Les deux Hercule de
Castelviel
Le village comprenait une
petite quinzaine de familles encore en 1780, 68 habitants dont déjà certains âgés de plus de 50 ans. Le 19ème siècle a fini de le vider de ses jeunes hommes, partis vers les
mirages qu’étaient les villes. C’est vrai que le phylloxéra détruisit les rêves
de nos jeunes vignerons et les mines embauchaient en Cévennes avec l’espoir
d’une autre vie et une paie assurée. La route d’Alès n’était pas loin. Les
vieux petit à petit s’en sont allés, et les cheminées n’ont plus fumé, les
toits sont tombés, les murs aussi.
Pourtant Castelvieil
avait connu ses heures de gloire avec ses deux Hercules.
Le premier surnommé
Pinatel, de son vrai nom Abraham Coste, devient célèbre pendant les guerres de
religion de 1560-1629. Son prénom laisse penser qu’il est protestant, ce qui
pourrait expliquer déjà à cette époque la fin programmée du village. C’est un
berger, très grand, costaud, tanné par le soleil, le poil noir abondant, une
barbe de patriarche, le regard charbonneux. Un taiseux, un solitaire….. Une
grand-tante l’avait recueilli après le décès de ses parents.
Ce jour de juin 1591 un
groupe de soldats catholiques de la Sainte Ligue envahissent le village. Des
maisons commencent à brûler, les habitants tentent de fuir, les corps tombent. La
fumée, les cris, l’enfer… Les soldats chapardent poules et chèvres, pillent les
placards. Pinatel avec pour arme pour se défendre, sa fureur et son envie de
vivre, arrache un pin d’un coup de rein et s’en sert comme d’une massue,
tournoyante, fendant des cranes, cassant des jambes, des bras des envahisseurs…
L’ennemi bat en retraite devant ce « démon noir » démesuré,
sorti de nulle part.
On ne sait pas ce qu’il
advint de Pinatel après cet exploit. Il ne semble pas avoir été poursuivi par
la justice. Il est vrai qu’en ces temps troublés, les autorités avaient d’autres
Pinatel à fouetter. Il paraîtrait que plus tard les jeunes filles alentour lui
faisaient les yeux doux, le découvrant enfin, lui qui auparavant ne
méritait même pas un regard !!
Anonymous 1590 — Histoire Geographie 5ieme Nathan
Procession_de_la_Ligue_1590_Musee
Carnavalet—wikipedia.org-
Le second
Hercule, Joseph Bastide est né dans une famille de cultivateurs catholiques
dans les années 1670. Dès son jeune âge, pourtant petit dernier de la fratrie,
il est plus grand, plus musclé que ses trois frères, les dépassant facilement
d’une tête, puis de deux… Très vite il aide les habitants de son village pour
les travaux lourds. Il s’attèle à un charroi de bois pour le vieux Simon. Il
porte sur ses épaules les fagots, les panières, la brebis malade… Des bœufs se
sont embourbés dans le fossé avec leur char et personne ne peut les en sortir,
Joseph est là, soulevant, poussant, tirant. Un âne est tombé dans un puits,
Joseph arque-bouté contre les parois le hisse sur la margelle…. Les consuls
d’Uzès ayant entendu ses exploits vont l’appeler pour faire transporter une
herse en fer de plus de dix quintaux. Elle avait servi jadis à fermer une des
portes de la ville. Naturellement le travail devait se faire contre un petit
salaire. Joseph soulève donc l’engin et le transporte à l’endroit convenu.
Mais une
fois le travail exécuté, les consuls se mirent à lésiner sur le prix. Joseph
n’avait pas assez peiné pour justifier ce salaire…. On n’avait pas pensé que ce
serait si facile… Joseph avait eu
l’honneur de servir la ville …. Et puis Joseph leur parait un peu benêt, autant
en profiter !! La mauvaise foi est un sentiment humain, surtout chez les
politiques ! Alors ni une ni deux, sans un mot, Joseph « le benêt »
soulève la herse pour s’en aller la remettre où il l’avait trouvée. Du coup les consuls
trouvèrent finalement que le travail méritait le salaire prévu et payèrent
Joseph avec de grands remerciements.
Les soirs en
cassant des noix au coin du feu, les conteurs amusèrent beaucoup leur auditoire
avec cette aventure et Joseph y gagna célébrité, attention de son vivant et
même bien après… Et puis il fait bon se moquer de ceux qui nous dirigent !
Tous les
villages ont eu à une époque un Hercule, un personnage haut en couleur,
héroïque, exemple à suivre. Nos deux Hercule de Castelvieil sont-ils légende, ou
réalité d’un moment ?
Source : là où elle est maintenant, grand merci à
Rosette pour son récit. Elle seule savait nous ravir de ces histoires dites
avec accent, verve, et poésie..
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