dimanche 14 juillet 2019

Un abbé libertin sous Louis XIV


Un abbé libertin sous Louis XIV





Gravure de Charles Devrits—19ème

Voici l’histoire de l’abbé Guillaume Anfrye de Chaulieu, (1639-1720), un homme de son temps, poète, libertin, qui endosse le costume de religieux par convention sociale, comme c’était l’habitude pour un cadet de famille.
Il nait à Fontenay en Vexin au domaine de Beauregard, un petit château dans la famille depuis peu. Du bâtiment en 1986, il ne reste pas grand-chose, deux petites maisons de gardien transformées en gites ruraux, un modeste portail, une ferme avec un potager tracé sur le modèle de celui de La Quintinie, une remise à voitures,  une grotte artificielle et sa source « La Madelon » qui alimente un petit étang. Le domaine aura d’autres propriétaires. En 1870 il sera occupé par les Prussiens puis par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale.
Son père est maître des comptes à Rouen. Et même doyen des conseillers-maîtres des comptes de Rouen lorsqu’il décède en juillet 1655. Son frère aîné a une carrière toute tracée : il sera conseiller au Parlement de Normandie et Guillaume, le cadet, destiné comme de coutume à l’Eglise. Mais la vocation n’était pas au rendez-vous.
Ami du duc de Bouillon, familier des frères Vendôme (descendants d’Henri IV et de la Belle d’Estrée), il obtient entre autres bénéfices ecclésiastiques l’abbaye d’Aumale. Les Vendôme, dont Philippe grand prieur des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem de France avaient formé un petit groupe  autour d’eux en société épicurienne qui se réunissait au Temple à Paris. Guillaume s’installe dans l’enclos du Temple d’où son surnom plus tard d’Anacréon du Temple.
Guillaume usant de ses relations s’essaya d’abord à la diplomatie en Pologne à la cour de Jean III Sobiesky dont la belle-sœur était l’épouse du marquis de Béthune ami de notre abbé. Ce fut un échec cuisant. De retour à Paris il entre en poésie !!
« Quoi que nos docteurs puissent dire, du Bonheur que là-haut goûtent les bienheureux, le vrai paradis où j’aspire c’est d’être toujours amoureux… »
On ne le verra plus que dans la suite de Philippe de Vendôme et les cénacles de l’Epicure, notamment au Temple. Les soirées y sont agitées, on y ripaille, le feu des vins, les charmes et les pièges de l’amour, les joutes intellectuelles… Le beau monde défile, Jean de la Fontaine, le marquis de la Fare, le chevalier de Bouillon, Ninon de l’Enclos… (qui s’encanaillaient de l’omelette au lard du peuple). Guillaume de Chaulieu le lendemain de ses soirées versifiait sur la beauté des dames, l’éclat du cristal…. Il chante les joies simples de la vie, l’amour, le vin, la paresse, l’inconstance, l’amitié. Le bonheur éphémère, le temps qui passe et la mort qui approche, une certaine mélancolie…. Sa poésie est enjouée, légère, élégante. Chaulieu se laisse aller à la douceur de l'heure présente. Rien de vulgaire chez lui, une sensibilité, une sagesse souriante ….
« Qui veut aller trop loin, Prince souvent recule ; modère un peu ton amoureuse ardeur pour avoir la valeur d’Hercule, on  n’est pas obligé d’en avoir la vigueur !! »

Certains s’amusaient en cette fin de règne de Louis XIV, pendant que d’autres survivaient. En 1703 Louise Bénédicte de Bourbon duchesse du Maine crée un ordre de chevalerie l’Ordre de la Mouche à Miel. Guillaume en fait partie avec une quarantaine d’autres personnages dont semble-t-il Voltaire à un moment. Ninon de l'Enclos d'ailleurs laissera une petite somme à Voltaire en mourant. Une petite Cour, hommes et femmes, rassemblée au château de Sceaux, sous la coupe de la maîtresse de maison. (ci-dessus les médailles de l’Ordre)
. Les règles en étaient un rien dictatoriales : « art 2 : Vous jurez de vous trouver dans le palais enchanté de Sceaux […] sans même que vous puissiez vous excuser sous prétexte de quelque incommodité légère comme goutte, excès de pituite ou  gale de Bourgogne.»- Article 3 : « Vous jurez […] de ne point quitter la danse si cela vous est ainsi ordonné que vos habits ne soient percés de sueur et que l'écume ne vous en vienne à la bouche. ». On ne pouvait quitter la soirée sans l’autorisation de Louise qui distribuait volontiers des punitions.  



Le château de Sceaux en 1736.—anonyme-- wikipedia.org--
Un autre ecclésiastique, le chanoine Maucroix, tout aussi libertin et poète, influença notre Guillaume. Il courtisait une gourgandine « La Framboisière » qui un jour lui fit cette répartie : « parler sans cesse d’amour, à votre âge et avec cet habit ! ».. Il lui répondit : »à ne rien dissimuler nous sommes d’humeur bien contraire ; vous le faites sans en parler, et moi j’en parle sans le faire !! »
Guillaume de Chaulieu se retirait de temps en temps à Fontenoy dans sa campagne qui « avait du siècle d’or conservé l’innocence….Le silence et la paix règnent dans ce bocage ; le calme de ce beau séjour n’est troublé que par le ramage des hôtes de ces bois… ». Il y retrouvait surtout Mlle Rochas une délicieuse actrice pour laquelle il eut une durable passion : »…Je goûte en te voyant mille et mille plaisirs, j’éprouve loin de toi les chagrins de l’absence… ».
Il brigue un fauteuil à l’Académie Française en 1703. Mais le roi détestait les Vendôme et comme notre poète était leur ami, Louis XIV fit élire le sieur de  Lamorgnon contre Charlieu. Mais Lamorgnon n’avait rien demandé et refusa le fauteuil. C’est de ce jour que l’Académie Française décida que nul ne serait élu dorénavant s’il n’avait brigué un fauteuil et fait sa cour à ses futurs confrères !! C’est donc la faute de notre abbé si maintenant un prétendant à l’immortalité académique se voit obliger de flatter 39-40 Habits Verts avant d’endosser le sien !!!
Toujours est-il que Guillaume de Chaulieu sera très déçu de cette non-reconnaissance de son talent.


(Marguerite Jeanne de Launay –wikipedia)
Malgré des crises de goutte, il continue son mode de vie, ses nuits passées à boire, à manger, ses menus plaisirs. A 80 ans il s’éprend de Marguerite Jeanne de Launay, la future Mme de Staël de 43 ans sa cadette : « vous aimer fait le charme de ma vie, vous plaire, vous rendre heureuse.. le plus doux projet de mon cœur, faire toutes vos volontés, flatter vos fantaisies, vous donner des plaisirs… ». La belle lui répondit : « il faut prendre dans chacun ce qu’il a de bon, utiliser chez eux ce à quoi ils sont propres et ne rien attendre de plus… ». De toute évidence, il a fait chou-blanc !! Mlle de Launay était chevalière de l’ordre de la Mouche à Miel et ils se rencontraient chez la duchesse du Maine à Sceaux. Tous deux correspondront longtemps. Il lui sera un ami dévoué.
Sa fin sera plus édifiante que sa vie. Il rendit l’âme le 27 juin 1720 ; il aurait soupiré : « la mort est simplement le terme de la vie… Pourquoi craindre Dieu puisqu’il est l’infinie bonté… ».
Il lègue à l’église de son village natal 4000 livres pour ses funérailles et une messe annuelle à perpétuité. Mais son enterrement l’aurait bien amusé. Il avait souhaité reposer au cimetière de Fontenay. Un bénédictin de Saint-Denis devait accompagner la dépouille et la remettre entre les mains du curé du village. Mais ce moine s’enivra en route et s’endormit profondément. Le bénédictin resta à l’auberge et son valet se chargea seul de la mission. Le curé du village en voyant le peu d’équipage, crut à une plaisanterie. Guillaume de Chaulieu en était tout à fait capable ! Donc le brave curé refusa d’ouvrir son église pour célébrer les funérailles et renvoya le cercueil au cimetière persuadé qu’il ne contenait qu’une bûche. En ouvrant le cercueil, il reconnut enfin le corps de l’abbé de Chaulieu en habits sacerdotaux. Il se dépêcha de réparer sa bévue, mais le scandale fit grand bruit. Le pauvre curé fut puni de deux mois de séminaire par l’archevêque de Rouen !!
Les écrits de Guillaume de Chaulieu seront édités avec ceux de son ami le marquis de La Fare en 1714-1750-1774. L’Eglise a peut-être perdu un sage, mais nous avons gagné un poète.
Quelques citations de notre abbé à la fin de sa vie :
« À présent l’expérience m’apprend que la jouissance de nos biens les plus parfaits ne vaut pas l’impatience ni l’ardeur de nos souhaits. »--« La patience rend plus léger les maux que l’on ne peut guérir »…-- « Il n’y a rien de plus artificiel que quelqu’un qui cherche à séduire à tout prix. C’est ce qui échappe qui est intéressant »….




Château de Beauregard – Fontenay en Vexin- carte postaleClément Maréchal-


Sources :. Michel de Becker  Un abbé libertin sous Louis XIV Historia p24 sept 1986 n°477--  short-edition.com/fr/classique/guillaume-abbe-de-chaulieu-- Marianne de Meyenbourg, “Almanach de 1721 et emblème de la Mouche à Miel”, la duchesse du Maine, une mécène à la croisé des arts et des siècles, Éd. Université de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p. 161-175.--www.toutelapoesie.com/poetes.html/poesie/guillaume-abbe-de-chaulieu-r1-- Gilbert Bouriquet, L’Abbé de Chaulieu et le libertinage au grand siècle, Paris, Nizet, 1972.-- Antoine Adam, Les Libertins au XVIIe siècle Paris, Buchet-Chastel, 1964 ;--Pierre-Antonin Brun. Autour du dix-septième siècle. Les libertins. Maynard. Dassoucy. Desmarets. Ninon de Lenclos. Carmain. Boursault. Mérigon. Pavillon. Saint-Amant. Chaulieu, Genève, Slatkine Reprints, 1970 ;--Jean Gravigny, Abbés galants et libertins aux XVIIe et XVIIIe siècles : Chaulieu, Voisenon, Bernis, Paris, A. Méricant 1900-1985 ;-- /cartespostales.eu/autrescommunes/51953-FONTENAY_EN_VEXIN_-_Ch_teau_de_Beauregard_-_tr_s_bon__tat.html


« Mesdames, souriez afin que plus tard vos rides soient bien placées. »

Madame de Maintenon





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