mardi 24 janvier 2023

Faiseur de bas de soie

 

(fruit du mûrier)


Le Faiseur de Bas de Soie


L’artisanat et l’industrie de la soie ont amené dans notre pays, emplois, renouveau économique, parfois fortune pour certains du 12ème au 19ème siècle.

A côté des tisserands, des filateurs de soie, des éleveurs de vers à soie, on oublie parmi les métiers de la soie, les faiseurs de bas de soie, qui confectionnèrent sur des métiers cet accessoire de l’élégance masculine et féminine pendant près de deux siècles.

De Chine,  l’art de fabriquer la soie se serait  progressivement transmis aux autres civilisations par le biais d'espions de tous genres (moines, princesses…), de pillards et de marchands.

Dans nos Cévennes, Anduze, Saint Jean du Gard… le travail de la soie est très ancien. La période fait encore débat chez les historiens. Un document de 1234 signale l’exportation vers Marseille d’ouvrages en soie provenant des Cévennes. En 1296 un dévideur de cocons est mentionné à Anduze : le vers à soie déjà élevé chez nous ? Nous savons que l’Italie produisait des soieries que nous achetions à prix d’or. Nous savons aussi que la technique de l’élevage de ce petit vers fera l’objet d’espionnage, de vols, d’essais divers et variés avant que sur les conseils d’Olivier de Serres, Henri IV ne fasse planter des mûriers en masse dans la plupart des régions de France, pour nourrir les vers à soie, développant ainsi la production de cocons.

Le tricot était connu dans l’Antiquité et l’on possède des bas datant du VIIe  siècle, tissés à l’aiguille et en rond.

 
(Portrait de Charles IX, roi de France (1550-1574) ; François Clouet ; 1566 ; Musée du Louvre)

Les Arabes, entre le VI et XIIe siècle vont, par leurs conquête étendre le royaume de la soie. Egypte où ils s’approprient la soie, Afrique du Nord,  Espagne et Sicile, où ils créent une colonie en 827. Les soieries mauresques sont alors très recherchées en Occident, ramenées à la faveur des croisades. A la fin du XIIIe siècle, Marco Polo ouvre une nouvelle route maritime et découvre que le fameux Cathay et la Chine ne font qu’un. A la même époque, une crise de succession pour le trône de Sicile fait s’exiler les tisserands de la soie vers les villes italiennes, la sériciculture remonte vers le nord pour atteindre au XVe siècle Venise, Florence, Lucques et Gênes. Les chemins de l’exil enrichissent les uns et appauvrissent les autres !!. Les soieries étaient pour l’économie des pays ce qu’est le pétrole pour nous…

La Renaissance teintée d’influences byzantines accouche de chefs d’œuvres textiles, qui conquièrent les cours et les églises d’Europe. La fin des croisades et l’arrivée des papes à Avignon installent le raffinement italien en France. A la fin du Moyen Âge, Lyon devient un grand centre de transit puis de création d’étoffes, qui fera d’elle la capitale de la soie. C’est sous François 1er, vers 1535, qu’est accordée une charte à deux commerçants, Etienne Turquet et Barthélemy Naris pour développer la soierie à Lyon. En 1540le roi accorde le monopole de la production de soie à la ville de Lyon.

S’il est difficile de dater exactement l’apparition du bas de soie, on sait que dans la première moitié du XVIe siècle son port est encouragé par François 1er. Il s’agissait alors de bas faits en tissu de soie et ajustés. C’est vers 1564 que l’anglais William Rider remet au goût du jour les bas tricotés. En 1554, le roi Henri II, fils de François Ier,  ordonne par un édit la plantation des mûriers ; on dit que ce prince fut le premier qui porta des bas de soie tricotés.

Entre 1540 et 1570, le costume masculin évolue et apparaissent des bas plus longs, s’attachant aux chausses, tricotés, la maille donnant plus de souplesse et d’élasticité aux mouvements de la jambe, mettant en valeur la rondeur du mollet de ces messieurs.

On commence à comprendre le lien entre les mûriers et les vers à soie. Henri IV prit beaucoup d'intérêt à la production de la soie, l’importation de soieries coutait très cher au royaume. Il fait planter un peu partout des mûriers même à Paris, dans le jardin des Tuileries (1601). Mais c'est principalement sous le ministère de Colbert (1619 - 1683), fils de drapier, que cette culture reçut une grande impulsion.


(La Vie paysanne- La Soie à domicile)

Le métier de faiseur de bas va bénéficier d’une invention, celle du « métier à faire les bas ». Un anglais, Lee en est le découvreur vers 1610. Il s’installa à Rouen et développa une industrie florissante, encouragé par le roi Henri IV et son ministre Sully. Mais à sa mort ses ouvriers anglais retournent en Angleterre avec les métiers. Dès lors les Anglais défendirent « sous peine de vie, de la transporter hors de l’ile ni d’en donner modèle à un étranger ».

Mais un Français Jean Hendret (Hindret) avait surpris le secret de la machine, en fit construire et en 1656 installa la première manufacture de bas au métier dans les annexes du château de Madrid à Neuilly au bois de Boulogne. Cette installation est autorisée par lettres patentes et la manufacture est confiée à Hindret et Blaise. Lorsque le privilège s’éteint, les ouvriers se réunissent en corporation avec des statuts donnés en 1672. « le métier et manufacture de bas, canons, camisoles, caleçons et autres ouvrages de soye qui se font au métier ». Par autorité royale, 100 premiers maîtres parmi les ouvriers sont nommés et quatre jurés parmi les plus âgés. Par la suite le fonctionnement de la corporation sera calqué sur celle de Paris.


(métier à tisser 18ème siècle)

Mais dès 1700 un arrêté va considérablement restreindre la liberté d’exercice du  métier : « Défense d’établir aucun métier ailleurs qu’à Paris, Dourdan, Rouen, Caen, Nantes, Oléron, Aix, Toulouse, Nîmes, Uzès, Romans, Lyon, Metz, Bourges, Poitiers, Orléans, Amiens et Reims. Tous les faiseurs de bas établis dans une autre place doivent se retirer dans les dites villes ». Défense de travailler ou de faire travailler sans avoir été reçu maître. Obligation pour les compagnons de se faire reconnaitre par les jurés de leur communauté et de se faire inscrire sur un registre avec mention de leur demeure et du nom de leur maître. Interdiction pour eux de vendre un ouvrage fait au métier. Interdiction aux femmes et aux filles de travailler au métier, exception faite pour les filles de maître mais seulement dans l’atelier de leur père. On réglemente sur la taille des métiers, la qualité de la soie à employer, la précision du travail…..

Cette réglementation oppose jusqu’en 1712 les facturiers de laine et les marchands de drap et soie. Par ailleurs le monopole des dix-villes est difficile à respecter et peu à peu les habitants d’autres lieux sont autorisés à exercer le métier. La production cévenole était destinée à la consommation intérieure mais aussi à l’exportation, Espagne, Indes Espagnoles, Russie… En 1760 Lima au Pérou achetait deux millions de bas de soie par an !! Les bas parisiens étaient considérés comme plus solides que ceux de Nîmes.

Hommes et femmes portaient des bas. Ils peuvent être unis, ajourés ou brodés. Au sortir du métier, le bas se présente comme une bande plate à sinuosités symétriques. Le talon a été renforcé par doublement du fil. La pointe, aussi renforcée, est confectionnée à part. Les bas sont ensuite assemblés par des couturières spécialisées. Dans un premier temps elles rassemblent les deux moitiés des talons et des semelles et ajustent les pointes. Ensuite, elles plient les bas longitudinalement pour réaliser la couture, besogne délicate et toute en finesse. D’autres femmes interviennent, ce sont les brodeuses, la broderie étant un élément important de la commercialisation. Lorsqu’il est noir, le bas ne doit recevoir sa nuance qu’après complet achèvement au métier, sauf s’il entre dans sa confection des fils d’or ou d’argent. Pour les autres teintes, c’est le fil de soie qui est préalablement teinté avec des colorants comme la cochenille, le safran, l’indigo, l’épine vinette, la gaude ou encore le bois des îles. Chaque douzaine de bas est marquée avec un plomb portant les noms de la ville et du fabricant avant d’être commercialisée.

Le faiseur de bas travaille chez lui et peut avoir jusqu’à quatre métiers.  A la fin du 18e siècle, sa journée de travail s’étend en été de cinq heures du matin à la tombée de la nuit, en hiver de six heures du matin à dix ou onze heures du soir. Il travaille debout à la lumière du jour ou à la lueur d’une lampe associée à  un globe qui démultiplie la lumière. Une paire de bas se réalise en une journée ; le dimanche et le lundi sont chômés, mais le travail ne s’arrête pas pour autant : entretien du métier, lopin de terre à travailler. On est encore un cultivateur-artisan et non l’inverse. Une grande propreté est nécessaire pour ne pas salir l’ouvrage délicat et fragile.

Le métier se transmet comme un meuble de famille, le nom du premier utilisateur est gravé sur la barre transversale. Il figure dans les inventaires après décès. A la fin du 18ème siècle à la veille de la Révolution, c’est une classe d’artisans assez privilégiés, la mieux nourrie, la moins exposée aux maladies. Le faiseur de bas est renommé pour sa propreté, plus économe, de meilleures mœurs malgré des revenus modestes.

La fabrique de bas à domicile va se maintenir tant bien que mal jusque vers 1880, date de l’apparition du métier mécanique mu par la vapeur. C’est la mort du métier à bras. Le savoir-faire si patiemment acquis pendant les années n’est plus nécessaire. L’artisan ne peut plus travailler chez lui, en famille, libre de gérer son temps. Il abandonne son art pour l’atelier qui peut regrouper jusqu’à vingt machines dans un bruit assourdissant ou bien il s’engage comme employé ou surveillant dans les filatures de soie qui se sont développées depuis le milieu du siècle. Doucement on se dirige vers les bas en nylon du 20ème siècle…

 La Révocation de l’Edit de Nantes de1685 va pousser à l’exil certains de nos artisans, dont les faiseurs de bas de soie. L'usage du métier à confectionner les bas alors se répandit en Suisse et en Allemagne. Et notre pays perdit le quasi-monopole de la confection des bas de soie. Nîmes sera moins impactée, tout au moins dans un premier temps.

Le nom des « faiseurs de bas » disparait vers 1723, le métier continue mais est absorbé par la corporation des bonnetiers.


C’est Simon-Pierre Grizot qui dès l'année 1680 introduisit à Nîmes le métier à faire des bas de soie ou filoselle. En fait il rapporte de Londres les dessins des pièces composant le métier à tisser les bas de soie. D’autres sources attribuent à Louis Félix l’importation du métier à tisser en 1680.

Grizot devient syndic puis doyen de la communauté des maîtres fabricants de bas et il déclare en 1710, 25 métiers, se situant au sommet de la hiérarchie économique des marchands-fabricants de bas nîmois. En 1717, il déclare trente métiers…

Dans les années 1650, la ville connait une crise manufacturière très grave : l’industrie lainière est fortement touchée. Les négociants vont se tourner très rapidement vers la soie. Les contrats d’apprentissage se multiplient. En trente ans, la communauté des soyeux voit le nombre de ses membres triplé, essentiellement dans la communauté  protestante. Les persécutions contre eux ont déjà commencé depuis les années 1640, mais les soyeux de cette religion seront un temps acceptés. En 1680 le duc de Noailles lieutenant général de la province fait son entrée à Nîmes escorté par la bourgeoisie marchande, protestante, avec au premier rang … »marchands de soie, taffetattiers, passemantiers et ouvriers en soye ».

A Nîmes la profession va évoluer. En 1700, marchands, facturier, ouvriers, faiseurs de bas au métier se réunissent en assemblée générale : ils se déclarent eux-mêmes maîtres et nomment Grizot syndic. Dès 1706, 870 métiers à bas  faisait vivre autour de mille familles, en 1711 plus d’un millier de métiers!! Les marchands nîmois profitent de l’effondrement de l’industrie de la soie en Italie dans la seconde moitié du 17ème siècle. Bourgeoisie intelligente, entreprenante qui prend conscience très vite de son poids économique. L’intendant du Languedoc, le pourtant très sévère Lamoignon-Basville dira des marchands de Nîmes :

« Ils sont appliqués à leur commerce, habiles négotiants, hardis dans leurs entreprises, et ont tout le génie que l’on peut avoir pour réussir dans leur profession, …et si tous ces marchands sont encore mauvais catholiques, du moins ils n’y ont pas cessé d’estre bons négotiants ».

Le protectionnisme de Colbert envers les marchands de Nîmes va ruiner ceux d’Avignon. En Italie, les états du Piémont et le royaume de Naples se replient sur la production et l’exportation de la soie grège.

Mais avec la Révocation de l’Edit de Nantes, après 1685,  l’intolérance, ou la tolérance de façade va s’appliquer aux moins argentés, aux moins solidaires, aux plus têtus ou moins souples…. Et nos savoir-faire vont s’exiler avec nos artisans.


Le déclin des bas de soie peu à peu s’installe avec l’arrivée du nylon synthétique vers 1946 et des grands métiers rectilignes Reading et Kalio à 30 et 32 têtes. Des tonnes de nylon deviendront des millions de paires de bas.

Les bas vont perdre leur couture avec les métiers circulaires, et le collant fera son apparition avec la mini-jupe. Le nylon sera détrôné par l’élasthanne d’une qualité supérieure. L’automatisation de ces métiers et une concurrence étrangère impitoyable entrainent petit à petit la fermeture de nos usines et le chômage pour des ouvrières et ouvriers. Les bas de soie, symbole  de raffinement, de luxe, de sensualité ne sont plus qu’un souvenir nostalgique….

1905 Ganges (Hérault) filature de soie-atelier de fabrication de bas de soie

Sources et pour en savoir plus :  Le Vivarais et Velay protestants (2 tomes) - Samuel Mours - Valence, Imprimeries réunies, 1947.--- Mémoires du Pasteur Meyssonnier, registres de la Société des Amateurs de Généalogie de l'Ardèche (SAGA) Boite postale 3, 07210 Chomérac.--- Revue du Vivarais 1901; Thueyts en Helvie, Gérard Blacher auto-édition, 1984; Recherches documentaires effectuées par Suzanne et Jean Cluzel (Janvier 2001).--- De la branche à l'étude, Le notariat genevois sous l'Ancien Régime par Barbara Roth-Lochner.--- Simon-Pierre Grizot, L'industrie textile à Nimes en 1680 .---Lespinasse, René de. Les métiers et corporations de la ville de Paris : XIVe-XVIIIe siècles T3 --Dutil, La fabrique de bas à Nîmes au XVIIIe siècle, Annales du midi, 1905--De Saporta, La bonneterie de soie dans les Cévennes, Revue des deux mondes, 1898 --Etat des fabriques et manufactures textiles du Gard, Archives départementales du Gard, série 9M.—

Encyclopédie Diderot – Le métier à faire des bas.-- objectif-languedoc-roussillon.latribune.fr/entreprises/2021-06-28/fabrique-de-bas-dans-les-cevennes-le-savoir-faire-unique-de-l-arsoie-cervin-ne-connait-pas-la-crise-887835.html-- Colette Pillet en 1987  n° 56 de la revue Gé-magazine.---

 

 

 

 

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