lundi 4 juin 2018

Les Arènes de Nîmes, des Romains, des Chevaliers des Arènes....survie au fil du temps





(gravure 18ème siècle Cornélius Apostool musée du Vieux Nîmes)

Les Arènes de Nîmes, des Romains, des Chevaliers des Arènes....survie au fil du temps

Nos arènes vont bientôt résonner des spectacles d'été, des visites des touristes.

Paradoxe des paradoxes, l’occupation humaine ininterrompue des arènes de Nîmes va les sauver de la destruction. Elles se sont bien abîmées au cours des siècles, mais elles n’ont pratiquement pas servi de carrière comme celles de Béziers ou Narbonne et bien d’autres monuments comme c’était l’habitude de nos anciens qui récupéraient les matériaux pour leur usage personnel. Victor Hugo au début du 19ème siècle avait lancé un cri d'alerte : " qu'on nous préserve des démolisseurs !!". L'après Révolution de 1794 a vu bon nombre de Biens Nationaux récupérés, transformés, détruits. 






L’amphithéâtre de Nîmes que nous appelons « arènes » a été construit à la fin du 1er siècle de notre ère. Il pouvait contenir jusqu’à 24 000 spectateurs. Il serait un peu plus récent que le Colisée de Rome qui aurait servi de modèle et même un peu plus jeune que des arènes d’Arles. L’empereur Domitien en serait le commanditaire. Cet amphithéâtre est certainement le mieux conservé du monde, malgré le temps et les tribulations de l’Histoire. Un peu à l’image de l’escargot des arènes qui s’y trouve bien depuis 2000 ans. La clausilie romaine, une curiosité gastéropode romaine vivant dans les Apennins habite les arènes de Nîmes depuis 2000 ans. 


Elle est probablement arrivée avec des amphores romaines, et elle est restée. Elle n’a jamais cherché à coloniser d’autres sites, « gardienne du temple ». La coquille de cet escargot s’ouvre à gauche contrairement à la plupart des espèces et est donc très repérable. (étude de 1903). Est-elle là pour nous donner une leçon ?

L’amphithéâtre, un chef-d’œuvre architectural : une ellipse de 133 mètres sur 101, deux niveaux de façade, 4 niveaux intérieurs, 60 travées rayonnantes, 34 rangs de gradins, soit 10 km de places assises….Un système de cheminement, galeries, escaliers, pour éviter tout risque d’engorgement lors de l’afflux et pour se préserver de tout mélange des classes sociales.


Une technologie bien pensée pour l’écoulement des eaux, le nettoyage des gradins et de l’ensemble. Un gigantesque velum pour protéger les spectateurs du soleil ou de la pluie. Il faut bien le dire, une fierté nîmoise et même languedocienne !!! Dans ces arènes, du temps des Romains, des combats de gladiateurs étaient fort appréciés. Les combattants n’étaient pas toujours des esclaves mais le plus souvent des hommes libres qui se tournaient vers ce métier, « dernier refuge de plus d’un déclassé » (nous dit PM Duvat en 1953). Une économie touristique et sociétale importante. C’était l’occasion de vendre et d'acheter des souvenirs, petites statuettes, lampes…..de parier, de se restaurer….
Nîmes et son crocodile :

Pourquoi, diantre, un crocodile sur des pièces de monnaie ? An -31 avant notre ère, la bataille d’Actium marque la fin du couple Cléopâtre-Marc-Antoine et la victoire d’Octave, le futur Auguste. Nîmes obtient le droit de fondre des pièces de bronze que l’on va retrouver dans tout l’Empire et jusqu’à nos jours dans notre région. Sur l’avers l’empereur Auguste et son gendre Agrippa, commandant de la flotte victorieuse à Actium, et au revers de la pièce le fameux crocodile égyptien enchaîné à un palmier couronné de lauriers et l’inscription « col nem », colonia nemausensis », colonie nîmoise. Ce crocodile va survivre avec les arènes puis avec Nîmes jusqu’à nos jours.

Gladiateurs sur Discus de lampe à huile et médaillon



(Wamba s’empare des arènes en l’an 673 tableau de Ferdinand Pertus—Ville de Nîmes)

Mais depuis 300 après JC, Nîmes perd de sa population sans que l’on sache trop pourquoi. Insécurité, désordre, la romanité s’effrite. L’Eglise chrétienne remarquablement structurée apparait comme le dernier refuge de la civilisation face au chaos. Nîmes devient un évêché au 4ème siècle, accueille un concile en 395, Uzès a son évêché en 442…. L’empereur d’Occident Honorius interdit la gladiature en 404 et s’en est fini des combats de gladiateurs. 
Les wisigoths s’installent dans la ville vers 462 et les arènes deviennent une place forte, un castrum vers 430-480. Ils construisent une lourde fortification, un rempart de 6 m de large et d’au moins 7,50m de haut en s’appuyant sur une partie extérieure des arènes. Les wisigoths ne prennent pas les pierres de l’amphithéâtre pour construire leur rempart. Probablement se servent-ils de bâtiments extérieurs aux arènes, peut-être un cirque voisin, une école de gladiateurs, des commerces ?... Le Colisée de Rome, les vestiges d’arènes de Vienne ou d’ailleurs montrent des lieux très commerciaux, touristiques, une économie très dense autour des arènes. A Nîmes des sondages effectués en 1975 dans le quartier autour du Palais de Justice indiquent des gros blocs de pierre, du sable jaune vif appelé « arena » habituellement utilisé dans les cirques romain, des débris de bas-relief, des tambours de colonnes, des éléments de corniches, des inscriptions funéraires ect... Il fallait construire en toute hâte ce rempart pour doubler les défenses de l'amphithéâtre transformé en forteresse. 

Les Burgondes, les Ostrogoths, les Francs déjà en 531, les Mérovingiens, tous nous visitent. Puis les Sarrasins avec Ambasa qui s’empare de Nîmes en 725. Les Septimaniens et les Provençaux s’accommodent plus ou moins bien de ces arabes-berbères qu’il ne faut pas confondre avec les Barbaresques qui vont infester nos côtes pendant longtemps. (voir sur ce blog « Les plus vieilles tombes musulmanes de France 27-3-2018)
 (Photo aérienne du mur tardo-antique avant la construction du nouveau palais de justice. Gros blocs de l’ancien rempart- Manniez Pellé 2011 Données nouvelles sur l’enceinte du castrum : Revue archéologique de Narbonnaise 44,2011 p125-144)
En 736-37 les troupes de Charles Martel ravagent la Septimanie et mettent le feu aux constructions des arènes sans arriver à les détruire. Il ne fallait pas que les Sarrasins puissent reprendre pied dans notre région. En 754 Pépin le Bref, fils de Charles Martel s’empare de Nîmes et installe le comte Radulf dans le castrum des arènes.
Au 12ème siècle les seigneurs de Nîmes sont la famille de Bernard Aton. Le castrum des arènes était le château du vicomté de Nîmes, des fortifications fleurissent, trois tours carrées, analogues à celles de l'amphithéâtre d'Arles, sont construites à l’intérieur des arènes…. Deux chapelles ou églises St Martin et St Pierre. Un fossé profond défensif sépare la forteresse de la ville. Deux portes sécurisent le tout.
Les comtes de Toulouse battent Aton début 12ème et récupèrent le vicomté de Nîmes. Les Chevaliers des Arènes s’installent dans le castrum des arènes vers 1100. Ce sont les « milites castri arenarum » ; ils assurent la garde du château. C’est une espèce de communauté particulière gouvernée par des chefs-consuls à part, différents des consuls de la cité. Des chartes dès la fin du IXe siècle mentionnent le castrum Arenae, donc des constructions à l’intérieur. Des maisons, des boutiques, des ateliers…
Au moins quatre chevaliers si l’on en croit le sceau ci-après. Les armoiries des Chevaliers des Arènes étaient le fameux crocodile au palmier. Celles de Nîmes étaient différentes. Deux populations qui se côtoient.
On comptait 31 chevaliers au début du XIIe siècle, 39 en 1163, 50 en 1174, près de 100 en 1226, et leur entente avec les bourgeois de la ville laissait beaucoup à désirer. (in Emile ESPÉRANDIEU L’amphithéâtre de Nîmes, 1933 VIII LES CHEVALIERS DES ARÈNES)
 
                                                               












Blason de Nîmes au Moyen-Age puis un taureau d’or en champ de gueules (1516), --Sceau et blason des Chevaliers puis de Nîmes en 1535-1536

Auguste Pelet (1785-1865) dans « Description de l’amphithéâtre de Nîmes 1859 p163 nous explique : « Les sarrasins chassés de la Septimanie en 720 soumirent le pays à leur domination et le conservèrent jusqu’à l’année 737. Charles Martel vint les assiéger dans le château des arènes où ils se défendirent vigoureusement mais dont ils furent cependant chassés. Avant de quitter ce pays, qu’il n’avait l’intention que de ravager, Charles Martel voulut ôter à ces peuples et aux habitants qui les favorisaient l’usage de cette forteresse : il y mit le feu. Mais cette tentative barbare n’ayant eu pour résultat que de faire éclater quelques parties du monument sans le détruire, il fut obligé d’abandonner son projet…. ».


Au 13ème siècle, les arènes fortifiées représentent le pouvoir laïque avec les chevaliers, le viguier, le pouvoir religieux avec le palais de l’évêque, pouvoir peu à peu grignoter par le consulat qui siège dans la Maison Carrée appelée Capitole.
Arrive la croisade contre les Albigeois. Simon de Montfort et ses troupes occupent les arènes en 1217.  A sa mort les Nîmois refusent de reconnaitre son fils suzerain et ils vont faire preuve d’une sage prudence en louvoyant entre les partis en présence. Les rois de France récupèrent peu à peu les domaines des comtes de Toulouse et en 1226, leurs troupes occupent les arènes. Le sénéchal royal et ses viguiers vont gouverner la province et aménager le castrum. Pendant la croisade Chevaliers et Bourgeois de Nîmes avaient fait cause commune contre le comte de Toulouse Raymond VI. ss



Quelques chevaliers sont encore là jusqu’à la fin du 14ème siècle lorsque le roi Charles VI fait construire un nouveau château-fort à la Porte d’Auguste. Ils seront remplacés peu à peu par le peuple. En 1353 la plupart des chevaliers s’étaient retirés sur leurs terres. ( Château de la Porte Auguste construit en 1391- Petrus nemausensis).

Après le départ des chevaliers, les arènes deviennent un vrai village. Des maisons sont implantées à l’intérieur et à l’extérieur des arènes qu’on ne distingue plus. Des habitations de 10 m2 environ qui se nichent dans chaque arche, sur deux niveaux. Des logements plutôt insalubres, chaque arceau partagé en plusieurs pièces, un escalier en bois ou parfois en pierre conduisait à l’entresol. Les ouvertures obturées par une porte, et dans le fond presque toujours une cuve pour la fabrication du vin et des blocs de pierre pour installer des tonneaux.
La piste est remblayée de trois mètres environ, un puits public apparemment wisigoth a été creusé au centre. Deux tours fortifiées seront construites au Moyen Age. Sur les galeries du premier étage des constructions que le roi François 1er plus tard fera détruire. Le quartier a la réputation d’être mal famé.
La Guerre de Cent Ans nous amène les troupes des Bourguignons, puis du dauphin en 1417-20, sans oublier le Prince Noir et ses mercenaires. Peste, exactions des routiers, des tuchins, des pastoureaux, inondations, sécheresse… On se fortifie, on se tourne vers Dieu.
Le roi François 1er nous rend visite plusieurs fois. En 1535, il accorde à la cité, par lettres patentes du mois de juin, les armoiries des arènes, qui furent « registrées au livre du conseil le 29 novembre 1536. ». Le fameux crocodile enchaîné au palmier. « un crocodile ou coleuvre sans ailes, à quatre pieds, enchaîné à une palme et, en icelle, un chapelet en forme de laurier pendant et, au-dessous des deux pieds de devant dudit coleuvre, un petit rameau d'une palme avec ces deux mots escrits : coluber Neinauseusis » .

François Ier visite les monuments romains -  Tableau de Colin, collection musée des beaux Arts Nîmes.

Le roi François 1er en 1535 demande certaines démolitions dans la galerie du premier étage. Mais on n’alla pas plus loin : les maisons qui remplissaient les arènes, encombraient les gradins, les arceaux et débordaient à l’extérieur demeureront jusqu’à la fin du 18ème siècle. En 1620 on dénombre un peu plus de 600 habitants. Auguste Pelet parle de 2000 habitants lorsque le peuple prend possession des arènes.


En 1786 les habitations sont achetées et on commença à démolir celles qui encombrent la piste. La Révolution de 1789 retarde la restauration des arènes. Le pays a d’autre(s) chat(s) à fouetter.
De 1809 à 1812 les derniers habitants des arènes sont expulsés, les tours fortifiées en ruine, des maisons intérieures et celles accolées à l’extérieur sont détruites (en rose sur le plan de 1809 ci-après). La piste est débarrassée de ses gravats et déchets divers. On commence à apercevoir les premiers gradins ainsi que les dalles de calcaire qui entourent la piste. D’autres bâtisses dans des quartiers autour des arènes sont démolies, le jeu de paume, la salle de la Comédie remplacée avantageusement par le théâtre tout nouveau…. Des morceaux des gradins avaient servi pour d’autres constructions, ils seront, hélas, donnés aux démolisseurs.


Plan des arènes dressé en 1809, en rose les parties à démolir- Grangent Musée du Vieux Nîmes

Sur ordre du préfet Villiers du Terrage les restaurations les plus urgentes sont entreprises : dernières démolitions en 1816, escaliers d’accès aux galeries, consolidation des arceaux en 1833, pavage des galeries dont on pourra faire le tour complet en 1835


(Ostervald L’Ainé 1817 Musée du Vieux Nîmes –Nouveau Voyage Pittoresque de la France 1817

En 1860 l’architecte en chef des Monuments Historiques Henri Revoil redispose les gradins, refait le balteus, (le tour de piste). En 1866 il fouille de sol de l’arène et retrouve le puits des Wisigoths. Des découvertes d’objets, romains ou plus récents. Deux lingots de plomb, 27 et 47 kg qui pourraient provenir de la machinerie du sous-sol. Des bas-reliefs du 13ème siècle appliqués contre l’église Saint Martin….



18ème siècle aquarelle de Nicolle --Lutteurs dans les arènes lithographie
En 1880 un plancher en bois recouvrant le souterrain placé au milieu de l’arène est remplacé au frais de la municipalité. Les spectacles dans les lieux procuraient un revenu annuel de 6000 frs. Il sera remplacé par une voûte en briques plates et poutres de fer, construite par Revoil pour 2100 frs dont la moitié sera payée par l’Etat.

La restauration des arènes va continuer jusqu’à nos jours, avec des tâtonnements, des avancées et des erreurs. Les infiltrations d’eau sont actuellement le souci majeur. Régulièrement les arènes nous régalent de spectacles, artistes, jeux romains théâtralisés, jeux gardians….. Les corridas, hélas, répandent encore du sang sur le sable de la piste comme au temps des gladiateurs. (Je ne demande pas au lecteur de penser comme moi, mais n’est-ce pas un spectacle d’un autre temps ?).

PS une question qui vient de mettre posée : la voie Domitienne (début des travaux -118) ne porte pas le nom de l’empereur Domitien mais du général romain Cneus Domitius Ahenobarbus.


Le sous-sol de la piste, état des travaux en 1866-nemausensis.





Sources : Emile ESPÉRANDIEU- LES ARENES.L’amphithéâtre de Nîmes, 1933 -LES CHEVALIERS DES ARÈNES nemausensis internet – François Wiart Gazette de Nîmes n°895 28 juillet 2016 – arenes-webdoc.nimes.fr --- Musée du Vieux Nîmes – Musée du Palais du Roure Avignon --Auguste Pelet 1785-1865 Description de l’amphithéâtre de Nîmes p163 et suivantes –Jacky Granier Victor Lasalle Nîmes et le Pont du Gard 2008 édit AjaxMonaco – wikipédia -- Richard Pellé archéologue à l'Inrap -- Jean-Luc Déjean, Les comtes de Toulouse (1050-1250), Fayard, (réimpr. 1988) 


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