mardi 28 avril 2020

Vauban à Nîmes ?


(Les Anciennes Fortifications de Nîmes – ©M. Igolen, 1935.)
Il parait dérisoire en cette période de pandémie de se pencher sur des sujets qui peuvent paraître anecdotiques. Mais il faut bien penser à autre chose !
Vauban à Nîmes ?Naissance et vie d’une citadelle
Nous avons à Nîmes une citadelle, un fort Vauban du nom du grand ingénieur militaire (1er mai 1633 - 30 mars 1707) de  Louis XIV. Mais Vauban a-t-il vraiment participé à cette construction ? Il semble bien que non. Des citadelles Vauban existent, il est vrai un peu partout dans notre pays,. En 1705 l’ingénieur dresse un Etat des places fortes du Royaume où il est intervenu, bilan d’une vie bien remplie : « 119 places ou villes fortifiées, 34 citadelles, 58 forts ou châteaux, 57 réduits, 29 redoutes et quelques places qu’on se propose de rétablir et de fortifier ».
En 1687-88, le Languedoc et les Cévennes sont des bastions protestants. La Révocation de l’Edit de Nantes de 1685 et les sanctions contre les irréductibles huguenots ont mis le feu aux poudres. Trois citadelles sont construites, Alès, St Hippolyte et Nîmes pour contrôler ces sites.
Le système Vauban  sera largement repris en France et hors de France comme par exemple les fortifications de la ville de Cadix en Espagne.

Nîmes n’est pas dans la liste de Vauban. En fait l’intendant du Languedoc Nicolas Lamoignon de Basville confia le projet le 9 mai 1687 à Jean François Ferry ingénieur du roi et à Jean Papot architecte. Durant l’hiver 1686-1687 Ferry est envoyé en Cévennes pour dresser les plans d’une quinzaine de villes ou bourgs susceptibles d’accueillir la citadelle. Ferry avait été choisi à l’insu de Vauban suspect après avoir publiquement pris position sur le rappel des huguenots et proposer une autre gestion du problème religieux et économique. Il ne faisait pas bon de contredire le roi Louis XIV.
La réalisation des travaux sera attribuée à Jacques Cubizol architecte nîmois et l’ingénieur Jean Baptiste Minet. Tous vont s’appuyer sur les travaux de Vauban : un parallélogramme avec « quatre bastions d’angles, entouré d’un fossé de 9m de large et d’un chemin couvert surélevé formant une enceinte bastionnée supplémentaires dont les 4 places d’armes constituent des demi-lunes ». La place d’armes centrale pouvait accueillir autour de 500 soldats. ( Porte coquille ©Alain Verpillot 2016 ).  Une grande coquille St Jacques orne la porte d’entrée principale, touche personnelle de Ferry.
L’endroit choisi a fait ses preuves : sur le rocher promontoire à la limite nord-ouest de la ville contre ou dans les autres enceintes plus anciennes comme celles de Rohan. Un bon emplacement pour surveiller la ville, les mouvements de troupes venant d’Alès…

Une nappe d’eau dans le sous-sol permettait d’alimenter le fort et surtout alimenter la ville par le castellum divisorium. Le 8 mai 1687 on commence par abattre les arbres qui se trouvaient sur le rocher ; le 12 le projet est officiellement approuvé par l’intendant ; le 15 un devis des travaux à entreprendre est dressé et on pose la première pierre. Le 24 mai les travaux démarrent.

Un chantier mené tambour-battant : le 30 mai 1688 le régiment de Vivonne s’y installe, moins d’un an après les fondations du premier bastion. « Huit compagnies, en attendant que les casernes soient bien sèches … »(d’après Etienne Borrely notaire). Les Etats du Languedoc ont à leur charge le paiement du transport des matériaux et les indemnisations pour les propriétaires expropriés, c’est-à-dire les villageois par le biais de l’impôt de la taille. Le roi a financé les travaux du fort proprement dits.
Deux mille hommes ont participé à cette construction. Trois jours pour raser les 50 parcelles touchées par la campagne de démolition et pour exproprier les habitants. Trois à quatre cents personnes sont employées à ce ravage. Maisons modestes ou non, vergers, jardins potagers, pépinières, rasés, aplanis…. Des artisans du textile et des petits agriculteurs y côtoyaient les résidences de la bourgeoisie enrichie au négoce ou aux offices. Toute une population dépouillée de ses biens, dépossédée de ce qui constituait un statut social. On doit aplanir le site pour la citadelle mais aussi pour ouvrir le champ aux canons et dégager une esplanade vers la ville.
Bruits d’explosifs, de forge, des fours à chaux activés en permanence, deux à trois cents convois par jour… présence et installation à demeure de l’armée…  le quotidien des Nîmois est bouleversé.



Citadelle de Nismes 1787 – ©BNF
Les Anciennes Fortifications de Nîmes – ©M. Igolen, 1935.



La citadelle est aménagée comme un véritable fort capable de se suffire à lui-même et pouvant dominer et commander la ville. Une place d’armes carrée au centre, avec logements du gouverneur, des officiers, des casernes pour la troupe, des corps de garde, des prisons, une chapelle, et des entrepôts à vivres et à munitions. Sur le côté Nord, une porte ouverte sur la garrigue pouvant servir d’entrée ou de sortie de secours. Quatre bastions d’angle, un front pour l’artillerie percé de 33 embrasures à canons tourné sur la ville. Des fossés secs taillés dans le rocher, un large chemin couvert et quatre places d’armes sortantes dont deux reliées par des ponts-levis aux portes de la citadelle. Deux corps de garde extérieurs pour surveiller l’accès aux portes.
(l’un des 2 puits de la citerne sud-ouest—photo Cédric Robot ) Six puits et trois citernes approvisionnent en eau la citadelle.
La construction de la citadelle obligea à penser autrement le développement de la ville.
L’année suivante, on démolit les vieux remparts du XIème siècle depuis le quartier de la Bouquerie jusqu’au Château Royal remplacés par un cours (le Grand et Petit Cours actuel boulevard Gambetta) bordé de trois allées d’ormes plantées dès le 25 février 1689. L’ingénieur des Ouvrages du Roi à Nîmes, Duplessis en dessine le tracé et rédige un règlement d’urbanisme fixant l’alignement et l’uniformisation des façades donnant sur le Cours. Les constructions étaient limitées à un seul niveau d’élévation surmonté d’une terrasse. Il était prévu des rues larges et droites assurant la communication entre les quartiers anciens et le nouveau.

 De nouvelles murailles relièrent la citadelle aux remparts restants. Elles englobèrent tout le quartier populeux des Prêcheurs ou des Bourgades ; trois nouvelles portes sont percées, une à l’entrée de la citadelle, une au bout de la porte d’Alès, la troisième près du Château Royal ou porte des Casernes. La première de faible dimension sera murée en 1689. Le quartier des Prêcheurs intègre ainsi la nouvelle ville. L’architecte nîmois Gabriel Dardailhon est chargé par la municipalité de la construction de ces nouvelles murailles.

Le fort devient rapidement une prison politique entre 1701 et 1704 durant la guerre des Camisards. Et pratiquement jusqu’à la Révolution de 1789. La « Bagarre de Nîmes » de juin 1790 fait plus de 300 morts entre catholiques et protestants. Les arrestations vont bon train chez les catholiques nobles ou non. Après la proclamation de la République de 1792 puis pendant la Terreur de 1793 à 1794 le nombre de prisonniers politiques augmente encore.

En mai 1792, la citadelle et les deux autres prisons de Nîmes hébergent en solution d’attente des prêtres réfractaires, des sympathisants ou soupçonnés de l’être de l’Ancien Régime. Les deux autres prisons sont la maison des Capucins et la maison d’arrêt du palais de justice. Le fort devient prison pénale en 1795 (à la fin de la Convention). C’est une maison d’arrêt, de détention et de réclusion. Mais les conditions de détention sont épouvantables et le préfet du Gard sur autorisation du ministre de l’Intérieur fait transférer les détenus à Montpellier le 22 mars 1806.

Le décret impérial du 5 juillet 1808 demande à chaque département un « dépôt de mendicité » pour accueillir toutes les personnes accusées de mendicité ou de vagabondage qui sont des délits punis de peines correctionnelles. Ce sera pour la citadelle en novembre 1811 après quelques travaux d’aménagement pour loger et faire travailler les détenus employés avec la Fabrique de soie et de coton de la ville.

En janvier 1813 le fort devient maison de correction pour les condamnés par voie de police correctionnelle ou administrative, les détenus pour dettes et les enfants enfermés à la demande des familles. Des économies de fonctionnement pour le département : même administration et même personnel pour la surveillance des deux catégories de détenus !

La citadelle devient maison centrale de détention en 1818, transférant ainsi à l’Etat le financement et les responsabilités de l’équipement. Elle peut héberger jusqu’à 750 détenus, et en mars 1820 des prisonniers des trois autres maisons centrales de détention surpeuplées (Montpellier, Embrun, Riom) sont transférés à Nîmes. Cette nouvelle fonction demande des transformations : préau, réfectoire, infirmerie, lieux de culte, ateliers pour le travail de détenus. En 1830 nous enregistrons 1142 prisonniers, 1226 en 1835 et des dortoirs supplémentaires sont aménagés…
De 1842 à 1845 les frères des Ecoles Chrétiennes remplacent les gardiens, mais l’assassinat de l’un d’eux par un détenu arrête l’expérience.

Pour le condamné, le travail lui permet de s’occuper et de  gagner un peu d’argent pour prévoir sa sortie. Evidemment, cette main d’œuvre bon marché permet à l’Etat de réduire les coûts de fonctionnement et parfois de faire des bénéfices. Mais ce travail était en quelque sorte franchisé : une personne privée, l’entrepreneur de la Maison centrale avait le droit de faire travailler les détenus pour son compte et à son profit à un taux préférentiel et en contrepartie de la fourniture des matières premières et de l’établissement des ateliers à ses frais. Il recevait en plus une indemnité journalière par détenu travaillant et il vendait les marchandises fabriquées à son profit. De plus il pouvait adapter quotidiennement le nombre de travailleurs dont il a besoin.
Les autres fabricants et ouvriers nîmois protesteront contre cette concurrence déloyale.

De 1896 à 1900 le docteur Charles Perrier s'essaye à la science des statistiques : 1874 tatouages ; sur 63 auteurs d'attentats à la pudeur, 43 ont un visage ovale... c'est la période où on cherche à expliquer la criminalité par des caractéristiques physiques ce qui est plus facile que de penser à des manques d'éducation, des promiscuités, et autres raisons sociétales...

Notre citadelle sera utilisée pendant la Seconde guerre mondiale : elle compte des détenus de droit commun, mais aussi des politiques, des résistants opposés à Vichy et aux Nazis. Début de l’année 1944, la répression s’aggrave : torture dans le fort, pendaisons aux ponts de la ville en mars. Le 4 février 1944 24 résistants des FTP attaquent le fort et libèrent 17 patriotes.  « 21h15 : c’est l’heure de l’espoir. MARTY sonne à la grosse porte extérieure. Le gardien de conivence avec la résistance ouvre, livre passage à 5 patriotes qui désarment immédiatement les 6 gardiens dans leur poste. […] Il faudra six jours et six nuits à notre convoi, harcelé par la Gestapo, la Milice, les Gendarmes, pour atteindre les camps de St-Frézal de Ventalon Lozère ».
Les miliciens et les collaborateurs après la Libération du 25 août 1944 y seront enfermés à leur tour. Certains seront fusillés dans les semaines et mois qui suivent.
La dernière exécution capitale à la Centrale de Nîmes a lieu le 27 avril 1948 : trois personnes sont guillotinées ce jour-là dont Marius Rodeillat condamné pour meurtre d'une famille au "mas maudit" sur la colline de Carémau de Nîmes.
En août 1988 la citadelle reçoit Francis Vanverberghe dit Francis-le-Belge, parrain marseillais et acteur de la "french connexion". Après quelques mois il sera transféré à Lyon, puis à Marseille aux Baumettes. 



(Dortoir avec ses cages à poules)
Cette Centrale connaîtra des meurtres de gardiens, des évasions comme toute prison.
La Maison Centrale survivra jusqu’au 3 juin 1991. Délabrée, insalubre, surpeuplée, avec une mortalité importante de 10 %, les révoltes des détenus y sont nombreuses comme celle de 1974 qui incendie des locaux. A cette date, on y fabrique des cages à oiseaux, des brosses, des ballons, des chaussures. (Des cages à oiseaux : de l’humour ?!!) Les détenus travaillent en groupe la journée et sont placés à l’isolement en silence la nuit dans des dortoirs dénommés « cages à poules », c’est-à-dire des compartiments individuels à cloisonnement léger, clos d’une porte en bois percée d’un oculus grillagé.



Maison centrale de Nîmes : accès au bâtiment de détention / Henri MANUEL. – [S.l.] : [S.n.], 1932. ©henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP

Lors de sa campagne électorale Jean Bousquet en 1982 lance l’idée d’une reconversion de la citadelle en université, devenant un lieu de savoir, et surtout de passation des savoirs. La maison centrale de Nîmes devait être fermée. C’était l’occasion d’amener une jeunesse et sa vitalité au centre-ville. Le fort c’était aussi trois hectares reliés à tous les moyens de communication.
Un temps dubitatifs le rectorat et l’université finissent par envisager le projet comme possible. La ville achète le fort au ministère de la justice en 1990 pour 2,3 millions d'euros. La maison centrale de Nîmes ferme ses portes le 3 juin 1991. Les détenus restant sont transférés sur Arles et Tarascon.
La Région est maîtresse d’ouvrage et organise un concours d’architecture en août 1991. On voit grand : logements étudiants, amélioration des transports en commun, Maison de l’Etudiant… Avec l’architecte des Bâtiments de France, on décide quelles parties seront conservées et celles qui pouvaient être détruites. Deux choix possibles, innovations contemporaines côtoyant le patrimoine historique ou un bâtiment neuf derrière le fort…. C'est l'architecte italien Andréa Bruno qui officie : des amphithéâtres dans les douves, le fort réaménagé... Coût de l'opération autour de 15,3 millions d'euros.


Première ouverture le 11 octobre 1995. Au site Vauban, secrétariat, bureau d’aide à l’information, insertion, relations internationales… des salles de cours et cinq amphithéâtres, cafétéria, bibliothèque avec derniers outils multimédia…. Le site des Carmes accueille plutôt le pôle scientifique entre autres.  Formations générales et professionnelles, lettres, sciences, langues, histoire, psychologie, droit, économie….. des licences professionnelles, apprentissage, alternance… Il n’est plus besoin de partir à Montpellier ou ailleurs !! Une très belle reconversion, pleine de philosophie.


Un autre jour, nous reparlerons de Nîmes et de ses fortifications avec celles de Rohan qui ont précédé la construction du fort Vauban.



(1950 La Maison Centrale de Détention )
Sources :  www.nemausensis.com/Nimes/Diaporama/Rempart/RempartsIgolen08.htm
M Igolen 1935 Les anciennes fortifications de Nîmes Mémoires de l’Académie 1933-34-35 – Anne Blanchard « Vauban » Ed Fayard 1996-Revue Techniques et Architecture n°449 Université colloque de Nîmes 20-21 janvier 1995 Ed 1997+ Plaquette Vauban L’Université au coeur de Nîmes Service Information Communication de la Ville de Nîmes (3è trimestre 1995—Société d’Histoire Moderne et Contemporaine de Nîmes Le Fort de Nîmes Line Teisseyre-Sallmann « Nîmes 8 mai 1687-30 mai 1687 Un chantier dans la ville ---Caue 30 avril 2010 (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement du gard)  « La citadelle de Nîmes sous la Révolution et l’Empire : un lieu d’enfermement » par Anne-Marie Duport – p.71-84 – Le Fort de Nîmes, de la citadelle à l’université, Colloque de Nîmes 20-21 janvier 1995, Société d’Histoire Moderne et Contemporaine de Nîmes-- FAUCHERRE (N.), La route des fortifications en Méditerranée, Paris, 2007. www.sites-vauban.org/Nimes
-- « Images d’un établissement en devenir les débuts de la maison centrale de Nîmes » par Raymond Huard – p.87-98 –Métamorphoses d’une ville – Nîmes de la renaissance aux lumières de Line Teisseyre-Sallmann – Editions Champ Vallon p.246-253--« Le fort Vauban pendant la Seconde Guerre Mondiale » par Armand Cosson – p.105-119—photo Antony Maurin—Musée archéologique de Nimes-- Gazette de Nîmes n°961 2/8 novembre 2017----


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.