mercredi 30 janvier 2019

Les Barberousse, pirates de Méditerranée




Galère pirate Musée de la Marine

 Barberousse, Pirates de Méditerranée ou L’Homme Rouge

Il a toujours existé en Méditerranée une grande internationale des pirates ou corsaires quelque soit le nom. Une certaine passion de l'indépendance, le refus de l'autorité, un individualisme forcené. Ajoutons à cela un avenir peu nourrissant pour les habitants des côtes, un besoin inné des grands espaces qu'offre la mer. On est d'abord naufrageur, puis écumeur sévissant aux alentours d'une crique, et enfin chef de guerre à la tête d'une escadre. 

 En juin 1504 à la hauteur de l’île d’Elbe sur la mer Tyrrhénienne, un convoi de sept navires chargés de marchandises plus précieuses les unes que les autres s’achemine vers Civita-Vecchia. Le point de départ est le port de Gênes et le nolisateur (l’affréteur) est le pape Jules II. Le convoi est sous le commandement de Paolo Victor, Niçois de naissance. Les pirates pullulent sur la mer méditerranée et le pape fait escorter le convoi par deux de ses plus grandes et plus récentes galères. Le commandant se trouve à bord du vaisseau de tête.
L’équipage voit bien une minuscule galiote qui s’approche mais ne s’en inquiète pas. Leurs navires sont puissamment armés. Mais ne voilà-t-il pas que la galiote nonchalante vire soudainement et se jette bord à bord. Une rapidité qui laisse pantois ou morts les marins pontificaux. C’est un déferlement de turbans, de cimeterres brillants, de cris, de flèches sifflantes… Le commandant et la moitié de marins pontificaux sont tués, le reste de l’équipage est enfermé à fond de cale.
Le chef des pirates qui a mené l’attaque avec des ordres brefs et calmes est peu banal : pas de turban, de taille moyenne mais bien bâti, nez droit, teint clair, une peau de roux, des cheveux et une barbe d’un rouge éclatant !! C’est le début d’une légende….L'Homme Rouge

Un ordre bref et les hommes endossent les vêtements des cadavres et la galiote est mise en remorque. On peut croire que la galère papale est victorieuse et les pirates anéantis. A quelques encablures, l'autre galère papale s’avance, des hourras saluent la première galère et c’est une nouvelle attaque, un nouveau combat et une victoire pour les pirates. En à peine une heure, deux galères fortement armées et sept navires de commerce sont tombés aux mains des pirates.
L’Homme Rouge rit à gorge déployée, ses marins l’acclament, scandant son nom : Ourouj (Aroudj) !! En fait il s’appelle Ourjouj fils de Jacob ; à la Goulette ce sera Baba-Ourouj, le premier des Barberousse.

Les historiens ne sont pas tous d’accord sur l’histoire de cette famille. Les prénoms de deux des fils sont souvent confondus, écrits en turc ou en arabe, les surnoms ajoutent à la confusion. Peu d’archives, les souverains des états de l’époque n’étaient pas toujours très clairs avec les exploits de ces pirates. Ils utilisaient parfois leurs services. Mais nous pouvons tirer l’essentiel de tous ces écrits.
La famille s’établit dans l’île de Lesbos (île de Mytilène à l’époque). La mère est une chrétienne d’origine grecque ou albanaise. Le père Jacob (Yakup) Reis est potier probablement grec ou albanais. Une autre source en fait un militaire albanais sous le sultan Bajazet, qui aurait fui après avoir commis un délit. Ils sont devenus turcs et musulmans après la prise de leur île par les Ottomans. Deux filles et quatre fils. Aroudj ou Ourjoudj est né vers 1466, c’est le fils cadet de la famille. A la fin de sa vie, il parle ou se débrouille en italien, espagnol, français, grec et arabe. Cela donne un aperçu des nationalités de ses marins et de ses commanditaires.
Yakup le père s’équipe d’un bateau pour transporter ses poteries. Les garçons aident leur père dans son commerce.


Khizir Khayr ad-Dîn frère d’Aroudj- Portrait par Agostino Veneziano(1535)

D’abord ils piratent tout en commerçant en famille dans la barcasse paternelle. Au cours d’une de ces expéditions, Ouroudj ou Aroudj est fait prisonnier par les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem et condamné à ramer sur une de leurs galères, puis détenu dans la citadelle de Bodrum pendant trois ans. Son frère Ilyas est tué lors de l’attaque. Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem infligeaient des dommages sérieux à la marine marchande ottomane.
Son plus jeune frère Khayr ad-Din, pour s’acquitter de la rançon, s’attaque aux cargaisons chrétiennes avec l’aide de quelques têtes brûlées. Après plusieurs années, Aroudj recouvre sa liberté et sa place de chef sur le pont d’un navire. Son père est mort. Il reçoit le commandement de corsaires turcs et embarquent ses frères pour une vie meilleure. De nouveau réunis, les deux frères Barberousse cumulent les victoires en Méditerranée avec une témérité sans égale.
L’ainé Ishak  reste à Mytilène pour s’occuper des affaires financières de la famille. Leur territoire s’étendait de l’Anatolie, la Syrie, l’Egypte et accessoirement dans la mer d’Egée à partir de la Thessalonique, de Gibraltar à Nice, en fait toutes les côtes de la Méditerranée. Leurs ports d’attache seront Tunis, Djerba, Jijel, Alger…. Le commerce des esclaves blancs bat son plein : on rançonne les plus riches et les autres servent de domestiques, prostituées. Les esclaves seront rachetés parfois un peu plus tard par des congrégations religieuses.


Cervantès esclave d’Alger 1575 Bagne d’Alger—algerie-ancienne.com
Comme c’est la tradition depuis des siècles, les Barberousse vont servir toutes les causes qui leur rapportent. Sous l’Inquisition espagnole et ses conversions forcées dès 1492 ils convoient de 1504 à 1510 les musulmans et sépharades de l’Andalousie vers l’Empire Ottoman où le sultan Bajazet leur a donné refuge. Aroudj y gagne le surnom de Baba Arudj (père Aroudj). Bien avant eux, d’autres pirates avaient transporté les armées Vandales en Afrique du Nord.
Le gouverneur ottoman d’Antalya donne à Aroudj le commandement de 18 puis 24 galiotes. Il bombarde les forts côtiers d’Italie comme Puglia, s’attaque à Eubée sur le chemin de retour. Il capture des vaisseaux, des galiotes.
Le sultan d’Egypte lui donne un autre bateau et le charge d’attaquer à nouveau les côtes italiennes et les îles méditerranéennes. Sicile, Ligurie, Calabres… En 1503 Djerba devient sa base, puis l’année suivante le sultan de Tunisie lui permet de s’établir dans le port stratégique de La Goulette à condition de lui laisser un tiers du butin. En 1509 Ishak leur ainé les rejoint.

Ils vont s’attaquer à une galère espagnole qui transporte un gouverneur, une dizaine de gentilshommes de la Cour, une centaine de soldats et un butin considérable. 1510 c’est l’attaque du cap de Passero en Sicile, puis ils repoussent une attaque espagnole à Béjaîa, Oran, Alger. L’année suivante c’est Reggio de Calabre. En 1512 en repoussant les Espagnols lors du siège de Néjaîa, Aroudj perd un bras et gagne le surnom de « bras d’argent ». La même année les côtes de l’Andalousie, Minorque, Gênes, 23 galiotes capturées en un mois !!
A la Goulette ils font construire une usine de production de poudre, réparent ou construisent des navires. Ils sont installés.

1513 ils attaquent quatre vaisseaux anglais en route pour la France ; quatre navires à Valence, une galiote espagnole près de Malaga.. Les forteresses espagnoles de Béjaïa sont détruites en 1514 grâce à douze galiotes avec mille soldats turcs transportés par les trois frères. Encore la Sardaigne, la Sicile, les îles Baléares, Majorque, le fort de l’île d’Elbe en 1516….

Les Barberousse sont appelés en 1516 par les habitants d’Alger qui craignent les ambitions espagnoles de Charles Quint. Aroudj avec 5000 hommes marche sur la ville et le plus jeune Barberousse bloque avec ses bateaux le port. Victoire totale. Aroudj tue son commanditaire l’émir Selim el Teuni (Salim at Taoumi)et s’installe au pouvoir. Aroudj reste le stratège de la famille et part à la conquête de l’Ouest algérien. Il est considéré comme le fondateur de Al Jazâ’ir, la régence d’Alger.. Mais les Algérois sont vite fatigués de ses excès et s’allient à Charles Quint qui prend les choses en main en 1518.


Le Marquis de Comares à la tête de 10 000 soldats espagnols, de milliers de soldats locaux marche vers Tlemcen. Aroudj et son frère Ishak ont avec eux 1500 soldats turcs et 5000 soldats arabes et berbères. Le siège de la ville durera six mois. Les deux frères sont tués sur le champ de bataille. La légende dit que pour ralentir ses poursuivants, Aroudj avait semé des pièces d’or et d’argent sur les chemins de sa fuite.
Leur autre frère Khayr ad Din reprendra le flambeau et le titre de Barberousse. Il décide de reprendre la ville d’Alger et anéantit l’armada espagnole. La ville est livrée au sultan turc Selim 1er le Cruel qui le fait « bey des bey ».



Ce Barberousse aussi roux que ses frères et d’une force herculéenne pouvait nous dit-on tenir un mouton de deux ans à bout de bras et d’une seule main.
Pendant 17 ans il va écumer la mer et ses côtes avec un équipage tout à sa dévotion. Courageux, audacieux, chanceux, intelligent, prévoyant et déterminé en défense, infatigable, insensible aux revers, mais toutes ses qualités sont ternies par des accès de cruauté froide….Ainsi l’Histoire de la Marine le décrit en 1841.

En juin 1530, ses pirates pillent Porquerolles, Port-Cros, les îles Le levant sont dévastées. François 1er en 1531 ordonnera la consolidation des fortifications. Le fort de Porquerolles sera rebâti et Port-Cros se dotera d’un château. Les îles d’Hyères sont pillées en 1535 par 10 galères, 15 galiotes et 17 fustes pirates. Faisant preuve d’une confiance à toute épreuve, Barberousse et ses marins sèment la terreur sur les côtes.
Le sultan turc le nomme « grand amiral de la flotte turque en 1533. Même le redoutable corsaire génois Andrea Doria sera battu en 1538 par la flotte de Barberousse à Preventa le long des côtes grecques occidentales.

Charles Quint investit le Var et envahit la Provence avec une armée de 50 000 hommes. Depuis 1536 les Etats de Savoie du duc Charles II sont occupés par l’armée française de François 1er au détriment de Charles Quint. Le pape impose une paix fragile entre les deux souverains. Mais en  1543 notre roi François 1er se rapproche du sultan Soliman 1er, nouveau maître de l’Empire Ottoman. Il espérait se défaire de l’Empereur. Barberousse avec 100 galères, rend « service » et prend la ville de Nice et la pille. La ville préférera se rendre aux Français. Mais le roi refuse de payer la dette contractée en échange de cette aide musclée. Alors Barberousse se paie en multipliant razzias et enlèvements tout au long de la côte française, tout en hivernant dans la rade de Toulon et d’Hyères. Finalement François 1er paie à Soliman le dû prévu. 
«...Presque tous les habitants de Toulon durent quitter la ville, abandonner leurs maisons, leurs métiers... pour faire place à des alliés pires que des ennemis... Les matelots enlevaient les jeunes garçons et les emmenaient esclaves sur leurs vaisseaux. Toutes ces atrocités se commettaient impunément. Barberousse, en véritable maître, ne permettait pas qu'on sonnât les cloches dans les églises...» www.portcros-parcnational.fr/fr/des-connaissances/patrimoine-culturel/personnages-celebres/figures-historiques/khizir-khayr-ad-din

Le roi de France en remerciement fait de somptueux cadeaux à Barberousse : un buffet d'argent, un épée d'honneur en or et diamant, les cordons de tous les ordres dont disposait François 1er.

Siège de Nice en 1543 – Matrakci Nasu 16ème siècle-wikimedia.commons

Le dernier Barberousse meurt le 4 juillet 1546, à la veille de ses 80 ans, laissant avec son frère Aroudj, pour l’Histoire une légende de pirates de génie, fins stratèges militaires et politiques. Son tombeau est prêt, couronné d’une mosquée avec vue sur la mer. On raconte que son cadavre fut retrouvé plusieurs fois hors du tombeau. Pour le faire tenir tranquille, on eut recours à un sorcier grec qui préconisa de l’enterrer avec un chien noir. Ce qui fut fait et l’amiral Barberousse trouva enfin la paix. Il n’avait jamais caché son appartenance au monde des pirates même lorsqu’il travaillait pour les Grands de ce monde. Pirate il est né, pirate il est mort.. Son "héritage sur terre" va à Hassan un berger sarde qu'il a adopté, mais qui ne s'aventurera pas en mer. Avant sa mort il avait poussé son "héritier sur mer" Draghut, un Anatolien musulman en lui confiant une escadre de douze galères. Ce sera le commencement des Capicorsini, l’arrivée sur scène des pirates du Cap Corse. On retrouvera Draghut au côté de notre roi Henri II(fils de François 1er) lors de la tentative de conquête de la Corse en prenant Bonifacio.


Le marché aux esclaves d 'Alger - (Gravure de Jan en Casper Luyken)
Sources : L Durand Pirates et Barbaresque en Méditerranée édit Histoire du Sud Aubanel 1975 ISBN2-7006-0057-6 --- Charles Farine Deux Pirates au 16ème siècle 1869 Histoire des Barberousse édit Paul Ducrocq --- Wikipedia -- Alain Ruggiero (dir.), Nouvelle histoire de Nice, Toulouse, Privat, 2006, 383 p.—Braudel La Méditerranée et le Monde Méditerranéen –Nicolas  Histoire de la Marine --- Hubad Les Barbaresques  ---Olivier  Weber Le Barbaresque 2011édit Flammarion—musée national de la marine château de Brest bd de la Marine Brest 29200 --

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