vendredi 4 juin 2021

Napoléon Chaix et les trains de plaisir


Napoléon Chaix et les trains de plaisir
Naissance du "Tourisme" ?


Dès juin, les touristes vont réinvestir notre Languedoc. Ils viennent chercher chez nous, détente, sport, distractions, un peu de culture. Nous sommes maintenant loin des Grands Tours de nos jeunes aristocrates ou bourgeois du 17ème-18ème siècle qui parcouraient l’Europe en quête de connaissances, de découvertes. Parfois nos touristes oublient que s’ils font la fête jusqu’à la fin de la nuit, nous autres, nous devons nous lever tôt le matin pour travailler. Mais nous les aimons bien malgré tout.

Le mot « tourisme » apparaît dans notre pays en 1813. Il nous revient d’Angleterre d'où il était parti pour nommer « promenade circulaire ». Ce mot va rapidement remplacer le mot « voyage », en signifiant plutôt voyage d’agrément, pour le plaisir. Stendhal l’emploie ainsi en 1837 dans ses « Mémoires d’un touriste ».
Il va de paire avec la naissance du chemin de fer.


Le 21 août 1837 la reine Marie-Amélie inaugure la première ligne de Paris au Pecq, le rail n’allait pas encore jusqu’au château de Saint-Germain. La plupart des hommes d’affaires, des banquiers croient en l’avenir du chemin de fer, pour le transport des marchandises mais aussi des voyageurs. Tous ne partagent pas cette opinion comme Adolphe Tiers qui dit : « il faut donner le chemin de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera un voyageur ou un bagage… ». D’autres s’interrogent, Théophile Gautier, Musset… Le déraillement du 8 mai 1842, ses 55 morts et ses plus de 100 blessés, les brûlés vifs dans des wagons fermés de l’extérieur, le spectacle atroce, tout cela inquiète. Lamartine, notre grand poète, affiche un certain fatalisme : « …la civilisation est un champ de bataille où beaucoup succombent pour la conquête et l’avancement de tous. Plaignons-les, plaignons-nous et marchons !! ». Tous sentent bien que nous sommes à un tournant de la civilisation avec le développement du chemin de fer.
En 1839, une ligne Paris-Versailles, puis jusqu’à Chartres. Notre pays se couvre rapidement de voies ferrées, d’abord pour le transport de marchandises, puis de voyageurs. Paris-Chartres en 45 mn au lieu  de deux heures auparavant. Au château de Versailles les Grandes Eaux fonctionnent à nouveau, un musée des Gloires de la France s’installe au château-même. Les foules parisiennes se précipitent vers la cité royale à laquelle le roi Louis-Philippe veut redonner un certain lustre et surtout rappeler qu’il est légitime. Le fameux 8 mai 1842, 750 personnes sur le train de retour !!
 Daumier-wikipedia.org- Les trains de Plaisir--
Nos hommes d’affaires ont l’idée des « trains de plaisir » qui étaient un convoi spécial à tarif réduit à destination de stations balnéaires, de centres touristiques ou pour des événements particuliers, courses, fêtes, expositions…. Des tarifs très promotionnels, de 40 à 70 % du prix normal. Ces trains étaient surtout destinés à une clientèle aisée car ouverts seulement en première et seconde classe. Il faudra attendre 1880 pour la création d’une troisième classe. A partir de 1860 on peut même s’arrêter dans les principales gares d’un itinéraire prévu : ce sont les billets circulaires. Des affiches de paysages, de monuments, des stations balnéaires ornent les gares ; c’est tout un art qui se développe. La pub attractive est née qui va s'intéresser à tout ce qui se vend, gâteaux, pâtes, cirage.... 
Plus tard le rail rejoint les bords de mer, Dieppe, Rouen. Le 19ème siècle prépare les "congés payés" et le tourisme du 20ème.




Déjà en Angleterre ces trains spéciaux circulaient depuis 1844. La ligne Paris-Le Havre sera mis en service le 13 juin 1847, départ le samedi soir et retour le lundi matin et deux nuits en train pour 10 Frs aller-retour. Le voyage durait 6 heures.
Ils vont circuler jusqu’en 1930 environ. Paris-Boulogne, Dunkerque, Caen, Bayeux… et inversement pour les provinciaux qui visitent Paris. La popularité des trains de plaisir a inspiré de nombreux artistes, Rossini, Strauss, Bollini, des films, des romans, et surtout des affiches, des estampes qui sont arrivées jusqu’à nous.

La compagnie des chemins de fer de l’Ouest s’associe avec des entrepreneurs de voyages et propose pendant la belle saison des trains de plaisir pour Rambouillet. Le parc de cette cité largement ouvert aux promeneurs se dote d’attractions, de boutiques foraines. Un restaurant s’installe dans le château. La forêt apporte grand air, sport…. Le Second Empire reprend le château, et les Parisiens durent se contenter de la forêt. Aspiration au voyage qui devait être pour le corps médical une distraction… le train n’a pas inventé le voyage touristique mais lui a donné un nouvel élan.

Il ne suffit pas de transporter les gens, il faut aussi les renseigner sur les contrées qu’ils traversent. Le guide touristique est devenu une nécessité avec le développement du chemin de fer et du voyage touristique. Les éditeurs privés s’emparent du marché ; à chaque ouverture de ligne, des guides parfois volumineux prolifèrent, dus à des notables, des érudits locaux ou des journalistes désireux de célébrer leur province. On redécouvre un intérêt historique à des monuments, à des villes.

Un des premiers est imaginé par Napoléon Chaix, imprimeur-éditeur parisien. Il est né en 1807 à  Châteauroux dans l’Indre. Son père est prote chez l’imprimerie Bayvet de cette ville, c’est à dire chef d’atelier d’imprimerie, le représentant du patron. Napoléon Chaix y fait son apprentissage. Un temps ouvrier imprimeur à Bourges, puis il revient chez Bayvet reprendre la place de son père qui vient de mourir. Enfin il part à Paris travailler chez Paul Dupont. Une grosse imprimerie, 2000 ouvriers, 5 presses à vapeur et 20 presses à bras. On y imprime surtout des feuilles de comptabilité. Chaix y est particulièrement apprécié, consacrant « une partie de ses veilles » au travail. « Les hommes d’un pareil dévouement sont rares » dit de lui son employeur. Mais Napoléon Chaix a d’autres ambitions.



Après un premier refus du préfet en 1836, il redemande un brevet d’imprimeur en lettres en 1845 pour Paris. Il est recommandé par son patron et par le directeur des chemins de fer d’Orléans qui soutient financièrement son projet : imprimerie des documents, publications (comptabilité, exploitation) des chemins de fer. Pour se retrouver dans les horaires et l’imbrication des différentes compagnies, il crée d’abord « l’Indicateur des chemins de fer, seul journal officiel paraissant tous les dimanches, contenant les heures de départ et d’arrivée des trains, le prix des places, le tarif des bagages….de tous les chemins de de fer ainsi que leurs correspondances par diligence et bateau vapeur, publié par Napoléon Chaix avec le concours et sous le contrôle direct des administrations de chemins de fer… ». C’était un coup de maître !! Avec l’aide directe des dirigeants des chemins de fer, sa publication hebdomadaire prenait un caractère officiel. Le Livret Chaix, "guide officiel des voyageurs sur tous les chemins de fer français et les principaux chemins de fer étrangers", pour lequel il obtient en 1847 l'autorisation d'une vente dans les gares. L’indicateur se présente sous la forme d’un petit livret vert de format in-4°. Il est très vite apprécié par une abondante clientèle.

Vont suivre L'Indicateur (1849), Le Recueil général des tarifs (1858), les cartes des réseaux de toute l'Europe, des guides-itinéraires et publications diverses (Livret des environs de Paris, Livret des rues de Paris, Manuel de l'expéditeur...) L'Indicateur (1849), Le Recueil général des tarifs (1858), les cartes des réseaux de toute l'Europe, des guides-itinéraires et publications diverses (Livret des environs de Paris, Livret des rues de Paris, Manuel de l'expéditeur...). 
Les affiches évoluent, indiquent toujours les horaires mais sont moins administratives, plus décorées, en couleurs, « communicantes » comme on dit aujourd’hui. Il imprime des grands auteurs publicistes.

 Plan de Paris(1907)
 Sur cette lancée, Chaix décide de publier « une  Bibliothèque du voyageur » pour les principales destinations touristiques, c’est-à-dire des guides destinés « à instruire et distraire… avec le véritable caractère d’un guide, d’un ami du lecteur, digne de ses sympathie… ». Napoléon Chaix signe tous ces guides touristiques, mais probablement se fait-il aider par des écrivains qui n’ont pas laissé leurs noms. Chaque livret déborde d’enthousiasme, de poésie pour le paysage, l’histoire des villages traversés et leurs monuments. Le voyageur est prêt pour la Grande Aventure. « Vous verrez fonctionner sous vos yeux et dans quelle harmonie toutes les parties de ce grand mécanisme intellectuel qu’est l’administration générale d’un chemin de fer…  Mais le signal du départ est donné. Prenons place et laissons la population parisienne s’agiter dans sa métropole comme un essaim d’abeilles dans une ruche immense.. ». On attire l’attention du voyageur sur les « coquettes villas les jardins fleuris, les riches 
prairies plus agréable à contempler que les quais poudreux et bruyants de la capitale.. ». A Orléans, il devient lyrique pour parler de Jeanne d’Arc et de la délivrance de la ville. Lyrisme qui fait oublier sa description excellente des édifices de la ville. Et de conseiller la visite de la ville pendant les 20mn d’arrêt, la cathédrale, les églises, les édifices civils, le grand pont sur la Loire….
Les guides renseignent aussi sur les ressources hôtelières, les commerces etc. Ils deviennent plus pratiques, moins volumineux, dispensent des conseils. Ils activent un tourisme hôtelier, balnéaire, thermal.
 Si on oublie le style déclamatoire des guides Chaix, ils sont des petits bijoux pour les historiens auxquels ils fournissent des notations, des détails précieux sur les villes et villages du milieu du 19ème siècle qui vont se transformer pour beaucoup sous le Second Empire et le 20ème siècle. Des détails qui vont disparaître au fil du temps.

Pour le prolongement de la ligne de Paris jusqu’à Saint-Nazaire, Chaix écrit : « ainsi la locomotive ira saluer de ses sifflements aigus l’immense Océan et ces deux puissances désormais réunies porteront au bout du monde avec les trésors de notre industrie les bienfaits de notre civilisation !! ».



 gallica.bnf.fr Chemins de fer de l'Ouest. Normandie. Bretagne : [affiche] / Paul Berthon -- 1900

La concurrence est rude, comme avec Louis Hachette, une querelle qui va durer dix ans.
Napoléon Chaix tout en continuant d’être éditeur, est avant tout un imprimeur typographique. En 1865 à sa mort, il est à la tête d’une entreprise qui compte 400 ouvriers, l’une des plus grosses en France, qui s’est développée dans différents secteurs. Elle imprime des livres et périodiques, les déclarations d’intention et bulletins de vote des années 1848-50. En lithographie des plans, des cartes pour illustrer ses guides, des affiches…..

(Alice Russelle Glenny -wikipedia.org)
L’imprimerie Chaix édite "Les Maîtres de l’Affiche" une publication mensuelle de reproduction des plus belles affiches illustrées de grands artistes français ou étrangers, J Chéret, Toulouse-Lautrec, Lucien Lefèvre, Choubrac, Georges Meunier….
Napoléon Chaix est condamné à plusieurs reprises pour non déclaration ou non dépôt d’impression, mais son importance commerciale et surtout sa modération politique en ces périodes compliquées, l’aident à passer au travers d’une quelconque censure.  Il a de bonnes relations avec l’administration de la Librairie qui lui permettent d’obtenir l’autorisation de s’agrandir en juillet 1858 malgré l’avis contraire du préfet de police, pour imprimer le Cours Général de la Bourse. Il obtient le brevet d’imprimeur en taille-douce en février 1860.



Son fils Alban prendra les rênes de l’entreprise à sa mort. En 1881 l’imprimerie centrale des Chemins de Fer prendra le nom d’imprimerie Chaix, au 126 rue des Rosiers à Saint-Ouen avec seulement 100 ouvriers.

 






  















Sources : . Alain Frerejean, La grande aventure des chemins de fer, Flammarion, 2008, 502 p. (ISBN 978 2 0812 0436 2), p. 220 à 222 – Jacques Levron  Napoléon Chaix le Père des Guides de Tourisme  Historia mars 1982n°424--- François Caron Histoire des Chemins de Fer en France édit Fayard 1997 ISBN2-213-0253-8---










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