Catalina la nonne
soldat :
Portrait
anonyme de Catalina de Erauso attribué à Juan van der Hamen (vers 1626).
Catalina de
Erauso est née en 1585 ou 1592 (selon le registre des baptêmes) au Pays Basque
à Saint-Sébastien et décède en 1650 à Cuetlaxtia en Nouvelle-Espagne. Son
existence toute entière est vouée à la guerre, à l’aventure en Espagne, puis en
Amérique espagnole. Un caractère fougueux, ombrageux, des duels, des
condamnations et des fuites éperdues, telle sera sa vie. Très loin des codes
sociaux et surtout féminins. Une femme « libérée » avant l’heure. Un
personnage de roman et de cinéma ! On la nomme La Monja Alférez
(« La Nonne Lieutenante »).
Ses
parents Miguel de Erauso et María Pérez de Gallárraga y Arce font partie de la
haute société espagnole.
Son père
est militaire, commandant de la province sous le roi Felipe III. Elle a
plusieurs frères et au moins deux sœurs. Elle est la quatrième enfant après
trois frères plus âgés. Enfant elle est très proche de son père et de ses
frères avec lesquels elle jouait à des jeux de guerre.
Très jeune
sa famille la destine à devenir nonne. Sa mère s’inquiète des dérives de son
éducation qui est totalement orientée vers les jeux guerriers, les jeux
équestres.. Elle parle non pas l’espagnol des familles nobles, mais le basque
de sa province. Vers quatre ans semble-t-il, elle se retrouve au convent
dominicain d’El Antigua de Saint-Sébastien avec ses sœurs Maria et Isabel. Sa
tante, sœur de sa mère y est prieure. Elle est destinée à devenir une jeune
fille bien élevée, pieuse, qui prendra le voile pour ses quinze ans. Destin
inéluctable tout tracé par sa famille.
Mais devant
son caractère explosif, bagarreur, vers onze ans, elle change d’établissement
et elle intègre le monastère San Bartolomé de Saint-Sébastien aux règles très
strictes. Il faut lui casser le caractère pour une éducation selon les règles
du catholicisme de l’époque. Elle va y vivre jusqu’à ses quinze ans, mais le
cheval fou n’est toujours pas dompté. Elle refuse de prononcer ses vœux, elle
n’a vraiment pas la vocation. Une énième bagarre avec une autre pensionnaire et
après un enfermement en cellule, elle décide de quitter le couvent. Elle
s’enfuit de nuit, habillée en homme, après avoir volé les clés du couvent. Elle
n’a jamais vu une rue, la ville…. L’aventure commence. Nous sommes le 18 mai
1600. Elle a eu le réflexe de prendre dans le bureau de la Sœur Supérieure
quelques pièces de monnaie, de quoi coudre, des morceaux de tissu. Elle erre
d’abord dans un bois pendant trois jours, le temps d’arranger son habit de
garçon, elle se coupe les cheveux.
Dans un
premier temps, arrivée à Victoria, elle se fait embaucher sous le nom de « Francisco de Loyoda », comme valet chez un notable, surpris de le/la voir lire le
latin. Trois mois plus tard il essaie de la battre comme les maitres en avaient
le droit à cette époque sans autre raison ; alors son caractère reprend le
dessus, elle s’enfuit emportant de l’argent et probablement en ayant frappé son
maitre.
Illustration
montrant Catalina de Erauso pendant la guerre d’Arauco parue dans la revue
chilienne Pacifico Magazine en 1918.
Un
muletier l’emmène jusqu’à Valladolid. Elle se fait embaucher comme page chez le
secrétaire du roi Philippe III. Sa bonne éducation apprise chez les sœurs lui
sert. Elle gagne sa vie et peut s’acheter des vêtements d’homme élégant. Elle
peut à nouveau galoper. Sept mois passent, mais son père vient chez le
secrétaire du roi pour le supplier de faire rechercher sa fille qu’il suppose
enlever de son couvent par des malandrins.
Elle prend
son bagage, son argent et fuit à nouveau vers Bilbao. Un mois en prison pour
avoir blessé un garçon dans une bagarre, elle y apprend le démon du jeu qui ne
la quittera plus. Libérée elle s’engage dans une autre famille de San Sébastien
comme page ; elle y apprend le maniement des armes, à sa grande joie. Elle
s’affirme de plus en plus masculine. Mais elle a envie de voir d’autres cieux.
Avant de partir, elle a l’audace en costume masculin d’aller entendre la messe
dans son ancien couvent ! Tout au long de son périple elle sera aidée par
de compatriotes basques qui ne doutent pas un instant de sa masculinité.
Séville, elle s’engage comme mousse dans la
flotte de Luis Fojardo. Elle se retrouve sur le galion d’Estelan de Eguerra,
son oncle maternel qui ne la reconnait pas. En route vers l’Amérique du Sud.
Catalina a 18 ans et sa vie guerrière va commencer. Mais mauvais temps oblige,
le navire retourne au port. L’honnêté n’est pas son fort, Catalina en profite
pour voler 500 piastres dans la cabine de son oncle. Et elle s’enfuit à
nouveau. Trois mois après, un négociant l’embarque pour le Pérou, ce Pérou dont
elle rêve tant. Mais au large de Panama, le navire fait naufrage, trois
personnes seulement s’en sortent : Catalina, le négociant et un
domestique. Devant l’astuce et l’intelligence de la jeune fille, le marchand
l’emploie dans des missions commerciales dans tout le pays. Ce travail lui
plait, l’enrichit même. Elle est en contact avec les marchands, négociants
basques.
Elle est
toujours supposée être un homme. Elle est grande, ni laide, ni jolie, sans
poitrine ni formes féminines. Un regard noir, hautain d’hidalgo !! Plus
tard on la décrit avec un aspect masculin, un visage vieilli, elle s’habille
comme un Espagnol et porte l’épée comme un soldat plutôt que comme un courtisan..
On la surprend folâtrant avec des servantes. Plusieurs fois des mères voyaient
en elle ou lui un bon parti pour leurs filles et envisageaient un mariage,
situations dont Catalina profite pour obtenir des présents ou des avantages.
Elle rompt à plusieurs reprises des promesses de mariage avec des jeunes
femmes. Elle se sait suffisamment différente sexuellement pour ne pas aller
plus loin dans ses engagements matrimoniaux. Toujours le mensonge physique, une
sexualité non assumée, la dérobade, le sauve-qui-peut…
Mais une
énième bagarre dans un café, et Catalina doit s’enfuir encore. Elle se réfugie
dans une église au nom du droit d’asile. Le corregidor local basque comme elle
lui propose de fuir à Lima chez un marchand ami Diego Solarte Son précédent
maitre lui donne de l’argent pour ouvrir dans cette ville un commerce. La voilà
à Lima. Toute sa vie elle bénéficiera de la solidarité de ses compatriotes
basques et échappera ainsi à la peine de mort plusieurs fois prononcée contre
elle.
Joli
garçon, elle plait aux femmes en particulier à celle de Diego. Elle doit fuir
encore. Cette fois, elle s’engage dans un régiment en partance pour le Chili.
Elle traverse tout le pays pour rejoindre le point de ralliement Conception.
Elle est devenue Alonso Díaz Ramírez de Guzmán. Son frère aîné Miguel ne
la reconnait pas, elle était toute petite lorsqu’il est parti pour les Indes.
Il est heureux d’avoir un compatriote à qui parler et il la prend comme
ordonnance. Une vie sans histoire pendant trois ans. Mais Miguel devient jaloux
de son ordonnance à cause d’une belle et il l’envoie immédiatement en plein pays
indien où 80 000 Indiens se battent contre l’envahisseur espagnol.
Catalina se bat courageusement, elle est blessée, tue le chef de tribu,
récupère le drapeau espagnol tombé aux mains de l’ennemi. Elle devient
porte-drapeau, puis remplace le capitaine tué. Elle commande sans pitié les
ravages inhérents à la guerre. Victoire !
Elle
rejoint Conception pour se reposer. Mais le démon du jeu est toujours là. Au
cours d’une partie, une violente dispute et notre Catalina pareille à
elle-même, enfonce son épée dans la poitrine de celui qui l’accusait de
tricherie. On n’arrive pas à la maitriser. Un général y gagne une estafilade
sur la joue. Catalina se réfugie à nouveau dans une église. Elle y reste six
mois. Une récompense est promise à celui qui la livrera vivante. Le temps
passe, la surveillance se relâche et elle réussit à s’échapper.
Quelques temps après, elle doit servir de témoin dans un duel.
Un des duellistes tombe, tué. Catalina prend sa place comme le veut la
tradition et elle tue l’adversaire qui n’est autre que son frère. Elle ne
l’aurait pas reconnu. Pour certains historiens, c’est au cours d’une
altercation nocturne qu’elle aurait tué son frère qu’elle reconnaitra en entendant ses cris d’agonie.
Pour d’autres, Catalina et son frère convoitaient la même femme.
Monument à
la mémoire d'Erauso à Orizaba, au Mexique.
Après ce
drame, elle se retire huit mois dans un couvent de moines. Puis elle repart
vers le Tucuman au nord-ouest de l’Argentine où l’on a besoin de
soldats-cavaliers. Avec deux compagnons, elle doit pour cela franchir la
Cordillère des Andes. C’est un autre enfer !
Des pentes
abruptes, des crevasses profondes, des avalanches de caillasses, le vent, le
froid, la neige, et la soif. Les compagnons de Catalina périssent gelés avec
leurs chevaux. Elle récupère leurs armes, leurs piastres, mange du cheval. Elle
marche pour survivre. Son cheval s’est écroulé sous elle. Sa volonté de fer lui
fait arriver sur l’autre versant de la montagne, plein de soleil, verdoyant.
Elle s’écroule. Deux rancheros la
récupère et l’emmène dans une ferme où elle pourra manger, dormir dans un vrai
lit…. La propriétaire de la ferme, une veuve richissime, lui propose le poste
de régisseur et la main de sa fille. Situation intenable pour Catelina engluée
dans son mensonge d’orientation sexuelle.
Il lui
faut partir à nouveau. Encore des bagarres, puis un poste de majordome à Lima
chez un échevin. Puis la province se révolte et on enrôle des soldats. Enfin
des duels, des règlements de comptes où Catalina est toujours vainqueur.
Mais un
jour, la roue tourne et lors d’un duel à Cuzco elle est blessée à mort, du
moins le croit-elle. Elle se confesse et avoue être une femme. Elle se retrouve
dans un couvent pendant deux ans et demi. Elle a vieilli, ses cheveux sont
blancs, elle a trente-neuf ans. Elle a perdu son allure de « jeune garçon
charmant ». Elle veut revoir son pays. En 1620 elle travaille chez
l’archevêque de Lima puis en 1624 elle arrive en Espagne. Quand elle arrive à
Cadix, tout le monde sait que sous ses habits masculins se cache une femme aux
nerfs d’acier, à la musculature guerrière.
Elle part
pour l’Italie, Rome. Mais arrivée à Turin on la soupçonne d’être une espionne
pour le compte de l’Espagne. Prison, tortures et enfin libération. Mais elle
n’a plus envie de Rome pour l’instant. Elle se rend à pied à Toulouse retrouver
le fils du comte de Grammont qui généreusement lui donne un cheval et 300 écus
pour rentrer à Madrid. Elle espère
obtenir du roi d’Espagne une récompense pour ses bons et loyaux services en
Amérique. Récompense accordée. Elle reçoit une pension de 800 écus par an. A
l’abri de la faim, elle repart pour Rome. Elle y rencontre le pape Urbain VIII.
Elle lui raconte sa vie. Le pape par dérogation spéciale lui accorde le droit
de porter l’habit masculin. (après avoir fait vérifier qu’elle était toujours
vierge !!). Ce n’était pas encore le temps du « Mariage pour
tous », mais le pape fait preuve d’une certaine empathie pour Catalina qui
sent le soufre, l’Inquisition n’est pas loin !.
(alamy
stock photo-Nouvelle-Espagne)
Catalina
part une dernière fois en 1645 pour la Nouvelle-Espagne avec la flotte de Pedro
de Ursua qui nous en laissera un portrait écrit.
Elle
devient conducteur de mules sur les chemins de Veracruz sous le nom d’Antonio
de Erauso. Toujours la route, les rencontres hasardeuses…. Toute sa vie elle
est à la recherche d’un ailleurs, ou plutôt d’elle-même ? Elle meurt en
1650 à Cuetlaxtia. Est-elle morte dans son lit ou assassinée ? Ou bien emportée
par le Diable ?
(Catalinaundestin.com)
Sources : Thomas De Quincey :
La nonne militaire d'Espagne –
Paris 1954, Club du Meilleur Livre – Préface de Maurice Saillet – Traduction de
Pierre Schneider.--- La nonne
militaire d’Espagne – Poitiers/Ligugé 1980, Mercure de France –
Préface de Kenneth White – Traduction de Pierre Schneider. --- Léon
Gaultier : Catalina de Erauso, la
Nonne Conquistador – 1980, Editions Jean Picollec.--- José-Maria de Heredia, La nonne Alferez
– Lyon 1982, Editions J. L. Lesfargues.---- Marion Poirson-Dechonne : La guerrière du
nouveau monde,
Rouge Safran 2012.—BNF Gallica—wikipédia.org---
www.franceinter.fr/emissions/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-13-mars-2016
---
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