dimanche 30 juin 2019

Fabre d'Eglantine, Il pleut, il pleut bergère


Fabre d’Eglantine





Buste par Aybram-Musée des Beaux-Arts de Carcassonne  

Depuis quelques temps, le thème de la Révolution Française de 1789 revient dans toutes les conversations. De cet événement nous avons une lecture idéalisée, magnifiée, fantasmée. Comme si nous avions du mal à en digérer les excès, les insuffisances, les désillusions. Dans notre village un artisan toilier ruiné avant 1789, se réveille riche après 1800 au point de bâtir un château, privatiser une route, réclamer des bancs à l’église……bref se comporter comme les ci-devant seigneurs ! Cet exemple parmi tant d’autres devrait nous remettre les pieds sur terre ! Une révolution n’a rien de romantique, elle se fait trop souvent dans le sang pour terminer par un gouvernement extrémiste. Des grandes aspirations de 1780-89, il faudra attendre la fin du 19ème siècle pour les voir enfin se concrétiser.

Nous allons ici nous pencher sur un personnage de cette époque, Fabre d’Eglantine, talentueux, mais menteur, excessif, opportuniste et qui s’est brûlé les doigts au contact de la politique. Fripon pour les uns, doté d’un attrait pour l’intrigue, dépourvu de sens moral pour les autres. En tous lieux et en tous temps, les chaos politiques engendrent des opportunités rêvées pour des personnages limites. Robespierre se servira de lui pour atteindre Danton. Robespierre qui dira de Fabre : « Des principes et point de vertu; des talents et point d'âme; habile dans l'art de peindre les hommes, beaucoup plus habile à les tromper. »

Il pleut, pleut bergère

"Il pleut, il pleut, bergère" est une chanson tirée de l'opérette « Laure et Pétrarque » écrite en 1780 par Fabre d'Églantine.
 
Il pleut, il pleut, bergère, 
Presse tes blancs moutons,
Allons sous ma chaumière,
Bergère vite, allons.
J'entends sur le feuillage,
L'eau qui tombe à grand bruit,
Voici, voici l'orage,
Voilà l'éclair qui luit.
Entends-tu le tonnerre ?
Il roule en approchant
Prends un abri, bergère,
A ma droite en marchant.
Je vois notre cabane.
Et tiens, voici venir
Ma mère et ma sœur Anne
Qui vont l'étable ouvrir.

Bonsoir, bonsoir, ma mère,
Ma sœur Anne, bonsoir,
J'amène ma bergère
Près de vous pour ce soir                
(Huile sur toile-anonyme 18ème -Château de Versailles).
Va te sécher, ma mie,
Auprès de nos tisons,
Sœur, fais lui compagnie,
Entrez petits moutons.

Soignons bien, ô ma mère,
Son tant joli troupeau,
Donnez plus de litière
A son petit agneau.
C'est fait. Allons près d'elle,
Eh bien ! donc te voilà !
En corset qu'elle est belle !
Ma mère, voyez-la.

Soupons, prends cette chaise,
Tu seras près de moi,
Ce flambeau de mélèze
Brûlera devant toi.
Goûte de ce laitage.
Mais tu ne manges pas ?
Tu te sens de l'orage.
Il a lassé tes pas.

Et bien voilà ta couche       
Dors y bien jusqu'au jour  
Laisses-moi sur ta  bouche
Prendre un baiser d'amour  
Ne rougis pas bergère
Ma mère et moi demain
Nous irons chez ton père
Lui demander ta main

Philippe-François-Nazaire Fabre dit Fabre d’Eglantine nous est surtout connu pour cette jolie comptine qui n’était pas vraiment pour les enfants. Il a été capable du meilleur comme du pire, auteur de cette bluette mais envoyant à la mort des hommes, sans état d’âme. Des écoles maternelles portent son nom ; ce choix est-il judicieux ?
Il est né à Carcassonne en juillet 1750 et va traverser la période révolutionnaire pour être guillotiné le 5 avril 1794 à Paris. Acteur, poète, dramaturge, puis la politique qui va lui coûter sa tête aux côtés de Danton.

Son père est marchand-drapier. Une famille de la petite bourgeoisie. Ils quittent Carcassonne en 1757 pour Limoux, probablement pour des raisons économiques. Philippe au collège de l’Esquile de Toulouse étudie les langues, les littératures grecques et latines. Sous la houlette des Pères de la Doctrine chrétienne il suit les cours de musique, de dessin, de gravure. Il devient professeur des « basses classes » en 1771, dans le collège de la congrégation.
 Il obtient aux Jeux Floraux de l’Académie de Toulouse, le « lys d’argent » pour son sonnet à la Vierge. Quand il quitte le collège pour lancer sa carrière, pour des raisons de consonance et surtout par opportunisme, il ajoute à son nom « d’Eglantine » plus harmonieux que Fabre du Lys. En fait l’églantine d’or était le prix réservé à l’éloquence donc des textes en prose et non pour un poème. Et ce prix n’a pas été attribué cette année-là. Qui allait vérifier ?

Avec une troupe de comédiens ambulants, on le retrouve sur les routes de France, Bordeaux, Grenoble, Chalon sur Saône, Strasbourg… Il a la bougeotte, les comédiens ambulants ne sont pas riches et souvent affamés. Il est banni des Pays-Bas après avoir frôlé la pendaison pour avoir séduit une jeunette de 15 ans. En 1777 il est à Paris où il compose un des trois poèmes en l’honneur de Buffon. Une expérience ratée de direction de théâtre à Sedan. Puis un mariage en 1778 et un fils futur polytechnicien et ingénieur du génie militaire. Dans l’acte de mariage, il ne se gêne pas pour se présenter comme « licencié en droit, fils d’avocat au Parlement » !!. Les deux époux sont acteurs, à Maastricht de 1779 à 1780. Lui joue dans le Misanthrope, le Distrait…dans les premiers rôles. Accessoirement il peint en 1780 le rideau du théâtre du Jekerstraat. Cette même année il présente son opéra-comique Laure et Pétrarque, pièce en un acte et musique.
Liège, le Nord de la France, Fabre s’essaie au journalisme avec « Le Spectateur Cosmopolite » qui n’a pas laissé de traces. Puis en 1783 Lyon, Genève, où son métier d’acteur le rattrape. En 1785 il prend la direction du théâtre de Nîmes. Sa troupe vient aussi jouer au théâtre d’Avignon. Il repart sur les routes, rejoint Paris en 1787 et s’y déclare auteur dramatique. Ses pièces ne reçoivent pas toujours le succès qu’il attend. Peut-être trop intellectuelles, ces œuvres dénoncent le côté social et politique de la littérature. Début janvier 1789, on l’accuse de plagiat et lui, crie à la cabale.
Une nouvelle femme l’accompagne, une comédienne encore, Caroline Remy qui joue au Théâtre de la Révolution. Il s’enflamme pour les temps nouveaux, ce qui séduit le public.


(Mlle Montansier- son père forgeron et épinglier se prétendra avocat--).
Ses pièces prennent un esprit révolutionnaire : « Le philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope » créée en février 1790 remporte un grand succès. Il est joué au théâtre de la Nation, au théâtre-Français de la rue de Richelieu, au théâtre de Mlle Montansier. Des pièces en vers, parfois avec musique.
Mais dès la fin 1791, son style commence à déplaire et ses pièces sont sifflées. En particulier « le Sot orgueilleux ou l’Ecole des élections » tournant en dérision les hommes de la Révolution, marque un tournant dans son parcours.
Plus opportuniste que convaincu, il voit dans la Révolution l’occasion de se faire une place. D’après Saint-Just, Fabre aurait offert en 1790 et en vain, son aide à la Cour, contre trois millions pour attaquer le club des Jacobins et la Législative. Il aurait proposé au ministre de la Marine, Du Bouchage de pousser les Jacobins à se montrer favorables à la monarchie. A la veille du 10 août 1792, le roi lui aurait donné de l’argent.
Un pas de plus dans le mouvement politique : il se lie avec Danton dont il est la plume, il côtoie Marat. Il est élu plusieurs fois secrétaire ou vice-président des Cordeliers. Il est membre du club des Jacobins lorsque les Cordeliers deviennent Jacobins. Le journal « Révolution de Paris » lui prend des articles. Danton devenu ministre de la Justice le nomme en 1792 secrétaire général avec Camille Desmoulins. Il essaie de profiter des spéculations lucratives. Toute sa jeunesse il a été dans un besoin d’argent criant, dans une gêne tenace. A Nîmes en 1785 il est tellement endetté qu’il doit fuir ses créanciers, porter ses maigres biens au mont-de-piété. En 1789, Louis XVI intervient pour qu’il ne soit pas enfermé pour dettes au Fort l’Evêque, probablement sur l’intervention de Mlle Montansier la directrice de théâtre en vogue.

A partir du 11 août 1792 sa situation s’améliore : il touche un salaire de 1500£ par mois, il peut utiliser des fonds secrets. C’est un virage pour lui. Il emménage dans un hôtel particulier rue de La Ville-l’Evêque. Il va y mener grand train, meubles de prix, berline dans son écurie….
Le ministre de la Guerre Joseph Servan lui octroie 30 000 livres le 15 septembre 1792 pour approvisionner l’armée en bottes et en souliers. Le 17 octobre puis le 14 décembre, le ministre s’inquiète et réclame à Fabre le compte des sommes versées. Le Sieur sous-économe du collège Louis-le-Grand vend la mèche : Fabre a vendu dix mille paires de souliers aux volontaires du collège à des prix usuraires, des souliers qui « ne duraient que douze heures à nos volontaires qui pataugeaient dans les plaines de la Champagne »… ! Robespierre plus tard l’accusera d’avoir réalisé un bénéfice de 40 000 £ sur cette opération.
Fabre d’Eglantine semble se sortir de ce mauvais pas. Elu député de la Seine à la Convention, il appelle à la concorde et à l’union. Pourtant dans « le Compte rendu au peuple souverain », journal affiché dont il est le rédacteur, il appelle au massacre : « …que le sang des traitres soit le premier holocauste offert à la Liberté.. ». Dans le numéro 7 il justifie la tuerie de Versailles du 9 septembre 1792 et tente d’organiser d’autres massacres en province. Les événements du 2 au 9 septembre ont fait autour de 1300 morts à Paris, les noyades de Nantes de nov 1793 et février 1794 dans la Baignoire Nationale 1800 et 4860 morts !!). Nous sommes loin de la jolie contine. Il vote la mort de Louis XVI sans appel ni sursis. Il n’a pas compris qu’il n’est plus sur une scène de théâtre. Dans le sens du vent, il veut donner l’image d’un révolutionnaire intransigeant. Mais il choisit de voter au gré de ses intérêts, intriguant de l’ombre, en faveur des hommes du moment, et même contre ses anciennes relations d’affaires.


Membre du Comité de Guerre depuis le 3 janvier 1793, il est chargé de mission pour la levée de 300 000 hommes. Vite remplacé le 9 mars. Puis c’est la Commission de Salut Public, et après le Comité de Salut public le 6 avril. Son projet de calendrier républicain est adopté, calendrier qui renvoie à une « idéologie agricole et rurale » par le nom des mois et des jours. Le 22 septembre 1792, après l’abolition de la royauté, les actes du gouvernement seront datés de l’An 1 de la République. Le calendrier grégorien est aboli, pour être remis en place par Napoléon le 1er janvier 1806.
L’affaire de l’ancienne Compagnie des Indes va sonner sa fin. Fabre avec Delaunay, Delacroix et Toulouse engage une campagne contre l’agiotage en accusant la Compagnie des Indes et les étrangers de spéculation au service de puissances étrangères. La Convention vote la suppression des compagnies par actions et la liquidation de la Compagnie. Les biens des étrangers sont mis sous séquestre. Fabre dénonce une vaste conspiration de l’étranger et accuse une vingtaine de personnes qui sont arrêtées dont des hébertistes. Il dénonce sans fin jusqu’à la fin décembre.
Mais on découvre que le décret de liquidation de la Compagnie est un faux. Fabre, Delaunay, Chabot, Basire se retrouvent accusés de chantage et de corruption, faux en écriture, concussion. Ils jouaient à la baisse sur leurs actions pendant que les compagnies par actions étaient supprimées. Un pot-de-vin de 500 000£ leur avait été versé par la Compagnie des Indes. Chambot aurait proposé en plus à Fabre 100 000£ en pot-de-vin.
Fabre est condamné pour corruption, trafic d’opinion, tentative de division et de destruction de la représentation nationale.
Le Comité de Salut Public se laisse convaincre par la réalité du complot de l’étranger, il doit faire face aux menées des affairistes et des étrangers réfugiés, aux intrigues royalistes du baron de Batz…. Comme on a dit en d’autres temps, « Dieu reconnaitra les siens » !!
Fabre d’Eglantine est guillotiné le 5 avril 1794 place du Trône (appelée ainsi en souvenir de l’arrivée à Paris du nouveau roi Louis XIV, puis place du Trône Renversé sous la Révolution, jusqu’à juillet 1794 plus de 1300 personnes y seront guillotinées !! La place prend le nom actuel de « place de la Nation » à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet 1880, sous la Troisième République).

(calendrier républicain PLuviose)

 Fabre sera inhumé au cimetière des Errancis, puis aux Catacombes après la fermeture de ce cimetière.
Les légendes qui entourent cette mort, l’une le font pleurer  de n’avoir pas terminé un poème et Danton lui aurait dit : « Ne t’inquiète donc pas, dans une semaine, des vers, tu en auras fait des milliers… ». Ou bien pour une autre, on le voit fredonner « Il pleut, il pleut, bergère » en montant à l’échafaud.


Sources : /www.universalis.fr/carte-mentale/fabre-d-eglantine-- Roger Dufraisse agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Caen-- Patricia Bouchenot-Déchin, La Montansier. De Versailles au Palais-Royal, une femme d'affaires, Paris, Perrin, 2007 (ISBN 978-2-262-02681-3).--Manuel Bonnet La Montansier (1730-1820), la fameuse directrice, éditions Arlys, 2009 (ISBN 978-2-85495-395-4).-- dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny) assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/%28num_dept%29/12234
--www.rtl.fr/actu/debats-societe/fabre-d-eglantine-qui-composa-un-poeme-sur-le-chemin-de-la-guillotine-7784254691Lorent Deutsch
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