dimanche 19 novembre 2017

Les Papes à Avignon : Benoît XII




Les Papes d’Avignon :  Benoît XII :( 1285-1334-1342)

Portrait de Benoît XII imaginé par Henri de Serrur
Palais des Papes Avignon


Nous avions laissé Avignon, la Babylone déchirée, à la mort du pape Jean XXII. Nostradamus, né prophète juif de Carpentras et converti sous le nom de Michel de Nostre-Dame, prédisait qu’Avignon serait la nouvelle capitale de la France après une guerre de trois ans et sept mois. Avignon sera en fait pendant tout le 14ème siècle l’endroit où se firent et se défirent les liens de la politique européenne, un lieu d’influence où les fortunes se font et se perdent, une plateforme commerciale et intellectuelle. De l'autre côté du Rhône, le Languedoc français va beaucoup profiter de l'essor d'Avignon.

Après la mort de Jean XXII le 4 décembre 1334, il faudra sept jours au Sacré Collège pour élire l’évêque de Pamiers, Jacques Fournier. Le conclave se réunit dès le 13 décembre. Mais une violente altercation oppose les tenants de la résidence pontificale à Rome ou Avignon. Devant la menace de s’éterniser, Napoléon Orsini, toujours lui, fait passer son candidat le 20 décembre. Ce sera Benoît XII.  Faux modeste, ( ?) le nouveau Saint Père déclare : »vous venez d’élire un âne ».
Pour les Avignonnais le réveil sera douloureux car voici un pape à la réputation d’intransigeance. C’est un ariégeois né à Canté près de Saverdun, fils probablement d’un meunier, d’origine modeste. Pour certains historiens, sa mère serait la sœur du pape Jean XXII.
Un oncle moine cistercien et abbé de Fontfroide dans l’Aude, Arnaud Novel,  se charge de son éducation. Collège Saint-Bernard à Paris, puis les universités et Jacques devient docteur en théologie. Il succède à son oncle à l’abbaye de Fontfroide. Le pape Clément V vient de nommer son oncle cardinal et légat en Angleterre. Jacques qui se signale par son érudition et sa rigueur est nommé évêque de Pamiers le 19 mars 1317 puis évêque de Mirepoix en mars 1326. A Pamiers il poursuit avec zèle les hérétiques albigeois, ainsi que les vaudois. Il dirige le tribunal d’Inquisition avec deux dominicains de Carcassonne Gaillard de Pomiès et Jean de Beaune.( registre en parchemin de 325 p. in folio conservé à la bibliothèque vaticane sous le numéro 4030).(Emmanuel Leroy Ladurie, professeur au collège de France et membre de l’Institut,  Montaillou, village occitan de 1294 à 1324.publié en 1975). « Cet homme connaît bien le pays et la langue, contrairement aux inquisiteurs pontificaux qui sont souvent des Français. Il cherche avant tout la conversion des pénitents et n’est pas tenté par la répression : les condamnations au « mur » sont nombreuses, les remises au bras séculier très rares et les peines sont souvent adoucies. Ses registres sont très minutieux et témoignent d’une grande conscience » (Catharisme et néocatharisme en terre d’Ariège » par Edouard de Laportalière
Le 18 décembre 1327 le souverain pontife Jean XXII le nomme cardinal de Saint-Prisque. Jacques conserve son habit blanc des cisterciens. D’où son surnom de cardinal blanc. Il a toute la confiance du pape qui lui confie des affaires délicates comme des procès sensibles.

Il est couronné le 8 janvier 1335 en l’église des dominicains d’Avignon par le cardinal Napoléon Orsini qui a déjà couronné les deux papes précédents.
Dès le 13 janvier Benoît XII nomme un nouveau trésorier Jean de Cojordan, un homme à lui dont il est sûr. Celui-ci devra réformer la Curie. Arnaud de Trian et sa clique de racketteurs sont remplacés par Arnaud de Lauzières, un autre homme du pape. En moins d’une semaine, sa vigoureuse réputation fait que plus de dix mille personnes quittent précipitamment Avignon dont un certain nombre de prélats de haut rang. Pendant deux ans Arnaud de Lauzières épure la ville y compris dans les ordres religieux. Mais il se sert au passage et en avril 1337 les gardes pontificaux le récupèrent au pied des remparts alors qu’il cherchait à franchir le Rhône pour rejoindre le royaume de France en face, avec des coffres bien remplis. Il aura la vie sauve et sera remplacé par Béranger Cotarel, qui ne sera pas plus vertueux que ses prédécesseurs.

Le souverain pontife sera un pape austère, prudent, un homme de principes. Il va s’attacher à réformer les ordres religieux, rappelle la discipline dans les abbayes, pas toujours avec succès. Par sa bulle du 12 juillet 1335, Fulgens sicut stella il fait obligation aux moines de pratiquer pauvreté, mortification et travail manuel. L’austérité de ses réformes rencontre l’hostilité de ses pairs. La plupart des changements ne seront pas suivis par les papes suivants. Par contre il va aider financièrement à la restauration d’églises et venir en aide aux pauvres sur les terrains de conflits. Il refuse d’avantager les membres de sa famille, ce qui est inhabituel à l'époque ; seul son neveu l’augustin Jean de Cardone se voit confier le siège d’archiépiscopal d’Arles. Quand des parents viennent le voir, il les dédommage seulement de leurs frais de voyage. Une autre exception : sa nièce Faïga, orpheline de son père frère du souverain pontife a droit à 2000 florins d’or et à un mariage sans faste.
Benoît XII envoie en 1337 lors de l’affaire du Dauphiné Johannes de Badis, son Grand Inquisiteur de Provence, pour rechercher les juifs convertis et relaps du Dauphiné. Jacques le Goff explique dans « La Bourse et la Vie » (Paris 1986)  « Dans ce nouveau monde où l’argent est vainqueur, où la cupidité (avaritia), péché bourgeois, détrône, à la tête des sept péchés capitaux, l’orgueil (superbia), péché féodal par excellence, l’usurier, spécialiste du prêt à intérêt, devient un homme nécessaire et détesté, puissant et fragile à la fois »
Palais Vieux -Tour de la Campagne et en fond Notre-Dame
des Doms -photo perso-


[ Ce pape sera aussi un grand bâtisseur, nous le verrons plus loin. Il envisage un temps de retourner en Italie à Bologne. Mais les Bolonais ne sont pas très enthousiastes et le projet tombe à l’eau.
Le 5 septembre 1335, un lion arrive de Sicile pour garder le palais des Papes des bords de Sorgue où le Saint Père réside en attendant les appartements du palais d’Avignon.
En mars 1336 il rappelle au roi de France Philippe VI et à son fils Jean de Valois le devoir de croisade. Le roi se rend à Aigues-Mortes, Lattes, Narbonne, Marseille pour inspecter la flotte des Francs. Elle est jugée trop insuffisante pour faire traverser la méditerranée à  60 000 hommes. Le projet de croisade sera vite oublié, la guerre de Cent Ans n’étant pas loin (1337-1453 environ).
Benoît XII sera dans l’incapacité d’empêcher cette guerre qui mettra à genoux les deux royaumes. Déjà en août 1336 le roi d’Angleterre Edouard III refusant de payer son créancier Navailles est condamné par le Parlement de Paris. En réponse, il interdit à ses négociants de laine de commercer avec le comté de Flandre, s’attaquant ainsi à un allié de la France le comte Louis de Nevers. Les Flandres qui ne vivaient pratiquement que de ses filatures s’acheminent vers la ruine. Le roi de France Philippe VI ordonne à sa flotte de rejoindre les ports flamands pour menacer les côtes anglaises. Benoît XII envoie immédiatement ses légats aux deux rois. La diplomatie va se heurter au lobby anglais de la laine brute qui inquiet de la présence de la flotte française incite leur roi à répliquer. Edouard III se revendique alors comme héritier direct de la couronne de France. Le 10 novembre 1337 les Anglais prennent pied en Flandre sur l’île de Cadsan et les deux flottes se livrent bataille à Southampton. Benoît XII sollicite une trêve qui est acceptée par les deux parties. Les relations entre les deux pays ne cesseront de se dégrader. La trêve s’achève à la Saint-Michel en 1339, et la guerre reprend. 
Des diplomates des deux royaumes sont envoyés à Avignon peu avant Pâques 1340. L’ambassadeur d’Edouard III est le génois Nicolino Fieschi accompagné de son fils Gabriele-André. Une partie de la famille Fieschi habitait Avignon et n’avait pas bonne presse. Déjà en 1339, le cardinal Fieschi avait été attaqué par les gardes français du palais pontifical. Nicolino séjourne dans la résidence familiale à Avignon. Le Saint Père peu enthousiaste, ne peut le recevoir qu’après les fêtes de Pâques. Le 17 avril 1340 soir du Jeudi Saint, au travers des ruelles sombres et désertes, une petite compagnie d’une vingtaine d’hommes sans signe distinctif sur leur haubert, se dirige vers la maison de Fieschi. Soudain, vacarme, la porte en bois cloutée cède, et les soldats pénètrent, fouillent, cherchent, cassent. Dans la chambre de l’ambassadeur, on trouve Nicolino Fieschi en compagnie d’un gentil damoiseau. L’ambassadeur, son compagnon et son fils sont rudoyés quelque peu et en chemise, grelottant de froid et de peur, traversent dans le mistral, le Rhône et le pont Saint-Bénezet et se retrouvent en face en territoire français à Villeneuve.
Le 18 avril vendredi saint : Benoît XII devant l’affront, en oublie le matin de célébrer l’office. Tout Avignon hurle au scandale dans toutes les langues (sauf le français). Des hommes d’armes étrangers se sont introduits dans une ville entourée de remparts gardés, et profanation des profanations en période sainte !! L’après-midi Benoît se rend aux Cordeliers pour expédier l’office à toute vitesse. Il exige une enquête de police expéditive. Avignon a vu bien des turpitudes depuis l’installation des papes, mais jamais d’enlèvement politique !! Le cardinal de Modene chargé de l’enquête établit rapidement la complicité du maréchal de justice Béranger Cotarel. Une porte des remparts, celle d’Aiguière était restée ouverte. Le maréchal arrêté, meurt empoisonné dans sa cellule, son corps pendu pour l’exemple et jeté dans le Rhône. Les deux rois, le pape vont se rejeter la responsabilité de cet enlèvement. Mais les trois prisonniers sont placés sous la garde française de Villeneuve, forteresse royale française. Deux mois plus tard le 16 juin ils vont réapparaître sans que l’on sache comment à Avignon dans la rue Carreterie. Contre rançon ? Mystère !!! Benoît XII fait pendre laïcs et religieux qui avaient participé de près ou de loin à cet enlèvement. La maison des Fieschi sera décorée des pendus à sa poutre de façade sur la rue. Nicolino Fieschi regagna Londres sans avoir rencontré le pape.

Palais Vieux -Tour du Pape - photo perso
Le 24 juin les Anglais se rendent maîtres des mers après la défaite navale de l’Escale. Les dés sont jetés pour un siècle de batailles…
Benoît XII nous laisse à Avignon un palais des Papes restructuré. Il craint une intervention armée de l’empereur Louis de Bavière, allié de l’Angleterre. « Nous avons pensé et mûrement considéré qu’il importe beaucoup à l’Église Romaine d’avoir dans la cité d’Avignon où réside depuis longtemps la Cour romaine et où nous résidons avec elle, un palais spécial où le pontife romain puisse habiter quand et aussi longtemps qu’il lui paraîtra nécessaire. »

Dès 1335 il rachète le palais épiscopal transformé par Jean XXII et les travaux commencent sous la houlette de Pierre Poisson  (ou Peysson de Mirepoix)[. Celui-ci d’abord écuyer, puis architecte, maître des œuvres et édifices du Pape. C’est le Palais Vieux. En premier une tour de 46 mètres de haut, forteresse pour abriter le Trésor à sa base ainsi que les nouveaux appartements du souverain. La bibliothèque pontificale est installée dans la « tour des Anges ». On agrandit l’église St Etienne, devenue chapelle Benoît XII. L’aile du conclave en 1337, l’aile des appartements privés, la tour de l’Etude, le Consistoire…… En mai 1337 on dénombre 800 ouvriers sur le chantier. Les pierres pour le gros-œuvre viennent de Villeneuve-lès-Avignon, les pavements des carrières du Comtat ou de Caromb, pour les décors sculptés on préfère le calcaire d’Orgon, le plâtre vient du gypse de l’Isle-sur-Sorgue, les bois de Savoie pour les mélèzes, du Vivarais tout proche pour les chênes, acheminés par radeaux flottants sur le Rhône. De vastes salles aux plafonds de bois, le tout fonctionnel aux décors sobres. La construction de la Tour du Trouillas (du pressoir) dure de 1341 à 1346 ; elle assure la défense du palais coté nord-est. Benoît XII souhaite un système défensif efficace : toits de tuiles bordés de créneaux et de mâchicoulis, tours munies de dépôts d’armes et de postes de guet. De nombreux peintres se sont chargé des décors ; des peintres toulousains ou méridionaux sous Jean XXII il ne reste pas grand-chose. Pour la période Benoît XII deux français parmi les peintres italiens, Jean Dalbon pour la chambre et le bureau du Saint-Père, et Robin de Romans, peut-être aussi un Hugo qui apparaît dans les livres de comptes.
Benoît XII décède le 25 avril 1342 sans voir l’achèvement des travaux. Une gangrène l’aurait emporté. Il souhaite être enterré dans la cathédrale de Notre-Dame des Doms d’Avignon ; une chapelle est construite par Michel Ricoman et financée par le pape suivant Clément VI. Le mausolée dans le style de celui de Jean XXII est de Jean Lavernier. Un dais à clochetons surplombait le sarcophage. Il n’en reste pratiquement rien. Les quelques éléments que l’on voit sur le tombeau actuel proviennent de celui du cardinal Jean de Cros.
Des historiens ont dressé un portrait de Benoît XII sévère : un homme sectaire, autoritaire et ivrogne peut-être à cause de son teint rougeaud. Il a remis de l’ordre dans la Cour Pontificale, punissant les fonctionnaires indélicats. Comme son prédécesseur il a augmenté les taxes fiscales au profit du Saint-Siège. 
Dans les caisses de la Révérende Chambre Apostolique (le Bercy papale), on découvrit pas moins de 1 117 000 florins. Malgré les dépenses pour la construction du Palais des papes. Alors resurgit dans l’Avignonnais, la légende de la vieille Mourdacaï.
Jacques Fournier encore enfant avait fait connaissance dans le ghetto d’Avignon d’une vieille juive dévorée par les puces, du nom de Mourdacaî. Le garçonnet lui dévoila comment se débarrasser de ces bestioles. En remerciement elle lui prédit qu’un jour il serait pape. Elle lui fit fouiller dans la poche de sa juge : l’enfant y trouva deux petites clefs d’or… « Dès que tu seras élu, reviens chez moi et creuse sous le plancher de ma maison. Tu y trouveras le trésor des juifs du Comtat…Il te servira à bâtir un palais magnifique ».
Les clefs symboles de ce qui permet d’accéder à un univers différent, au mystère. Symboles aussi de lien, ici entre chrétien et juif. En hébreu, « trésor » signifie aussi musée, bibliothèque….  On peut toujours rêver à une autre richesse trouvée grâce à ces clefs, acquisition des Savoirs, de l’éternelle et universelle Vérité, d’un monde apaisé…
Après Benoît XII, un quatrième pape avignonais s’installe sur le trône pontifical : Pierre Roger, un Français du Limousin, sous le nom de Clément VI, encore un Français. Aristocrate ruiné, théologien, grand orateur, mécène, prince fastueux. Nous aurons rendez-vous avec lui prochainement.
           

                                                            
Hôtel des Monnaies 1619
  

Lettrine 13ème - anonyme BNF




Sources : Claude Mossé Les histoires de l’Histoire ISBN2-7144-1437-0 H60-2094-5édit Acropole 1981 -  Daniel Réju France-secret Les légendes d’Avignon internet francenervie-secrets.com  - D. Paladilhe, Les Papes en Avignon, Éd. Perrin, Paris, 1975. - B. Guillemain, Les Papes d’Avignon (1309 – 1376), Paris, 1998. - S. Gagnère, Le Palais des papes d’Avignon, Les Amis du Palais du Roure, Avignon, 1983. Edit RMG -  E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Éd. Gallimard, 1975, 646 p. – J. Duvernoy, Le Registre d'inquisition de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325), Toulouse, Privat, 3 volumes, 1965. -  « Catharisme et néocatharisme en terre d’Ariège » Edouard de Laportalière  -  wikipedia --photos perso sauf celles avec légende - A relire Michel Peyramaure  La Tour des Ange édit Robert Laffont -
A visiter absolument le Palais des Papes -

















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