mardi 12 mai 2020

La Camargue, une vieille Histoire




(la mer –digue des Saintes-Maries)

La Camargue, une bien vieille Histoire
S’il est un territoire qui est là pour nous apprendre que rien n’est statique en ce bas monde, c’est bien la Camargue. Rien n’est ici permanent, tout y est fluidité. La mer construit, détruit, c’est toujours elle qui mènera le jeu. Ce qui suit est le survol modeste d’une Histoire bien remplie. L’homme depuis un siècle essaie de dompter la bête, probablement en vain.
Il y a 45 millions d’années environ, les Pyrénées sont en train de se former : la chaine s’étire de Bayonne au massif des Maures et à l’Estérel. La Camargue n’existe pas encore. Des forces prodigieuses dues à la lente avancée de la plaque africaine vers nous amorcent la construction de notre monde : compressions, étirements, dépressions, affaissements….
Vers 35 millions d’années, un pan énorme des Pyrénées s’affaisse de Cerbère à Toulon. Il va de soi que tous ces lieux et villes n’existaient pas encore sous ces noms, nous les mentionnons pour que le lecteur s’y retrouve.  Ils servent en quelque sorte de GPS !
De cette dépression naîtra plus tard le golfe du Lion et la Camargue. Mais nous n’en sommes pas encore là !! 

Vers 25 millions d’années, la mer s’avance dans cette espèce de chenal sur ce qui a été une montagne maintenant engloutie. Un espace entre le vieux Massif Central à l’ouest et à l’est les Alpes en train de se former. C’est la mer dite « miocène », large de 50 km dans ses parties les plus étroites. Narbonne, Montpellier, Uzès sous l’eau, Valence, Lyon, St Claude, la Suisse, Annecy, Chambéry, Grenoble, Digne, Aix,.. Marseille est évité. Mer peu profonde qui nous laisse des coquillages et des dents de requin au Pont du Gard, ou sur les chemins de Vallabrix.
Notre voyage dans le temps se poursuit avec l’époque messinienne, vers 6 millions d’années. Des assèchements successifs de la mer dus probablement d’origine tectonique conduisent à une baisse du niveau marin de l’ordre de 1500 à 2500 mètres. La poussée de la plaque africaine aurait fermé progressivement le détroit de Gibraltar. Ce phénomène mettra probablement plusieurs millénaires pour obtenir ce résultat.



Le chenal de la mer miocène se vide et le Rhône ou le pré-Rhône en profite pour s’installer. Il traverse le plateau continental et à plus de 80 km au Sud des Saintes-Marie-de-la-Mer il entaille une énorme vallée pour aboutir à 2000-2400mètres de profondeur dans des plaines abyssales sur-salées, reliées entre elles par des chenaux pétrifiés de cristaux étincelants. On observe des dépôts massifs d’évaporites ou roches salines formant des plaines de sédimentation. Ces phénomènes sont visibles sur tout le pourtour méditerranéen.
 (Les Saintes-Maries dans l’église)

Vers 5 millions d’années, la mer revient à son niveau initial, remonte près près de Lyon : c’est la mer pliocène. Un chenal plus étroit, quelques kilomètres seulement. Mais entre Montpellier, Remoulins, Port-Saint-Louis, il se forme un triangle, colmaté par d’épaisses couches d’argiles ou de marnes.(voir Fournès par exemple).


Vers 2 millions d’années, la mer se retire peu à peu et ne reviendra plus dans ce chenal. Périodes de glaciations, de réchauffements. A cette aube du quaternaire, il fait très froid. Le volume des glaces augmente, le niveau des océans et des mers baissent. Dans les zones méditerranéennes, l’amplitude de niveau peut atteindre 100 à 120 mètres. Le plateau continental du Golfe du Lion est largement découvert. Le delta commence à se dessiner : à l’ouest le Rhône qui roule ses eaux dans la Vistrenque, entre garrigues de Nîmes et les hauteurs des Costières, et à l’est la Durance qui ne connait pas encore Cavaillon, mais qui oblique vers un passage étroit au niveau du village de Mallemort, à l’est des Alpilles, et débouche sur les plaines des Craus d’Arles et de Miramas, laissant au passage les fameux galets d’Hercule.
Vers 600 000 ans avant notre ère, la partie orientale de la Camargue s’enfonce par de légers mouvements verticaux d’un sol instable. Le Rhône va s’orienter vers Arles, plein sud. La Durance migre vers Salin-de-Giraud, Port St-Louis… Vers 10 000 ans avt notre ère, elle oublie de passer au pertuis de Lamanon, et rejoint Cavaillon, frôle Avignon et rencontre le Rhône au milieu d’une plaine.
Une dernière remontée de la mer vers 15 000ans avt notre ère, de 14 000 à 5200 environ elle remonte lentement, envahissant les régions basses. De 5200 à 4500 elle arrose La Grande Motte, effleure la Tour Carbonnière.



La Camargue à partir de là sera le jouet de la houle de la mer et du Rhône. Le delta sera ni fluvial comme celui du Mississipi, ni marée comme celui du Gange. Plus proche de celui du Nil. La houle par un mouvement de grande amplitude attaque la barre frontale de sédiments apportés par le fleuve, les disperse sur les côtés. Les étangs vont naître de cette lutte, le delta s’allongeant et piégeant des étendues marines.
La Grande Camargue à l’est va se former grâce au Rhône de St Ferréol : une avancée triangulaire dans la mer, un cours bifurquant du sud vers l’est puis à nouveau vers le sud, proche des Saintes-Maries.. Des cordons, des flèches sablonneuses alternant avec des étangs, d’abord étendues marines prises au piège par la croissance rapide du delta. A partir de Pioch Badet, deux routes actuelles s’appuient sur deux de ces cordons : l’un vers Cacharel l’autre vers les Saintes-Maries…


La Petite Camargue était un golf vers 4000 ans avt notre ère, d’Aigues-Mortes jusqu’au grau d’Orgon (embouchure du Petit Rhône actuel). Une très légère remontée de la mer et l’embouchure du Rhône de St Ferréol est emcombrée de sédiments, la partie pointue du delta est malmenée par la mer ajoutant un gros volume de sédiments qui vont se déposer à proximité de la rive droit du Petit Rhône actuel. Le Rhône déstabilisé nous fabrique le Rhône d’Albaron, le bras de Daladel éphémère qui deviendra le Rhône de Peccaïs. Là aussi de grandes étendues saumâtres se forment.
Vers 4000 -3800 ans environ avt notre ère, un troisième bras du Rhône de Saint-Ferréol se développe : celui d’Ulmet : il passe près de la Capelière, touche le Vaccarès près de la pointe de Fumemorte, pour se perdre après. Nous ne savons pas où il débouchait, tant son débit était lent : dans l’étang du Fournelet, la Gacholle, le Fangassier, la mer ?
Le Rhône, un fleuve en Camargue aux bras multiples : les crues, les remontées du niveau marin  le faisaient divaguer. Il semble que le Grand Rhône actuel a été formé autour du 6ème et 10ème siècle. Le Rhône du Grand Passon en est un exemple : il divague des marais de l’Escale, au Salin-de-Giraud, puis Faraman, Saint-Genest et la mer ; son embouchure était encore visible en 1607. On a parlé d’une dentelle aquatique, mélange de hauts fonds et de fines flèches de cordons de sable, d’étangs, travail continu de la terre fugace et de l’eau douce ou salée. Vers 1711 le Vieux Rhône quitte son lit.
Les hommes vont tenter d’habiter ce territoire pourtant inhospitalier. Donner une échelle de temps est difficile, les différentes transformations de la Camargue ont enterré les traces des toutes premières implantations. Nous tacherons d’y voir plus clair dans un autre chapitre.


(Carte des évolutions de la Camargue au 18ème siècle –scan book 14-5-2011 –JPS68 via photoshop)
Du 16è au 19ème siècle de nombreux savants vont essayer de comprendre ce delta. Son exploration n’était pas chose facile et les naturalistes méridionaux auront pendant longtemps un rôle plus descriptif et spéculatif que véritablement exploratoire. Les cartographes officiels renoncèrent même à cartographier ces rivages tellement difficiles d’abordages qu’ils se protégeaient contre d’éventuels ennemis. Hors crues et les passages de glaces  (retour des glaces fluviales en 1564-1565, général en Europe), deux moyens de pénétrer ce territoire : le pont de bateaux entre Arles et Trinquetaille et sur le Petit Rhône le bac d’Albaron (dit Le Baron). Les maladies des marais en rebutaient plus d’un. Mais le nord du delta était pourtant cultivé en de grands domaines. La basse Camargue était à demi-sauvage parcourue par des inondations fréquentes. La visiter demandait l’aide de guides locaux qui étaient tout aussi sauvage que ce territoire.
Quelques praticiens, arpenteurs ou cartographes sur place accumulèrent observations et matériaux pour comprendre les processus de formation de ce territoire. Sollicités d’abord pour les procès et chicaneries dus aux déplacements des limites de propriétés occasionnés par les crues et inondations, ils vont prospérer dès le 14ème siècle comme Bertrand Boysset arpenteur et mémorialiste arlésien célèbre.
Les premiers ingénieurs du roi comme Vauban au 17è-18ème siècle vont s’y intéresser lorsque le problème des embouchures devient crucial pour la protection de l’habitat et le commerce ou pour l’approvisionnement des arsenaux de Toulon et Marseille.
On se doit ici de mentionner les travaux de Charles Virgile de la Bastide de Beaucaire qui le premier a formulé l’hypothèse d’un ancien golfe antérieur à la construction du delta.(1731 et 1750 « Observations physiques sur les terres qui sont à la droite et à la gauche du Rhône depuis Beaucaire jusqu’à la mer ». Il affirme : « on croit pouvoir avance que la mer a été autrefois jusqu’à Beaucaire…. »


Les premières cartes de la Camargue : la carte des ingénieurs militaires piémontais de 1591-92 presque complète – la carte de Pierre-Jean Bompar de 1591, gravée – la carte des côtes provençales de 1635 des cartographes de Richelieu dont l’arlésien Flour…..
Après la Révolution de 1789, les hommes vont tenter de mettre en valeur ce territoire. On se souvient de la grande catastrophe de 1755 pendant laquelle troupeaux, habitants, maisons, chaussées sont noyés, disparus…
Le retour des crues catastrophiques de 1840-1842 et de 1856 amène une réflexion plus large qui lia les événements deltaïques à l’état des bassins fluviaux : Alexandre Surell  travailla sur l’influence du Rhône et des torrents alpins. On voit bien maintenant les fleuves en crue qui sont dans l’incapacité de se vider dans la mer lorsque celle-ci est démontée par vent du sud.




(salins et Aigues-Mortes)
Au 19ème siècle le gouvernement dissout les associations de défense de la Camargue et ordonne la formation d’un syndicat général qui aura une vue et une doctrine d’ensemble. Il faut se protéger des crues du Rhône. En 1858 on décide la construction de digues : 56km de long sur le Petit Rhône et 40 km sur le Grand Rhône. On surélève la chaussée le long du fleuve. Ouvrage terminé en 1869. La « Digue de la Mer » entre le village des Saintes-Maries et Salin-de-Giraud est réalisée, de 1857 à 1859 ; elle est équipée de vannes permettant l’évacuation de l’eau des étangs inférieurs et empêchant la mer d’y pénétrer. Mais le Rhône n’est plus là pour inonder ces terres d’eau douce. Le sel est en train de transformer les sols en désert. Alors à côté de l’agriculture, vont se développer l’art des saliniers, et une nouvelle économie…
Actuellement les hommes ont essayé de domestiquer le Rhône plus en amont ; les barrages, les digues calment son débit. Mais il n’apporte plus autant de sédiments pour consolider le littoral. Et la mer en profite pour grignoter les terres, saler les marais, s’infiltrant ici et là….
La Camargue vaste sujet de réflexions ….




(Salins d’Aigues-Mortes)


Sources : Clément Martin L’Ile de Camargue presse du Languedoc Max Chaleil 1989—photos personnelles --- Cartes de Clément Martin sauf indications contraires ---Georges Pichard La découverte géologique de la Camargue du 16è au début du 19è siècle Comité Français d’Histoire de la Géologie 14 décembre 2005 ---www.annales.org/archives/cofrhigeo/camargue.html-gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33256185.texteImage







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