lundi 22 janvier 2018

Les Papes d'Avignon : Clément VI





La porte des Champeaux
principale entrée du palais des papes sommée du blason de Clément VI


Les Papes d’Avignon : Clément VI (1291-1342-1352)   


A la mort de Benoît XII, l’abbé froid ainsi nommé par la prophétie de Saint Malachie, un quatrième pape avignonnais est élu. C’est Pierre Roger, un Limousin, aristocrate pauvre mais cultivé, « la rose d’Arras » nous dit la prophétie de Saint Malachie. Il est le fils de Guillaume Roger de Beaufort, petit noble, châtelain de Rosiers à Maumont. En 1302 il prend l’habit de bénédictin au monastère de la Chaise-Dieu en Auvergne. Il a 11 ans, d’une foi intense et d’une intelligence vive. A seize, il étudie la théologie à l’université de Paris. En 1323 il est maître en théologie, doctorat obtenu le 23 mai par bulle du pape Jean XXII. Bon orateur en français, occitan, latin « beau parler n’écorche point langue » dit-il. Le pape Jean XXII le nomme en 1326 abbé de Fécamp, puis évêque d’Arras en 1328, archevêque de Sens en 1329. Sa carrière politique peut commencer.

Il entre au Conseil Royal de Philippe VI, devient Chancelier de France, premier personnage du royaume en 1330. Il essaie de trouver une issue honorable au conflit Angleterre-France. Il y acquiert une réputation de fin diplomate et une bonne connaissance de la vie politique. C’est aussi un théologien reconnu, sans doute le plus expert des papes français. En 1330 il est archevêque de Rouen où il ne réside pas. Le pape Benoît XII sur recommandation du roi Philippe VI le nomme cardinal mais il reste au service du roi.
Armoiries des Roger
Le conclave se réunit quatre jours, l’élection se fit en une journée à l’unanimité, cardinaux et le roi Philippe VI d’accord sur son nom. La phrase qu’il prononce après son élection dit tout du personnage : »nos prédécesseurs ne surent pas être pape ». ! Il est plein d’idées, de projets. Dès son couronnement le 19 mai, son sacre est l’occasion de fêtes somptueuses, toute la noblesse de France est là, cavalcades, étoffes les plus luxueuses, parade dans la ville…. Splendeur que ne renieraient pas les Médicis de Florence ; plus de cinq mille invités. Dès le début de son règne on sait qu’il n’aura pas la rugosité de caractère de son prédécesseur Benoît XII.
Dragon ailé Palais des Papes
Clément VI confia à ses cardinaux qu’il allait personnellement s’occuper de l’avenir de l’Église de Dieu : il ambitionnait de planter dans l’Église un tel rosier du Limousin, qu’après cent ans, il eut encore des racines et des boutons. Il avait une mémoire étonnante qui certains attribuaient à un choc violent reçu à la tête dans sa jeunesse. La mode était aux animaux exotiques et le Saint Père en avait la passion : une lionne qui coûtait un mouton par jour, ours, autruches, perroquets, qui feront la joie des enlumineurs. Il abandonne son vœu monastique de pauvreté et s'oppose aux Spirituels, moines franciscains observant une pauvreté matérielle absolue.

Dès le 21 décembre 1343, à la demande des frères de l’Hôpital du Pont, il accorde des indulgences aux fidèles qui contribuent à l’entretien du pont Saint-Bénezet. Il faut améliorer le passage sur le Rhône entre le royaume de France et Avignon, commerce et communications l’exigent. Il n’envisage pas de retourner à Rome mais accorde un jubilé pour l’année 1350. L’Italie est toujours très instable. Les familles nobles italiennes se disputent les Etats Pontificaux. En 1347 le pape est tenté par la création d’un état calqué sur l’ancienne république romaine du meneur politique Cola di Rienzo. Mais finalement ce dernier sera excommunié.
La guerre de Cent Ans est toujours là. Une seconde trêve en septembre 1343 est signée entre la France et l’Angleterre sous l’influence des légats pontificaux. Elle durera plus ou moins trois ans.
Les pirates turcs ravageaient les côtes de l’Empire Byzantin. Clément VI met sur pied une croisade commandée par le patriarche latin de Constantinople et Edouard Ier de Beaujeu. Smyrne en octobre 1344 est confiée à la garde de chevaliers de Rhodes.
Sur son initiative, le Dauphiné est rattaché au royaume. Avignon est racheté à la reine Jeanne, comtesse de Provence…Il s’occupe de Louis de Bavière, des affaires napolitaines qui vont très vite le dépasser. Avignon devient la troisième capitale de l’Eglise avec Pernes et Carpentras. Le souverain du royaume d’Arles Charles IV renonce à toute suzeraineté sur Avignon et la présence de la papauté est ainsi assurée dans le Comtat. Une tentative de réforme du calendrier Julien qui échouera, réforme prématurée.
(Bataille de crécy –Chronique Froissart)
Son règne ne fut pas de tout repos. La Guerre de Cent ans faite d’escarmouches incessantes atteignit le sommet de l’horreur le 20 août 1346 à Crécy-en-Ponthieu dans le Nord de la France. Les archers anglais font un carnage dans les rangs français lourdement cuirassés. Mais surtout les bouches à feu creusaient des sillons de mort dans les troupes françaises. Une ambassade chinoise du Grand Khan avait fait la démonstration des pouvoirs de la poudre noire peu de temps avant dans les jardins du Palais des Papes. Un jeu qui était devenu arme de guerre. Puis ce sera le siège de Calais et l’épisode des Bourgeois de Calais, la corde au cou, en chemise qui se rendent aux Anglais après un siège de près d’un an.
Au lendemain de la funeste bataille de Crécy en l’année 1346, la peste noire est aux portes de la Méditerranée. Elle touche Marseille le 1er novembre 1347 et va s’étendre à la Provence et au Languedoc. Le moine francilien Richard de Saint-Victor constata : « Il mourut plus de deux parts des gens et n’osait le père voir le fils ni le frère la sœur ».  Guy de Chaulhac docteur de l'université de Montpellier, remarqua quant à lui : « Les gens mouroient sans serviteur et estoyent ensevelis sans prestre. Le père ne visitoit pas le fils, ni le fils son père. La charité estoit morte et l’espérance abattue ». Dans Avignon l’épidémie fait des ravages, les volontaires pour enterrer les cadavres se font rares. Clément VI fait appel contre salaire à des paysans de Haute-Provence, les Gavots. Une civilisation ou tribu très ancienne avec ses lois, son écriture. En moins d’un mois après leur arrivée, ils avaient tous trépassé.
Bûchers persécutions contre les Juifs
BNF
En janvier 1348 un tremblement de terre est ressenti dans tout le Sud du pays, mauvais présage qui s’ajoute. Les Juifs seront accusés de propager la maladie. Des holocaustes sont organisés un peu partout. Clément VI prend la protection des juifs par deux bulles en juillet 1348 pour interdire de les contraindre au baptême et celle du 26 septembre condamnant les persécutions, brandissant l’excommunication. Strasbourg voit quelques 900 Juifs brûlés alors que l’épidémie n’est pas encore déclarée dans la ville !!
Flagellants BNF
Le pape va exceptionnellement autoriser les autopsies pour découvrir la cause de la maladie. Il condamna le fanatisme des flagellants qui répandaient la haine dans les royaumes. Ces flagellants déclenchent des scènes d’hystérie collective, défiant les prêtres car ils prétendaient être les seuls intercesseurs auprès de Dieu pour sauver l’humanité. Nous aurons l’occasion de reparler de cette peste noire un peu plus tard.
Clément VI va surtout nous laisser un palais, le Palais Neuf,

  Dès l’été 1342, le souverain pontife décide d’agrandir le Palais de Benoit XII. Jean de Louvres, (Loubières pour certains auteurs), maître maçon, originaire de Parisis est nommé Maître des Œuvres du Pape et sergent d’armes. Il reste au service de Clément VI jusqu’à sa mort. Tour de la Garde-Robe contre le mur sud, Tour des Cuisines, celle des Latrines, achèvement de la Tour des Trouillas. En 1344 on creuse le rocher pour les fondations de la Grande Audience ; fin 1346, c’est le chantier de la Grande Chapelle. Le Grand Promenoir (36 mètres), la Tour de la Gâche, l’aile des Grands Dignitaires, une nouvelle façade….Les croisées d’ogives, sculptures, culots de nervure, fresques magnifiques, des trompe-l’œil, l’élégance gothique entre au palais. Mobilier, tentures murales. En toute simplicité Clément VI fit placer les armoiries des Roger sur le nouveau portail des Champeaux. Aucun motif religieux sur les fresques, mais des scènes champêtres et de chasse. La perspective arrive dans la peinture. Des noms Robin de Romans, Matteo Giovanetti, Bernard Escot, Pierre de Castres. Pétrarque, Dante, Alighieri, et les peintres « flamands » qui vont exercer leur art nourris sur les caisses pontificales. Ce pape sera le mécène des plus grands artistes et érudits de l’époque.  Plan du Palais En sombre le Palais Vieux, en gris clair le Palais Neuf + les différents jardins.
Lorsque Clément VI meurt, le 6 décembre 1352, les réserves financières du Saint-Siège sont épuisées. A sa mort, le Trésor Pontifical est maigre : 311 115 florins.
Les papes suivant se contenteront d’achever les travaux commencés et faire des transformations ponctuelles. Le Palais sera transformé en prison pendant la Révolution en juin 1790. Le commandant Jourdain appelé élégamment « coupe-tête » s’y installe quand Avignon et le Comtat Venaissin deviennent français. La Tour de la Glacière ou des Latrines est le théâtre d’un massacre. Malgré une décision de la Convention en 1793, le palais échappe à la démolition. Au 19ème siècle, le palais est transformé en caserne et les militaires vendent des fragments de fresques. L’évacuation des militaires n’est effective qu’en 1906, lorsque les Monuments Historiques décident des travaux de restauration.
Chambre du Pape





















Restauration aile du Conclave




Chambre au cerf - oiseleurs
Généalogie famille de Roger de Beaufort de Turenne -2009 Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la Couronne, de la Maison du Roy et des anciens barons du royaume.... Tome 6 / par le P. Anselme,... ; continuée par M. Du Fourny -wikimedia
Clément VI va avoir la maladresse encore plus que ses prédécesseurs de combler sa famille de charges et de profits. Son frère Guillaume reçoit du roi le château de Beaufort érigé en comté ; il achètera la vicomté de Lamothe en Velay et ses treize enfants seront dotés très confortablement par Clément VI. Son autre frère Hugues achète grâce à son pontife de frère, les villes d'Alès, Bagnols sur Cèze, Bouzols, Sévissac et ses cépages. Cinq membres de sa famille seront cardinaux dont son neveu Pierre cardinal à 18 ans, (celui qui deviendra pape Grégoire XI).  Dans les archives comptables pontificales une rubrique charmante : « Dames de la famille ». Une nuée de femmes s’était abattue dans le palais dès l’installation du souverain pontife. La Plupart venaient du Limousin, toutes se disaient nièces papales, jeunes, jolies, transformant le palais en volière. Toutes les portes leur étaient ouvertes. Le souverain pontife pour se reposer aimait passer une heure ou deux en compagnie de ces demoiselles, parfois souper, écouter des chansons de son Limousin. C’est surtout sa nièce par alliance Aliénor de Comminges qui va ternir l’image du pape. Elle avait épousé son neveu Guillaume de Beaufort, mariage voulu par le Saint Père au coût de 20 000 florins plus 125 000 florins, achat de la vicomté de Turenne, remboursement des dettes des Comminges…. Noces en très grande pompe, baptêmes de deux enfants que la perfidie des historiens attribue au pape. Cérémonies qui dépassent en richesses celles de l’intronisation. Aliénor pouvait tout, même faire pendre des commerçants juifs pourtant protégés par le pape. Le couple s’installera dans le palais pontife à Villeneuve les Avignons.
Fresque des Prophètes Matteo Giovannetti
Clément VI souffrait de la goutte et de la gravelle (coliques néphrétiques). Chirurgiens, médecins jusqu’à six à la fois s’occupaient de lui. En 1343 on lui recommande des bains d’eau de mer pour la guérison du pied. Guy de Chaulhac, physicien de Montpellier fut appelé à l’automne 1351 mais devant l’état du malade, ses souffrances et sa fièvre, il conclut que la fin était proche. En décembre 1352, après une dernière crise de coliques néphrétiques, un abcès éclate et il décède. Avignon le pleura sincèrement ; il lui donna richesses, sécurité. Il était comme on dit « le bois et l’écorce », le Magnifique. Il dépensa sans compter pour la magnificence, mais sut vider les caisses de l’état lorsque la peste ravagea Avignon.

Il sera enterré comme il l’avait demandé à l’abbaye de la Chaise-Dieu. Il prit le chemin des Cévennes en mars 1353 dans la pluie et la neige. Le cortège funéraire, conduit par le cardinal de Beaufort, fut accueilli le 8 avril 1353 par son cousin Étienne d’Aigrefeuille qui dirigeait l’abbaye auvergnate Son tombeau sera détruit lors des guerres de religion en 1563.  Yves Renouard jugeant son pontificat a dit de Clément VI : « Sa brillante intelligence, sa clarté d’esprit, son éloquence, son affabilité, son courage, que la peste de 1348 lui donna l’occasion de révéler, ses connaissances théologiques et juridiques, son expérience politique, son habilité diplomatique font de Clément VI un des hommes les mieux doués, les plus complets et les plus remarquables de sa génération ».
Deux jours après l’ouverture du conclave un nouveau pape était élu, Etienne Aubert, un neveu du pape Clément et limousin lui aussi. Ce sera Innocent VI (1282-1352-1362). Suivi par Urbain V (1310-1362-1370), un Lozérien qui fait un saut à Rome mais revient à Avignon en 1370. Puis Grégoire XI (1329 ?-1370-1378), neveu de Clément VI, et fin des papes d’Avignon… Ils auront été sept papes français : « les captifs de Babylone », pendant près d’un siècle (1305-1370).


Sources : Jean-Paul Coudeyrette: Compilhistoire Michel Peyramaure La Tour des Anges édit Robert Laffont – Cl Mossé Les Histoires de l’Histoire Le bas Moyen-Age  édit Acropole IS ISBN 2-84080-063-2 –-  Sylvain Gagnière  Le Palais des Papes Edit RMG Palais des Papes ISBN 2-7144-1437-0 H60-2094-5 – Dominique  Vingtain  conservateur Le Palais des Papes édit Zodiaque – Dominique Paladilhe Les Papes en Avignon édit Perrin -  blog "jetraine.canalblog.com/archives/2012/01/24/23288413.html   Généalogie famille de Roger de Beaufort de Turenne -2009 Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la Couronne, de la Maison du Roy et des anciens barons du royaume.... Tome 6 / par le P. Anselme,... ; continuée par M. Du Fourny -wikimedia






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