mardi 4 août 2020

La Révolte des Femmes






La révolte des Femmes :

Depuis la nuit des temps, hommes et femmes s’affrontent dans un jeu de domination dangereux : qui aura le pouvoir sur l’autre, qui sera plus fort, plus intelligent, plus faible, plus apte à gouverner une maison, un village, un état….
La plupart du temps les femmes en paient le prix. Et cela est universel, quels que soient le pays, la culture, la religion, la période comme un péché qui leur colle aux talons. Parfois, les hommes permettent aux femmes de prendre les rênes de l’usine, de la ferme, pendant une guerre, une crise. Mais elles doivent vite retourner aux fourneaux.
Mais les temps changent petitement au moins dans certains pays. J’ai vu s’installer des femmes magistrats, médecins, chercheurs, et d’autres travaillant simplement dans tous les rouages de l’économie, trop souvent encore dans des métiers sous-payés. Notre image de soi-disante faiblesse nous cantonne dans des métiers d’infirmières, de caissières, de secrétaires… Et toujours cette violence faite aux femmes…

« Je ne plains pas les garçons, disait Luther : un garçon vit partout, pourvu qu’il sache travailler ; mais le pauvre petit peuple des filles doit chercher sa vie avec un bâton blanc à la main. » (Mémoires de Luther) (bâton blanc, en signe de dépendance, ou de défaite).

Des femmes ont montré le bon exemple en Occitanie, Ermessende de Carcassonne (975-1058), comtesse de Barcelone et de Gérone, dont le sceau était en deux langues : arabe et latin, Almodis de la Marche (1020-1071), Ermengarde vicomtesse de Narbonne qui participe à de nombreuses opérations militaires contre les arabes en 1148….dont la prise de Tortosa. Elles ont été chantées par les troubadours. 

Voici le récit de la Guerre de la Dille tiré d’un texte non-signé paru dans « Nîmes, Uzès, le Gard «  de 1980 :
Nous sommes en 1212 dans le Gard. Les femmes se révoltent pour obtenir qu’on respecte leurs droits. A Nîmes, Alès, dans les petits bourgs, partout elles délaissent leurs maisons, et parcourent les rues en criant et en injuriant les hommes. « Adobez sor dille ! » que l’on peut traduire à peu près par « rendez-nous notre place » !! 
Les femmes refusaient le sort que les hommes leur faisaient. Depuis quelques temps, les hommes prenaient en main leur ville et village par le biais des consulats. Epoque difficile dans notre Languedoc avec la croisade contre les Albigeois, les Comtes de Toulouse sur le déclin, l’Aragonais qui espérait prendre pied chez nous…. Mais c’est aussi et encore la période des troubadours, des chansons-poèmes, des légendes contées, de l’amour courtois…. Avec les "chansons de geste", c'est une forme de laïcité qui entre en littérature. On y célèbre une identité culturelle, les valeurs de la chevalerie héroïque et aventureuse, plus nationale que religieuse, ce qui est dans le vent de l'Histoire mais pas dans les principes de la culture monastique.... Un monde qui souhaite changer ? 

« Elles s’attroupaient devant la maison des Consuls, bousculant les hallebardiers et interpellant les édiles…. Comme toujours on eut les femmes à l’usure. Les Consuls firent des discours et des promesses qu’ils ne tinrent pas. Quelques maris rossèrent leur bien-aimée, d’autres les attendrirent et tout rentra dans le calme. Alors vint le temps de la vengeance ».
Une femme trouvère Eve de Brétharme née à Uzès en 1190 en fera les frais. C’est une « trobaïritz » célèbre, chantante et véhémente, s’accompagnant d’une petite derkouba arabe. Dans ses nombreux sirventès elle raillait, critiquait toutes les autorités avec virulence. Elle s’était fait connaitre aussi par une émouvante chanson de geste sur la Croisade des Albigeois. Elle portait des vêtements masculins ce qui la rendait très particulière, même suspecte aux yeux des autorités. Elle était féministe avant l’heure. Elle clamait ses poèmes dans les rues et les places d’Uzès, perchée sur les murets, haranguant les passants.
« Raymond III ou Raymond IV, évêque d’Uzès, la fit arrêter et la Temporalité, la justice du diocèse, décida le procès d’Eve. On l’accusait de sorcellerie, de pacte avec le Malin, seule une sorcière pouvait troubler ainsi toutes les femmes de la province. Mais dans sa prison, Eve de Brétharme déchira ses vêtements pour en tresser une corde. Etant très mince, elle se glissa entre les barreaux de sa geôle et utilisa sa corde pour descendre jusqu’au sol.
Les passants attardés virent une femme entièrement nue courir par les venelles d’Uzès. Elle se réfugia chez son amie Symone qui avait pour amant un sergent de la Prévôté de l’Evêque. Les deux femmes lui volèrent des vêtements et son cheval pour fuir Uzès au grand galop. On ignore ce qu’il advint de cette championne du féminisme. »

Nous lui espérons une longue vie, pleine de poésies. Les femmes trouvères sont peu nombreuses ou tout au moins ont laissé peu de traces. On dénombre une quarantaine de troubadours masculins languedociens sur au moins les 500 que comptait notre pays. Les trobairitz, troubadours-femmes, sont des poétesses et compositrices en langue occitane. An Nord, en langue d’oil on les appelle « trouveresse ». Le roman « Flamenca » du 13ème siècle les mentionne pour la première fois. Elles font partie de la société courtoise, souvent dotées d’une bonne instruction littéraire, parfois de naissance noble. Elles composent aussi bien de la musique sacrée que profane. Elles représentent le dessus du panier des artistes à différencier des jongleuses de condition 

plus ordinaire, proches des saltimbanques.
Deux ont particulièrement laissé une trace Marie de Ventadou et Beatritz de Dia. Sans oublier Clara d’Auduzan Gormonda de Monpeslier, Garsende de Sabran, Guillelma de Rosers, Na de Casteldoza, Iseut de Capio  
Et Azalaïse de Porcairagues près de Montpellier célèbre pour sa voix, sa beauté et son art, amoureuse de Gui Guerrejat, le frère de Guillaume de Montpellier.
(La trobairitz Azalaïs de Porcairagues, d'après un chansonnier provençal du XIIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, Paris, ms. français 12473, fol. 125v). wikipedia.org)
Azalaïse de Porcairagues :
"Nous voici maintenant arrivés, au temps froid, avec les gelées, la neige et la boue; et l'oiselet reste muet, car aucun ne s'avise de chanter ; et les rameaux sont secs dans les bois ; car ni feuilles ni fleurs n'y naissent ; 
nul rossignol n'y chante, lui qui, chaque année, au mois de Mai nous réveille.
  J'ai le coeur tellement déçu que je suis indifférente à tout  et je sais que j'ai perdu beaucoup plus que je n'ai gagné ; 
mais si les expression me font défaut,  c'est que d'Orange me vient le trouble ; voilà pourquoi j'en reste comme étourdie et j'en perds en partie le soulas,
 
Une dame place très mal son amour, qui l'adresse à un homme trop puissant,  plus élevé que vavasseur ; 
et celle qui le fait est insensée. Car Ovide le dit : qu'amour et puissance ne vont point ensemble ;
et dame qui est distinguée [par un grand,] je la tiens pour outragée.
 
J'ai un ami d'une grande vaillance,  qui les surpasse tous ;  et celui-là n'a pas le coeur perfide à mon égard ;
car il m'accorde son amour.  J'avoue que le mien lui appartient;  et, qu'à celui qui dirait le contraire Dieu fasse un mauvais destin, 
car moi je m'en tiens pour bien assurée.
 
Bel ami, de bon gré je me suis engagée pour toujours à vous, qui êtes courtois et de belles manières ; seulement ne me
demandez rien de mauvais.  Bientôt nous en viendrons à l'épreuve, et je me mettrai à votre merci;
mais vous m'avez fait la promesse que vous ne me demanderiez pas de faillir.
 
A Dieu je recommande Beau-Regard et, de plus, la ville d'Orange, et Gloriette, et le Caylar,
et le seigneur de Provence et tous ceux qui, là-bas, me veulent du bien. 
Mais c'est là que j'essayai [d'aimer] et que je perdis celui qui a ma vie, et je ne m'en consolerai jamais.
 
Jongleur au coeur joyeux,  là-bas vers Narbonne portez ma chanson, avec sa dédicace, — à celle que guident joie et jeunesse."
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Clara d’Anduze
« En grave émoi et grave inquiétude ils ont mis mon cœur et aussi en grande détresse les médisants et les espions menteurs qui rabaissent joie et jeunesse car pour vous que j'aime plus que tout au monde ils vous ont fait partir et vous éloigner de moi à tel point que si je ne puis vous voir ni vous regarder j'en meurs de douleur, de colère et de rancœur.  
Ceux qui me blâment de mon amour pour vous ou veulent me l'interdire ne peuvent en rien rendre mon cœur meilleur ni faire croître encore mon doux désir de vous non plus que mon envie, mes désirs, mon attente et il n'y a pas un homme, fût il mon ennemi que je ne tienne en estime si je l'entends dire du bien de vous, mais s'il dit du mal, tout ce qu'il peut dire ou faire ne me sera jamais plaisir.
 N'ayez pas de crainte, bel ami qu'envers vous je n'aie jamais le cœur trompeur ni ne vous délaisse pour quelque autre amoureux, même si cent dames m'en priaient, car mon amour pour vous me tient en sa possession, et veut que je vous consacre et vous garde mon cœur ainsi je ferai, et si je le pouvais être mon cœur, tel l'a qui jamais ne l'aurait.
Ami, j'éprouve tant de colère et de désespoir de ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, je me plains et je soupire parce que je ne puis faire avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir. » 


Sources : Monique Demerson Républicain d’Uzès et du Gard n)3676 8/14 mars 2018—wikipedia.org -- www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1979_num_22_87_2112
« Trobairitz » et chansons de femme. Contribution à la connaissance du lyrisme féminin au moyen âge Pierre Bec  Persée cahiers de civilisation médiévale 1979 23-87 p235—www franceinter.fr/culture/l-unique-chant-de-la-femme-troubadour Nadja Viet 13-10-2016-- 
https://www.moyenagepassion.com/index.php/2016/07/26/un-peu-dhistoire-sur-la-langue-des-troubadours-et-le-provencal-ou-langue-doc/
-- Pierre Bec, Chants d'amour des femmes-troubadours: trobairitz et chansons de femme, Paris, Stock, 1995 (ISBN 2-234-04476-6)---www. histoireparlesfemmes.com/2018/09/06/azalais-de-porcairagues-la-troubadouresse/
--- Jean-Claude Vadet. L'Esprit courtois en Orient dans les cinq premiers siècles de  l'Hégire.  Editions G.P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1968.--- chtioccitan.jimdofree.com/2020/02/08/les-trobairitz-clara-d-anduze-et-azalaïs-de-porcairargues/CALIS Maxime - Guide-conférencier - 12 Février 2020 --  Lorant Deutsch Romanesque la Folle Aventure de la Langue Française p192-196--








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