dimanche 26 novembre 2017

L'Andutz Mendi et l'Or de Moscou 1937



L’Andutz Mendi – ou l’or de Moscou :

Au large du Grau du Roi et de la plage de l’Espiguette, le 29 juillet 1937 vers 15 h, un cargo républicain espagnol est torpillé par un sous-marin inconnu. Le navire se trouve à trois mille nautiques (5,5km) au sud du phare de l’Espiguette. La guerre d’Espagne s’invite sur nos côtes.
Le pétrolier et le ravitailleur qui l’escortaient échappent à l’assaut. Ces navires avaient été contrôlés par le sous-marin français Thétis le matin même au large de Port Vendres et autorisés à poursuivre leur route. Les pétroliers Zorroza de la Cia Arrendataria del Monopolio de Petroleos SA et Saustan ex Vallejo de la Cia Arrendataria del Monopolio de Petroleos SA  peuvent s'échapper et se réfugier à Sète.
Par contre, le cargo Andutz Mendi de Sota Aznar reçoit plusieurs obus du sous-marin. L'équipage parvient à mettre les canots à la mer pour gagner les Saintes Maries de la Mer. Sur les 35 marins, dix morts et dix disparus en mer. Une chaloupe et les dix corps ne seront pas retrouvés, probablement happés par l’hélice du bateau.

Le journal L’Eclair relate les faits dans son édition du 31 juillet : « Il serait vain d’essayer de décrire en détail l’état du pont supérieur, des ponts inférieurs, des cales, de la plage arrière, des machines et de la chaufferie. C’est un amas de ferraille, de débris, de tôles, de cordage métalliques… le tout déchiqueté par le tir, tordu, cisaillé et ensuite calciné par le feu. »
L’Ouest-Eclair daté du lendemain, on pouvait lire : "Nîmes, 30 juillet. — Le cargo espagnol Andutz Mendi, qui est le bateau gouvernemental incendié au large du Grau-du-Roi, avait un équipage de 34 personnes. Il ne transportait pas de réfugiés et avait une cargaison de charbon qui a aidé l'incendie à se propager. L'incendie a été circonscrit par les pêcheurs de Grau-du-Roi. Le bombardement a fait plusieurs morts. Deux cadavres ont été débarqués, celui d'un matelot qui a été décapité par un obus alors qu'il allait arborer le drapeau blanc, et celui du capitaine en second. Le gouvernail a été coupé par des projectiles et la chambre des machines atteinte. Parmi les disparus, on compte six officiers qui avaient pris place sur une chaloupe. »

L’Andutz Mendi remorqué par les pêcheurs du Grau –photo archive Denis Pierre Gozioso
Au « Républicain du Gard » proche des Républicains espagnols on pense que parmi les baigneurs de la plage, des espions à la solde des franquistes (appelés ici insurgés) alertent les navires de guerre pour s’attaquer aux bateaux gouvernementaux c’est-à-dire républicains espagnols. En France la version officielle et embarrassée est que l’Andutz Mendi était dans les eaux internationales, ce qui était faux. Pour les enquêteurs français, le tir a commencé à la limite des eaux territoriales françaises puis s'est poursuivi à l'intérieur de celles-ci.

Que faisaient donc l’Andutz Mendi et ce sous-marin franquiste si proches de nos côtes ? Le navire républicain se dirigeait probablement vers Odessa en Ukraine, via Marseille. On dit, légende peut-être pas, on dit que les navires républicains chargés d’or et de marchandises partaient vers Moscou et revenaient en Espagne avec des armes, tanks pour soutenir la République Espagnole. Les franquistes pour leur part,  étaient en relation avec l’Italie. Mussolini avait donné deux sous-marins à l’Espagne franquiste : le Torricelli rebaptisé General Sanjurgo et l’Archimède devenu le General Mola. Ce serait ce dernier qui aurait torpillé l’Andutz Mendi.
Les archives historiques de la Banque d’Espagne ont depuis décembre 1956, un document, le dossier Romulo Negrin. Registres comptables, comptes de l’opération, comptes bancaires du Trésor de la République espagnole à l’étranger, l’or fondu par l’Etat Soviétique. Il est probable que les historiens en apprendront plus d’ici quelques années. A moins que le lourd secret d’Etat enterre tout cela !! A première vue, le navire ne transportait pas d’or ou de devises. Que renfermaient donc ses cales pour qu'on prenne le risque d'un torpillage en zone non-internationale ? Un inconnu était à bord ; espion, personnalité espagnole, comptable du gouvernement républicain ? 


Un ancien pêcheur nous raconte ce qu’il a vu et vécu :
"J'avais 17 ans à l'époque et je pêchais avec mon père Dominique, en qualité de novice alors qu'il était patron du Saint-Christophen. Le 29 juillet 1937, nous étions au large de l'Espiguette, sur des fonds de 35 brasses, en train de retirer le chalut avec difficulté. C'est alors que nous avons aperçu, à une dizaine de mètres de notre embarcation, le périscope d'un sous-marin. Un peu plus tard, nous avons entendu quatre ou cinq coups de canon tirés par le sous-marin. À environ 4 milles marins, nous avons vu de la fumée qui sortait d'un cargo. La pêche finie, nous sommes rentrés au port où nous avons constaté que tous les bateaux étaient sortis. À notre tour, nous avons fait route pour rejoindre les autres bateaux de pêche sans trop savoir ce qui arrivait. À l'arrêt à proximité du cargo, nous avons pu constater l'impact des trous d'obus dans la coque visible au-dessus de la ligne de flottaison. Nous avons participé au remorquage du bateau jusqu'à environ 2 km de l'entrée du port du Grau-du-Roi. Quelque temps plus tard, quatre bateaux de pêche graulens, le Saint-Christophe, le Sauveur du monde, Les Cinq frères et les Cinq sœurs ont remorqué le bateau très endommagé jusqu'à Sète. J'avais appris entre-temps qu'il y avait de nombreux morts dont certains ont été enterrés au cimetière du Grau-du-Roi. Dans les semaines qui ont suivi, en chalutant sur le secteur du drame, nous avons récupéré un obus dans le filet, trouvaille que nous avons signalée aux autorités maritimes. Celles-ci ont dépêché une vedette venue spécialement de Toulon pour récupérer l'obus. Aujourd'hui, je conserve à mon domicile en souvenir la douille d'un des obus qui avait été tiré sur l'Andutz-Mendi."  Midilibre 29-10-2012-récit de Jean Mastrangelo








Le pont de l’Andutz Mendi après l’attaque, à droite un pêcheur enveloppe un corps- photo archive Denis Pierre Gozioso

Les pêcheurs du Grau du Roi portent secours aux marins espagnols. « Le Petit Jésus » resta sur les lieux jusqu’à 9 h du matin au milieu des débris, sauvant trois matelots qui avaient passé plus de 16 heures dans l’eau. Le capitaine et onze hommes ont pu débarqués sains et saufs sur la place des Saintes-Maries-de la Mer. Les bateaux de pêche du Grau du Roi vont remorquer l’épave jusqu’à Sète.

Le bateau « Les Trois Frères » a récupéré une partie des corps des victimes sur le pont de l’Andutz Mendi, dix corps dont celui d’un inconnu. Ils seront inhumés dans le cimetière du Grau, accompagnés des prières de tous. On voit sur la stèle deux jeunes garçons, 15 et 16 ans.

Ils seront vite oubliés ; la guerre entre la Chine et le Japon s’intensifie, et la seconde guerre mondiale n’est pas loin en ce juillet 1937.
En 1940, après réparations l’Andutz Mendi prendra le nom de Monte Buitre et naviguera jusqu'à sa démolition en 1962. Le gouvernement espagnol va mettre un certain temps à accepter de venir commémorer cet événement à chaque anniversaire. 
Des historiens (Paul Preston, B Pelistrandit et d'autres) parlent de guerre d'extermination, d'un "holocauste, d'un programme de massacre systématique""d'explosion de violence physique qui dura toute la guerre, violence profondément enracinée dans les pratiques militaires" et dont l'Espagne n'a pas encore fait le deuil. 
Un voile de mystère flotte toujours sur cet épisode. Parfois dans les conversations, on reparle de l'or de Moscou, sans trop savoir qu'en penser !!
1977 – stèle érigée à l’initiative de Jean-Pierre Bas, conseiller municipal du Grau –



Sources : Christian Mouquet  https://resources.blogblog.com/img/icon18_edit_allbkg.gifBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Anduzt-Mendi, Espagne, ItalieBlog maitres-du-vent.blogspot.fr - j.segura@gazetttede nimes.fr Gazette de Nîmes n°947 27 juillet 2017 – Lamarseillaise.fr  31 juillet 2014 11:33 - fr1-11-2017  - Midilibre 29-10-2012 – Bernard Lagarrigue Un été 37 édit Domens  -  Association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France ASEREF -  wikipedia.org/wiki/Or_de_Moscou  - archives-maritimes.blogspot.com/2011/08/ - Carmen Montet L’Or de la Banque d’Espagne lithistart.carmenmontet.over-blog.com  - Pierre Vilar, Histoire de l'Espagne, PUF, coll. « 2002 » (ISBN 2130515851)  - François Godicheau, La Guerre d'Espagne : République et révolution en Catalogne (1936-1939), Odile Jacob, 2004  - A relire André Malraux, L'Espoir, Gallimard (ISBN 2070360202)  -  Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas ? (ASIN B0000DV9LG)  -- 



 wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb -guerre civile espagnole

dimanche 19 novembre 2017

Les Papes à Avignon : Benoît XII




Les Papes d’Avignon :  Benoît XII :( 1285-1334-1342)

Portrait de Benoît XII imaginé par Henri de Serrur
Palais des Papes Avignon


Nous avions laissé Avignon, la Babylone déchirée, à la mort du pape Jean XXII. Nostradamus, né prophète juif de Carpentras et converti sous le nom de Michel de Nostre-Dame, prédisait qu’Avignon serait la nouvelle capitale de la France après une guerre de trois ans et sept mois. Avignon sera en fait pendant tout le 14ème siècle l’endroit où se firent et se défirent les liens de la politique européenne, un lieu d’influence où les fortunes se font et se perdent, une plateforme commerciale et intellectuelle. De l'autre côté du Rhône, le Languedoc français va beaucoup profiter de l'essor d'Avignon.

Après la mort de Jean XXII le 4 décembre 1334, il faudra sept jours au Sacré Collège pour élire l’évêque de Pamiers, Jacques Fournier. Le conclave se réunit dès le 13 décembre. Mais une violente altercation oppose les tenants de la résidence pontificale à Rome ou Avignon. Devant la menace de s’éterniser, Napoléon Orsini, toujours lui, fait passer son candidat le 20 décembre. Ce sera Benoît XII.  Faux modeste, ( ?) le nouveau Saint Père déclare : »vous venez d’élire un âne ».
Pour les Avignonnais le réveil sera douloureux car voici un pape à la réputation d’intransigeance. C’est un ariégeois né à Canté près de Saverdun, fils probablement d’un meunier, d’origine modeste. Pour certains historiens, sa mère serait la sœur du pape Jean XXII.
Un oncle moine cistercien et abbé de Fontfroide dans l’Aude, Arnaud Novel,  se charge de son éducation. Collège Saint-Bernard à Paris, puis les universités et Jacques devient docteur en théologie. Il succède à son oncle à l’abbaye de Fontfroide. Le pape Clément V vient de nommer son oncle cardinal et légat en Angleterre. Jacques qui se signale par son érudition et sa rigueur est nommé évêque de Pamiers le 19 mars 1317 puis évêque de Mirepoix en mars 1326. A Pamiers il poursuit avec zèle les hérétiques albigeois, ainsi que les vaudois. Il dirige le tribunal d’Inquisition avec deux dominicains de Carcassonne Gaillard de Pomiès et Jean de Beaune.( registre en parchemin de 325 p. in folio conservé à la bibliothèque vaticane sous le numéro 4030).(Emmanuel Leroy Ladurie, professeur au collège de France et membre de l’Institut,  Montaillou, village occitan de 1294 à 1324.publié en 1975). « Cet homme connaît bien le pays et la langue, contrairement aux inquisiteurs pontificaux qui sont souvent des Français. Il cherche avant tout la conversion des pénitents et n’est pas tenté par la répression : les condamnations au « mur » sont nombreuses, les remises au bras séculier très rares et les peines sont souvent adoucies. Ses registres sont très minutieux et témoignent d’une grande conscience » (Catharisme et néocatharisme en terre d’Ariège » par Edouard de Laportalière
Le 18 décembre 1327 le souverain pontife Jean XXII le nomme cardinal de Saint-Prisque. Jacques conserve son habit blanc des cisterciens. D’où son surnom de cardinal blanc. Il a toute la confiance du pape qui lui confie des affaires délicates comme des procès sensibles.

Il est couronné le 8 janvier 1335 en l’église des dominicains d’Avignon par le cardinal Napoléon Orsini qui a déjà couronné les deux papes précédents.
Dès le 13 janvier Benoît XII nomme un nouveau trésorier Jean de Cojordan, un homme à lui dont il est sûr. Celui-ci devra réformer la Curie. Arnaud de Trian et sa clique de racketteurs sont remplacés par Arnaud de Lauzières, un autre homme du pape. En moins d’une semaine, sa vigoureuse réputation fait que plus de dix mille personnes quittent précipitamment Avignon dont un certain nombre de prélats de haut rang. Pendant deux ans Arnaud de Lauzières épure la ville y compris dans les ordres religieux. Mais il se sert au passage et en avril 1337 les gardes pontificaux le récupèrent au pied des remparts alors qu’il cherchait à franchir le Rhône pour rejoindre le royaume de France en face, avec des coffres bien remplis. Il aura la vie sauve et sera remplacé par Béranger Cotarel, qui ne sera pas plus vertueux que ses prédécesseurs.

Le souverain pontife sera un pape austère, prudent, un homme de principes. Il va s’attacher à réformer les ordres religieux, rappelle la discipline dans les abbayes, pas toujours avec succès. Par sa bulle du 12 juillet 1335, Fulgens sicut stella il fait obligation aux moines de pratiquer pauvreté, mortification et travail manuel. L’austérité de ses réformes rencontre l’hostilité de ses pairs. La plupart des changements ne seront pas suivis par les papes suivants. Par contre il va aider financièrement à la restauration d’églises et venir en aide aux pauvres sur les terrains de conflits. Il refuse d’avantager les membres de sa famille, ce qui est inhabituel à l'époque ; seul son neveu l’augustin Jean de Cardone se voit confier le siège d’archiépiscopal d’Arles. Quand des parents viennent le voir, il les dédommage seulement de leurs frais de voyage. Une autre exception : sa nièce Faïga, orpheline de son père frère du souverain pontife a droit à 2000 florins d’or et à un mariage sans faste.
Benoît XII envoie en 1337 lors de l’affaire du Dauphiné Johannes de Badis, son Grand Inquisiteur de Provence, pour rechercher les juifs convertis et relaps du Dauphiné. Jacques le Goff explique dans « La Bourse et la Vie » (Paris 1986)  « Dans ce nouveau monde où l’argent est vainqueur, où la cupidité (avaritia), péché bourgeois, détrône, à la tête des sept péchés capitaux, l’orgueil (superbia), péché féodal par excellence, l’usurier, spécialiste du prêt à intérêt, devient un homme nécessaire et détesté, puissant et fragile à la fois »
Palais Vieux -Tour de la Campagne et en fond Notre-Dame
des Doms -photo perso-


[ Ce pape sera aussi un grand bâtisseur, nous le verrons plus loin. Il envisage un temps de retourner en Italie à Bologne. Mais les Bolonais ne sont pas très enthousiastes et le projet tombe à l’eau.
Le 5 septembre 1335, un lion arrive de Sicile pour garder le palais des Papes des bords de Sorgue où le Saint Père réside en attendant les appartements du palais d’Avignon.
En mars 1336 il rappelle au roi de France Philippe VI et à son fils Jean de Valois le devoir de croisade. Le roi se rend à Aigues-Mortes, Lattes, Narbonne, Marseille pour inspecter la flotte des Francs. Elle est jugée trop insuffisante pour faire traverser la méditerranée à  60 000 hommes. Le projet de croisade sera vite oublié, la guerre de Cent Ans n’étant pas loin (1337-1453 environ).
Benoît XII sera dans l’incapacité d’empêcher cette guerre qui mettra à genoux les deux royaumes. Déjà en août 1336 le roi d’Angleterre Edouard III refusant de payer son créancier Navailles est condamné par le Parlement de Paris. En réponse, il interdit à ses négociants de laine de commercer avec le comté de Flandre, s’attaquant ainsi à un allié de la France le comte Louis de Nevers. Les Flandres qui ne vivaient pratiquement que de ses filatures s’acheminent vers la ruine. Le roi de France Philippe VI ordonne à sa flotte de rejoindre les ports flamands pour menacer les côtes anglaises. Benoît XII envoie immédiatement ses légats aux deux rois. La diplomatie va se heurter au lobby anglais de la laine brute qui inquiet de la présence de la flotte française incite leur roi à répliquer. Edouard III se revendique alors comme héritier direct de la couronne de France. Le 10 novembre 1337 les Anglais prennent pied en Flandre sur l’île de Cadsan et les deux flottes se livrent bataille à Southampton. Benoît XII sollicite une trêve qui est acceptée par les deux parties. Les relations entre les deux pays ne cesseront de se dégrader. La trêve s’achève à la Saint-Michel en 1339, et la guerre reprend. 
Des diplomates des deux royaumes sont envoyés à Avignon peu avant Pâques 1340. L’ambassadeur d’Edouard III est le génois Nicolino Fieschi accompagné de son fils Gabriele-André. Une partie de la famille Fieschi habitait Avignon et n’avait pas bonne presse. Déjà en 1339, le cardinal Fieschi avait été attaqué par les gardes français du palais pontifical. Nicolino séjourne dans la résidence familiale à Avignon. Le Saint Père peu enthousiaste, ne peut le recevoir qu’après les fêtes de Pâques. Le 17 avril 1340 soir du Jeudi Saint, au travers des ruelles sombres et désertes, une petite compagnie d’une vingtaine d’hommes sans signe distinctif sur leur haubert, se dirige vers la maison de Fieschi. Soudain, vacarme, la porte en bois cloutée cède, et les soldats pénètrent, fouillent, cherchent, cassent. Dans la chambre de l’ambassadeur, on trouve Nicolino Fieschi en compagnie d’un gentil damoiseau. L’ambassadeur, son compagnon et son fils sont rudoyés quelque peu et en chemise, grelottant de froid et de peur, traversent dans le mistral, le Rhône et le pont Saint-Bénezet et se retrouvent en face en territoire français à Villeneuve.
Le 18 avril vendredi saint : Benoît XII devant l’affront, en oublie le matin de célébrer l’office. Tout Avignon hurle au scandale dans toutes les langues (sauf le français). Des hommes d’armes étrangers se sont introduits dans une ville entourée de remparts gardés, et profanation des profanations en période sainte !! L’après-midi Benoît se rend aux Cordeliers pour expédier l’office à toute vitesse. Il exige une enquête de police expéditive. Avignon a vu bien des turpitudes depuis l’installation des papes, mais jamais d’enlèvement politique !! Le cardinal de Modene chargé de l’enquête établit rapidement la complicité du maréchal de justice Béranger Cotarel. Une porte des remparts, celle d’Aiguière était restée ouverte. Le maréchal arrêté, meurt empoisonné dans sa cellule, son corps pendu pour l’exemple et jeté dans le Rhône. Les deux rois, le pape vont se rejeter la responsabilité de cet enlèvement. Mais les trois prisonniers sont placés sous la garde française de Villeneuve, forteresse royale française. Deux mois plus tard le 16 juin ils vont réapparaître sans que l’on sache comment à Avignon dans la rue Carreterie. Contre rançon ? Mystère !!! Benoît XII fait pendre laïcs et religieux qui avaient participé de près ou de loin à cet enlèvement. La maison des Fieschi sera décorée des pendus à sa poutre de façade sur la rue. Nicolino Fieschi regagna Londres sans avoir rencontré le pape.

Palais Vieux -Tour du Pape - photo perso
Le 24 juin les Anglais se rendent maîtres des mers après la défaite navale de l’Escale. Les dés sont jetés pour un siècle de batailles…
Benoît XII nous laisse à Avignon un palais des Papes restructuré. Il craint une intervention armée de l’empereur Louis de Bavière, allié de l’Angleterre. « Nous avons pensé et mûrement considéré qu’il importe beaucoup à l’Église Romaine d’avoir dans la cité d’Avignon où réside depuis longtemps la Cour romaine et où nous résidons avec elle, un palais spécial où le pontife romain puisse habiter quand et aussi longtemps qu’il lui paraîtra nécessaire. »

Dès 1335 il rachète le palais épiscopal transformé par Jean XXII et les travaux commencent sous la houlette de Pierre Poisson  (ou Peysson de Mirepoix)[. Celui-ci d’abord écuyer, puis architecte, maître des œuvres et édifices du Pape. C’est le Palais Vieux. En premier une tour de 46 mètres de haut, forteresse pour abriter le Trésor à sa base ainsi que les nouveaux appartements du souverain. La bibliothèque pontificale est installée dans la « tour des Anges ». On agrandit l’église St Etienne, devenue chapelle Benoît XII. L’aile du conclave en 1337, l’aile des appartements privés, la tour de l’Etude, le Consistoire…… En mai 1337 on dénombre 800 ouvriers sur le chantier. Les pierres pour le gros-œuvre viennent de Villeneuve-lès-Avignon, les pavements des carrières du Comtat ou de Caromb, pour les décors sculptés on préfère le calcaire d’Orgon, le plâtre vient du gypse de l’Isle-sur-Sorgue, les bois de Savoie pour les mélèzes, du Vivarais tout proche pour les chênes, acheminés par radeaux flottants sur le Rhône. De vastes salles aux plafonds de bois, le tout fonctionnel aux décors sobres. La construction de la Tour du Trouillas (du pressoir) dure de 1341 à 1346 ; elle assure la défense du palais coté nord-est. Benoît XII souhaite un système défensif efficace : toits de tuiles bordés de créneaux et de mâchicoulis, tours munies de dépôts d’armes et de postes de guet. De nombreux peintres se sont chargé des décors ; des peintres toulousains ou méridionaux sous Jean XXII il ne reste pas grand-chose. Pour la période Benoît XII deux français parmi les peintres italiens, Jean Dalbon pour la chambre et le bureau du Saint-Père, et Robin de Romans, peut-être aussi un Hugo qui apparaît dans les livres de comptes.
Benoît XII décède le 25 avril 1342 sans voir l’achèvement des travaux. Une gangrène l’aurait emporté. Il souhaite être enterré dans la cathédrale de Notre-Dame des Doms d’Avignon ; une chapelle est construite par Michel Ricoman et financée par le pape suivant Clément VI. Le mausolée dans le style de celui de Jean XXII est de Jean Lavernier. Un dais à clochetons surplombait le sarcophage. Il n’en reste pratiquement rien. Les quelques éléments que l’on voit sur le tombeau actuel proviennent de celui du cardinal Jean de Cros.
Des historiens ont dressé un portrait de Benoît XII sévère : un homme sectaire, autoritaire et ivrogne peut-être à cause de son teint rougeaud. Il a remis de l’ordre dans la Cour Pontificale, punissant les fonctionnaires indélicats. Comme son prédécesseur il a augmenté les taxes fiscales au profit du Saint-Siège. 
Dans les caisses de la Révérende Chambre Apostolique (le Bercy papale), on découvrit pas moins de 1 117 000 florins. Malgré les dépenses pour la construction du Palais des papes. Alors resurgit dans l’Avignonnais, la légende de la vieille Mourdacaï.
Jacques Fournier encore enfant avait fait connaissance dans le ghetto d’Avignon d’une vieille juive dévorée par les puces, du nom de Mourdacaî. Le garçonnet lui dévoila comment se débarrasser de ces bestioles. En remerciement elle lui prédit qu’un jour il serait pape. Elle lui fit fouiller dans la poche de sa juge : l’enfant y trouva deux petites clefs d’or… « Dès que tu seras élu, reviens chez moi et creuse sous le plancher de ma maison. Tu y trouveras le trésor des juifs du Comtat…Il te servira à bâtir un palais magnifique ».
Les clefs symboles de ce qui permet d’accéder à un univers différent, au mystère. Symboles aussi de lien, ici entre chrétien et juif. En hébreu, « trésor » signifie aussi musée, bibliothèque….  On peut toujours rêver à une autre richesse trouvée grâce à ces clefs, acquisition des Savoirs, de l’éternelle et universelle Vérité, d’un monde apaisé…
Après Benoît XII, un quatrième pape avignonais s’installe sur le trône pontifical : Pierre Roger, un Français du Limousin, sous le nom de Clément VI, encore un Français. Aristocrate ruiné, théologien, grand orateur, mécène, prince fastueux. Nous aurons rendez-vous avec lui prochainement.
           

                                                            
Hôtel des Monnaies 1619
  

Lettrine 13ème - anonyme BNF




Sources : Claude Mossé Les histoires de l’Histoire ISBN2-7144-1437-0 H60-2094-5édit Acropole 1981 -  Daniel Réju France-secret Les légendes d’Avignon internet francenervie-secrets.com  - D. Paladilhe, Les Papes en Avignon, Éd. Perrin, Paris, 1975. - B. Guillemain, Les Papes d’Avignon (1309 – 1376), Paris, 1998. - S. Gagnère, Le Palais des papes d’Avignon, Les Amis du Palais du Roure, Avignon, 1983. Edit RMG -  E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Éd. Gallimard, 1975, 646 p. – J. Duvernoy, Le Registre d'inquisition de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325), Toulouse, Privat, 3 volumes, 1965. -  « Catharisme et néocatharisme en terre d’Ariège » Edouard de Laportalière  -  wikipedia --photos perso sauf celles avec légende - A relire Michel Peyramaure  La Tour des Ange édit Robert Laffont -
A visiter absolument le Palais des Papes -

















dimanche 12 novembre 2017

Le Crime des Midis -

Le Crime des Midis – LaGarde-Dieuze août 1914


Le dimanche 2 août 1914 l’ordre de mobilisation est affiché dans tous les villages et villes de France. Les gardes-champêtres ont sillonné les rues pour annoncer la nouvelle. La mobilisation n’est pas la guerre, mais elle n’est pas loin… Le 4 les hommes de chez nous, munis de leur feuille de route rejoignent Alès, Privas, Nîmes; Uzès, Pont St Esprit… Les novices et ceux qui ont déjà effectué leur service militaire depuis trois ans. L’anxiété est de mise quoique qu’en dise la légende du « Tous à Berlin » claironnée par des foules en délire !. Les sous-préfets s’inquiètent de tentatives de mutilations, de suicides, jusqu’à un par jour.

Pendant la guerre de 1914-18, le 15ème Corps (dans la Seconde Armée) regroupait les régiments du Sud de la France, du Gard, Var, Corse, Nice etc, composés au début des hostilités de soldats de 20 à 33 ans..
Uzès
L’infanterie venait d’Antibes, Marseille, Nîmes, Aix, l’artillerie de Bastia, Orange, Nîmes, Alès, Pont-St-Esprit, Privas…Les hussards de Tarascon, de Marseille…. Les hommes avaient rejoint la Lorraine début août. Le bataillon d’Uzès partit d’Avignon le 5 août 1914 à 22h 25 avec une préparation militaire plus que succincte. Les trains  embarquaient les hommes, Avignon à 17h25, Alès à 20h25, Nîmes à 21h25, ….Les rumeurs disaient que la guerre durera 15 jours, un mois, deux mois, un parcours de santé ! On fait des photos avant de partir.

  
(Nîmes camp des Garrigues- Massillan)
Laissons parler les hommes : « Tout le long du voyage, à toutes les gares, à tous les arrêts, c’était plein de femmes, de jeunes filles nous donnant du vin, de la grenadine pour nous désaltérer car il faisait très chaud dans ces wagons. » « Dans les gares où le train s’arrête, beaucoup de volontaires (jeunes filles en particulier) nous donnent à boire, nous offrent des médailles etc. Au fur et à mesure que nous avançons, on sent plus d’inquiétude chez les civils.»
« Nous avons fait un long voyage dont à tous les arrêts du train les gens nous distribuaient du vin, des liqueurs, des fruits, etc., mais ne restez point étonnée si je ne vous dis pas le pays où je me trouve, je ne puis pas vous le dire, c’est un secret. » « A Contrexéville, des élégantes distribuent aux artilleurs des bonbons, des cigarettes, des boissons hygiéniques. « 
Les hommes du 15ème ont reçu le baptême du feu du 10 au 16 août lors de la bataille de Lagarde. Plus de 460 morts, 690 blessés, 928 disparus… Deux bataillons et deux régiments de cavalerie presque anéantis.  L’ennemi enregistre un peu moins de 300 tués. Tous ces chiffres sont une estimation en se basant sur le nombre de tombes. Les Allemands semblaient battre en retraite, attirant nos troupes dans la plaine de Dieuze qu’ils avaient préparée.
Lagarde
                                                 
Le 10 août les soldats allemands sont dans le village de Lagarde, les français près de Xures. Le secteur est calme. Les effectifs de l’ennemi sont incertains, peut-être deux compagnies. Le commandant français décide de prendre Lagarde : la bataille commence à 11 h, à 19h 15 le feu cesse et les soldats français entrent dans le village.
Le 11, vers 8h 30 un détachement ennemi avance et les premiers obus sont tirés. Nos
artilleurs se font tuer sur place. La rue est balayée par une grêle de balles et d’obus ; les hommes tombent, nombreux, d’autres se dispersent, s’abritent…
Le gardois Adolphe Roussel 24 ans et le vauclusien Louis Ribaud 25 ans sont nos premiers « morts pour la France, » sept jours après leur incorporation.
Jusqu’à 14 h c’est un repli sanglant. Le bilan est lourd d’autant plus que la conquête de Lagarde n’avait aucun intérêt stratégique. Une réflexion d’un officier corroborée par un lieutenant du 20è Corps qui sera lourde de conséquences : « ils se sont enfuis comme des péteux » !! Le gouvernement et la presse pourtant communiquent : « le village de Lagarde, situé en territoire annexé, a été enlevé à la baïonnette avec un élan admirable, les Allemands ne résistent décidemment pas à l’arme blanche… « . Les journalistes ne savent plus sur quel pied danser. L’Illustration du 15 août 1914(n°3729) reprend la journée du 13 août : « par contre un échec : deux bataillons français qui s’étaient emparé du village de La Garde en sont chassés par une contre-attaque et se retirent à Xures… ». La vérité est toujours la première victime d’une guerre.
Mais lisons des lettres de soldats :
14 août :
 « À 6 heures 10 une grande clameur retentit, nous venons de franchir la frontière, nous mettons baïonnette au canon et en avant sous une pluie d’obus et de balles, les camarades commencent à tomber ; le feu devient de plus en plus horrible, nous ne rigolons plus, mais nous avançons toujours, nous entendons sonner la charge, nous nous mettons à l’abri derrière un talus et nous avançons par bonds, les balles sifflent sans discontinuer et les shrapnels éclatent à hauteur de la ceinture. Enfin nous quittons cet abri et nous partons en avant, nous faisons un petit abri avec le sac et de la terre devant et nous attendons, enfin à 8 heures, on n’entend plus rien. Nous nous rassemblons et nous quittons ce lieu de carnage. Dans la nuit on marchait sur les morts, on entendait les blessés qui criaient, d’autres nous suppliaient de les achever, d’autres de les faire boire, nous n’avions pas une goutte d’eau ».
« Des fantassins ennemis, nul n’en vit en ce jour du 14, pas plus que d’artilleurs. D’où partaient ces balles qui fauchaient nos rangs ? Où s’étaient enfouies ces batteries dont les obus creusaient des entonnoirs de huit mètres de largeur et réduisaient en bouillie les malheureux qu’ils atteignaient ? Rien. On ne voyait rien »
15 août : « On va attaquer, c’est sûr l’adjudant nous l’a dit et on entend le canon…on va devoir y aller ! On avance vers Morhange, Benestroff, Dieuze. Ça canarde de partout obus, balles des mitrailleuses et déjà des collègues sont tombés ; le sergent brame comme un veau juste à côté de moi et il faut monter la colline d’où les Boches sont en ce moment pour les enlever. »
16 août : « Le bataillon est porté du 14 au 16 août vers la frontière qu’il traverse le 16, au nord du village de La Garde, sur les talons d’un ennemi qui refuse le combat C’est en ce point qu’il voit la première fois les traces douloureuses des combats précédents, les premiers cadavres, les premières ruines, les premières tombes. » « Nous trouvons des armes, des effets abandonnés, une batterie d’artillerie presque complètement détruite, dont par mesure d’hygiène sans doute on a brûlé les chevaux morts. Qui ? Dans un champ de betteraves, je découvre la première tombe sur laquelle on a mis bien en évidence les écussons (19e artillerie) drôle d’impression ! Par la suite on découvre d’autres tombes (Français et Allemands). » « Buissoncourt. Dimanche 16 août. Quoi te dire? Des lois draconiennes mais évidemment nécessaires nous ont été dictées. Nous devons envoyer des lettres ouvertes sans indiquer ni l’endroit où nous sommes, ni ce que nous faisons, etc. etc. »
Il fait une chaleur accablante, une odeur de sang et de chair décomposée monte du sol. « Le 17 nous traversons le champ de bataille situé entre Xures, village français et Lagarde, village allemand... cependant la tristesse est apparente sur le visage de tout le monde car tout autour de nous on voit une multitude de tombes ou plutôt des petits monticules de terre remués à la hâte avec une petite croix de bois sur laquelle est écrit un ou plusieurs noms de français ou d'allemands »
« Dans Lagarde même, amas d’effets armes, selles, caissons d’artillerie démolis, cadavres dans le canal, même des blessés français que les Allemands partis la veille, n’ont pu amener. Ces blessés déclarent avoir été bien soignés, mais que en se retirant les Allemands ont déclaré qu’ils reviendraient dans trois jours… »
 « Dans tous les cas ne vous faîtes pas tant de mauvais sang. Moi, je vis dans le bon espoir de retourner maintenant mais je ne puis rien assurer, nous sommes plusieurs de l’environ et nous avons tous fait les mêmes réflexions. Ce n’est pas de notre faute et on ne peut rien n’y faire, il n’y a qu’à faire son devoir le mieux possible… »


Le Gard et le Vaucluse sont les départements les plus touchés pendant cette période : 74 gardois tués soit 14% des effectifs, 70 morts du Vaucluse soit 13,23% des effectifs de ce département.
En Allemagne, gravures, cartes postales illustrent la férocité de l’assaut.

Et puis le 19 août à 4 h du matin c’est l’enfer de Dieuze qui commence.
Castelnau commandant depuis le 8 août de la Seconde Armée lance ses troupes malgré les informations plus que douteuses, soutenant que nos soldats n’ont rien devant eux. La route de Berlin est libre. Mais ils vont être accueillis par un feu d’artillerie lourde. A9h les obus pleuvent arrêtant la progression. « On les regardait tomber avec curiosité car c’est la première fois qu’on les voit et de si près… Le soir nous transportons beaucoup de blessés » (journal d’un du 55ème). Alexis Calliès capitaine d’artillerie Carnets de Guerre écrit : «  nous ne parvenons pas à découvrir les batteries ennemies, …pluie d’obus de gros calibre, surtout du 105..nous nous sommes heurtés à une véritable position fortifiée ; l’artillerie allemande a repéré toutes les crêtes, tous les plis du terrain….  nos batteries aussitôt découvertes par un avion sont soumises sans réglage à un arrosage systématique… ».
Pendant 10 h c’est une pluie de fer. Sous le bombardement « on se plaque au sol, le barda sur la tête, bondissant en avant comme on peut »…  « le sang coule partout, partout des morts, des blessés qui hurlent et la mitraille traîtresse taille et retaille dans cette chair déjà pantelante ou à l’agonie « (carnet d’un du 112ème)
20 août : « A l’aube, nous rejoignons notre régiment  près des marais de Bensdorf. C’est alors que commence l’attaque la plus violente qui soit ; le 15e Corps, déclenché tout entier, avance malgré les canons, les mitrailleuses et les mausers, Les hommes ayant de l’eau et de la boue jusqu’à la ceinture – beaucoup se sont noyés en cet endroit. Vers 10 heures du matin, la situation, qui semblait nous sourire jusque-là, est singulièrement changée ; le canon ennemi crache à 3 300 mètres seulement et nous n’avons aucun abri alors que l’armée boche est solidement retranchée sur des hauteurs constituant des points stratégiques admirables. Vers 11 heures, les bataillons de chasseurs qui donnaient l’assaut commencent à fléchir avec d’effroyables pertes. Ordre est donné de se replier sur Dieuze ; alors commence une retraite sur l’arrière sous les 210 allemands, les mitrailleuses de l’infanterie, cependant que, la rage au cœur, des clairons sonnent encore la charge. »
Toute la nuit, un feu incessant. Le 20 août à 5h 30 dans un épais brouillard, c’est la contre-attaque allemande. Mitraillettes, canonnades, attaques à la baïonnette, les champs sont jonchés de taches rouges de nos soldats, pantalons garance et sang. Vers 11 h nos bataillons de chasseurs fléchissent avec des pertes effroyables. Plus tard on parlera d’holocauste. Sous le feu des mitrailleuses, des shrapnells et des marmites, sur ordre, nous battons en retraite. « À 50 mètres se trouvait un canal, tout le monde y saute dedans, nous avions de l’eau jusqu’à la ceinture beaucoup s’y sont noyés, après nous ne pouvions pas marcher, les pantalons et la capote étaient collés aux jambes et les balles pleuvaient de plus en plus. »

On déplace un bataillon, mais n’en avertit pas les autres, on se tire dessus. On bat en retraite, mais ici un peloton n’est pas informé et est abandonné à lui-même, à une mort certaine. Là l’ordre de repli n’arrive pas, les agents de liaison ont péri en chemin. Toute la plaine de Dieuze est sous le feu de l’ennemi. On meurt après 16 jours d’une guerre qui devait être un chemin tranquille et qui se révèle dantesque, inimaginable. On soigne sommairement les blessés, laissés sur le terrain, au mieux capturés par l’ennemi, au pire agonisant plusieurs jours sur le champ de bataille. On se noie en traversant le canal des Salines… Les morts ne sont pas enterrés, les obus s’en chargeront.
En désespoir de cause deux bataillons s’accrochent sur deux mamelons se sacrifiant pour nous permettre une retraite jusqu’à la nuit tombée. Les trains, les voitures de l’état-major, le matériel ajoutent du désordre au désordre. « Nous errâmes longtemps dans Dieuze avec mon camarade, à la recherche du bataillon. Mais, quand nous le retrouvâmes, il errait encore plus que nous. Il faut reconnaître qu’un sublime désordre régnait dans la petite ville lorraine : fantassins, artilleurs traînant leurs encombrants caissons, trains de combat, et trains régimentaires, brillantes automobiles de nos brillants états-majors, tout cela se rencontrait, se croisait, ne sachant trop que faire ni où aller. Cela sentait sinon la retraite, du moins un repli précipité.»

En deux jours nous avons perdu 9800 hommes et 180 officiers (relevé du commandant Espinasse du 15ème). Depuis le 10 août, au 15ème Corps près de 13000 hommes sont morts, disparus, blessés. Ils avaient parfois quitté leurs oliviers et leurs champs pour la première fois de leur vie.
Vu du côté allemand
A 5 heures et demie du matin, l’ordre est donné d’attaquer les positions françaises à l’ouest de Dieuze. Les Français avaient une position avancée dans les bois de Monack au nord-ouest de Vergaville. En dépit des obstacles (l’avoine très haute en était un dans les champs), nos mitrailleuses eurent bientôt raison de ces résistances. L’attaque à la baïonnette fut ordonnée contre l’aile droite. Les Français durent regagner leurs positions principales d’où leur artillerie tâchait de nous arrêter, mais en vain. Nous avancions toujours. Les champs jonchés de cadavres français montrent l’acharnement de la lutte. Notre artillerie prit l’ennemi sous ses feux. A gauche, les Français se replient sur Dieuze. Le chemin de Vergaville à Guebling était jonché de pantalons rouges. » 

Notre voisine, la commune de St Quentin la Poterie, va perdre le 20 août un jeune homme de 22 ans, Elie Sablayrolles, fils de pasteur. Il est porté disparu et semble avoir été enterré à Glesdorf, tombe 6. Blessé, prisonnier ? Entre août et septembre ce village va perdre 12 hommes sur les 72 morts pendant toute la guerre ! 

A Paris, le ministre de la guerre Messimy et son comparse le sénateur journaliste Gervais pondent un article ignoble paru dans le journal Le Matin le 24 août : les troupes de « l’aimable Provence » sont accusées d’avoir lâché pied devant l’ennemi. "Les troupes de l'aimable Provence ont été prises d'un subit affolement. L'aveu public de leur impardonnable faiblesse s'ajoutera à la rigueur des châtiments militaires. « tout le fruit d’une habile combinaison stratégique longuement préparée ( ?) a été momentanément compromis…la défaillance d’une partie du 15ème Corps a entrainé la retraite sur toute la ligne ». Joffre va faire « fonctionner ferme les Conseils de guerre ».  Clémenceau en rajoute une couche : « notre 15ème Corps a cédé à un moment de panique et s’est enfui en désordre....on connaît la nature impressionnable des méridionauxce jour-là ils ont déplorablement failli…qu’on les mène au plus fort du feu… ». (Le Clémenceau fondateur de la Société des Droits de l’Homme, journaliste à l’Aurore, sénateur en 1902 du Var, celui qui défend Dreyfus….)

Dans les ministères parisiens, il était impensable que le commandement ait commis des erreurs, la faute ne pouvait incomber qu’aux exécutants. Il fallait un lampiste, le 15ème Corps fera l’affaire. Et pourtant, les historiens de l’art militaire décrivent une « ineptie stratégique, une incongruité de la tactique étant donné l’exiguïté des lieux », (Lagarde-Dieuze est dans une vallée avec canal et rivière), des liaisons de communication inexistantes ou dérisoires, une artillerie mal employée, une « suffisance » qui conduit à mépriser les renseignements de la population, une évaluation fausse des forces en présence…et même « une puérilité et un fanatisme offensif d’officiers impatiens de démontrer leur fougue!! » Le général Weygand écrira « la région avait été signalée par les habitants comme fortement organisée et occupée – le terrain est truqué (cad préparé par nos adversaires pour les tirs d’artillerie) » ; Castelnau à son fils : « l’offensive qu’on m’a imposée est un défi au bon sens ». Les Allemands avaient préparé techniquement, scientifiquement l’offensive, tranchées, batteries enterrées, troupes sur les hauteurs, soldats habillés de gris donc peu visibles, terrains transformés en marécage pour nos soldats… Nous, nous étions surtout armés de notre romantisme, de notre vanité et de théories militaires largement dépassées en particulier la doctrine de l’offensive à outrance là où il aurait fallu une artillerie efficace.
Le Gouvernement publie un démenti, le journal Le Matin reçoit un blâme. Mais le mal est fait. Des parlementaires, des maires s’insurgent, demandent respect pour les soldats provençaux. Le journal est interdit dans plusieurs communes. « Si des faiblesses ou une panique se sont produites, il faudrait encore savoir où, comment et pourquoi ! Et il nous est interdit de rien vérifier, de rien discuter. Quant aux sanctions, elles relèvent de l’armée et non d’un appel intempestif à une opinion publique troublée et prodigieusement mal renseignée. ». La presse locale prend fait et cause pour les Midis : « Un marchand de fromages du nom de Gervais, sénateur pour la honte du Sénat, s’est livré contre le Midi aux plus basses diffamations qui se puissent écrire. Gervais est traité « honte du sénat et fumier de la presse »
Mais pourquoi s’en prendre uniquement au 15ème ? Sur tout le front, on se replie. Partout la doctrine de l’offensive à outrance a démontré son inefficacité. En 1907, lors des manifestations viticoles, les « Midis » avaient mis la crosse en l’air refusant de tirer sur leurs compatriotes. Est-ce un commencement d’explication ?  Ils sont aussi nos premières « gueules cassées », nos premiers morts sans sépulture, situations que l’on n’avait pas imaginées. Et maintenant on les traite d’anarchistes, de lâches, d’antipatriotes.
Insultes, vexations, refus de soins, renvois en premières lignes, rien ne sera épargné aux « Midis ». « pas de lâches à l’hôpital !! » martelaient ceux qui n’avaient jamais sauté dans une tranchée, ni vécu une seule heure sous les obus. C’est un déchainement de violence écrite, verbale, physique contre les « Midis ». Plusieurs soldats du 15ème seront même fusillés pour abandon de poste ou mutilation sans procès, ni interrogatoires préalables.
« Quand un blessé (du 15è)va à Verdun on ne le soigne presque pas, il est mal vu, on le regarde comme un chien » - « Ce sont deux blessés du XVe corps qui vous écrivent pour vous demander, vous supplier de faire savoir à tous que les soldats du Midi font tout leur devoir… dites cela et vous ne ferez pas seulement plaisir, vous rendrez service, vous rendrez justice à toute une province… car nous rencontrons encore des gens du Nord qui « rigolent » sur notre passage. » - « Vous êtes bons à recevoir des balles dans le cul et à lever la crosse en l’air. »…… « Ah ! Ces gens-là, ces hommes de la crosse en l’air qui sous prétexte du soleil du Midi qui mûrit leurs idées sont la plupart des révolutionnaires anarchistes et socialistes antipatriotes et si nous avions eu à faire qu’à eux, il y a longtemps que nous serions sous la botte allemande»
« Nos troupes se sont vaillamment conduites à part les régiments du Midi… ces gens de T… n’ont que du bagou. Des exemples vont être faits et les hommes convaincus d’abandon de leurs postes, fusillés. Cet exemple est nécessaire et sera salutaire…; heureusement que nous ne sommes pas tous de T… et de Tarascon. Mais ces régiments vont être doublement punis car ils vont être remis aux premières lignes. Je n’ai jamais eu beaucoup de confiance dans ces gens du Midi qui nous gouvernent depuis 30 ans ; j’en ai de moins en moins. « 
La légende du « crime des Midis » venait de naître. Une réhabilitation tardive et discrète, des généraux et un ministre limogés dès le 26 août, et une stratégie différente seront une sorte de reconnaissance des erreurs de commandement et de l’intégrité du 15ème. Et les pantalons garance vont disparaître, l'équipement du soldat sera revu. Après la guerre des hommages au 15è seront déployés dans de nombreuses communes du Sud.
 « La fédération de l’arrondissement de Toulon invite chaque union locale des poilus à organiser dans la commune, le jour des fêtes officielles de la Victoire une manifestation publique pour confondre les calomniateurs du 15e Corps, en déclarant simplement mais avec fierté légitime, que nous tenons à honorer les gens de chez nous, les poilus de Provence qui ont vengé héroïquement l’honneur de notre pays, des imputations mensongères de quelques politiqueurs. La calomnie est l’arme des envieux !  La fédération engage chaque union des poilus à réclamer et à obtenir du comité local ou de la municipalité une inscription lapidaire sur le monument projeté à la mémoire des tués à l’ennemi pour transmettre à la postérité le souvenir des actes mémorables des hommes du 15e corps » Mais la rumeur sera tenace et poursuivra nos Midis.


Une pensée pour tous ceux qui continueront à mourir des suites de cette guerre, les blessés, les invalides, tous ceux qui continueront à entendre dans leur tête les obus tomber bien après l'armistice et qui auront bien du mal à se réhabituer à la vie familiale et civile.....
Caserne Nîmes

Pont St Esprit baraquement militaire du Champ de Mars 1914
Sources : à partir de lettres, carnets de soldats et officiers – Maurice MistreRimbaud « Dieuze 19-20 1914 »- « Des Républicains diffamés pour l’exemple »2004 – La Légende Noire du 15è corps 2008  - « Les Provençaux de la Grande Guerre ou l’affaire du 15è Corps » Thomas Grobon Histoire du Patrimoine- Journal de Martha Bergerfurth – Colonel Simonet le 2è bataillon du 40è au combat de Lagarde  - Lieutenant Ficonnetti Mémoires 3è batterie du 19è RA  - Camille Morel Histoire d’un soldat de 1914  - Archives municipales Lagarde – Travaux historiques divers - Couradou de  Vallabrix Mars 2012 médiathèque ou site internet - photos internet et collections privées.



Petit dictionnaire à acheter pour nos soldats - BNF