L´Édit de Nantes - 1598. Henri IV (1553-1610)
l’Edit de Nantes- De
la Tolérance à la Liberté
(Musée protestant internetEdit de Nantes
publication 1599)
L’intolérance religieuse,
puis les Guerres de Religion ont ensanglanté notre pays au 16ème
siècle. La liberté de conscience était quasiment impensable en cette période.
La fin du 17ème siècle ne sera pas plus clémente pour la liberté
religieuse. Pourtant dès la fin du 16ème avec l’Edit de Nantes,
l’idée du respect d’autrui entre timidement dans notre droit. Luther, Calvin
avaient insufflé dans toute l’Europe un élan religieux. Chacun s’interrogeait
sur sa foi. Le Concile de Trente de 1545-1563 avait conduit le clergé
catholique à se réformer devant les errements de certains religieux. Mais rien
n’y fit. Chacun voulait vivre sa religion même au péril de sa vie. L’Edit de
Nantes est avant tout « une espérance de liberté », le fruit d’un
compromis entre catholiques et protestants. "La paix est enfin sauve" !
Mais cette loi sera
révoquée moins d’un siècle plus tard, faisant son chemin plus dans les
consciences que dans la réalité politique.
Lorsqu’Henri IV succède à
Henri III en 1589, le pays est toujours en guerre. Il abjure le protestantisme
en 1593, pour être sacré roi en 1594. Dans sa jeunesse il avait changé de
religion six fois au gré de sa propre histoire. Il avait vécu comme tous les
Français les édits de pacification prononcés depuis 1562 jusqu’à 1577, édits
qui très vite sont lettres mortes. Il était urgent de pacifier le royaume et
d’avancer. Il aurait dit : « La satisfaction qu'on tire de la vengeance ne peut durer qu'un temps, mais celle que nous donne la clémence est éternelle ».
Pourquoi Nantes ? Les
assemblées générales protestantes déléguèrent des représentants pour rencontrer
le roi à plusieurs reprises. Le souverain était en Bretagne où il recevait la
soumission des derniers ligueurs bretons. Nos délégués obtinrent ainsi la
signature de cet édit qui allait changer les conditions de vie des protestants
français, au moins pour un temps. Entre le 13 avril et le 2 mai 1598, à Nantes,
furent signés les quatre textes de cet édit : 92 articles généraux, plus
des brevets relatifs à l’entretien du culte et 56 articles
« secrets » encadrant l’exercice du culte.
Ce texte comme tout acte
royal devait être à effet perpétuel. Il s’adresse « à tous, présents et à
venir », à tous les sujets du royaume. Un peuple unifié, qui ne pouvait pas
être divisé. « ….Nous parviendrons à l’établissement d’une bonne paix et
tranquille repos qui a toujours été le but de nos vœux et intentions… ».
Le roi souhaite régler les problèmes religieux qui avaient asphyxié le pays
tout en regrettant de ne pas être parvenu à restituer l’unité religieuse du
royaume. Il s’inquiétait des risques de discordes qui pouvaient résulter de
l’exercice des deux cultes rivaux. Il réaffirme l’exercice de la religion
catholique, apostolique et romaine « en
tous les lieux et endroits de cestui notre royaume… », avec tous ses
privilèges. C’est la religion d’Etat. La religion protestante ou réformée est
admise par mansuétude. L’article VI indique : « ceux de la Religion Prétendue Réformée ont le droit de vivre là où il
leur plaît dans le royaume de France sans être enquis, vexés, molestés, ni
astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur
conscience… ». Les brevets du 13 et 30 avril indiquent que le roi va
subvenir aux « grandes dépenses »
des réformés, entretien des pasteurs, des collèges et des académies, soit
environ 45 000 écus par an. Les articles du 2 mai le réaffirment notamment
en ce qui concerne les écoles, les consistoires, les colloques, les synodes.
Les protestants gardent des « places de sûreté », villes et châteaux
qu’ils détenaient à la fin août 1597, pour une durée de huit ans avec une
garnison payée par le roi (environ 180 000 écus), avec un gouverneur et
des capitaines
nommés par le roi.
/fr.vikidia.org/wiki/Henri_IV_de_France
Liberté de culte, mais
liberté encadrée, limitée, selon l’ancienneté des lieux d’exercice de la
religion : seuls les endroits où la Religion Réformée avait été célébrée
entre 1596 et août 1597. Là où les protestants étaient peu nombreux, ils ne
pouvaient disposer que de deux lieux de culte par baillage, dans les faubourgs
des villes. Aucun à Paris, à la Cour, ou dans un périmètre de cinq lieux autour
de Paris. Les seigneurs hauts justiciers disposaient d’une liberté de culte
quasi-totale, mais elle allait decrescendo lorsque l’on descendait dans l‘ordre
social.
Cependant les protestants
avaient le droit d’exercer toutes les charges publiques, fréquenter les
collèges, les universités, les hôpitaux. Les affaires judiciaires les
concernant étaient traitées par des Chambres mi-parties, constituées de membres
des deux religions.
Les fêtes catholiques devaient
être pratiquées par tous. Et le mariage dépendait de la législation catholique.
Malgré ses limites, cet
édit constitue une avancée importante. Mais il aura du mal à s’appliquer. Les fidèles
catholiques sont sur la défensive, on ne peut oublier cinquante ans de troubles sociaux ; le pape Clément
VIII se dit « crucifié ». Pour être appliqué, ce texte devait être
enregistré par les parlements locaux. Un an pour l’enregistrer à Paris, Grenoble, deux pour Rennes, Toulouse,
Aix, Bordeaux, Dijon, onze ans pour Rouen. La tolérance n’est pas égalité entre
les hommes, mais « une pitié ». Le protestantisme est admis comme une
déviance vis-à-vis d’une vérité catholique, que le roi encourage avec le retour
des jésuites, des carmélites espagnoles ou des ursulines. On vise toujours le
principe : «une foi, une loi, un roi ». Au fur et à mesure que le
nombre de protestants s’étiole, des controverses, des interprétations de l’édit
en restreignent la portée. Certains articles vont être annulés par décision
royale par les édits de Nîmes et d’Alès de 1629 avec la fin de la guerre de
religion de Rohan.
Avec Louis XIV, qui
considère le protestantisme comme une hérésie, pas moins de 300 édits en 25 ans
seront signés pour restreindre encore plus la liberté de culte des protestants.
Cela va des tentatives de rachat des chrétiens tentés par la RPR grâce à la
caisse des conversions de Pélisson, aux dragonnades avec logement des troupes
chez les protestants. En passant par les interdictions d’exercer pour les sages-femmes,
les médecins, les militaires, des peines d’amendes, la confiscation des biens
des relaps, l’interdiction d’imprimer la Bible version protestante, et autres
joyeusetés… Conversions en nette hausse, émigration, déportation, et l’Edit de
Nantes n’avait plus lieu d’être. L’Edit de Fontainebleau le 17 octobre 1685
révoque l’Edit de Nantes. Dans la joie et les fêtes pour certains, Mme de
Sévigné, Bossuet, Le Tellier… A Montpellier on crée la porte du Peyrou avec un
médaillon la Religion Catholique foulant aux pieds l’Hérésie protestante, une
ville qui oublie son passé réformé !
(médaillon de la Porte du
Peyrou—DanielVillafruela--upload wikimedia.org/wikipedia/communs/d/d1/Gate Montpellier jpg
( Porte et place royales du Peyrou -sur le site de la Mairie de Montpellier)
Les protestants restés
sur le sol français n’eurent pas trop le choix : abjurer ou entrer en
clandestinité, avec persécution, exclusion, silence, méfiance, dans les deux
cas. C’est dans nos montagnes et dans nos villages la guerre des Camisards.
Mais une force tenait les Réformés, et leurs temples continuaient d’exister. On
se marie au « Désert » c’est-à-dire aux assemblées clandestines.
Terres huguenotes (1/2) : Le Refuge
huguenot www franceculture.fr/th"m"/edit-de-nantes
L’intendant Basville
rédige encore en 1724 un édit terrible qui vise « à éteindre entièrement
l’hérésie du royaume ».
« Seront
condamnés : les prédicants, à la peine de mort ; leurs complices aux
galères perpétuelles et les femmes à être rasées et enfermées pour
toujours ; confiscation des biens…. Les parents qui ne feront pas
administrer à leurs enfants le baptême dans les 24 heures, suivre assidûment le
catéchisme et les écoles : à des amendes et à telles sommes qu’elles
puissent monter, même à de plus grandes peines….les malades qui refuseront les
sacrements : s’ils guérissent, au bannissement perpétuel ; s’ils
meurent à être traînés sur la claie… nuls offices, fonctions, professions
publiques sans certificat de catholicité ; les mariages du désert sont
illégitimes ; les enfants qui en résultent bâtards et inhabiles à hériter….. ».
La délation est fortement conseillée sous peine d’amendes.
www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-marie-arouet-dit-voltaire--François-Marie
Arouet, dit Voltaire
L’affaire Calas en 1763
résume à elle-seule ce que vivaient les protestants dans leur vie quotidienne.
Calas accusé sans l’ombre d’une preuve sous la pression de l’opinion populaire,
d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Un bouc
émissaire facile sans avoir besoin des Facebook et autres !! Des abus
grossiers de procédure, des preuves par ouï-dire ou ragots…En appel il sera
condamné au supplice de la roue, étranglé, et son cadavre brûlé, puis
réhabilité trois ans après. Voltaire en dressa l’injustice dans son
« Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Calas ».
Voltaire y pose la base d’une véritable réflexion sur la liberté de conscience.
Avec lui et bien d’autres penseurs ; l’esprit des Lumières se met à souffler sur
le royaume.
Jean-Paul Rabaut en 1764
est pasteur du « Désert ». Nîmois, fils de pasteur clandestin, né en
1743, il quitte nos Cévennes à l’âge de six ans pour Lausanne en Suisse. Il y
fait ses études. Quand il revient en France, il montre une finesse d’esprit,
une éloquence exceptionnelles. Il prend le nom de Rabaut-St Etienne. Il fait
partie des conseillers de Malesherbes pour la préparation de l’édit de
Tolérance que Louis XVI signera du bout des lèvres le 29 novembre 1787. Les
élites de notre royaume regardaient l’indépendance américaine comme un progrès,
on s’ouvrait à de nouveaux idéaux de justice. Un pas vers une liberté de
conscience ? En fait, les protestants reçoivent un état civil mais pas
encore la liberté de culte.
« La religion catholique jouira seule
dans notre royaume des droits et des honneurs du culte public, tandis que nos
autres sujets non catholiques…déclarés d’avance et à jamais incapables de faire
corps
dans notre royaume…ne tiendront de la loi que ce que le droit naturel ne nous
permet pas de leur refuser, de faire constater leurs naissances, leurs mariages
et leurs morts » Le roi tolérait une réalité contre
laquelle il ne pouvait pas grand-chose
(Rabaut
Saint-Etienne par Joseph Boze, Paris, SHPF, 1789—musée protestant.org)
Aux Etats Généraux de 1789,
Rabaut Saint Etienne est député du Tiers Etat pour la sénéchaussée de
Beaucaire. Il prête le serment du Jeu de Paume et devient commissaire pour les
conférences.
Détail central du Tableau de David-1792. Le Jeu de Paume L’accolade
fraternelle entre le chartreux Dom
Gerle, l’abbé Grégoire et le pasteur
Rabaut Saint-Étienne symbolise l’avènement d'une nouvelle ère de paix avec la
Révolution
Rabaut-Saint-Etienne
constate que le clergé comme les nobles ne connaissent rien au peuple
auquel ils appartiennent : »ces hommes qui n’étaient jamais sortis de
leurs provinces et qui venaient de quitter le spectacle de la misère des villes
et des campagnes, avaient sous les yeux les témoignages des fastueuses dépenses
de Louis XIV et de Louis XV et des recherches voluptueuses d’une nouvelle
cour… ». Homme qui avait souffert de l’intolérance religieuse mais
qui a foi en l’homme. Porté par ses convictions, il s’engage dans les débats
préparatoires au vote de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. « Les
droits de tous les Français sont les mêmes ; tous les Français sont égaux
en droits…je demande …pour les protestants, pour tous les non-catholiques du
royaume ce que vous demandez pour vous, la liberté, l’égalité des droits… ».
Il n’hésite pas à inclut dans son discours les juifs peuple « toujours
errant, toujours proscrit, toujours persécuté…..auquel nous ne devons point
reprocher sa morale parce qu’elle est le fruit de notre barbarie et de
l’humiliation à laquelle nous l’avons injustement condamné ».
La différence d’opinion
est simplement l’expression de la différence entre les hommes et non un crime. « Ce
n’est pas la tolérance que je réclame, c’est la liberté de pensée ».
L’article 10 de la
Déclaration des Droits de l’Homme consacre ses idées : »Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi
par la loi ».
Rabaut-Saint-Etienne
devient président de l’Assemblée Constituante en mars 1790, puis siège à la
Convention avec les girondins. Il aurait dit : « L’instruction publique éclaire et
exerce l’esprit, l’éducation nationale doit former le cœur ; la première
doit donner des lumières, et la seconde des vertus… »
Après avoir participé à la création de
la Constitution de 1791, il ne peut pas par la loi participer à l’assemblée
législative. Il se tourne donc un temps vers l’écriture de son Précis de
l’Histoire de la Révolution.
Toujours avide de justice
et défenseur des droits de l’homme, il s’oppose aux excès du régime de la
Terreur et des Montagnards. Il est guillotiné le 5 décembre 1793.
Ainsi finissent souvent
les révolutions, dévorant les idéaux qui les ont fait naître !!
La Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 est née de cette époque
révolutionnaire, dans la douleur et avec le courage de certains qui ont montré
le chemin et l’ont souvent payé de leur vie. Mais n’oublions pas que
l’intolérance, le non-respect d’autrui sont toujours là, guettant leur heure
pour resurgir, avec des fumerolles annonciatrices dont nous ne savons pas
toujours tenir compte.
(archives de la Vendée Conseil départemental de la Vendée -Edit de Tolérance de 1787)
Sources : Thierry Verdier De l’Edit
de Nantes à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen –Région
Languedoc-Roussillon1998---Elisabeth Labrousse Une foi, une loi, un roi ?
La Révocation de l’Edit de Nantes Payot 1985 ---Didier Poton Patrick Cabanel
Les Protestants français du 16è au 20ème siècle Paris Nathan 1994---Jean b aubérot Histoire du protestantisme Paris PUF Que sais-je 1987--- Patrick Cabanel, « Rabaut-Saint-Etienne, du
religieux au politique », Bulletin de la Société de l’Histoire du
Protestantisme français -janvier/mars 2001, tome 147/1, p. 113-124.---André
Dupont, Rabaut Saint-Étienne,
1743-1793 : un protestant défenseur de la liberté religieuse,
Genève, Labor et Fides, 1989 [1946].-- GARRISSON
Janine, Henri IV, Le Seuil, rééd. 2008, Paris, 1984--www.museeprotestant.org/notice/henri-iv-1553-1610/
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