mardi 7 avril 2020

De la fragilité de nos certitudes


De la fragilité de nos certitudes :

En ce moment de pandémie, les informations, les sujétions vont et viennent. Des « sachants » de tous les bords, politiques, scientifiques, économistes ont tous une opinion bien établie, jusqu’à leur prochaine contradiction. Masque ou pas masque, confinement ou non, tests, vaccins…. En ce qui concerne les contradictions de nos politiques, il ne s’agit, parait-il, pas d’un revirement mais d’une évolution !!!
Tout cela donne une impression de fragilité de la pensée humaine. Le nombre d’experts est phénoménal sur notre petit écran, dans nos journaux. Besoin de s’affirmer, de contredire le confrère, besoin de se rassurer ou de rassurer, peur des réactions de la population, besoin de cacher une incapacité à faire face ? L’avenir nous le dira.
Une pensée pour nos soignants qui ne ménagent pas leur peine et une question, comment peut-on penser vacances, week-end quand d’autres sont en train de nous sauver, de travailler pour nous ? Egoïsme, refus de voir, individualisme ? Une photo devrait nous avoir tous marqué : des soignants portant sur leurs dos une civière avec un malade et ses appareillages pour l’installer dans un train.

(Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Fürst, 1656—wiipedia.org)
Quand on se replonge dans notre Histoire, nous avons maintes fois vécu ce scénario. Les pandémies, variole, peste, choléra, typhus, tuberculose…, sont fréquentes tout au long de notre parcours. Elles se sont souvent invitées dans les politiques des pays, modifiant le cours des choses, remettant tout en question. Elles mettent à mal la succession de Louis XIV chez nous, de Henri VIII d’Angleterre…
A chacune de ces épidémies, des experts voient leurs certitudes bafouées, comme si la maladie prenait un malin plaisir à nous rabaisser le caquet. En 1720 Le premier médecin du roi Louis XV, le montpelliérain Pierre Chirac soutenait que la peste n’était pas contagieuse ! Et pourtant les faits étaient têtus…
Le 25 mai 1720 un navire le Grand Saint-Antoine accoste à Marseille. Il vient de Syrie et la peste est à bord. Il est mis en quarantaine mais les marchandises sont frauduleusement débarquées, des ballots de coton en particulier. Argent et prudence ne font jamais bon ménage ! Puces et rats se cachent dans les ballots. On connait dans notre Occitanie cette maladie au moins depuis 1287 nous dit « le journal » le Petit Thalamus de Montpellier. Elle ne nous lâche pratiquement pas, tous les dix ans, parfois moins. Notre Languedoc est un carrefour où marchands, étudiants, pèlerins, soldats se côtoient et donc se contaminent. Mais les épidémies de peste foudroyantes ont traversé l’Antiquité, des pharaons, aux empires romains, jusqu’au 13ème siècle en Europe, pour nous accompagner jusqu’au 20ème siècle. A Paris l’avant-dernière peste  en 1920 est appelée « la peste des chiffonniers » ; elle s’était déclarée dans le quartier des « Puces » de Saint-Ouen.
Mais Saint-Louis ou Louis IX ne serait pas mort de la peste comme on nous l’a appris dans notre jeunesse, mais plutôt du scorbut ou et de bilharziose.
Cette année de 1720, la moitié de la population de Marseille va mourir. Les villes, les provinces, Avignon, Alès, le Gévaudan et la Provence seront infectées. Un cordon sanitaire rigoureux va protéger Montpellier. Un blocus du Gévaudan avec 20 bataillons aux frontières des Cévennes, du Vivarais et du Velay. Mais les soldats vont amener la maladie avec eux. L’industrie lainière est soutenue grâce à des fonds pour l’approvisionnement et les soins. Les habitants sont exemptés de l’impôt de la taille et de la capitation. Le sel est gratuit. On impose « le baraquement » c’est-à-dire le confinement dans des huttes à l’extérieur aux villages de la Canourge et de Marvejols…. Des médecins de Montpellier vont aider leurs confrères du Gévaudan, comme Peyraud Puybornan qui sera contaminé, Samuel Blanquet…
Pierre Chirac envoie à Marseille une mission de médecins dont son gendre François Chicoyneau chancelier de l’université de Montpellier et Antoine Deidier professeur dans cette université. Cette mission va faire des miracles pendant un an, soignant des milliers de malades. Mais la transmission de la maladie fait débat : pour les uns dont Chirac et son gendre elle n’est pas contagieuse, pour d’autres comme Deidier elle se transmet par inoculation. Il a vu des médecins blessés en mourir, donc pour lui cela ne fait pas doute. Un troisième praticien Jean Astruc soutient que cette maladie se transmet par propagation des « miasmes » dans l’air. Les postillons pour la peste pulmonaire, et par inoculation pour la peste bubonique. Nous savons maintenant qui avait raison.
De tout temps les épidémies seront l’occasion de persécutions des juifs, des "sorcières", des « malformés », de tout ce qui ne semblait pas dans la norme. Les potiers de Bordeaux seront accusés de transmettre la peste en 1605.. Les étrangers sont particulièrement soupçonnés de transmettre les maladies, qu'ils viennent de loin ou de quelques kilomètres. De tout temps aussi nous voyons des personnes fuir les lieux d’infection, souvent des nantis qui ont des biens ou de la famille à la campagne. Et la maladie galope, s’étale…
Ce sera aussi l'occasion d'une piété redoublée encadrée par le clergé. Les processions avec ses flagellants se multipliaient pour implorer la clémence divine ou des saints. Ces épidémies étaient pour la population une malédiction, une punition envoyées périodiquement par le "Très Haut", ce qui ne va pas aider à imposer au 19ème siècle une éventuelle vaccination. Une chronique du 14ème siècle nous raconte qu’à Montpellier un cierge hors normes a été inventé. Une mèche aussi longue que les murailles de la ville a pu brûler pendant trois ans ! Les apothicaires parfumeurs de Montpellier seront mis à contribution pour produire herbes, effluves, pâte antipoison contre la maladie. C’est aussi la période où les charlatans, les gourous font des affaires.
Elles étaient souvent la suite de guerre, d'une famine, quand la population était déplacée, affaiblie par les privations, et les infections. Actuellement nous pouvons nous demander quel est l’impact  sur notre santé des diverses pollutions que notre société engendre.
On connaît l’épidémie de 1597 d’Uzès grâce en partie au récit de voyage de Thomas Platter et aux billets de laissez-passer qu’on délivre. Les gardes de Montpellier, ville fermée aux voyageurs, examinent les billets passés sous la porte du rempart et laissent les voyageurs à l’extérieur en attendant que les consuls de la ville décident de les accepter ou non dans la ville. « Nous fûmes contraints de faire le pied de grue hors des murs, toute la journée, les auberges refusaient de nous recevoir, elles ne daignaient même pas de prendre nos bagages en consigne : nous les avons donc laissés en vrac sur la grand-route à la garde de notre laquais ; il ne nous restait plus qu’à tuer le temps dans un jeu de paume ». Le consul qui les délivre leur apprend qu’"à Marseille et à Aix ça mourait dur ».
La quarantaine pour les personnes était de 40 jours, un peu moins pour les marchandises. En septembre 1598 la peste n’est toujours pas à Uzès, grâce certainement aux précautions très sévères prises par les autorités.
Les marchandises suspectées de transporter la maladie puisqu'elles ont voyagé, ne rentrent plus dans la ville, elles sont entreposées dans des granges, des mas à l'extérieur sous bonne garde En s'appuyant sur des ordonnances royales ou celles de l'intendant du Languedoc, "Nous ordonnons, somment les consuls que les pièces d'étoffes de quelque qualité qu'elles soient, caddies, bas de laine, soie...doivent être déballées, tirées des caisses, mises à l'air dans les chambres ou greniers, retournées tous les dix jours. » Un consul ou un commissaire des Bureaux de la Santé ira contrôler chaque jour le lieu de quarantaine. Les contrevenants verront la quarantaine prolongée et seront sous le coup d'une amende. Toutes les marchandises doivent être déclarées sous peine de confiscation. A la fin de la quarantaine, 20 à 30 jours selon, un certificat de santé sera délivré pour les marchandises qui seront autorisées à partir après avoir réglé les frais de garde et de transport au lieu de quarantaine. Un soldat de quarantaine touchait la somme rondelette de 25 livres.



Les étrangers ne peuvent entrer, les marchands vendre, les aubergistes et hôtes loger. L'épidémie est à Lyon, Montélimar, Bagnols. On fuit les villes, mais on ne fait que précéder le fléau, ou bien on l'amène avec ses chaussures. Les billets de santé sont obligatoires pour entrer en ville. Mais ils sont délivrés un peu facilement à ceux qui partent, surtout s'ils sont étrangers à la ville, toujours suspects. On ne les pousse pas dehors, mais il y a un peu de cela...
A chaque épidémie, notre village Vallabrix est coupé du monde : les chemins de St Quentin-Uzès, de Bagnols à St Quentin, de La Capelle sont fermés, gardés par des soldats. Il faut vivre en autarcie sur ses réserves. Des familles partent dans les bois avec vaches, cochons, couvées. On a peur de la promiscuité, du mauvais œil qui plane sur son voisin. Des « bonnes femmes » procurent des simples, herbes-remèdes qui, si elles ne guérissent pas, au moins apportent un peu de réconfort et d'espoir.

A Vallabrix, des balles de draps et autres marchandises ont été engrangées en quarantaine à l’entrée du village dans le Mas Brun appartenant à une veuve Cabrol habitant Uzès. Une nuit, le garde a été assommé et des balles ont été volées, peut-être par leurs propriétaires, leur évitant ainsi de payer la quarantaine de leurs marchandises. La rumeur a vu leurs charrettes partir vers La Capelle.  Par son de trompe, on prévient la population de ne pas abriter les voleurs et les marchandises qui sont peut-être contagieuses sous peine de prison et de confiscation des biens !!
La peste reviendra souvent dans notre région. En 1629, la ville d'Uzès fait provision de blé et envisage d'engager 20 soldats. On ira plus tard jusqu'à 50 soldats payés. Les maisons vidées des pestiférés attirent les pillards. Les consuls achètent des piques et des mousquets pour la garde. Sont nommés quatre "corbeaux", c'est à dire des personnes qui seront chargées d'aller chercher les morts la nuit et de les enterrer. On les appelle aussi "carabins" ou escarrabins" mot qui plus tard désignera les étudiants en médecine. Ils reçoivent un habit de treillis et 12 livres par cadavre, somme importante correspondante à un loyer annuel d'appartement. Ils seront enfermés le jour sous la chapelle Notre Dame. A Montpellier on réquisitionne de prisonniers de droit commun appelés aussi « corbeaux ». On pend tout semeur de peste ; même régime pour celui qui en profite pour se remplir les poches. Les prêtres sont un temps autorisés à donner l’hostie au bout d’une pince métallique.
Un quartier des pestiférés à Uzès est créé du côté de St Ferréol, on se méfie des pauvres qui seront réunis dans une maison à l'écart pendant la durée de l'épidémie. Les portes cochères de leurs maisons seront murées. Théoriquement la ville assure leur ravitaillement. On soupçonne son voisin, celui qui est différent...Les apothicaires sont partis ou enfermés dans leurs maisons sauf un. On doit en engager un d'Avignon. Deux chirurgiens de Laudun et un médecin de Cabriac viennent en renfort contre salaire.
L’épidémie passée, ceux qui ont fui à la campagne peuvent revenir. Un par un ils sont conduits aux étuves, baignés, étrillés et parfumés pendant quatre jours. Ils reprendront leur vie passée après ce traitement.
La peste sera encore chez nous en 1640. Les bouchers d'Uzès protestent. Tout est devenu difficile : le bétail est plus cher, on ne peut le faire venir d'ailleurs. Ils ont dû augmenter le salaire de leurs salariés peu nombreux, les enfants qui leur restent ne pourront pas les aider et même reprendre la boutique. Ils ont débité 8 à 900 moutons au lieu des 2000 habituellement...(arch dép du Gard). A Vallabrix les troupeaux de bêtes à laine (moutons) ne se vendent pas, grossissent au point de mettre en danger les pâturages, les blés et les bois. Les jasses ou bergeries ne sont pas assez grandes, les bêtes restent dehors à la merci des chiens vagabonds et des voleurs. Ce doit être le cas un peu partout car le prix de la laine après l’épidémie va chuter du fait de la quantité, certainement aussi du fait de la baisse du nombre des marchands et des artisans utilisateurs de ce matériau.
En 1649, le fléau est dans l'Uzège. Mais les mesures de sauvegarde sont mises en place. Pierre Raffin dans son Livre de Raison nous raconte qu'en septembre pour ses vendanges, il se voit refuser l'entrée de Castillon, pour cause de "bruit du mal contagieux".
En 1664, tout commerce entre Provence et Languedoc est interdit pendant quinze jours en raison de l'épidémie de Toulon et d'Aix. Le Rhône sert de frontière.

.... A chaque épidémie, le temps s'arrête : l'argent ne rentre plus mais file à toute vitesse, on se calfeutre chez soi, on fait le dos rond, on attend en priant !!

Le costume protecteur des médecins est conçu en 1619 par Charles de Lorme premier médecin du roi Louis XIII. « le nez long d'un demi pied (16 cm) en forme de bec, rempli de parfums, n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des herbes renfermées plus avant le bec. Sous le manteau, on porte des bottines, faites de maroquin (cuir de bouc et de chèvre) du levant, des culottes de peau unie qui s'attachent aux dites bottines et une chemisette de peau unie, dont on renferme le bas dans les culottes, le chapeau et les gants sont aussi de même peau… des bésicles sur les yeux ». Le cuir et la toile cirée protègent des puces bien qu’à cette époque on ne connaisse pas encore le rôle exact de ces insectes dans la pandémie. Toute l’Europe va utiliser ce modèle. Dans le nez en forme de bec et sur tout le costume, des parfums, des épices, des herbes imprègnent des éponges. (thym, matières balsamiques, ambre, mélisse, camphre, clous de girofle, laudanum, myrrhe, pétales de rose, styrax, vinaigre des quatre voleurs). Une baguette en bois sert à toucher, examiner les malades tout en les tenant à distance. On savait déjà que le masque était utile !!



(Vue de l’Hôtel de ville de Marseille pendant la peste de 1720 –huile sur toile 1721 Michel Serres-musée des Beaux-arts de Marseille BA52 –travail perso Rvalette)

En 2020 nous employons encore les méthodes des anciens : confinement, distance, désinfection…..mais avec moins de contrainte !



Attestation de déplacement 1722- archives municipales d’Uzès.

Sources : - wikipédia.org—couradou sept 2013fonds historique Vallabrix-- : archives communales de Vallabrix, municipales d'Uzès, de StQuentin, de Pont St Esprit -  Archives départementales du Gard-Pont St Esprit GG  - Jean-Noël Biraben Les Hommes et la Peste en France  T1-2 Paris Mouton La Haye 1975 - La Peste Fléau Majeur  Medica Histoire de la Santé BIU Santé Paris  - Société Historique de l'Uzège déc 97 n° 22  - Ménard Histoire de Nîmes Edit Lacour 1989 - - Le Livre de Raison Pierre Raffin arch Uzès - Pierre Darmon La longue traque de la variole, Paris Perrin 1986 - Pierre Darmon, La variole, les nobles et les princes Ed Complexe 1989 - Emmanuel Le Roy Ladurie  Le voyage de Thomas Platter II 1595-1599 edit Fayard - Comptes-rendus de l'Académie Royale des Sciences  Edit Bachelier Gauthier-Villars Paris BNF



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.