jeudi 4 octobre 2018

Histoire de la Vigne en Languedoc


taille de la vigne, dans le Psautier cistercien, dit « de Bonmont », vers 1260, Ms 54, folio 2. Bibliothèque municipale, Besançon.

Histoire de la vigne en Languedoc


« La vigne boit le soleil et mange les cailloux »

Nous pouvons déjà constater que le produit « vin », s’écrit presque partout avec la même racine : vino en croate, espagnol, italien, tchèque, bulgare, russe, vin en occitan, en danois, en islandais, roumain, vein en estonien, wîn en kurde, wino en polonais, wein en allemand, wine en anglais, gwin en breton….

La vigne est présente à l’état sauvage dans toute l’ancienne Europe occidentale ; des feuilles et des pépins de raisin fossilisés sont retrouvés à Castelnau le Lez dans notre Hérault. On en situe la date dans la préhistoire, ère tertiaire et quaternaire. Les glaciations du Riss et de Würm semblent avoir sonné la disparition totale de la vigne. Mais on signale une reprise végétative vers 15 000 av JC. Moldavie, Caucase, Géorgie, Arménie…

Le Vin nous accompagne depuis des millénaires, colle à notre histoire, compagnon des bons et mauvais jours ! Il est probable que nous ferons encore un bout de chemin ensemble. Une légende raconte qu’en Grèce, les ânes ayant brouté des branches de vignes, des rameaux et des fruits plus vigoureux, bien plus charnus poussèrent, ce qui donna l’idée de tailler les vignes. Et ainsi naquit, parait-il, la viticulture !!
                  (Tombe de Nakht –Egypte -  fouloir- Wikipéa)
Il est certain que la culture de la vigne et le procédé de vinification sont nés sur les rives de la Méditerranée et qu’ils remontent au moins aux Phéniciens, Egyptiens, Etrusques, peut-être même chez l’homme de Néanderthal (d’après Philippe Marinval Université de Toulouse) ! Les Egyptiens auraient appris cette culture aux Grecs, qui l’auraient transmise aux Romains et aux Gaulois. La plus ancienne trace actuelle de viticulture se trouve en Iran, 7000 ans avant notre ère, mais aussi en Arménie, en Turquie (André Tchernia). Et en Grèce-Macédonienne, des archéologues ont découvert des traces vieilles de 6500 ans avant notre ère, traces de vinification à partir de vigne sauvage associée à des figues. Tâtonnements, essais, avant une vraie culture ? Et nous n’avons probablement pas fini d’en apprendre à ce sujet !.
On sait que la vigne poussait de façon endémique en Gaule vers 6500/6000 ans avant JC, mais nous ne savons pas si elle y était cultivée à cette époque. Probablement liane sauvage. Les marchands étrusques nous vendent du vin dès le 7ème siècle avt notre ère.
 

Il est certain maintenant que les Grecs de Marseille apportent aux Languedociens la vigne et sa manière de la cultiver vers 400 avt notre ère. D’abord pour notre consommation locale car nous importons toujours des vins d’Italie.  Ils sont acheminés par bateau, dans de hautes amphores à panse en forme d’ogive terminée en pointe, col étiré et anses très longues et parallèles au corps. Leur contenance est de 20 à 25 litres. L’intérieur est enduit de poix (résine de pin distillée) pour rendre le récipient étanche. L’amphore est fermée par un bouchon, disque de bois ou de liège scellé avec de la chaux ou de la pouzzolane.
Lors des travaux sous l'avenue Jean Jaurès de Nîmes, nous avons découvert qu'à l'époque gauloise du 5è au 3è siècle avt JC des vignes occupaient les pentes du mont Cavalier, complétant les terrasses agricoles et les aires d'ensilage.
Cette boisson est réservée à l’aristocratie. A Marseille, la Massalia des Grecs, et dans une bonne partie de l’actuelle Provence, la vigne est probablement cultivée dès le 5ème siècle avant JC (Max Rives, chargé de mission à l’INRA). Les variétés avaient été importées de Grèce.  Et dernièrement des fouilles à Vauvert, près de chez nous, conduites par Pierre Sejalon, ont mis à jour des vestiges remontant à 500 ans avant JC : des coupes, de la vaisselle d’origine étrusque, grecque ou locale attestant une consommation de vin probablement d’importation échangé contre nos produits locaux.  Donc un parcours commun très ancien dans notre région.
On sait que le vin gaulois s’exporte au 1er siècle après JC, le long du Rhin et du Danube, en Angleterre, à Rome et même des amphores gauloises ont été retrouvées en Egypte et jusqu’à l’actuel Soudan. La Pax Romana amène une multiplication des échanges commerciaux, un accroissement de la population qui fournit ainsi une main-d’œuvre abondante. Une spécialisation dans les grands domaines  qui permet de diminuer les coûts de production. Dans notre région, des grands domaines viticoles s’installent avec la fondation de Narbonne vers 118 avant JC. (Tonneaux Gallo-romains IIè siècle St Pierre de Colonzelle (26) – 2011 JPS68)

Le Rhône devient un axe nord-sud qui favorise le commerce en tous genres. A Roquemaure la villae de la Ramière produit à la fin du 1er siècle plus de 70 000 litres de vin. Ces chaix ont leur propre production d’amphores. Le vin est travaillé dans des dolia, énormes jarres en terre cuite de plusieurs hectolitres et enterrées aux trois-quarts dans le sol. Les amphores étaient chargées dans les bateaux le long du fleuve.

 Inrap
Dolia, II siècle de notre ère. Musée gallo-romain de Saint-Romain-en Gal, Vienne.

D’après l’historien grec Thucydide, au 5ème siècle avant JC « les peuples commencèrent à sortir de la barbarie quand ils apprirent à cultiver l’olivier et la vigne » !!
L’Empire Romain sera grand consommateur de vin et en particulier de vin gaulois. Les romains aimaient les vins épicés rallongés avec de l’eau de mer. En 92 de notre ère l’Empereur Domitien fit arracher la moitié des vignobles gaulois pour favoriser, disait-il, la culture du blé, mais en fait surtout pour aider la viticulture romaine, protectionnisme oblige ! Le vignoble français est à nouveau encouragé en 281 par l’empereur Probus, date que les historiens prennent habituellement comme point de départ général de cette culture en France. En effet à partir de cette date, les domaines bordelais, languedociens, rhodaniens s’épanouissent et la viticulture monte jusqu’au bassin parisien.
Le vin sera et est encore aujourd’hui dans une moindre mesure, un marqueur social, associé au plaisir, aux fêtes, au vivre ensemble, mais aussi signe de puissance, de statut social, de profits. De tout temps, il est associé au religieux : chez les chrétiens pensons au vin de messe, à Noé, et aux divinités diverses dans les autres religions…..


(Musée Calvet Avignon Bas relief Cabrières d’Aigues JPS68 2011 – Hallage sur la Durance, tonneaux gaulois et amphores-Photo Jean Roubier))







(Pressoir au Mas des Tourelles Beaucaire – reconstitution d’après un texte de Caton datant du IIème siècle av JC- Ed Midi Libre)
 Sculpture de Bacchus dans le village de Crestet, dans le Vaucluse—René Durieux1930. / Dan Shannon / Only France.

Dès 780, de nombreuses abbayes, Aniane, Lagrasse, Fonfroide, Valmagne… sont créées dans notre région. Elles vont se lancer dans la viticulture profitant de l’expérience des moines de Cîteaux, Clairvaux.

Dans les cités du Haut Moyen Age l’évêque, ainsi que l’abbé des abbayes, premiers personnages politiques sur le terrain, seront des viticulteurs importants.. Que l’on se rappelle au 6è et 10ème siècle l’évêque Saint Germain à Paris, Saint Denis à Cahors, Théodulfe évêque d’Orléans appelé « le père des vignes »…. Les vins épiscopaux sont source de revenus importants, mais aussi sont de prestigieux « vins d’honneur » lors de visites d’éminents personnages. Ils rajoutent au statut de l’ecclésiastique. Ils sont un produit de luxe acheté au prix fort par la noblesse et la bourgeoisie. Les vignes sont plantées aux abords des cités épiscopales mais aussi à la campagne autour des résidences secondaires des évêques. C’est le cas à Uzès, Avignon, Lyon…
 
wkimedia
Les moines vont sauver cette culture, ceux de l’abbaye de Cluny en particulier. Aux XIIIe et XIVe siècles, la réputation des vins de Beaune, notamment auprès des papes d'Avignon, fit la fortune des cisterciens, qui marquèrent la viticulture de leur empreinte.
 En France  la viticulture monastique et épiscopale sera particulièrement encouragée du 12ème au 15ème siècle. Mais rappelons-nous Charlemagne et son Corton-Charlemagne du 9ème siècle encore présent au 20ème.
sarcophage -musée St Romain



Dans notre région, au Moyen-âge, des chemins muletiers, appelés « chemins du vin », remontaient vers le Nord, jusqu’en Haute Loire, en parallèle aux « chemins du sel », donc une petite exportation ou du troc. Mondette de Bargeton, une belle-fille de notre seigneur Mathieu de Bargeton,  au 16ème siècle expédiait du vin en Lozère et en retour recevait son fromage d’Auvergne dont elle était si friande.

Les vignobles se développent aussi autour des domaines de la grande aristocratie et des « petits » châteaux. Les pressoirs construits par le seigneur sont utilisés par les vignerons contre le paiement d’une « banalité », un droit de ban. Parfois comme dans notre région le roi donne à certains seigneurs le droit de banvin, droit de vendre leur production avant les autres producteurs.



Les vins du Languedoc figurent à la table de Philippe Auguste roi de France au XIIIe siècle. Au siècle suivant, Philippe le Bel fait acheter des vins de Montpellier pour sa provision personnelle.

Un montpelliérain célèbre dans toute l’Europe, Arnaud de Villeveuve, (1235-1311) catalan de naissance fait ses études à la faculté de Montpellier. Théologien, astrologue, alchimiste, médecin et professeur. En 1280 il distille du vin et met au point un alambic qui va créer « l’eau de vie ». Il va être à l’origine des premiers essais réguliers de distillation des essences aromatiques.

Abbaye de Valmagne  fondée en 1138  près de Villeveyrac (Héraul)
Dans l’Espagne dominée par les musulmans, les interdits de la consommation d’alcool n’empêchent pas la poursuite de la viticulture. Des traités de botanistes, d’agronomes de cette période décrivent les différents cépages, de différentes origines, acclimatés dès le 11ème siècle. De Grenade, à Séville, de Marbella à Cordoue on cultive la vigne…

On cultive la vigne comme actuellement, cep bas en gobelet ou en ligne, mais aussi en hautain, la "vigne des papes". Le plant s’enroule autour d’un 
arbre qui lui sert de tuteur. L’arbre taillé permet d’autres cultures, céréales, légumes… au départ culture pour gagner de la place. Les vignes basses en gobelet ou buissonnantes étaient plantées sur les hautes terrasses alluvionnaires du Rhône comme celles de Châteaunef-du-Pape. Le mistral et les galets roulés descendus des Alpes ne permettaient que des plantations basses.








(Psalter 1180 – Travail de la vigne- Königliche Bibliothek –JPS68)
Cette culture subira de plein fouet les aléas de notre histoire : guerre contre les Albigeois, Guerre de Cent ans, pestes, les dégringolades démographiques, révoltes, hivers glacials... Incessamment il faudra reconstruire les vignobles, patiemment, jusqu’au prochain cataclysme, de crise en crise. Le vigneron est têtu parait-il.

Le vin sera aussi pendant longtemps un médicament, antiseptique avec Hippocrate, purificateur de l’eau, en baume avec de l’huile et du romarin (voir D’Artagnan dans les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas). Un produit lourd de symboles. Au Moyen Age chaque mois à son vin ; l’hiver des vins forts, par temps de brouillard des vins blancs doux plus nourrissants, l’été des vins clairs et légers. On le prend aussi en fumigation, en gargarisme, en application… Les femmes qui viennent d’accoucher, les nourrices dont le lait se tarit, les convalescents sont médicalisés au vin. Il est aussi anti-diarrhéique, vermifuge… Un célèbre médecin et chimiste montpelliérain Arnaud de Villeneuve reconnait les vins de l’Orléanais comme étant « les meilleurs et les plus propres qu'on puisse trouver pour le corps humain » (Arnaud de Villeneuve, Tractatus de vinis, 1314). Il semble aussi améliorer la digestion, chasser les flatulences, bref la panacée !! Quand il devient vin aigre, vinaigre, il s’insère dans des préparations, en cuisine. En vinaigre il éloigne la peste, la vermine, les puces…

Dans notre sud, l’hypocras est un breuvage recommandé contre les douleurs d’estomac : vin, sucre, cannelle, amandes douces, musc ou ambre d’Hippocrate. Le cuisinier de Charles VII Taillevent nous en a laissé la recette.
De nombreux ouvrages scientifiques sont consacrés à l’art de faire du vin. Apprentissage toujours complété, approfondi. En commençant par Olivier de Serres en 1600 qui fait le premier la relation entre le climat, le terroir et le goût du vin. Et bien d’autres avant lui, Pline, Jacques de Thou, Nicolas Ellembourg. …
Mais c'est surtout un savoir-faire familial toujours transmis, enrichi, appris d’une génération à l’autre. C’est dans un premier temps, une culture de coteaux, dans des terrains pauvres, là où les céréales ne poussent pas, là où les bêtes ne broutent pas. Jusqu’au début du 19ème siècle ce sera une culture associée à une polyculture diversifiée.

L’ouverture du Canal du Midi en 1682 favorise la vente de nos produits languedociens. Nos vins seront autorisés à circuler librement à partir de 1776. Mais en haut lieu dès 1731 on commence à s’inquiéter d’une surproduction.
La crise de 1907 n’est pas encore là, mais le 19ème siècle installera les prémices de la crise. Ce sera l’objet d’une prochaine chronique.


-Histoire de la Normandie -wikimedia-La récolte du raisin en septembre. miniature du XVe siècle, --

Sources :Bernadette Voisin-Escoffier Couradou mai 2012 La Société Coopérative de Vallabrix  site de Vallabrix internet ou médiathèque—Pierre Clément Les chemins à travers les âges en Cévennes et Bas Languedoc – Max Rives Les Origines du Vignoble  in La Vigne et le vin <Sciences et Vie n)155 9/1986 –André Tchernia Jean Pierre Brun Le Vin Romain Antique édt Glénat 1999 –Eric Teyssier Chroniques Romaines I Musée de la Romanité Nîmes ISBN 9782917743805-- /www.inrap.fr/dossiers/Archeologie-du-Vin/Histoire-du-vin/Moyen-Age-Culture-et-societe#.W6jkLPZuKM8-- Jean Yves Breuil Inrap Archéologie des sociétés méditerranéennes  Université paul Valéry Montpellier in Nîmes Musée de la Romanité--wikimedia-wikipedia----.leguidemontpellier.com/vin-herault/histoire-vin-languedoc.php--wikipedia.org/wiki/Vignoble_du_Languedoc-Roussillon--/epicuvin.com/2015/06/17/petite-histoire-illustree-et-degustee-des-vins-du-languedoc/--photos collec privée Francine Magneux--Musée gallo-romain de Saint-Romain-en Gal, Vienne.- Musée de la Romanité Nîmes--





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