samedi 4 mars 2023

Dijon brûle le Père Noêl

 

Dijon brûle le Père Noël


Le Père Noël, un rêve pour les enfants ou pour les commerçants ?. Question épineuse.

Nous sommes à Dijon en 1951 le dimanche 23 décembre à 15 heures. Une effigie du Père Noël est brûlée en place publique devant 250 enfants éberlués. Un mannequin du « malheureux bonhomme à barbe blanche » exécuté à l’appel de représentants du clergé. Une image de près de trois mètres de hauteur, un autodafé qui se voit de loin. L’effigie était pendue aux grilles de la cathédrale. Les patronages catholiques sont à l’origine de cet autodafé.


L’effigie du Père Noël pendue aux grilles de la cathédrale et brûlée sur le parvis
par les patronages catholiques, à Dijon le 24 décembre 1951
 

L’affaire va diviser les Français, les pays étrangers s’interrogent sur notre santé mentale. L’écho de l’exécution de Dijon dépasse les frontières. L’agence américaine AP y consacre une dépêche publiée dans le New York Times du 25 décembre 1951 sous le titre « Une ville française secouée par un conflit à propos du Père Noël ». Dès le lendemain les journaux tels France-Soir font part de l’évènement. Le père Noël, un usurpateur ? Ce bûcher rappelle de sombres pratiques du Moyen-Age lorsque l’Eglise brûlait ceux qu’elle accusait d’usurpation de la gloire divine ou d’hérésie….

La fête de Noël « doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur »…. « Le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez les enfants… ». Le clergé très conservateur de la capitale de Bourgogne essaie de défendre son point de vue. L’Eglise s’ouvrira au monde moderne à partir des années 1960 avec le concile Vatican II. Mais en 1951, le Père Noël et les fêtes qui l’entourent sentent trop l’hérétique, le païen, le mercantile… Il entre dans les écoles alors que les crèches et les crucifix en ont été chassés au début du siècle !!!.


 Jacques Nourissat le prêtre à l’origine de cette punition raconta plus tard en 2009 qu’il avait eu cette idée après avoir vu défiler des Pères Noël faisant de la publicité pour un grand magasin dijonnais. L’Eglise était « sur la paille », avait du mal à joindre les deux bouts. Nous sommes dans l’après guerre de 1939-40, le pays est à genoux.

Ordonné prêtre en 1943, son premier ministère sera vicaire à la paroisse Saint-Joseph de Dijon et en 1948 à la cathédrale Saint Bénigne. Dans cette paroisse et ce quartier, il y sera attentif à toutes les familles populaires, n’hésitant pas à inventer des structures d’entraide—Un de ses livres s’intitule « Fidèle jusqu’à l‘audace » dans lequel il s’intéresse aux familles divorcées, éclatées, remariées ou non ---- Il va les accompagner avec joie et fidélité pendant 40 ans.

En 2009 pour le journal « l’Obs » il se justifie ainsi : « Notre paroisse était la plus pauvre. Des femmes se prostituaient pour survivre, des hommes sortaient de prison. Pour eux, le Père Noël signifiait de l’amour gratuit, un don, alors forcément, celui qui faisait de la réclame pour le commerce, ça ne passait pas », a déclaré le prêtre, surnommé le « curé des clochards » pour l’aide qu’il avait coutume d’apporter aux pauvres.

Initiative locale, maladroite, mais qui fait sens. Le clergé national très conservateur détourne l’intention : il y voit un consumérisme venu des Etats-Unis, concurrençant la symbolique de Noël, et il soutient l’action de Jacques Nourissat, mais pour de moins bonnes raisons, peut-être plus politiques que chrétiennes. « Le porte-parole de l’épiscopat français a appuyé cette action symbolique sans ambiguïté », rappelle auprès de l’AFP Philippe Poirrier, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, à Dijon.

« Le Père Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques alors qu’ils sont la réminiscence de cérémonies païennes qui n’ont rien de chrétiennes tandis que, au nom d’une laïcité outrancière, la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles », déclarait le porte-parole de l’épiscopat dans le quotidien France-Soir du 24 décembre 1951.


Le chanoine Félix Kir, prêtre-député et inventeur du fameux cocktail prend la défense du Père Noël. Il est partisan d’un catholicisme social.

Photo non datée du chanoine Félix Kir (1876-1968),
député-maire de Dijon qui a donné son nom à l’apéritif

Dès le lendemain du bûcher il fait apparaître un Père Noël sur les toits de l’Hôtel de Ville. Un sapeur-pompier déguisé descend en rappel depuis la tour Philippe-le-Bon sous les yeux de centaines d’enfants émerveillés.   Pendant plusieurs dizaines de minutes, le Père Noël, plus vrai que nature envoie de grands signes chaleureux aux enfants nombreux massés derrière des barrières ou juchés sur les épaules de leurs parents qui sont tout aussi émerveillés que leurs enfants. Cette descente existe toujours pour chaque Noël depuis 1951.


Mais le débat n’est pas clos pour autant à Dijon comme au niveau national.

Les intellectuels s’opposent dans le journal Carrefour dès le 26 décembre, hebdomadaire qui titre « Accusé Père Noël levez-vous ! ». Gilbert Cesbron pour qui la crèche passe avant la cheminée, René Barjavel qui veut « laisser à l’enfance émerveillée son vieux magicien barbu »…. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss essaie d’analyser cette affaire dans un texte intitulé « Le Père Noël supplicié » :  « En voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n'ont fait que restaurer une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité »,

Sapins illuminés dans les villes, hommes vêtus de costumes rouges... « tous ces usages qui paraissaient puérils et baroques au Français visitant les États-Unis (…) se sont implantés et acclimatés en France avec une aisance et une généralité qui sont une leçon à méditer pour l’historien des civilisations », écrit-il en 1952.

Pour lui le monde était en marche, bon gré mal gré, et peut-être que l’Eglise avait un train de retard…. Mais nous pouvons aussi nous interroger sur l’argent dépensé, les cadeaux qui ne reflètent pas toujours la solidarité entre les êtres, et le besoin de fêtes en cette fin d’année. Pourquoi l’Eglise a-t-elle voulu que l’enfant Jésus naisse en cette période ?

En l’absence de tout document établissant le jour de naissance de Jésus, les chrétiens hasardent tout d’abord les hypothèses les plus fantaisistes et les plus contradictoires pour fixer la date de la naissance du Christ, avant qu’au IIIe siècle les Églises d’Orient fixent la Nativité le jour de l’Épiphanie, puis que l’Église de Rome adopte au IVe siècle le 25 décembre pour fêter Noël. Il est plus que probable que depuis la nuit des temps, les hommes fêtent en cette période  le renouveau de la lumière qui apporte espérance, promesses de chaleur, de chasses et de cultures fructueuses…

Comme bien d’autres villes maintenant, Dijon fête Noël de façon magnifique : manèges, patinoire, grande roue, spectacle son et lumière, déambulations dans les rues et dans les lieux culturels,… et le marché de la truffe et de Noël !! L'être humain, petit ou grand se nourrit aussi de fééries....


 

Sources et pour en savoir plus :: Sources : www.leparisien.fr/societe/23-decembre-1951-le-jour-ou-le-pere-noel-a-ete-envoye-au-bucher-23-12-2018-7975299.php--- /www.lefigaro.fr/histoire/archives/23-decembre-1951-le-pere...--- /www.lexpress.fr/societe/il-y-a-70-ans-en-france-le-clerge...-- www.france-pittoresque.com France Pittoresque -Publié / Mis à jour le 23 DÉCEMBRE 2022, par LA RÉDACTION- La Croix afp, 17/12/2021 à 10:52 ---

 

 

 

 

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