De la fragilité de
nos certitudes :
En ce moment de pandémie,
les informations, les sujétions vont et viennent. Des « sachants » de
tous les bords, politiques, scientifiques, économistes ont tous une opinion
bien établie, jusqu’à leur prochaine contradiction. Masque ou pas masque,
confinement ou non, tests, vaccins…. En ce qui concerne les contradictions de
nos politiques, il ne s’agit, parait-il, pas d’un revirement mais d’une
évolution !!!
Tout cela donne une
impression de fragilité de la pensée humaine. Le nombre d’experts est
phénoménal sur notre petit écran, dans nos journaux. Besoin de s’affirmer, de
contredire le confrère, besoin de se rassurer ou de rassurer, peur des
réactions de la population, besoin de cacher une incapacité à faire face ?
L’avenir nous le dira.
Une pensée pour nos
soignants qui ne ménagent pas leur peine et une question, comment peut-on
penser vacances, week-end quand d’autres sont en train de nous sauver, de
travailler pour nous ? Egoïsme, refus de voir, individualisme ? Une
photo devrait nous avoir tous marqué : des soignants portant sur leurs dos
une civière avec un malade et ses appareillages pour l’installer dans un train.
(Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Fürst,
1656—wiipedia.org)
Quand on se replonge dans
notre Histoire, nous avons maintes fois vécu ce scénario. Les pandémies,
variole, peste, choléra, typhus, tuberculose…, sont fréquentes tout au long de
notre parcours. Elles se sont souvent invitées dans les politiques des pays, modifiant
le cours des choses, remettant tout en question. Elles mettent à mal la
succession de Louis XIV chez nous, de Henri VIII d’Angleterre…
A chacune de ces
épidémies, des experts voient leurs certitudes bafouées, comme si la maladie
prenait un malin plaisir à nous rabaisser le caquet. En 1720 Le premier médecin
du roi Louis XV, le montpelliérain Pierre Chirac soutenait que la peste n’était
pas contagieuse ! Et pourtant les faits étaient têtus…
Le 25 mai 1720 un navire
le Grand Saint-Antoine accoste à Marseille. Il vient de Syrie et la peste est à
bord. Il est mis en quarantaine mais les marchandises sont frauduleusement
débarquées, des ballots de coton en particulier. Argent et prudence ne font
jamais bon ménage ! Puces et rats se cachent dans les ballots. On connait dans
notre Occitanie cette maladie au moins depuis 1287 nous dit « le
journal » le Petit Thalamus de Montpellier. Elle ne nous lâche
pratiquement pas, tous les dix ans, parfois moins. Notre Languedoc est un
carrefour où marchands, étudiants, pèlerins, soldats se côtoient et donc se
contaminent. Mais les épidémies de peste foudroyantes ont traversé l’Antiquité,
des pharaons, aux empires romains, jusqu’au 13ème siècle en Europe,
pour nous accompagner jusqu’au 20ème siècle. A Paris
l’avant-dernière peste en 1920 est
appelée « la peste des chiffonniers » ; elle s’était déclarée
dans le quartier des « Puces » de Saint-Ouen.
Mais Saint-Louis ou Louis
IX ne serait pas mort de la peste comme on nous l’a appris dans notre jeunesse,
mais plutôt du scorbut ou et de bilharziose.
Cette année de 1720, la
moitié de la population de Marseille va mourir. Les villes, les provinces,
Avignon, Alès, le Gévaudan et la Provence seront infectées. Un cordon sanitaire
rigoureux va protéger Montpellier. Un blocus du Gévaudan avec 20 bataillons aux
frontières des Cévennes, du Vivarais et du Velay. Mais les soldats vont amener la maladie avec eux. L’industrie lainière est
soutenue grâce à des fonds pour l’approvisionnement et les soins. Les habitants
sont exemptés de l’impôt de la taille et de la capitation. Le sel est gratuit.
On impose « le baraquement » c’est-à-dire le confinement dans des
huttes à l’extérieur aux villages de la Canourge et de Marvejols…. Des médecins
de Montpellier vont aider leurs confrères du Gévaudan, comme Peyraud Puybornan
qui sera contaminé, Samuel Blanquet…
Pierre Chirac envoie à
Marseille une mission de médecins dont son gendre François Chicoyneau
chancelier de l’université de Montpellier et Antoine Deidier professeur dans
cette université. Cette mission va faire des miracles pendant un an, soignant
des milliers de malades. Mais la transmission de la maladie fait débat :
pour les uns dont Chirac et son gendre elle n’est pas contagieuse, pour
d’autres comme Deidier elle se transmet par inoculation. Il a vu des médecins
blessés en mourir, donc pour lui cela ne fait pas doute. Un troisième praticien
Jean Astruc soutient que cette maladie se transmet par propagation des
« miasmes » dans l’air. Les postillons pour la peste pulmonaire, et
par inoculation pour la peste bubonique. Nous savons maintenant qui avait
raison.
De tout temps les
épidémies seront l’occasion de persécutions des juifs, des
"sorcières", des « malformés », de tout ce qui ne semblait
pas dans la norme. Les potiers de Bordeaux seront accusés de transmettre la
peste en 1605.. Les étrangers sont particulièrement soupçonnés de transmettre
les maladies, qu'ils viennent de loin ou de quelques kilomètres. De tout temps
aussi nous voyons des personnes fuir les lieux d’infection, souvent des nantis
qui ont des biens ou de la famille à la campagne. Et la maladie galope, s’étale…
Ce sera aussi l'occasion
d'une piété redoublée encadrée par le clergé. Les processions avec ses
flagellants se multipliaient pour implorer la clémence divine ou des saints.
Ces épidémies étaient pour la population une malédiction, une punition envoyées
périodiquement par le "Très Haut", ce qui ne va pas aider à imposer
au 19ème siècle une éventuelle vaccination. Une chronique du 14ème
siècle nous raconte qu’à Montpellier un cierge hors normes a été inventé. Une
mèche aussi longue que les murailles de la ville a pu brûler pendant trois
ans ! Les apothicaires parfumeurs de Montpellier seront mis à contribution
pour produire herbes, effluves, pâte antipoison contre la maladie. C’est aussi
la période où les charlatans, les gourous font des affaires.
Elles étaient souvent la
suite de guerre, d'une famine, quand la population était déplacée, affaiblie
par les privations, et les infections. Actuellement nous pouvons nous demander
quel est l’impact sur notre santé des
diverses pollutions que notre société engendre.
On connaît l’épidémie de
1597 d’Uzès grâce en partie au récit de voyage de Thomas Platter et aux billets
de laissez-passer qu’on délivre. Les gardes de Montpellier, ville fermée aux
voyageurs, examinent les billets passés sous la porte du rempart et laissent
les voyageurs à l’extérieur en attendant que les consuls de la ville décident
de les accepter ou non dans la ville. « Nous fûmes contraints de faire le pied de
grue hors des murs, toute la journée, les auberges refusaient de nous recevoir,
elles ne daignaient même pas de prendre nos bagages en consigne : nous les
avons donc laissés en vrac sur la grand-route à la garde de notre
laquais ; il ne nous restait plus qu’à tuer le temps dans un jeu de paume ». Le consul qui les délivre leur apprend
qu’"à Marseille et à Aix ça mourait dur ».
La quarantaine pour les
personnes était de 40 jours, un peu moins pour les marchandises. En septembre
1598 la peste n’est toujours pas à Uzès, grâce certainement aux précautions
très sévères prises par les autorités.
Les marchandises
suspectées de transporter la maladie puisqu'elles ont voyagé, ne rentrent plus
dans la ville, elles sont entreposées dans des granges, des mas à l'extérieur
sous bonne garde En s'appuyant sur des ordonnances royales ou celles de
l'intendant du Languedoc, "Nous ordonnons, somment les consuls
que les pièces d'étoffes de quelque qualité qu'elles soient, caddies, bas de
laine, soie...doivent être déballées, tirées des caisses, mises à l'air dans
les chambres ou greniers, retournées tous les dix jours. » Un
consul ou un commissaire des Bureaux de la Santé ira contrôler chaque jour le
lieu de quarantaine. Les contrevenants verront la quarantaine prolongée et
seront sous le coup d'une amende. Toutes les marchandises doivent être
déclarées sous peine de confiscation. A la fin de la quarantaine, 20 à 30 jours
selon, un certificat de santé sera délivré pour les marchandises qui seront
autorisées à partir après avoir réglé les frais de garde et de transport au
lieu de quarantaine. Un soldat de quarantaine touchait la somme rondelette de 25 livres .
Les étrangers ne peuvent
entrer, les marchands vendre, les aubergistes et hôtes loger. L'épidémie est à
Lyon, Montélimar, Bagnols. On fuit les villes, mais on ne fait que précéder le
fléau, ou bien on l'amène avec ses chaussures. Les billets de santé sont
obligatoires pour entrer en ville. Mais ils sont délivrés un peu facilement à
ceux qui partent, surtout s'ils sont étrangers à la ville, toujours suspects.
On ne les pousse pas dehors, mais il y a un peu de cela...

A Vallabrix, des balles
de draps et autres marchandises ont été engrangées en quarantaine à l’entrée du
village dans le Mas Brun appartenant à une veuve Cabrol habitant Uzès. Une
nuit, le garde a été assommé et des balles ont été volées, peut-être par leurs
propriétaires, leur évitant ainsi de payer la quarantaine de leurs
marchandises. La rumeur a vu leurs charrettes partir vers La Capelle. Par son de trompe, on prévient la population
de ne pas abriter les voleurs et les marchandises qui sont peut-être contagieuses
sous peine de prison et de confiscation des biens !!
La peste reviendra
souvent dans notre région. En 1629, la ville d'Uzès fait provision de blé et
envisage d'engager 20 soldats. On ira plus tard jusqu'à 50 soldats payés. Les
maisons vidées des pestiférés attirent les pillards. Les consuls achètent des
piques et des mousquets pour la garde. Sont nommés quatre "corbeaux",
c'est à dire des personnes qui seront chargées d'aller chercher les morts la
nuit et de les enterrer. On les appelle aussi "carabins" ou
escarrabins" mot qui plus tard désignera les étudiants en médecine. Ils
reçoivent un habit de treillis et 12 livres par cadavre, somme importante
correspondante à un loyer annuel d'appartement. Ils seront enfermés le jour
sous la chapelle Notre Dame. A Montpellier on réquisitionne de prisonniers de
droit commun appelés aussi « corbeaux ». On pend tout semeur de
peste ; même régime pour celui qui en profite pour se remplir les poches.
Les prêtres sont un temps autorisés à donner l’hostie au bout d’une pince
métallique.
Un quartier des
pestiférés à Uzès est créé du côté de St Ferréol, on se méfie des pauvres qui
seront réunis dans une maison à l'écart pendant la durée de l'épidémie. Les
portes cochères de leurs maisons seront murées. Théoriquement la ville assure
leur ravitaillement. On soupçonne son voisin, celui qui est différent...Les
apothicaires sont partis ou enfermés dans leurs maisons sauf un. On doit en
engager un d'Avignon. Deux chirurgiens de Laudun et un médecin de Cabriac
viennent en renfort contre salaire.
L’épidémie passée, ceux
qui ont fui à la campagne peuvent revenir. Un par un ils sont conduits aux
étuves, baignés, étrillés et parfumés pendant quatre jours. Ils reprendront
leur vie passée après ce traitement.
La peste sera encore chez
nous en 1640. Les bouchers d'Uzès protestent. Tout est devenu difficile : le
bétail est plus cher, on ne peut le faire venir d'ailleurs. Ils ont dû
augmenter le salaire de leurs salariés peu nombreux, les enfants qui leur
restent ne pourront pas les aider et même reprendre la boutique. Ils ont débité
8 à 900 moutons au lieu des 2000 habituellement...(arch dép du Gard). A Vallabrix les troupeaux de bêtes à laine
(moutons) ne se vendent pas, grossissent au point de mettre en danger les
pâturages, les blés et les bois. Les jasses ou bergeries ne sont pas assez
grandes, les bêtes restent dehors à la merci des chiens vagabonds et des
voleurs. Ce doit être le cas un peu partout car le prix de la laine après
l’épidémie va chuter du fait de la quantité, certainement aussi du fait de la
baisse du nombre des marchands et des artisans utilisateurs de ce matériau.
En 1649, le fléau est
dans l'Uzège. Mais les mesures de sauvegarde sont mises en place. Pierre Raffin
dans son Livre de Raison nous raconte qu'en septembre pour ses vendanges, il se
voit refuser l'entrée de Castillon, pour cause de "bruit du mal
contagieux".
En 1664, tout commerce
entre Provence et Languedoc est interdit pendant quinze jours en raison de
l'épidémie de Toulon et d'Aix. Le Rhône sert de frontière.
....
A chaque épidémie, le temps s'arrête : l'argent ne rentre plus mais file à
toute vitesse, on se calfeutre chez soi, on fait le dos rond, on attend en
priant !!
Le costume protecteur des
médecins est conçu en 1619 par Charles de Lorme premier médecin du roi Louis
XIII. « le nez long d'un demi pied (16 cm) en forme de
bec, rempli de parfums, n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des
ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et
pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des herbes renfermées plus
avant le bec. Sous le manteau, on porte des bottines, faites de maroquin (cuir
de bouc et de chèvre) du levant, des culottes de peau unie qui s'attachent aux
dites bottines et une chemisette de peau unie, dont on renferme le bas dans les
culottes, le chapeau et les gants sont aussi de même peau… des bésicles sur les
yeux ». Le cuir et la toile cirée protègent des puces bien qu’à cette
époque on ne connaisse pas encore le rôle exact de ces insectes dans la
pandémie. Toute l’Europe va utiliser ce modèle. Dans le nez en forme de bec et
sur tout le costume, des parfums, des épices, des herbes imprègnent des éponges.
(thym, matières balsamiques, ambre, mélisse, camphre, clous de
girofle, laudanum, myrrhe, pétales de rose, styrax, vinaigre des quatre voleurs). Une baguette en bois sert à toucher,
examiner les malades tout en les tenant à distance. On savait déjà que le masque était utile !!
(Vue
de l’Hôtel de ville de Marseille pendant la peste de 1720 –huile sur toile 1721
Michel Serres-musée des Beaux-arts de Marseille BA52 –travail perso Rvalette)
En 2020 nous employons
encore les méthodes des anciens : confinement, distance, désinfection…..mais
avec moins de contrainte !
Attestation de
déplacement 1722- archives municipales d’Uzès.
Sources : -
wikipédia.org—couradou sept 2013fonds historique Vallabrix-- : archives
communales de Vallabrix, municipales d'Uzès, de StQuentin, de Pont St Esprit
- Archives départementales du Gard-Pont
St Esprit GG - Jean-Noël Biraben Les
Hommes et la Peste en France T1-2 Paris Mouton
La Haye 1975 - La Peste Fléau Majeur Medica Histoire de la Santé BIU Santé
Paris - Société Historique de l'Uzège
déc 97 n° 22 - Ménard Histoire de Nîmes
Edit Lacour 1989 - - Le Livre de Raison Pierre Raffin arch Uzès - Pierre Darmon
La longue traque de la variole, Paris Perrin 1986 - Pierre Darmon, La variole,
les nobles et les princes Ed Complexe 1989 - Emmanuel Le Roy Ladurie Le voyage de Thomas Platter II 1595-1599 edit
Fayard - Comptes-rendus de l'Académie Royale des Sciences Edit Bachelier Gauthier-Villars Paris BNF
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