dimanche 25 juin 2017

Nos Hommes en Blanc



Nos Hommes en blanc

Nous sommes en pleine saison des courses camarguaises ou courses à la cocarde qu'il faut absolument ne pas confondre avec la corrida. Il nous faut expliquer ici de quoi il s’agit. Les touristes, les nouveaux arrivants, les « pointus » ont du mal à comprendre. Et nous, nous n’avons pas toujours envie d’expliquer nos jardins secrets !!
Il nous faut partir de la tradition. Les taureaux camarguais sont en liberté sur leurs terres camarguaises. Un jour ou l’autre il faut bien les marquer pour que chaque propriétaire retrouve ses petits. C’est la ferrade : chaque éleveur imprime au fer rouge sa marque sur la cuisse du veau, et c’est l’occasion maintenant de se mettre à jour des vaccins, de repérer les bêtes fragiles. Il était habituel de convier voisins, amis, familles à cette fête qui marquait un rite de passage pour le troupeau. Le grand camarguais Denys Colomb de Daunant de Cacharel (auteur de Crin-Blanc et co-scénariste du film) nous avait raconté, que ces fêtes étaient l’occasion autrefois pour les propriétaires de manades de repérer les gardians habiles à ne pas laisser s’échapper des bêtes qui pourraient blesser ou se blesser voir se tuer dans les vignes ou les marais. Pour soigner les bêtes, les marquer, on n’avait pas encore l’habitude de faire appel au véto et à sa seringue pour endormir ou immobiliser une bête. Il fallait des hommes costauds, et expérimentés pour obliger un toro à se coucher sans risque en le prenant par les cornes. Nous devons nous rappeler que le toro camarguais est semi-sauvage et le reste même lorsqu’il a été élevé au biberon et donc théoriquement plus proche de l’homme. Entre propriétaires on ne se gênait pas pour débaucher le vacher du voisin. Et c’était l’occasion pour les atrapaïres de montrer leur force et leur astuce aux belles arlésiennes et à un futur patron.
Après la messe et un bon repas, des vachettes ou des toros enfermés dans un bouvaou, sorte de petite arène, offraient à l’habilité et au courage des amateurs, des cocardes, des rubans, attachés entre leurs cornes. Pas besoin d’arène au début : des charrettes mises bout à bout assez hautes pour éviter tout accident et pour abriter les spectateurs, des bottes de paille. C’était aussi l’occasion pour les propriétaires de repérer les toros les plus prometteurs. Chaque village avait son champion, homme ou animal. Il n’était pas question de tuer ces animaux. Les bleus, les éraflures, parfois un peu plus, sont pour les raseteurs. Les déchirures de pantalon sont très prisées par les spectateurs !! Des hommes en blanc sont morts des cornes du toro, ce qui fait qu’actuellement les animaux les plus vindicatifs ou les plus inexpérimentés entrent dans l’arène les cornes emboulées ou caparaçonnées d’un manchon de cuir. Il parait que certains fans pariaient autrefois, malgré le curé, le pasteur, les épouses, le patriarche familial... peut-être encore maintenant. Mais c’est une autre histoire.
 La première course officielle dans une arène date du début du 19ème siècle, avec un début de réglementation. On a encore dans les mémoires la ferrade sanglante de 1898 d'Arles.  Mais nous savons que des jeux gardians ont été parrainés par Henri IV et avant par Catherine de Médicis lors de leurs passages à Arles. Probablement dans un mas car les arènes de cette ville étaient habitées. Au moment de la Révolution de 1789, les députés qui viennent réquisitionner des chevaux pour l’armée sont reçus dans notre région à bras ouverts avec des jeux taurins, probablement pour qu’ils ne regardent pas de trop près dans les écuries et dans les champs, le temps de cacher nos bêtes dans les garrigues comme nous avons toujours fait dans ces circonstances.
La Gazette de mai 1805 relate cette première course à la cocarde : « Une fête brillante à la gloire de l’Empereur Napoléon fut donnée à Arles le 20 mai 1805 à l’occasion de l’inauguration de l’obélisque antique situé place du Marché face à l’Hôtel de Ville. Plus de 10 000 étrangers assistèrent à cette fête qui fut suivie de courses de chevaux, de repas et de bals. MMs les commissaires lancèrent successivement dans les arènes des taureaux amenés en ville pendant la nuit par une centaine de cavaliers armés de tridents. Des cocardes étaient attachées aux cornes des animaux les plus furieux. Des prix étaient destinés aux champions qui auraient l’audace de les arracher. Deux tasses d’argent furent distribuées au bruit des fanfares à deux d’entre eux qui parvinrent à les enlever… ». Les « étrangers » ce sont des gens qui ne sont pas d’ici, et non pas d’au-delà des frontières, des « étranger d’ici » et non des « étrangers d’ailleurs » comme on dit encore !!
Depuis 1975, le caractère sportif de ces courses à la cocarde est reconnu par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Une règlementation a vu le jour en 1966. Une fédération, une école de raseteurs ont été créées. Spectacle qui cache de a part des raseteurs,  une discipline, une endurance toutes sportives, un art du raset qui traduit une grande habilité car il faut absolument éviter de blesser le toro. Ce qui serait une perte financière pour le propriétaire, la honte à tout jamais pour la famille de l’homme en blanc.
Comment se déroule une course à la cocarde ?  Tout a commencé parfois la veille de la fête, ou le matin à la fraîche par l’arrivée des toros, lancés dans les rues jusqu’aux arènes et encadrés par les gardians. C’est l’abrivado avec les jeunes gens, les « attrapaïres » qui essaient d’arrêter ou de faire fuir les taureaux dans les rues.
Après la course, le retour des toros aux prés toujours encadrés par les gardians s’appelle la bandido. Actuellement souvent les toros arrivent et repartent en camion.
Les festivités commencent par un tour d’honneur dans les arènes avec galoubets, tambourin, Arlésiennes. Maintenant trop souvent une musique enregistrée annonce le début des festivités.
Puis les hommes en blanc, les raseteurs entrent en piste à l’opposé de la tribune présidentielle, saluent la Présidence, les spectateurs (on parle d’assistance car le public est là pour vibrer ce sont les afeciounados !). « Messieurs les raseteurs, en place pour la capelado !". Ils traversent l’arène accompagnés par Bizet et Carmen. La capelado fait partie des rituels règlementés de 1933. La tenue blanche de haut en bas ne comprend pas de chapeau ou casquette mais on parle malgré tout de « capelado », chapeau bas pour le salut.
La vraie vedette peut apparaitre, le toro cocardier. Une minute pour qu’il observe son environnement. Sonnerie et la foule retient son souffle : les raseteurs se partagent la piste, les droitiers à gauche de l’animal, les gauchers à droite. Un premier raseteur, souvent un ancien confirmé, le tourneur, appelle le toro, devant lui, et un autre, crochet à la main, court dans un mouvement semi-circulaire pour avoir un bon angle pour essayer d’attraper la cocarde, puis les deux glands et la ficelle enroulée autour des cornes.. Si le taureau est particulièrement astucieux pour se défendre, il est salué par l’air d’ouverture de Carmen et les raseteurs toucheront des primes plus élevées s’ils réussissent. C’est l’occasion pour les sponsors, les commerçants de montrer leur générosité en offrant des petites sommes tout en se faisant un peu de pub.
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Un quart d’heure pour montrer ses prouesses. Les hommes en blanc engrangent des points qui les classent. Pour l’instant ils sont non professionnels ce qui pose un sérieux problème pour leur entrainement physique. Jusqu’à présent, la plupart étaient fonctionnaires dans la territoriale ce qui leur assure un métier et un salaire lorsqu’ils ne seront plus capables de raseter et le corps vieillit vite dans ce sport. Les raseteurs autrefois étaient souvent des ouvriers saisonniers de la société rurale, du Massif Central puis italiens, espagnols qui venaient travailler le sel ou les vignes. Ces dernières années avec la création des écoles taurines, les courses camarguaises ont souvent été facteur d’intégration de jeunes hommes d’origines diverses comme Sabri Allouani de l’école de Vendargues. Son palmarès est impressionnant : vainqueur du Trophée de l’Avenir en 1999, Trophée des As en 2000, il enchaîne avec la Cocarde d’Or, la Palme d’argent et d’or, le Trophée Pescalune….jusqu’en 2010 quand il fait ses adieux dans les arènes de Lunel. On n’oublie pas Bensalah après une belle carrière, président de l’association des Raseteurs et Tourneurs en 2014. Cocarde d’Or à Arles en 1998-99, Trophée ds As à Nîmes Arles en 1998-1999.
 
Mais sur les affiches les noms des raseteurs sont à peine mentionnés. Les vraies vedettes ce sont les taureaux.

         Nizam et Mathis 2009


On ne doit absolument pas confondre le taureau camarguais (malheur !!) avec le toro de combat espagnol, même si des élevages de ce dernier existent dans notre pays.  Le taureau de Camargue est vif, infatigable, élégant, un caractère bien trempé et des cornes en lyre. Le cocardier un peu cabot, malin. Capable de savoir se placer sur la piste, d’anticiper le mouvement des hommes. Intelligence qui lui a permis de faire face aux dangers de la Camargue et de devenir un stratège et la vedette des courses camarguaises, mâle comme femelle....
Au fil des siècles, le camarguais a su s’adapter au mistral glacial de l’hiver, à la cagna de l’été, au sel, au peu de nourriture, aux marais, aux colères du Rhône et du Vidourle. Il est à sa place ici, et sa race existe encore un peu grâce à ces jeux. Evidemment dans le respect de l’animal. Peut-être sa vie en Camargue a-t-elle développée des capacités que n’ont pas les autres bovidés. Il fait profit de son expérience dans l’arène et comprend très bien son succès lorsqu’il oblige les raseteurs à détaler vers les barrières et voltiger au-dessus du couloir. Certains « biou » rapportent largement à leur propriétaire qui les engage dans les courses. Les vachettes ou les jeunes taureaux participent plutôt (aussi contre "salaire") aux jeux plus légers, toros piscine, clownerie....
Les exploits des vedettes des arènes cocardières alimentent les conversations bien longtemps après. On se souvient de la vache cocardière Zerogosa qui coursait les hommes en blanc non pour les renverser ou les encorner mais pour les mordre ! Et Sanglier de la manade Granon qui remporta 60 courses. Animal de légende dont l’histoire se raconte encore aujourd’hui comme un conte de Noël aux petits enfants. Un autre jour nous raconterons dans ces pages Sanglier. Et des histoires de toros il y en a ! Frédéric Mistral nous en a chanté une :
Tombeau de Sanglier
« Ainsi dans un grand troupeau, si une génisse a succombé, autour du cadavre étendu pour toujours, neuf soirs consécutifs, taureaux et taures viennent, sombrent, pleurer la malheureuse... Et le marécage et l'onde et le vent de leurs douloureux mugissements retentissent neuf jours " Frédéric Mistral, Mirèio, cant XII
Le gardian de métier Jean Pierre Durieu nous raconte que lors de l’enterrement du cocardier Ourrias de la manade de Jean Lafont, les quatre-vingt vaches et le simbeù ont formé un long cortège silencieux pour accompagner le défunt mort de vieillesse. Le simbeù, celui qui guide le troupeau repérable à sa cloche, est resté de longues heures devant la tombe. Il a refusé de s’alimenter et trois mois plus tard il est parti pour les prairies éternelles.
Un autre simbeù Paco compagnon de Rami de la manade F Mailhan s’est laissé mourir après le décès du cocardier.
Les toros les meilleurs finissent leur vie au pré, et s’ils n’ont pas été castrés deviennent papas de nombreux petits toros et vachettes. Il parait que leur sperme se vend même en Argentine. On ne peut pas les laisser tranquilles !! Les bovins moins bien lotis finissent à l’abattoir. Une AOC existe maintenant et les manadiers ont beaucoup travaillé depuis le début du 20ème siècle pour retrouver la race camarguaise qui est la mieux adaptée à l’environnement des marais.  La tradition voulait que les cocardiers soient enterrés debout dans leur univers. Tradition qui n’est plus autorisée aujourd’hui.
Les abrivado ou bandido de village sont trop souvent maintenant des spectacles pour touristes qui ne tiennent pas compte de la personnalité et de la grandeur des taureaux. Motos pour les encadrer et les effrayer, sol glissant, camions laissés au soleil… Nos jeunes attrapaïres n’ont plus de racines familiales avec les manades camarguaises. Il en est de même pour les manadiers de l’arrière pays. D’où incidents, accidents, désaffection. Et leur corollaire, des règlementations justifiées. Si ces spectacles de villages devaient un jour disparaitre, il faut espérer que la course camarguaise et les hommes en blanc continueront à nous enthousiasmer avec la vedette le toro camarguais. Si les manades devaient disparaitre, que deviendraient la Camargue et les terres marécageuses alentour ? Nous n’avons pas l’âme ni l’énergie des moines et des hommes qui ont participé à la mise en valeur de ces terres au fil des temps anciens. Si le paludisme a reculé dans notre sud, c’est un peu grâce au taureau camarguais. Nous ne devons pas oublier ce que l’animal en général nous apporte dans notre environnement, et pas seulement du CO2 ce qui justifierait parait-il pour certains écologistes la diminution voir la suppression de nos élevages. Moutons, chèvres, bovins entretiennent nos herbages, nos paysages, ce que nous ne pourrions pas faire.

Autre question : pourquoi dans l’imaginaire des gens, le taureau de Camargue, garçon ou fille, est toujours pensé masculin, cabochard, toujours un sabot ou une corne prêts à en découdre, et la belle Saler, la Bleue de Lorraine …sont considérées comme féminin, quel que soit leur sexe  ? Où le sexisme va-t-il se nicher ?




St Andiol (13)







Bouvaou Manade Raynaud mas du grand Radeau
Les Saintes Maries de la Mer

Camargue secrète - Manade Laurent aux Marquises Salin de Giraud
Fanfonne Guillierme La Grande Dame de la Camargue 1974 - photo Robert Faure




Sources : Emblème de Isabel Marchand - Le taureau Camargue de J. Flandreysy et G. Bouzanquet - In Manades et taureaux –-Bouvine Manifestations Courses Hors Trophée – Actu – Lou Carmen internet – Union des Club Taurins Paul Ricard - Jacky Siméon Dictionnaire de la course camarguaise Vauvert édi Au Diable Vauvert 2013(ISBN978-2-846-26424) –Jacques Durand Office des Sports Hérault –Pays et Gens de France  Languedoc Larousse Reader’sDigest 1984 –photos J Verroust, M Viard – Robert Faure  La Grande Dame de la Camargue Fanfonne Guillierme édit Camariguo Nîmes 1987 + wikimedia - Alain Colombaud et Jacques Maigne Camargue vue du ciel édit Au Diable Vauvert 2013 - Région Languedoc-Roussillon -

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