samedi 14 septembre 2019

Catalina la nonne soldat


Catalina la nonne soldat :
               







Portrait anonyme de Catalina de Erauso attribué à Juan van der Hamen (vers 1626).
Catalina de Erauso est née en 1585 ou 1592 (selon le registre des baptêmes) au Pays Basque à Saint-Sébastien et décède en 1650 à Cuetlaxtia en Nouvelle-Espagne. Son existence toute entière est vouée à la guerre, à l’aventure en Espagne, puis en Amérique espagnole. Un caractère fougueux, ombrageux, des duels, des condamnations et des fuites éperdues, telle sera sa vie. Très loin des codes sociaux et surtout féminins. Une femme « libérée » avant l’heure. Un personnage de roman et de cinéma ! On la nomme La Monja Alférez (« La Nonne  Lieutenante »).
Ses parents Miguel de Erauso et María Pérez de Gallárraga y Arce font partie de la haute société espagnole.
Son père est militaire, commandant de la province sous le roi Felipe III. Elle a plusieurs frères et au moins deux sœurs. Elle est la quatrième enfant après trois frères plus âgés. Enfant elle est très proche de son père et de ses frères avec lesquels elle jouait à des jeux de guerre.
Très jeune sa famille la destine à devenir nonne. Sa mère s’inquiète des dérives de son éducation qui est totalement orientée vers les jeux guerriers, les jeux équestres.. Elle parle non pas l’espagnol des familles nobles, mais le basque de sa province. Vers quatre ans semble-t-il, elle se retrouve au convent dominicain d’El Antigua de Saint-Sébastien avec ses sœurs Maria et Isabel. Sa tante, sœur de sa mère y est prieure. Elle est destinée à devenir une jeune fille bien élevée, pieuse, qui prendra le voile pour ses quinze ans. Destin inéluctable tout tracé par sa famille.
Mais devant son caractère explosif, bagarreur, vers onze ans, elle change d’établissement et elle intègre le monastère San Bartolomé de Saint-Sébastien aux règles très strictes. Il faut lui casser le caractère pour une éducation selon les règles du catholicisme de l’époque. Elle va y vivre jusqu’à ses quinze ans, mais le cheval fou n’est toujours pas dompté. Elle refuse de prononcer ses vœux, elle n’a vraiment pas la vocation. Une énième bagarre avec une autre pensionnaire et après un enfermement en cellule, elle décide de quitter le couvent. Elle s’enfuit de nuit, habillée en homme, après avoir volé les clés du couvent. Elle n’a jamais vu une rue, la ville…. L’aventure commence. Nous sommes le 18 mai 1600. Elle a eu le réflexe de prendre dans le bureau de la Sœur Supérieure quelques pièces de monnaie, de quoi coudre, des morceaux de tissu. Elle erre d’abord dans un bois pendant trois jours, le temps d’arranger son habit de garçon, elle se coupe les cheveux.
Dans un premier temps, arrivée à Victoria, elle se fait embaucher sous le nom de « Francisco de Loyoda »,  comme valet chez un notable, surpris de le/la voir lire le latin. Trois mois plus tard il essaie de la battre comme les maitres en avaient le droit à cette époque sans autre raison ; alors son caractère reprend le dessus, elle s’enfuit emportant de l’argent et probablement en ayant frappé son maitre.
Illustration montrant Catalina de Erauso pendant la guerre d’Arauco parue dans la revue chilienne Pacifico Magazine en 1918.
Un muletier l’emmène jusqu’à Valladolid. Elle se fait embaucher comme page chez le secrétaire du roi Philippe III. Sa bonne éducation apprise chez les sœurs lui sert. Elle gagne sa vie et peut s’acheter des vêtements d’homme élégant. Elle peut à nouveau galoper. Sept mois passent, mais son père vient chez le secrétaire du roi pour le supplier de faire rechercher sa fille qu’il suppose enlever de son couvent par des malandrins.
Elle prend son bagage, son argent et fuit à nouveau vers Bilbao. Un mois en prison pour avoir blessé un garçon dans une bagarre, elle y apprend le démon du jeu qui ne la quittera plus. Libérée elle s’engage dans une autre famille de San Sébastien comme page ; elle y apprend le maniement des armes, à sa grande joie. Elle s’affirme de plus en plus masculine. Mais elle a envie de voir d’autres cieux. Avant de partir, elle a l’audace en costume masculin d’aller entendre la messe dans son ancien couvent ! Tout au long de son périple elle sera aidée par de compatriotes basques qui ne doutent pas un instant de sa masculinité.

Séville, elle s’engage comme mousse dans la flotte de Luis Fojardo. Elle se retrouve sur le galion d’Estelan de Eguerra, son oncle maternel qui ne la reconnait pas. En route vers l’Amérique du Sud. Catalina a 18 ans et sa vie guerrière va commencer. Mais mauvais temps oblige, le navire retourne au port. L’honnêté n’est pas son fort, Catalina en profite pour voler 500 piastres dans la cabine de son oncle. Et elle s’enfuit à nouveau. Trois mois après, un négociant l’embarque pour le Pérou, ce Pérou dont elle rêve tant. Mais au large de Panama, le navire fait naufrage, trois personnes seulement s’en sortent : Catalina, le négociant et un domestique. Devant l’astuce et l’intelligence de la jeune fille, le marchand l’emploie dans des missions commerciales dans tout le pays. Ce travail lui plait, l’enrichit même. Elle est en contact avec les marchands, négociants basques.
Elle est toujours supposée être un homme. Elle est grande, ni laide, ni jolie, sans poitrine ni formes féminines. Un regard noir, hautain d’hidalgo !! Plus tard on la décrit avec un aspect masculin, un visage vieilli, elle s’habille comme un Espagnol et porte l’épée comme un soldat plutôt que comme un courtisan.. On la surprend folâtrant avec des servantes. Plusieurs fois des mères voyaient en elle ou lui un bon parti pour leurs filles et envisageaient un mariage, situations dont Catalina profite pour obtenir des présents ou des avantages. Elle rompt à plusieurs reprises des promesses de mariage avec des jeunes femmes. Elle se sait suffisamment différente sexuellement pour ne pas aller plus loin dans ses engagements matrimoniaux. Toujours le mensonge physique, une sexualité non assumée, la dérobade, le sauve-qui-peut…
Mais une énième bagarre dans un café, et Catalina doit s’enfuir encore. Elle se réfugie dans une église au nom du droit d’asile. Le corregidor local basque comme elle lui propose de fuir à Lima chez un marchand ami Diego Solarte Son précédent maitre lui donne de l’argent pour ouvrir dans cette ville un commerce. La voilà à Lima. Toute sa vie elle bénéficiera de la solidarité de ses compatriotes basques et échappera ainsi à la peine de mort plusieurs fois prononcée contre elle.
Joli garçon, elle plait aux femmes en particulier à celle de Diego. Elle doit fuir encore. Cette fois, elle s’engage dans un régiment en partance pour le Chili. Elle traverse tout le pays pour rejoindre le point de ralliement Conception. Elle est devenue Alonso Díaz Ramírez de Guzmán. Son frère aîné Miguel ne la reconnait pas, elle était toute petite lorsqu’il est parti pour les Indes. Il est heureux d’avoir un compatriote à qui parler et il la prend comme ordonnance. Une vie sans histoire pendant trois ans. Mais Miguel devient jaloux de son ordonnance à cause d’une belle et il l’envoie immédiatement en plein pays indien où 80 000 Indiens se battent contre l’envahisseur espagnol. Catalina se bat courageusement, elle est blessée, tue le chef de tribu, récupère le drapeau espagnol tombé aux mains de l’ennemi. Elle devient porte-drapeau, puis remplace le capitaine tué. Elle commande sans pitié les ravages inhérents à la guerre. Victoire !
Elle rejoint Conception pour se reposer. Mais le démon du jeu est toujours là. Au cours d’une partie, une violente dispute et notre Catalina pareille à elle-même, enfonce son épée dans la poitrine de celui qui l’accusait de tricherie. On n’arrive pas à la maitriser. Un général y gagne une estafilade sur la joue. Catalina se réfugie à nouveau dans une église. Elle y reste six mois. Une récompense est promise à celui qui la livrera vivante. Le temps passe, la surveillance se relâche et elle réussit à s’échapper.
Quelques temps après, elle doit servir de témoin dans un duel. Un des duellistes tombe, tué. Catalina prend sa place comme le veut la tradition et elle tue l’adversaire qui n’est autre que son frère. Elle ne l’aurait pas reconnu. Pour certains historiens, c’est au cours d’une altercation nocturne qu’elle aurait tué son frère qu’elle reconnaitra en entendant ses cris d’agonie. Pour d’autres, Catalina et son frère convoitaient la même femme.
Monument à la mémoire d'Erauso à Orizaba, au Mexique.
Après ce drame, elle se retire huit mois dans un couvent de moines. Puis elle repart vers le Tucuman au nord-ouest de l’Argentine où l’on a besoin de soldats-cavaliers. Avec deux compagnons, elle doit pour cela franchir la Cordillère des Andes. C’est un autre enfer !
Des pentes abruptes, des crevasses profondes, des avalanches de caillasses, le vent, le froid, la neige, et la soif. Les compagnons de Catalina périssent gelés avec leurs chevaux. Elle récupère leurs armes, leurs piastres, mange du cheval. Elle marche pour survivre. Son cheval s’est écroulé sous elle. Sa volonté de fer lui fait arriver sur l’autre versant de la montagne, plein de soleil, verdoyant. Elle s’écroule. Deux rancheros  la récupère et l’emmène dans une ferme où elle pourra manger, dormir dans un vrai lit…. La propriétaire de la ferme, une veuve richissime, lui propose le poste de régisseur et la main de sa fille. Situation intenable pour Catelina engluée dans son mensonge d’orientation sexuelle.
Il lui faut partir à nouveau. Encore des bagarres, puis un poste de majordome à Lima chez un échevin. Puis la province se révolte et on enrôle des soldats. Enfin des duels, des règlements de comptes où Catalina est toujours vainqueur.
Mais un jour, la roue tourne et lors d’un duel à Cuzco elle est blessée à mort, du moins le croit-elle. Elle se confesse et avoue être une femme. Elle se retrouve dans un couvent pendant deux ans et demi. Elle a vieilli, ses cheveux sont blancs, elle a trente-neuf ans. Elle a perdu son allure de « jeune garçon charmant ». Elle veut revoir son pays. En 1620 elle travaille chez l’archevêque de Lima puis en 1624 elle arrive en Espagne. Quand elle arrive à Cadix, tout le monde sait que sous ses habits masculins se cache une femme aux nerfs d’acier, à la musculature guerrière.
Elle part pour l’Italie, Rome. Mais arrivée à Turin on la soupçonne d’être une espionne pour le compte de l’Espagne. Prison, tortures et enfin libération. Mais elle n’a plus envie de Rome pour l’instant. Elle se rend à pied à Toulouse retrouver le fils du comte de Grammont qui généreusement lui donne un cheval et 300 écus pour rentrer à Madrid.  Elle espère obtenir du roi d’Espagne une récompense pour ses bons et loyaux services en Amérique. Récompense accordée. Elle reçoit une pension de 800 écus par an. A l’abri de la faim, elle repart pour Rome. Elle y rencontre le pape Urbain VIII. Elle lui raconte sa vie. Le pape par dérogation spéciale lui accorde le droit de porter l’habit masculin. (après avoir fait vérifier qu’elle était toujours vierge !!). Ce n’était pas encore le temps du « Mariage pour tous », mais le pape fait preuve d’une certaine empathie pour Catalina qui sent le soufre, l’Inquisition n’est pas loin !.

(alamy stock photo-Nouvelle-Espagne)
Catalina part une dernière fois en 1645 pour la Nouvelle-Espagne avec la flotte de Pedro de Ursua qui nous en laissera un portrait écrit.
Elle devient conducteur de mules sur les chemins de Veracruz sous le nom d’Antonio de Erauso. Toujours la route, les rencontres hasardeuses…. Toute sa vie elle est à la recherche d’un ailleurs, ou plutôt d’elle-même ? Elle meurt en 1650 à Cuetlaxtia. Est-elle morte dans son lit ou assassinée ? Ou bien emportée par le Diable ?

(Catalinaundestin.com)
Sources : Thomas De Quincey : La nonne militaire d'Espagne – Paris 1954, Club du Meilleur Livre – Préface de Maurice Saillet – Traduction de Pierre Schneider.--- La nonne militaire d’Espagne – Poitiers/Ligugé 1980, Mercure de France – Préface de Kenneth White – Traduction de Pierre Schneider. --- Léon Gaultier : Catalina de Erauso, la Nonne Conquistador – 1980, Editions Jean Picollec.--- José-Maria de Heredia, La nonne Alferez – Lyon 1982, Editions J. L. Lesfargues.---- Marion Poirson-Dechonne : La guerrière du nouveau monde, Rouge Safran 2012.—BNF Gallica—wikipédia.org--- www.franceinter.fr/emissions/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-13-mars-2016
---
Partager la publication "Catalina de Erauso, la nonne-soldat"


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.