Lac Léman photo
collection privée 2013
Genève Cité du
Refuge
Il y a quelques années
paraissait un livre de Jacques Attali « L’Homme Nomade ». Pour cet auteur,
l’Homme est un nomade qui pose un temps ses valises, toujours appelé vers un
ailleurs. C’est le nomade qui a inventé ou transporté les éléments de toutes
les civilisations, le feu, les langues, les religions, l’agriculture, l’élevage
etc…. Le nomade a été source d’innovation, de création. A ne pas confondre
(quoi que !!) avec les invasions, les guerres de possession, les guerres
de pouvoirs d’un peuple sur un autre. Nous avions un voisin anglais, dont les
ancêtres avaient été languedociens sous notre roi François 1er,
alsaciens sous Henri II son fils, puis hollandais et enfin anglais et
australiens au 19ème siècle. Ils étaient arrivés sur notre sol avec
les Guido (Gide) et d’autres Italiens au 15ème-16ème
siècle. Ainsi va l’Histoire qui n’est pas « un long fleuve
tranquille ». Certains migrants vont se fondre dans la société dès la
seconde génération, pour d’autres c’est plus long.

Nous allons ici plus simplement
voir l’exemple d’une famille languedocienne quand religion et politique ne font
plus bon ménage dans un pays.
Tour du
Molard-ou des Huguenots-Genève-Cité de refuge--
Lors de nos guerres de
religions du 16ème-17ème-siècles la Suisse a accueilli un
grand nombre de nos migrants français qui sont restés un temps sur son sol,
pour ensuite rejoindre l’Allemagne, la Hollande, l’Angleterre, parfois plus
loin, la Russie, l’Iran, l’Inde….. Certaines de ces familles sont devenues
suisses, influençant peut-être les « révolutions » genevoises du 18ème
siècle ! Un exemple : notre révolutionnaire Jean-Paul Marat est né en
Suisse à Boudry principauté de Neuchâtel, issu d’une famille calviniste, père
capucin défroqué originaire de Sardaigne, et mère genevoise originaire de notre
Rouergue !!
Boudry
maison natale de Marat-Roland Zumbühl (Picswiss),
Arlesheim (Commons:Picswiss
project)- 14 avril 2006
Dernièrement dans les
archives du Journal de Genève j’ai vu plusieurs articles dont un de 1960 qui
parlaient d’une famille languedocienne les Airebaudouze migrant en Suisse au 16ème
siècle et qui s’est intégrée à la société genevoise.
Nous
retrouvons cette famille dans les archives notariales du Languedoc du côté de
Sauve, Anduze, Calvisson, Nîmes dès le 14ème siècle. Ce sont des
marchands bien installés, dans la société et le commerce de mules, de bœufs, de
moutons. Puis après des mariages avec des « cuirassiers »,
c’est-à-dire des artisans travaillant le cuir, ils deviennent aussi
« chaussatiers », fabricants de bottes, souliers, gants, fournitures en cuir. A cette époque une bonne
partie des équipements des soldats sont en cuir, ainsi que les meubles. Peu à
peu comme beaucoup de familles d’artisans, ils s’embourgeoisent et comptent
dans la communauté ; ils sont témoins aux mariages, aux contrats. Ils
seront alliés par mariages entre autres familles avec les de Bargeton, les
seigneurs de Vallabrix. ( Louis, l'aîné, fils de Pierre de Bargeton et
petit-fils de Mathieu(1555ou1558-1612) épouse par contrat (notaire Jean de
Soustelle Anduze 2-E-10/268) Elisabeth Folquier d’Airebaudouze le 31 juillet
1589 à Anduze, fille de François d’Airebaudouze, baron d’Anduze et seigneur de
Fressac et Lezon, Président de la Cour des Aides de Montpellier depuis 1555,
mort en 1576 (ou avant 1589), et de Catherine d’Airebaudouze (Catherine du Mois
ou Dumoys), dame d’Airan (Site près de St Quentin la Poterie avec une fontaine
célèbre). Le frère de la mariée,
François, l'assiste, il est baron d'Anduze. La dot est de 1000 écus. Louis est
qualifié d’écuyer, seigneur d’Aureilhac. )
Il semble que
l’anoblissement se fera vers 1480 avec noble Guillaume d’Airebaudouze. En
1534-39 Jean et Nicolas seigneur de Cest et de Clairan, font leur présentation
à l’arrière-ban et fournissent le dénombrement de leurs seigneuries. Ils
accèdent aux métiers « de robes », conseillers à la cour des Aides, par
exemple. Cette famille évolue conformément au fil de l’histoire, très
représentative de l’époque.
Ils seront comtes
d’Anduze puis marquis en 1645. Le domaine d’Anduze entre dans la famille en
1539 pour partie, acheté à l’évêque du Puy, et en 1547 en totalité. Ils sortent
du mas de Cabrières près de St Nazaire des Gardies où on les trouve dès le
début du 14ème siècle. Leur fortune est considérable à cette époque
: en 1504 l 'ancêtre
Marc d'Airebaudouze, marchand chaussatier d’Anduze, fait des dons pieux d'un
montant de 11 000
livres , 1000 livres aux pauvres, autant aux lépreux
etc... Ses héritiers sont ses deux neveux Jean-Folquier et Nicolas Guy, à
charge pour eux de porter son nom Airebaudouze, de vivre avec lui et de
continuer leur négoce. A ce moment ils sont alliés par mariage aux Brueys, de
la Fare, Massane....
D'après un acte notarial
du 4 mars 1529 chez le notaire d'Alès Pierre Pelet, (2-E-11/361), licence est accordée à nobles Jean-Folquier et
Nicolas-Guy »dit » d'Airebaudouze seigneur de Cleyran cousins, de
"tenir en leur mas de Cabrières assis paroisse de St Nazaire des Gardies
tours, barbacannes ou marchicol, creneauls, arquières, bonbardières tant dedans
que dehors et aultrs forteresses necesseaires que faire ce pourra pour la
conservation et défense dudit mas et devant la porte principale d'iceluy mas
faire et tenir une place à mode de boloart marlatere et aultrement iceluy mas
stenir et reduire en forteresse à leur volonte"..."fait sur le chemin
du château d'Aigremont à l'église dudit lieu". Jean et Nicolas ici sont
cousins mais plusieurs chroniques les font frères à tort si l’on en croit
les actes des notaires. Par ce texte un des attributs seigneuriaux
leur est accordé : le château ou mas fortifié. Nous sommes dans
une société où les symboles doivent être forts pour affirmer un statut social.
D’ailleurs rapidement après cet acte, en juillet 1530, Nicolas Guy
d’Airebaudouze seigneur de Clayran est interpellé par les habitants de
Soudorgues, leur cloche de l’église est ruinée et la « verryne »
(fenêtre ou vitrail) est trop petite. Il leur doit réparations comme tout
seigneur en son domaine. (notaire
Pellet2-E-11/361).
Jean Folquier
d’Airebaudouze, seigneur de Cest, décède après avril 1553, il était l’époux de
Catherine du Ranc de Vibrac (mariage1506), d’où une inflation de Catherine dans
la famille sur plusieurs générations. Jean Folquier d’Airebaudouze (1480-1553)
était trésorier du roi, receveur des décimes pour les diocèses de Nîmes et
Uzès. Il a plusieurs enfants dont Pierre et Guillaume. Dans la famille nous
aurons des présidents en la Cour Souveraine des aides de Montpellier, des
gentilshommes ordinaires de la chambre du roi, des « mestre de camp »…...
Une famille bien installée dans la société !
Mais notre pays est
déchiré par les querelles religieuses. La famille s’engage politiquement et
militairement pour le parti de la Réforme Protestante.
Des mariages, des enfants
se feront entre Suisse et France. Les kilomètres ne semblent plus compter. On
nait à Genève, on se marie à Nîmes, pour finir par mourir du côté du lac Léman.
(ou dans un autre ordre !).
Guy d’Airebaudouze
président de la Chambre des Comptes de Montpellier, est condamné à mort par
contumace en mars 1569, pour avoir participé avec d’autres religionnaires à la
destruction du fort St Pierre, ancien monastère de St Germain près de
Montpellier. Le seigneur d’Acier, baron de Crussol était de la partie, ainsi
qu’une bonne partie de la petite noblesse du Languedoc.
-- Pierre, le fils de Jean
Folquier d’Airebaudouze, est d’abord
prieur (de1520à1545) de Saint Martin de la Rouvière, de Saint Martin de
Martignaques, de Saint-Martin de Montaigu, archidiacre de Nîmes et d’Uzès. Mais
il se convertit au protestantisme en 1552-53 environ et quitte la France
(d’après le testament de son père). Il épouse Françoise de Montcalm Gozon à
Genève le 15 janvier 1553 (contrat de mariage). Trois filles naitront de cette
union : Elisabeth née à Genève épouse de Guillaume de Freton écuyer de
Calvisson (Gard) en 1584, Magdeleine (née et décédée en 1637 à Nîmes) épouse de
Pons de Raymond de Brignon (mariage protestant) et Anne épouse Barthélemy
Fauquier, filles qui construiront une partie de leurs vies en France. Nous
retrouvons un William, un Nicholas, un Henry de Freton en 1626 en Angleterre
dans le Norfolk, le Suffolk. Elisabeth aura un fils Louis capitaine d’une
compagnie au régiment de Mr de
Chastillon en Hollande (mariage
le 9 juin 1614 avec Madeleine de Montcalm et décès le 20/8/1625-une fille
Madeleine à Haag en
Hollande en 1621).
Pierre est reçu habitant
de Genève le 2 janvier, puis Bourgeois de la ville le 9 mai 1555. Il devient
très vite une personne politique qui compte.
Il étudie la théologie
avec peut-être Calvin, tout au moins avec des pasteurs célèbres de cette
sensibilité religieuse.
Il devient pasteur de
Jussy en 1555, puis à Genève en 1560. Retour en France et il est président des
synodes des églises du Dauphiné, Lyonnais et Bourgogne. 1561 Lyon, 1562
Montpellier, 1564 Nîmes.. Il est très recherché comme le plus éloquent, le plus
«emporté» de tous les ministres (pasteurs) de Calvin. Lyon, Nîmes, Montpellier
se l’arrachent. De trêves en guérilla nous sommes toujours
en guerre civile pseudo-religieuse.
A Nîmes la roue
tourne : Pierre fait partie des 104 huguenots condamnés à mort par
contumace après les massacres de la Michelade de 1567. Retour en Suisse. C’est probablement à Genève
qu’il décède avant 1571.
Mais tout n’est pas
simple pour les réfugiés en Suisse. L’année 1555 est décisive pour la jeune
République de Genève. Le Petit-Conseil est aux mains des partisans de Calvin.
La Bourgeoisie est octroyée à un grand nombre (trop ??) de réfugiés
français malgré l’opposition des « Enfants de Genève » et son chef de
file Perrin. Le 16 mai 1556 après une mini-révolte, Perrin et ses amis sont
accusés de vouloir renverser la discipline ecclésiastique et « la Sainte
Réformation ». Les meneurs sont arrêtés, jugés, emprisonnés ou en fuite.
Genève retrouve son calme et devient vraiment la cité de Calvin.
La veuve de Pierre
d’Airebaudouze, dit d’Anduze, Françoise de Montcalm par testament en août 1574
donne les livres en latin de son mari et 5 livres à son neveu Pierre d’Airebaudouze,
seigneur de Cest et fils de Guillaume. Le titre a changé de tête.(adg not J Ursi 1574). Elle avait un fils
Jean de Pavé d’un premier mariage, lui aussi à Genève en 1565 (adge745Jacques Ursi)
--- Le frère de Pierre,
Guillaume lui aussi chanoine de Nîmes, le rejoint en Suisse et est reçu
Bourgeois de Genève en 1556.
Une de leurs sœurs Jeanne
s’était mariée en avril 1541 à Genève avec Pierre Huguenot de Born seigneur
d’Auriac et de Fraissinet de la Combe. Lui aura moins de chance : il est
condamné et décapité avec le procureur du roi à Toulouse en 1570 pour avoir
fait « fondre les reliques et tomber les cloches », peut-être grâce à
des faux témoignages ?(BNF Gallica Société des
lettres,Sciences et arts du Département de la Lozère 1887) . Les temps étaient rudes.
Jeanne a quitté ce monde
probablement avant 1557 après avoir eu cinq enfants. Pierre de Born était né à
Marvejols en Lozère et avait été nommé gouverneur pour le roi de cette ville.
(Tour du Molard -Genève)
Guillaume épouse à Genève Madeleine de Burines de
Tournay et leur descendance s’installe en Suisse. Dont Pierre le neveu du
testament de Françoise de Montcalm-Gozon. Un autre fils, Jacques membre du
Conseil des Deux-Cents et marié en avril 1621 avec Marie Saladin, d’où Jeanne entre autres enfants, mariée le 17 janvier 1639
(1638/9 julien) (27 janvier 1639) (jeudi), Temple du Petit-Sacconex,
Petit-Saconnex, Genève, avec Daniel de la Rive secrétaire d'État de Genève 1609-1647, issu d’une vieille
famille genevoise. (Le père de Madeleine
de Burines était procureur du roi
en la sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes, assassiné à Nîmes en 1544).
Guillaume entre au
Conseil des Deux-Cents de Genève en 1566. Il décède avant 1581.
Son fils Pierre sera un
juriste docteur en droit et humaniste célèbre. Il est baptisé au Temple de la
Madeleine à Genève en 1557 et décède dans cette ville en 1627. Une ascension
sociale et politique rapide, due au mérite et au travail. Avocat, élu aux Deux-Cents
en 1590, puis aux Soixante en 1599, membre du Petit-Conseil en 1610. Procureur
général en 1605, puis procureur de l’Hôpital de 1610 à sa mort. En 1598-99 il
est auditeur c’est-à-dire assistant du lieutenant en la justice ordinaire. Les
édits de 1568 nous disent qu’on nommait à ce poste « des gens de bonne
conscience, aimant équité et droiture, et de bonne prudence pour justement
juger… ». Pierre était très apprécié et avait gagné la confiance des
Genevois.
Il siège au Consistoire
comme ancien de 1603 à 1627 et à la Chambre de la Santé de 1615 à 1617 pendant
une épidémie de peste. A partir de 1620 il commande la Compagnie de St Gervais.
Il nous laisse des recueils de textes juridiques, mais aussi des publications
de poètes latins, un précis de géographie en latin….. Il occupe une place plus
qu’honorable chez les romanistes du 16ème siècle. Il signait ses
ouvrages soit en français du nom « du Cest », nom de la famille, soit
en latin « Petrus ad Area Baudosa Crestius ».
Pierre ne coupe pas les
ponts avec la patrie de ses ancêtres : il prête de l’argent ou sert de
caution à des écoliers en théologie de Nîmes, Alais, Anduze.. « Pierre d’Airebaudouze sieur du Cest,
fugitif et habitant Genève en 1598 fait quittance de 50 écus-soleil à Jean de
Falguerole pasteur de Nîmes par lettre de change pour Paul de Falgueroles
escolier estudient à Genève son fils. » (adg relevé Bondurand 1900 Ser Enot p315). En 1625 c’est une
quittance de 200 florins faite par un bourgeois de Genève Moïse Boissin, avocat
de Pierre d’Airebaudouze habitant Genève. (adg
relevé Bondurand E673 Ch Guirand Nîmes).
Il avait épousé Judith
Galline à Genève en mars 1613. A son décès il laisse l’usufruit de sa maison à
sa veuve. Au décès de celle-ci, la propriété de ses biens ira à son plus proche
parent qui viendra s’installer à Genève et y professera la religion
protestante. Marc de Loriol en 1654 après de nombreuses délibérations et
tractations put faire valoir ses droits qu’il détenait de sa grand-mère Madeleine
Folquier d’Airebaudouze et de sa mère Louise de Brignon veuve de Jean de
Loriol. Plusieurs Loriol s’installeront temporairement dans cette maison au
cours du 17ème siècle. On les retrouve toujours en Suisse, Lausanne,
dans le canton de Vaud… Madeleine Folquier d’Airebaudouze était la fille de
Pierre et Françoise de Montcalm, vue plus haut.
Les départs de réfugiés
vers la Suisse vont continuer et s’amplifier à partir de 1680. Pour les
protestants ou les nouveaux convertis il est de plus en plus difficile de vivre
sa religion dans notre beau pays.
Au moment de la
Révocation de l’Edit de Nantes de 1685, de 1684 à 1687 plus de 30 000
français passent par Genève qui ne compte que 16 000 habitants. Les passeurs
font fortune. Des bureaux d’adresse clandestins voient le jour, fournissant
guide, papiers. En 1687, on compte environ 350 personnes arrivant chaque jour à
Genève. Les ambassades de Prusse et de Hollande apportent leur aide pour les
transferts d’argent des plus fortunés. Une bonne partie de la Prusse, exsangue
après la Guerre de 30 ans, sera
repeuplée par les fugitifs de Louis XIV. (la guerre de Trente ans a fait au
moins cinq millions de victimes civiles et militaires pour une population
totale de quinze à vingt millions d'habitants dans le Saint Empire romain
germanique.).
Un colon de Magdebourg
écrit : «le pays est beau, les vivres bon marché et on s’habitue à la
bière». Il lui manque malgré tout l’ombre des figuiers.
Mur des Réformateurs
-1909-1917- Alphonse Laverrière-Jean Taillens-Sculpteurs Henri Bouchard, Paul
Landowski—Bien Culturel Suisse d’Importance nationale