dimanche 16 juin 2019

L'Edit de Nantes - de la Tolérance à la Liberté



L´Édit de Nantes - 1598. Henri IV (1553-1610)


l’Edit de Nantes- De la Tolérance à la Liberté





(Musée protestant internetEdit de Nantes publication 1599)
L’intolérance religieuse, puis les Guerres de Religion ont ensanglanté notre pays au 16ème siècle. La liberté de conscience était quasiment impensable en cette période. La fin du 17ème siècle ne sera pas plus clémente pour la liberté religieuse. Pourtant dès la fin du 16ème avec l’Edit de Nantes, l’idée du respect d’autrui entre timidement dans notre droit. Luther, Calvin avaient insufflé dans toute l’Europe un élan religieux. Chacun s’interrogeait sur sa foi. Le Concile de Trente de 1545-1563 avait conduit le clergé catholique à se réformer devant les errements de certains religieux. Mais rien n’y fit. Chacun voulait vivre sa religion même au péril de sa vie. L’Edit de Nantes est avant tout « une espérance de liberté », le fruit d’un compromis entre catholiques et protestants. "La paix est enfin sauve" !
Mais cette loi sera révoquée moins d’un siècle plus tard, faisant son chemin plus dans les consciences que dans la réalité politique.
Lorsqu’Henri IV succède à Henri III en 1589, le pays est toujours en guerre. Il abjure le protestantisme en 1593, pour être sacré roi en 1594. Dans sa jeunesse il avait changé de religion six fois au gré de sa propre histoire. Il avait vécu comme tous les Français les édits de pacification prononcés depuis 1562 jusqu’à 1577, édits qui très vite sont lettres mortes. Il était urgent de pacifier le royaume et d’avancer. Il aurait dit : « La satisfaction qu'on tire de la vengeance ne peut durer qu'un temps, mais celle que nous donne la clémence est éternelle ».
Pourquoi Nantes ? Les assemblées générales protestantes déléguèrent des représentants pour rencontrer le roi à plusieurs reprises. Le souverain était en Bretagne où il recevait la soumission des derniers ligueurs bretons. Nos délégués obtinrent ainsi la signature de cet édit qui allait changer les conditions de vie des protestants français, au moins pour un temps. Entre le 13 avril et le 2 mai 1598, à Nantes, furent signés les quatre textes de cet édit : 92 articles généraux, plus des brevets relatifs à l’entretien du culte et 56 articles « secrets » encadrant l’exercice du culte.
Ce texte comme tout acte royal devait être à effet perpétuel. Il s’adresse « à tous, présents et à venir », à tous les sujets du royaume. Un peuple unifié, qui ne pouvait pas être divisé. « ….Nous parviendrons à l’établissement d’une bonne paix et tranquille repos qui a toujours été le but de nos vœux et intentions… ». Le roi souhaite régler les problèmes religieux qui avaient asphyxié le pays tout en regrettant de ne pas être parvenu à restituer l’unité religieuse du royaume. Il s’inquiétait des risques de discordes qui pouvaient résulter de l’exercice des deux cultes rivaux. Il réaffirme l’exercice de la religion catholique, apostolique et romaine « en tous les lieux et endroits de cestui notre royaume… », avec tous ses privilèges. C’est la religion d’Etat. La religion protestante ou réformée est admise par mansuétude. L’article VI indique : « ceux de la Religion Prétendue Réformée ont le droit de vivre là où il leur plaît dans le royaume de France sans être enquis, vexés, molestés, ni astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur conscience… ». Les brevets du 13 et 30 avril indiquent que le roi va subvenir aux « grandes dépenses » des réformés, entretien des pasteurs, des collèges et des académies, soit environ 45 000 écus par an. Les articles du 2 mai le réaffirment notamment en ce qui concerne les écoles, les consistoires, les colloques, les synodes. Les protestants gardent des « places de sûreté », villes et châteaux qu’ils détenaient à la fin août 1597, pour une durée de huit ans avec une garnison payée par le roi (environ 180 000 écus), avec un gouverneur et des capitaines nommés par le roi.

/fr.vikidia.org/wiki/Henri_IV_de_France
Liberté de culte, mais liberté encadrée, limitée, selon l’ancienneté des lieux d’exercice de la religion : seuls les endroits où la Religion Réformée avait été célébrée entre 1596 et août 1597. Là où les protestants étaient peu nombreux, ils ne pouvaient disposer que de deux lieux de culte par baillage, dans les faubourgs des villes. Aucun à Paris, à la Cour, ou dans un périmètre de cinq lieux autour de Paris. Les seigneurs hauts justiciers disposaient d’une liberté de culte quasi-totale, mais elle allait decrescendo lorsque l’on descendait dans l‘ordre social.
Cependant les protestants avaient le droit d’exercer toutes les charges publiques, fréquenter les collèges, les universités, les hôpitaux. Les affaires judiciaires les concernant étaient traitées par des Chambres mi-parties, constituées de membres des deux religions.
Les fêtes catholiques devaient être pratiquées par tous. Et le mariage dépendait de la législation catholique.
Malgré ses limites, cet édit constitue une avancée importante. Mais il aura du mal à s’appliquer. Les fidèles catholiques sont sur la défensive, on ne peut oublier cinquante ans  de troubles sociaux ; le pape Clément VIII se dit « crucifié ». Pour être appliqué, ce texte devait être enregistré par les parlements locaux. Un an pour l’enregistrer à  Paris, Grenoble, deux pour Rennes, Toulouse, Aix, Bordeaux, Dijon, onze ans pour Rouen. La tolérance n’est pas égalité entre les hommes, mais « une pitié ». Le protestantisme est admis comme une déviance vis-à-vis d’une vérité catholique, que le roi encourage avec le retour des jésuites, des carmélites espagnoles ou des ursulines. On vise toujours le principe : «une foi, une loi, un roi ». Au fur et à mesure que le nombre de protestants s’étiole, des controverses, des interprétations de l’édit en restreignent la portée. Certains articles vont être annulés par décision royale par les édits de Nîmes et d’Alès de 1629 avec la fin de la guerre de religion de Rohan.
Avec Louis XIV, qui considère le protestantisme comme une hérésie, pas moins de 300 édits en 25 ans seront signés pour restreindre encore plus la liberté de culte des protestants. Cela va des tentatives de rachat des chrétiens tentés par la RPR grâce à la caisse des conversions de Pélisson, aux dragonnades avec logement des troupes chez les protestants. En passant par les interdictions d’exercer pour les sages-femmes, les médecins, les militaires, des peines d’amendes, la confiscation des biens des relaps, l’interdiction d’imprimer la Bible version protestante, et autres joyeusetés… Conversions en nette hausse, émigration, déportation, et l’Edit de Nantes n’avait plus lieu d’être. L’Edit de Fontainebleau le 17 octobre 1685 révoque l’Edit de Nantes. Dans la joie et les fêtes pour certains, Mme de Sévigné, Bossuet, Le Tellier… A Montpellier on crée la porte du Peyrou avec un médaillon la Religion Catholique foulant aux pieds l’Hérésie protestante, une ville qui oublie son passé réformé !


(médaillon de la Porte du Peyrou—DanielVillafruela--upload wikimedia.org/wikipedia/communs/d/d1/Gate Montpellier jpg





( Porte et place royales du Peyrou -sur le site de la  Mairie de Montpellier)

Les protestants restés sur le sol français n’eurent pas trop le choix : abjurer ou entrer en clandestinité, avec persécution, exclusion, silence, méfiance, dans les deux cas. C’est dans nos montagnes et dans nos villages la guerre des Camisards. Mais une force tenait les Réformés, et leurs temples continuaient d’exister. On se marie au « Désert » c’est-à-dire aux assemblées clandestines.


Terres huguenotes (1/2) : Le Refuge huguenot  www franceculture.fr/th"m"/edit-de-nantes 

L’intendant Basville rédige encore en 1724 un édit terrible qui vise « à éteindre entièrement l’hérésie du royaume ».
« Seront condamnés : les prédicants, à la peine de mort ; leurs complices aux galères perpétuelles et les femmes à être rasées et enfermées pour toujours ; confiscation des biens…. Les parents qui ne feront pas administrer à leurs enfants le baptême dans les 24 heures, suivre assidûment le catéchisme et les écoles : à des amendes et à telles sommes qu’elles puissent monter, même à de plus grandes peines….les malades qui refuseront les sacrements : s’ils guérissent, au bannissement perpétuel ; s’ils meurent à être traînés sur la claie… nuls offices, fonctions, professions publiques sans certificat de catholicité ; les mariages du désert sont illégitimes ; les enfants qui en résultent bâtards et inhabiles à hériter….. ». La délation est fortement conseillée sous peine d’amendes.



www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-marie-arouet-dit-voltaire--François-Marie Arouet, dit Voltaire
L’affaire Calas en 1763 résume à elle-seule ce que vivaient les protestants dans leur vie quotidienne. Calas accusé sans l’ombre d’une preuve sous la pression de l’opinion populaire, d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Un bouc émissaire facile sans avoir besoin des Facebook et autres !! Des abus grossiers de procédure, des preuves par ouï-dire ou ragots…En appel il sera condamné au supplice de la roue, étranglé, et son cadavre brûlé, puis réhabilité trois ans après. Voltaire en dressa l’injustice dans son « Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Calas ». Voltaire y pose la base d’une véritable réflexion sur la liberté de conscience. Avec lui et bien d’autres penseurs ; l’esprit des Lumières se met à souffler sur le royaume.

Jean-Paul Rabaut en 1764 est pasteur du « Désert ». Nîmois, fils de pasteur clandestin, né en 1743, il quitte nos Cévennes à l’âge de six ans pour Lausanne en Suisse. Il y fait ses études. Quand il revient en France, il montre une finesse d’esprit, une éloquence exceptionnelles. Il prend le nom de Rabaut-St Etienne. Il fait partie des conseillers de Malesherbes pour la préparation de l’édit de Tolérance que Louis XVI signera du bout des lèvres le 29 novembre 1787. Les élites de notre royaume regardaient l’indépendance américaine comme un progrès, on s’ouvrait à de nouveaux idéaux de justice. Un pas vers une liberté de conscience ? En fait, les protestants reçoivent un état civil mais pas encore la liberté de culte. 


« La religion catholique jouira seule dans notre royaume des droits et des honneurs du culte public, tandis que nos autres sujets non catholiques…déclarés d’avance et à jamais incapables de faire corps dans notre royaume…ne tiendront de la loi que ce que le droit naturel ne nous permet pas de leur refuser, de faire constater leurs naissances, leurs mariages et leurs morts » Le roi tolérait une réalité contre laquelle il ne pouvait pas grand-chose
(Rabaut Saint-Etienne par Joseph Boze, Paris, SHPF, 1789—musée protestant.org)
Aux Etats Généraux de 1789, Rabaut Saint Etienne est député du Tiers Etat pour la sénéchaussée de Beaucaire. Il prête le serment du Jeu de Paume et devient commissaire pour les conférences.



Détail central du Tableau de David-1792. Le Jeu de Paume L’accolade fraternelle entre le chartreux  Dom Gerle, l’abbé Grégoire  et le pasteur Rabaut Saint-Étienne symbolise l’avènement d'une nouvelle ère de paix avec la Révolution

Rabaut-Saint-Etienne constate que le clergé comme les nobles ne connaissent rien au peuple auquel ils appartiennent : »ces hommes qui n’étaient jamais sortis de leurs provinces et qui venaient de quitter le spectacle de la misère des villes et des campagnes, avaient sous les yeux les témoignages des fastueuses dépenses de Louis XIV et de Louis XV et des recherches voluptueuses d’une nouvelle cour… ». Homme qui avait souffert de l’intolérance religieuse mais qui a foi en l’homme. Porté par ses convictions, il s’engage dans les débats préparatoires au vote de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. « Les droits de tous les Français sont les mêmes ; tous les Français sont égaux en droits…je demande …pour les protestants, pour tous les non-catholiques du royaume ce que vous demandez pour vous, la liberté, l’égalité des droits ». Il n’hésite pas à inclut dans son discours les juifs peuple « toujours errant, toujours proscrit, toujours persécuté…..auquel nous ne devons point reprocher sa morale parce qu’elle est le fruit de notre barbarie et de l’humiliation à laquelle nous l’avons injustement condamné ».
La différence d’opinion est simplement l’expression de la différence entre les hommes et non un crime. « Ce n’est pas la tolérance que je réclame, c’est la liberté de pensée ».
L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme consacre ses idées : »Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Rabaut-Saint-Etienne devient président de l’Assemblée Constituante en mars 1790, puis siège à la Convention avec les girondins. Il aurait dit : « L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit, l’éducation nationale doit former le cœur ; la première doit donner des lumières, et la seconde des vertus… »
Après avoir participé à la création de la Constitution de 1791, il ne peut pas par la loi participer à l’assemblée législative. Il se tourne donc un temps vers l’écriture de son Précis de l’Histoire de la Révolution.
Toujours avide de justice et défenseur des droits de l’homme, il s’oppose aux excès du régime de la Terreur et des Montagnards. Il est guillotiné le 5 décembre 1793.
Ainsi finissent souvent les révolutions, dévorant les idéaux qui les ont fait naître !!

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 est née de cette époque révolutionnaire, dans la douleur et avec le courage de certains qui ont montré le chemin et l’ont souvent payé de leur vie. Mais n’oublions pas que l’intolérance, le non-respect d’autrui sont toujours là, guettant leur heure pour resurgir, avec des fumerolles annonciatrices dont nous ne savons pas toujours tenir compte.



(archives de la Vendée Conseil départemental de la Vendée -Edit de Tolérance de 1787)



Sources : Thierry Verdier De l’Edit de Nantes à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen –Région Languedoc-Roussillon1998---Elisabeth Labrousse Une foi, une loi, un roi ? La Révocation de l’Edit de Nantes Payot 1985 ---Didier Poton Patrick Cabanel Les Protestants français du 16è au 20ème siècle  Paris Nathan 1994---Jean b  aubérot Histoire du protestantisme  Paris PUF Que sais-je 1987--- Patrick Cabanel, « Rabaut-Saint-Etienne, du religieux au politique », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français -janvier/mars 2001, tome 147/1, p. 113-124.---André Dupont, Rabaut Saint-Étienne, 1743-1793 : un protestant défenseur de la liberté religieuse, Genève, Labor et Fides, 1989 [1946].-- GARRISSON Janine, Henri IV, Le Seuil, rééd. 2008, Paris, 1984--www.museeprotestant.org/notice/henri-iv-1553-1610/




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