lundi 24 juin 2024

Le Dernier Duel

 

Le dernier duel – Univers-jdr

Le Dernier Duel

Le duel, à l’origine pratique aristocratique pour régler des conflits, renforcer ou dissiper la renommée des duellistes. Exposer sa vie pour son honneur et ses convictions pour mettre en scène son courage, son intégrité devant l’opinion…. Cette pratique existe ou a existé dans tous les pays, à toutes les époques, jugement de Dieu ou de la chance, de l’expérience ? Mais se venger d’une offense, n’est-ce pas se mettre au niveau de son ennemi, et passer outre c’est se placer au-dessus de lui ?

Entre 1550 et 1650 les duels font une hécatombe dans notre pays. On estime entre 8000 gentilshommes tués en duel entre 1598 et 1608. Dangereux, d’une fréquence excessive, ils sont un sujet majeur du règne de Louis XIII et de Richelieu. Il s’agit de sauver la noblesse malgré elle !! Déjà en 1566 sous Charles IX ces rencontres sont interdites. En vain. Et l’édit de Fontainebleau de 1609 qui annule cette interdiction !! La vie de nos gentilshommes ne doit être qu’au seul service du roi !!. En 1576 par l’ordonnance de Blois, les duellistes sont déclarés coupables de lèse-majesté en usurpant le droit de justice dévolu par Dieu au roi. Mais le fond du problème ce n’est pas la vie des duellistes qui est en jeu mais leur honneur !

A partir de 1623, une ordonnance de Lois XIII punit de mort tous les coupables de duel. Mais trop rigoureuse, elle est inapplicable. L’édit de 1626 va moduler la peine selon les circonstances. Montmorency-Boutteville en fera les frais : un duel en plein jour le 12 mai 1627, et sa condamnation et exécution le 22 juin ! Le message passe, plus ou moins. Corneille en 1637 met en avant l’honneur et le duel avec un formidable succès de sa pièce Le Cid. En 1638 à l’occasion de son fils Louis Dieudonné, le roi  accorde quelques abolitions….et en 1642 à sa mort, le duel est à nouveau à la mode…..

Parfois l’honneur était à géométrie variable, plus meurtre que duel. Certains « duellistes » se servaient de ce rituel pour masquer leurs massacres. Le chevalier d’Andrieux par exemple aurait tué 72 hommes avant d’être jugé puis exécuté.

En 1613 le chevalier de Guise aperçoit le long de la rue Saint-Honoré à Paris, le baron de Luz, qui avait calomnié son père. Il dégaine son épée et appela le baron à faire de même. Le baron était un vieil homme incapable de se défendre contre un impétueux jeune homme qui le tua d’un seul coup. Mais les choses ne s’arrêteront pas là. Après avoir enterré son père, le nouveau baron de Luz envoya son écuyer chez Guise avec une lettre pour défier l’assassin de son père  : « Monsieur, je vous prie de me faire l’honneur de votre présence avec votre épée en main, pour que justice soit rendue à mon père. Ce jeune homme [l’écuyer] vous emmènera à l’endroit où je vous attendrai avec un cheval et deux épées. Vous pourrez choisir celle que vous préférez. »…Et le chevalier de


Guise après avoir tué le père, tua le fils….

 

(PHOTOGRAPHIE DE ERICH LESSINGALBUM-Descartes

Parfois, romantisme, dignité, esprit chevalesque sont de la partie. Descartes le grand philosophe, maîtrisait parfaitement l’art de l’escrime. Un jour, alors qu’il était en compagnie d’une dame qu’il courtisait, il est attaqué par un rival. Descartes le désarme puis lui rend son épée en lui disant : « Vous devez votre vie à cette femme pour qui je viens de risquer la mienne. »

 



La Révolution de 1789 aurait dû mettre fin à cette tradition. Plusieurs cahiers de doléances réclamaient d’ailleurs cette interdiction. Mais les roturiers voient dans le duel une manière de se montrer égaux des ci-devant aristocrates !! En 1790, Barnave et le capitaine de Cazalès s’affrontent et ce dernier est tué d’une balle au front. Et tout au long du 19ème siècle, des duels vont tuer des orateurs, des polémistes, des hommes politiques. Lamartine dira : « il faut plus de courage pour refuser un duel que pour en accepter dix » ! En 1834, le député avocat brillant Dulong sera tué à 42 ans par le général Bugeaud pour une phrase lancée dans un débat sur l’Algérie. L’affaire Dreyfus occasionne pas moins de 40 duels politiques. Car le monde politique montre le mauvais exemple : ministres, maires, nationalistes, antiparlementaristes….pour un oui, pour un non, pour exister, pour s’affirmer ?


(Le colonel Picquart partisan de l’innocence de Dreyfus contre le commandant Henry antidreyfusard--le Petit Journal)

Après 1919 et l’hécatombe de la Grande Guerre,  le duel tombe en désuétude jusqu’à devenir anachronique dans les années 1950. En 1947, un duel déjà entre Gaston Defferre et Paul Bastid au pistolet. En 1949, Roger Nordmann et l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour pour une accusation de dénonciation de résistants pendant la guerre…Serge Lifar chorégraphe d’opéra, et le marquis de Cuevas en mars 1958…le premier 53 ans et le second 72 ans avec pour témoin un certain Jean-Marie Le Pen.

Le 21 avril 1967 dans un jardin ombragé d’un hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, deux hommes croisent le fer. Quatre minutes plus tard, le combat s’arrête, l’un des deux est touché par deux fois au bras.

La veille, Gaston Defferre (1910-1986) avait tonné « taisez-vous abruti ». Il s’adressait au gaulliste René Ribière (1922-1998). Cette interruption passe inaperçue dans le brouhaha des débats et ne figure même pas au compte rendu officiel de la séance. Mais Ribière rejoint Defferre dans la salle des Quatre-Colonnes et devant les journalistes il demande réparation par les armes !

Deux parlementaires, élus du peuple et théoriquement représentant une certaine éducation, un exemple. Gaston Defferre est maire de Marseille, député SFIO président de son groupe à l’Assemblée Nationale. René Ribière est élu du Val d’Oise depuis 1958, mais révoqué de la préfectorale pour avoir assisté en tenue de sous-préfet à une manifestation du RPF (Rassemblement du peuple français). L’offensé envoie deux témoins à Gaston Defferre. Il a le choix des armes et choisit l’épée. Il veut se montrer digne de son grand-père Marcel Ribière député radical de l’Yonne de 1906 à 1913 qui s’était battu en duel en 1910. Il cherche la notoriété. Ce qui n’est pas le cas de Defferre qui n’a pas envie de faire de la publicité à un ambitieux. Mais les élections législatives récentes n’ont apporté la majorité qu’à un siège près pour les gaullistes et leurs alliés. Les résultats de l’Outre-Mer sont très contestés. Ce duel apportera une diversion utile. Le président de l’Assemblée Nationale Jacques Chaban-Delmas essaie une médiation, en vain et Ribière prend en urgence une leçon d’escrime à la salle d’armes du Palais-Bourbon avant d’affronter l’adversaire. Il n’avait jamais touché une épée de sa vie.

Le Général de Gaulle n’apprécia pas cet épisode et envoya des émissaires pour faire annuler ce duel, sans succès.

Le lendemain malgré la surveillance policière, les deux adversaires et leurs témoins se retrouvent dans le parc d’une villa de Neuilly. Defferre refuse les épées car trop émoussées. Il a apporté de « vraies épées ». Et le combat commence, vite fini. Ribière est touché par deux fois au bras sans gravité. Jean Lipkowski, gaulliste de gauche et arbitre des échanges, met fin au duel qui aura duré moins de cinq minutes.

Ribière se mariait le lendemain et Defferre de dire : »si je l’avais su, je l’aurais touché autre part !! »

Ce duel sévèrement jugé, sera le dernier de la vie parlementaire. Les joutes oratoires les remplaceront avec plus d’intérêts. Un journaliste parla de « mascarade » dont la victime était le sérieux de deux députés.


(duel Déroulède –Clémenceau—échange de six balles sans résultat)

Sources et pour en savoir plus : Bruno Fuligni Historia n)929 mai 2024-- --/www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2017/04/21/il-y-a-cinquante-ans-le-dernier-duel-de-france_5114729_4497271.html--- Exposition Duels l’art du combat  musée de l’Armée Paris 7è jusqu’au 18 août--- www.historia.fr/histoire-de-france/xxeme-siecle-a-aujourdhui/21-avril-1967-gaston-deferre-contre-rene-ribiere-le-dernier-duel-en-france-2095876--- www.geo.fr/histoire/lhistoire-vraie-de-jean-de-carrouges-et-jacques-le-gris-les-heros-du-film-le-dernier-duel-de-ridley-scott-206686---//www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/08/en-garde-pourquoi-la-france-etait-elle-capitale-la-capitale-europeenne-des-duels---h ttps://cultea.fr/1967-dernier-duel-a-lepee-de-france-entre-deux-deputes.html---

 

 

 

 

mercredi 5 juin 2024

La Maison Carrée


 

gaule-nemausus-nimes-maison-carree-jc-golvin.jpg (1400×1101) (jeanclaudegolvin.com)

La Maison Carrée de Nîmes

 

Notre région est riche en monuments romains plus ou moins conservés ou restaurés. Ici et là un mur, une frise, une tête de taureau, fragments d’un passé qui ne veut pas se faire oublier…

Au 19ème siècle, certains souhaitaient démolir les arènes de Nîmes ou la cité de Carcassonne, car elles ne rapportaient rien ; « autant les valoriser disaient-ils et utiliser ces belles pierres de façon plus utile ». Victor Hugo avait alors eu ce mot  «  vous jugez de l’utilité à l’aune de votre ignorance !! »


Mais pourquoi Maison « carrée » alors que le bâtiment est rectangulaire ? Ce nom lui est donné au 16ème siècle. En fait à cette époque en langue française, toute forme géométrique ayant quatre angles droits est désignée par le mot « carré » : le « carré long » pour le rectangle, le « carré parfait » pour notre carré.  Donc « Maison carrée ».

Au cours de son histoire mouvementée, la Maison Carrée de Nîmes a pu préserver l’intégralité des éléments de son architecture. On peut la comparer aux monuments de même style et de même époque : le temple d Diane d’Evora au Portugal, le Panthéon de Rome, celui de Vienne dans la vallée du Rhône….. Depuis le 17ème siècle, les restaurations successives lui ont restitué sa splendeur. Tous les chapiteaux sont quasiment intacts avec leurs feuilles d’acanthe, podium, escalier, colonnes, entablement, corniche …le monument est complet. La finesse des restaurations a été possible en particulier de la frise à rinceaux de l’architrave, grâce à la finesse  du grain de pierre. Ici pas de marbre utilisé habituellement par les Romains, trop difficile à acheminer jusqu’à Nîmes, mais la pierre des carrières du bois de Lens près de La Calmette. Ce sont probablement des artisans locaux qui ont sculpté selon des cartons apportés de Rome.

(Illustration à la critique de Dissertation sur l'ancienne inscription de la Maison-Carrée de Nismes publiée sur les Acta Eruditorum, 1760.)

Ce qui fait son originalité, c’est son histoire, à commencer par sa naissance. Ce « temple » n’est pas dédié à une divinité mais à des personnes, Lucius Caesar et Caius Julius Caesar, petits-fils de l’Empereur Auguste. Il s’agit d’une rupture dans l’histoire de Rome, un temple dynastique ! C’est en 1758 que le savant nîmois Jean François Séguier parvient à reconstituer la dédicace du frontispice : »A Caius Caesar consul et Lucius Caesar consul désigné, fils d’Auguste princes de la jeunesse ». En fait fils d’Agrippa et de Julia fille d’Auguste. La dédicace était inscrite en lettres de bronze scellées dans la pierre et grâce aux trous de scellement encore visibles, Jean François Séguier parvient à recomposer le texte original.

Ce bâtiment est construit entre 10 avt JC et 4 apr JC. Agrippa (63-12 avt notre ère) est à l’origine de sa construction. Général très proche d’Auguste quand celui-ci était encore Octave, il épouse sa fille, et ils auront cinq enfants. Il est le conseiller et l’auxiliaire de l’Empereur, aussi le patron de la ville de Nemausus (Nîmes) et défenseur officiel des intérêts de la cité devant le Sénat de Rome. A sa mort son fils ainé Caïus prend la relève. Les deux fils de la dédicace seront adoptés par leur grand-père, Auguste. Agrippa avait aussi fait construire le panthéon de Rome, dédié à toutes les divinités.

Le consulat de Caius et Lucius date des années 2 et 3, date peut-être de l’achèvement de la Maison Carrée et de la première ligne de la dédicace, les années 4 et 5 seraient les dates de la deuxième ligne de la dédicace. A la mort de ces deux consuls, les Nîmois avec l’accord de Rome décident de leur dédier ce temple qui à partir de là sera dédié à toutes les générations d’empereurs romains au même titre que le sanctuaire de la Fontaine.

A la mort d’Auguste le monument devient capitole, centre de la vie politique.


Les Wisigoths après s’être emparé de la ville, auraient aménagé le bâtiment en deux appartements privés.

Au Moyen Age, le bâtiment redevient à la vie municipale. C’est la Maison Consulaire, Capitole ou Cap-duel. L’édifice va souffrir. L’historien Léon Ménard nous raconte : « D’abord on divisa l’intérieur en plusieurs pièces, et même en deux étages ; on y forma des voûtes, on y construisit une cheminée, qui fut adossée contre le mur du levant, et un escalier à vis contre celui du couchant. De plus, pour éclairer ces nouveaux appartements, on y fit plusieurs fenêtres carrées. Les consuls ajoutèrent dans la suite quelque chose à cet ordre. Ils firent fermer le vestibule par une muraille, qui allait d’une colonne à l’autre, alors, on ouvrit d’autres fenêtres et l’on fit une cave de la voûte souterraine du vestibule. On abattit aussi le perron. »

La Maison Carrée sera intégrée aux remparts en 1357. Devient pigeonnier d’un particulier au 15ème siècle. Maison d’habitation, écurie, église. La duchesse d’Uzès souhaite récupérer cette église, propriété des Augustins, pour en faire un tombeau pour son époux Antoine de Crussol….

Les Augustins l’avaient achetée en 1669. L’historien Emile Espérandieu nous explique en 1922 : »une église de matériaux légers avec chœur, quatre chapelles latérales, des tribunes auxquelles on accédait par deux escaliers tournants… ». Un petit clocher avait été prévu.

Cette église sera détruite à la Révolution, la Maison Carrée devient bien national appartenant au département. Ce sera un lieu de réunion du Directoire, puis préfecture entre 1800 et 1807.


Le 19ème siècle voit les monuments de Nîmes en travaux de restauration, en partie, arène, Maison carrée…. Sur ce bâtiment sur son flanc ouest un texte : « réparé par la munificence du roi et l’argent offert par les citoyens 1822 ». En 1824-1826 elle devient un lieu d’exposition d’objets antiques, de peinture. En 1840 elle est classée au titre des Monuments Historiques dès la première liste publiée à cette date.

 

(La Maison carrée avant sa restauration.)

 


En 1992 le monument reçoit une nouvelle toiture, reproduction fidèle de l’original antique : grandes tuiles plates et tuiles-canal moulées à la main.

1988, Nîmes connait de tragiques inondations. Mais il est décidé de poursuivre la restauration du monument. L’architecte Norman Foster est missionné pour s’en occuper. Il doit aussi construire Carré d’Art, musée d’art contemporain en face de la Maison Carrée et réaménagera la place attenante pour une meilleure harmonie entre les deux édifices. Et dès 2006-2010 la campagne de restauration démarre. On compte 44 000 heures de travail pour cette rénovation sous la houlette des équipes de l’architecte des monuments historiques Thierry Algrin ! Seul son aspect extérieur est intact.


(Plafond de la façade principale).

De février à septembre 2023, une œuvre de 8 700 briques lego était visible à Nîmes dans le hall de Carré d’Art!!!

La Maison Carrée LEGO©, créée de toutes pièces des mains de Jérôme Fesquet, artiste protéiforme (LGL Créations). 

L’œuvre exceptionnelle, composée de plus de 8 700 pièces en LEGO© – dont certaines dénichées dans le monde entier telles que celles qui ont servies à édifier l’imposante porte verte du monument – a nécessité plus d’un an et près de 1 200 heures d’un travail titanesque, précis et minutieux (sans plan de montage) pour en arriver à son rendu final exceptionnel, une Maison Carrée miniature reproduite à l’échelle 1/48e pour un poids de 8,2 kg.

Elle a aussi trôné pendant quelques semaines à "La Table d'Arthur", le restaurant situé en face du temple romain. "Les gens ne se rendaient pas compte au départ que c'étaient des LEGO® confie Arthur Auday, le patron. Il y en a même qui font des photos pour faire des comparatifs avec l'original." 


Une réplique à l'échelle de 1/48e © Radio France - Sylvie Duchesne

 

Sources et pour en savoir plus : La Gazette de Nîmes 14-20 septembre 2013p8 Journées du Patrimoine---- Gérard Caillat Bulletin monumental 2005 « La première restauration de la Maison Carrée 1670-1691----Emile Espérandieu « la Maison Carrée à Nîmes » 1922 in édition Ville de Nîmes---- wikipedia.org---