François Maspero, André Frossard..
Théoriquement l’action se passe au Guatemala. Clouzot veut tourner en décors naturels. Clouzot dira cette phrase qui résume bien son état d’esprit : "Je ne peux pas supporter qu'on fabrique. Peu importe si la colère que je réclame a d'autres motivations que celle du rôle, il suffit qu'elle soit vraie." 
L’Amérique Centrale est trop loin et trop cher. Yves Montand et Simone Signoret après un voyage à Rio devant tant de misère en Amérique Latine avaient jugé indécent de tourner dans ces pays. On évite l’Espagne, Yves Montand l’acteur principal ayant déclaré : « Franco vivant, je ne franchirai pas les Pyrénéens » !!

Clouzot et son frère Jean, devenu Jérôme Geronimi planchent dix mois pour mettre au point le projet. Le budget initial se monte à 102 millions de francs, reparti en trois, le distributeur Cinédis, le Crédit National, et les deux coproducteurs (CICC et Vera Film). Yves Montand se fait un peu tirer l’oreille pour accepter le rôle de Mario. Jean Gabin refuse le rôle de Jo le faux-dur : ce sera Charles Vanel qui y gagnera le prix de la meilleure interprétation masculine. Vanel sera doublé pour les scènes violentes par un boxeur nîmois Capdeville. La femme de Clouzot, Vera jouera le seul rôle féminin du film. Un Hollandais Peter Van Eyck tout en muscles, et l’Italien Folco Lulli tout en rondeurs parachèvent l’équipe de camionneurs kamikazes. 

Midi libre 28/8/2017 : Peter Von Eyck, Clouzot, Folco Lullli, Montand. » Clouzot a voulu faire de coin de terre gardoise l’un des vestibules de l’enfer où le travail des hommes est comme le tribut d’une damnation, Des sites inhumains, des camions qui ahanent au long de rampes impossibles, des belvédères escarpés où des titans torses nus s’agrippent aux rochers » Pierre Jaoul. 


Peter et Dario Moreno















 La Camargue sera idéale pour représenter la saison chaude et sèche. Des puits et des derricks seront construits pour les besoins du film. Nîmes n’est pas loin pour loger, transporter comédiens et matériels. La Bambouseraie de Prafrance prêtera sa végétation exotique et luxuriante. Ce sera idéal pour le tournage de nuit lorsque le camion roule sur la piste en tôle ondulée. (Bambouseraie-wikimedia)


Les gorges du Gardon près du Pont Saint Nicolas et ses méandres donneront les frissons aux spectateurs. Nous verrons Montand zigzaguer au volant de son camion dans les virages des gorges entre Nîmes et Uzès en traversant le camp militaire des Garrigues. En limite du village de Poulx sur la route de la Baume nous assisterons à la chute du camion de Montand dans la combe. En 1990 les débris de ce camion seront retrouvés avec d’autres carcasses. La rive gauche du Gard sera le lieu de l’explosion du premier camion : lors de la grande crue du Gard en 2002, l’endroit sera visible entre l’ancien Hôtel et la source de la Canelle sous trois mètres de sable, d’alluvions et de végétation.


(Gorges du Gardon-)
Le film sera tourné en deux temps, de juillet 1951 à novembre 1951, puis après des pluies cévenoles, reprendra l’année suivante en juin 1952.








(le café de Las Piedras- Jeronimo Mitchel (Dick), Folco Lulli (Luigi), Vera Clouzot (Linda), Yves Montand (Mario), Peter Van Eyck (Bimba), Dario Moreno (Hernandez le cafetier), Jo Dest (Smerloff))

(Clouzot accroupi, Simone Signoret en spectatrice)

Le 21 juillet 1951 l’équipe s’installe au Grand Hôtel du Midi square de la Couronne à Nîmes qui devient le QG de la production. René M. jeune garçon de café  de l’établissement se souvient d’un Charles Vanel, froid, passant son temps à jouer aux dames avec Clouzot, d’un Folco Lulli sympathique et d’un Yves Montand, toujours vêtu d’un maillot de corps comme dans le film. Simone Signoret très jolie femme qui buvait du whisky Johnny Walker à étiquette rouge, une femme très polie, très humaine, à l’écoute des autres…. Le propriétaire de l’hôtel était M Roux surnommé Toto, dont le père Paul avait été propriétaire de la Colombe d’Or à St Paul de Vence où Montand et Simone s’étaient rencontrés ; ils se marieront en décembre 1951. Un petit rôle sera attribué à Toto Roux : celui de l’indigène qui ramasse le mouchoir sur la route qui devait prévenir le camion suivant du danger.

Le village de Saliers sur la commune d’Arles est aménagé pour devenir le décor du village principal du film Las Piedras. Saliers avait servi pendant la Seconde Guerre mondiale de camp d’internement pour les Roms. Au moins 700 d’entre eux y moururent de faim, de maladies, de froid.





Camp de Saliers
René Renoux le décorateur s’active pour transformer les lieux : une église, une usine, un café sont rapidement construits en béton chaulé. L’eau des marais est amenée pour donner l’impression d’humidité, de flaques d’eau…On ajoute des palmiers en métal et des cactus en plâtre qui vont se promener pour les besoins de l’action. Les explosifs utilisés seront fournis par un fabriquant nîmois les Etablissements Rey Frères rue de Serbie.
Le 7ème Régiment du Génie d’Avignon sera mis à contribution : il construit un ponton en bois au-dessus du ravin et un câble entre les deux rives pour transporter le matériel sur la rive gauche du Gard. Deux soldats vont se noyer accidentellement et ce sera une des raisons d’arrêter et de repousser le tournage.

Mais les orages s’invitent et c’est la catastrophe : les décors déteignent, s’écroulent, les véhicules s’embourbent, les comédiens s’ennuient et mettent de l’ambiance au Grand Hôtel et dans la ville : disputes pour rire, assiettes cassées…. Le journaliste Jean Charles Lheureux raconte que les rumeurs les plus folles couraient sur les comédiens, nombreuses minettes pour Montand, opium pour Vanel. Simone Signoret et Vera Clouzot faisaient les boutiques. Quarante jours de pluie !! Le moral est en berne. La poisse s’installe : Vera tombe malade, le réalisateur se casser la cheville, les figurants gitans s’estiment mal payés et se mettent en grève… En novembre 1951 tout le monde rentre à Paris, la production jette l’éponge. Le budget prévu est largement dépassé. Deux nouveaux financeurs sont contactés. 
Le tournage redémarre en juin 1952. L’été est caniculaire et le travail difficile. C’est à ce moment-là que se joue la dernière scène du film quand le héros perd la vie dans les gorges du Gardon entre Poulx et Pont Saint Nicolas. Léonce Larnac en 1904 décrit ces gorges de Poulx dans



La Bambouseraie de Prafrance à Anduze sert de décor à la scène où Vanel et Montand sont plongés dans une mare de pétrole. Ce n’était pas une eau teintée, mais une vraie mare d’eau avec une épaisse couche de mazout. Avec Clouzot il fallait toujours faire vrai. Cette scène dura des jours et les comédiens malgré une douche en plein air, restèrent de longs moments dans le pétrole et dans son odeur.
Le tournage prend fin le 3 novembre 1952, avec un budget doublé et un dépassement du temps prévu.

Montand et Vanel

Ce tournage est resté dans les mémoires des Languedociens, fiers d’attirer des vedettes, et d’avoir des paysages si cinématographiques. Et puis cela mettait du remue-ménage dans le quotidien.

Lors de sa diffusion aux Etats-Unis, le film sera amputé de ses trois premiers quarts d’heure. Il apparut comme un violent pamphlet contre la dictature capitaliste des Etats-Unis envers les pays d’Amérique Centrale.

Sources : Georges Arnaud Le Salaire de la Peur 1950 édit Julliard –allocine.fr/film – film.blog.lemonde 21/2/2015 – wikimédia Georges Arnaud édit Finitude –Gazette de Nîmes n° 951 24 août 2017 Bernard Bastide—José-Luis Bocquet Marc Godin Clouzot Cinéaste édit de la Table Ronde Paris 2012 –Simone Signoret La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était  édit  du Seuil Paris 1975 ISBN 2-02004-520-6 – photos pinterest.fr/pin – photos H Collignon --pokerlille.com/phpBB3-disjecta membra canalblog—DR --Le Salaire de la Peur collector DVD Blu-Ray TF1Vidéo—Georges Mathon nemausensis/midi libre 16/11/2008 – midi libre 29/8/2017 22/6/2017 30//7/2017 –wikipedia.org/wiki –Le salaire de la Peur + Clouzot -


Charles Vanel --Pinterest.fr/pin –DR (Charles Vanel)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.