Un abbé libertin
sous Louis XIV
Gravure de Charles
Devrits—19ème
Voici l’histoire de l’abbé Guillaume Anfrye de
Chaulieu, (1639-1720), un homme de son temps, poète, libertin, qui endosse le
costume de religieux par convention sociale, comme c’était l’habitude pour un
cadet de famille.
Il nait à Fontenay en Vexin au domaine de
Beauregard, un petit château dans la famille depuis peu. Du bâtiment en 1986, il
ne reste pas grand-chose, deux petites maisons de gardien transformées en gites
ruraux, un modeste portail, une ferme avec un potager tracé sur le modèle de
celui de La Quintinie, une remise à voitures,
une grotte artificielle et sa source « La Madelon » qui
alimente un petit étang. Le domaine aura d’autres propriétaires. En 1870 il sera occupé par les
Prussiens puis par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.
Son père est maître des comptes à Rouen. Et même
doyen des conseillers-maîtres des comptes de Rouen lorsqu’il décède en juillet
1655. Son frère aîné a une carrière toute tracée : il sera conseiller au Parlement
de Normandie et Guillaume, le cadet, destiné comme de coutume à l’Eglise. Mais
la vocation n’était pas au rendez-vous.
Ami du duc de Bouillon, familier des frères
Vendôme (descendants d’Henri IV et de la Belle d’Estrée), il obtient entre
autres bénéfices ecclésiastiques l’abbaye d’Aumale. Les Vendôme, dont Philippe
grand prieur des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem de France avaient formé
un petit groupe autour d’eux en société
épicurienne qui se réunissait au Temple à Paris. Guillaume s’installe dans
l’enclos du Temple d’où son surnom plus tard d’Anacréon du Temple.
Guillaume usant de ses relations s’essaya d’abord
à la diplomatie en Pologne à la cour de Jean III Sobiesky dont la belle-sœur
était l’épouse du marquis de Béthune ami de notre abbé. Ce fut un échec cuisant.
De retour à Paris il entre en poésie !!
« Quoi que nos
docteurs puissent dire, du Bonheur que là-haut goûtent les bienheureux, le vrai
paradis où j’aspire c’est d’être toujours amoureux… »
On ne le verra plus que dans la suite de
Philippe de Vendôme et les cénacles de l’Epicure, notamment au Temple. Les
soirées y sont agitées, on y ripaille, le feu des vins, les charmes et les
pièges de l’amour, les joutes intellectuelles… Le beau monde défile, Jean de la Fontaine, le marquis de la
Fare, le chevalier de Bouillon, Ninon de l’Enclos… (qui s’encanaillaient de l’omelette
au lard du peuple). Guillaume de Chaulieu le lendemain de ses soirées
versifiait sur la beauté des dames, l’éclat du cristal…. Il chante les joies
simples de la vie, l’amour, le vin, la paresse, l’inconstance, l’amitié. Le
bonheur éphémère, le temps qui passe et la mort qui approche, une certaine
mélancolie…. Sa poésie est enjouée, légère, élégante. Chaulieu se laisse
aller à la douceur de l'heure présente. Rien de vulgaire chez lui, une
sensibilité, une sagesse souriante ….
« Qui veut aller
trop loin, Prince souvent recule ; modère un peu ton amoureuse ardeur pour
avoir la valeur d’Hercule, on n’est pas
obligé d’en avoir la vigueur !! »
Certains s’amusaient en cette fin de règne de Louis XIV, pendant que
d’autres survivaient. En 1703 Louise Bénédicte de Bourbon duchesse du Maine
crée un ordre de chevalerie l’Ordre de la Mouche à Miel. Guillaume en fait
partie avec une quarantaine d’autres personnages dont semble-t-il Voltaire à un
moment. Ninon de l'Enclos d'ailleurs laissera une petite somme à Voltaire en mourant. Une petite Cour, hommes et femmes, rassemblée au château de Sceaux,
sous la coupe de la maîtresse de maison. (ci-dessus les médailles de l’Ordre)
. Les règles en étaient
un rien dictatoriales : « art 2 : Vous jurez de vous trouver dans le palais enchanté de
Sceaux […] sans même que vous puissiez vous excuser sous prétexte de quelque
incommodité légère comme goutte, excès de pituite ou gale de Bourgogne.»-
Article 3 : « Vous jurez […] de ne point quitter la danse si cela vous
est ainsi ordonné que vos habits ne soient percés de sueur et que l'écume ne
vous en vienne à la bouche. ». On
ne pouvait quitter la soirée sans l’autorisation de Louise qui distribuait
volontiers des punitions.
Un autre ecclésiastique,
le chanoine Maucroix, tout aussi libertin et poète, influença notre Guillaume.
Il courtisait une gourgandine « La Framboisière » qui un jour lui fit
cette répartie : « parler sans cesse d’amour, à votre âge et avec cet
habit ! ».. Il lui répondit : »à ne rien dissimuler nous sommes d’humeur bien contraire ; vous le
faites sans en parler, et moi j’en parle sans le faire !! »
Guillaume de Chaulieu se
retirait de temps en temps à Fontenoy dans sa campagne qui « avait du siècle d’or conservé
l’innocence….Le silence et la paix règnent dans ce bocage ; le calme de ce
beau séjour n’est troublé que par le ramage des hôtes de ces bois… ».
Il y retrouvait surtout Mlle Rochas une délicieuse actrice pour laquelle il eut
une durable passion : »…Je
goûte en te voyant mille et mille plaisirs, j’éprouve loin de toi les chagrins
de l’absence… ».
Il brigue un fauteuil à
l’Académie Française en 1703. Mais le roi détestait les Vendôme et comme notre
poète était leur ami, Louis XIV fit élire le sieur de Lamorgnon contre Charlieu. Mais Lamorgnon
n’avait rien demandé et refusa le fauteuil. C’est de ce jour que l’Académie
Française décida que nul ne serait élu dorénavant s’il n’avait brigué un
fauteuil et fait sa cour à ses futurs confrères !! C’est donc la faute de notre
abbé si maintenant un prétendant à l’immortalité académique se voit obliger de
flatter 39-40 Habits Verts avant d’endosser le sien !!!
Toujours est-il que
Guillaume de Chaulieu sera très déçu de cette non-reconnaissance de son talent.
(Marguerite
Jeanne de Launay –wikipedia)
Malgré des crises de
goutte, il continue son mode de vie, ses nuits passées à boire, à manger, ses
menus plaisirs. A 80 ans il s’éprend de Marguerite Jeanne de Launay, la future
Mme de Staël de 43 ans sa cadette : « vous aimer fait le charme de ma vie,
vous plaire, vous rendre heureuse.. le plus doux projet de mon cœur, faire
toutes vos volontés, flatter vos fantaisies, vous donner des plaisirs… ».
La belle lui répondit : « il faut prendre dans chacun ce qu’il
a de bon, utiliser chez eux ce à quoi ils sont propres et ne rien attendre de
plus… ». De toute évidence, il a fait chou-blanc !! Mlle de
Launay était chevalière de l’ordre de la Mouche à Miel et ils se rencontraient
chez la duchesse du Maine à Sceaux. Tous deux correspondront longtemps. Il lui
sera un ami dévoué.
Sa fin sera plus
édifiante que sa vie. Il rendit l’âme le 27 juin 1720 ; il aurait
soupiré : « la mort est simplement le terme de la vie…
Pourquoi craindre Dieu puisqu’il est l’infinie bonté… ».
Il lègue à l’église de
son village natal 4000 livres pour ses funérailles et une messe annuelle à
perpétuité. Mais son enterrement l’aurait bien amusé. Il avait souhaité reposer
au cimetière de Fontenay. Un bénédictin de Saint-Denis devait accompagner la
dépouille et la remettre entre les mains du curé du village. Mais ce moine
s’enivra en route et s’endormit profondément. Le bénédictin resta à l’auberge
et son valet se chargea seul de la mission. Le curé du village en voyant le peu
d’équipage, crut à une plaisanterie. Guillaume de Chaulieu en était tout à fait
capable ! Donc le brave curé refusa d’ouvrir son église pour célébrer les
funérailles et renvoya le cercueil au cimetière persuadé qu’il ne contenait
qu’une bûche. En ouvrant le cercueil, il reconnut enfin le corps de l’abbé de
Chaulieu en habits sacerdotaux. Il se dépêcha de réparer sa bévue, mais le
scandale fit grand bruit. Le pauvre curé fut puni de deux mois de séminaire par
l’archevêque de Rouen !!
Les écrits de Guillaume de Chaulieu seront édités avec
ceux de son ami le marquis de La Fare en 1714-1750-1774. L’Eglise a peut-être
perdu un sage, mais nous avons gagné un poète.
Quelques citations de
notre abbé à la fin de sa vie :
« À
présent l’expérience m’apprend que la jouissance de nos biens les plus parfaits
ne vaut pas l’impatience ni l’ardeur de nos souhaits. »--« La
patience rend plus léger les maux que l’on ne peut guérir »…--
« Il n’y a rien de plus artificiel que quelqu’un qui
cherche à séduire à tout prix. C’est ce qui échappe qui est
intéressant »….
Château de Beauregard – Fontenay en Vexin- carte postaleClément
Maréchal-
Sources :. Michel de
Becker Un abbé libertin sous Louis XIV
Historia p24 sept 1986 n°477-- short-edition.com/fr/classique/guillaume-abbe-de-chaulieu-- Marianne de Meyenbourg, “Almanach de 1721 et emblème de la Mouche à Miel”,
la duchesse du Maine, une mécène à la croisé des arts et des siècles,
Éd. Université de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p. 161-175.--www.toutelapoesie.com/poetes.html/poesie/guillaume-abbe-de-chaulieu-r1-- Gilbert
Bouriquet, L’Abbé de Chaulieu et le
libertinage au grand siècle, Paris, Nizet, 1972.-- Antoine Adam, Les
Libertins au XVIIe siècle Paris, Buchet-Chastel, 1964 ;--Pierre-Antonin
Brun. Autour du dix-septième siècle.
Les libertins. Maynard. Dassoucy. Desmarets. Ninon de Lenclos. Carmain.
Boursault. Mérigon. Pavillon. Saint-Amant. Chaulieu, Genève, Slatkine
Reprints, 1970 ;--Jean Gravigny, Abbés
galants et libertins aux XVIIe et XVIIIe siècles :
Chaulieu, Voisenon, Bernis, Paris, A. Méricant
1900-1985 ;-- /cartespostales.eu/autrescommunes/51953-FONTENAY_EN_VEXIN_-_Ch_teau_de_Beauregard_-_tr_s_bon__tat.html
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