jeudi 15 février 2018

Le Pape Boniface VIII ou la Gifle d'Anagni








(Palais papal d’Anagni)


Le pape Boniface VIII et  La gifle d’Anagni :


En France, au moins depuis Saint-Louis (Louis IX), les gouvernements acceptaient grosso modo les exigences des souverains pontifes. Mais avec Philippe le Bel petit-fils de Saint-Louis apparaissent les prémices de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est-à-dire ce que l’on a appelé le gallicanisme ou bien plus tard la laïcité.
(Philippe le Bel)
Les deux protagonistes sur le ring de l’Histoire : Philippe le Bel roi de France de 1285 à 1314 et le pape Boniface VIII (1235-1294-1303), deux hommes qui se ressemblent, avides de pouvoirs l’un contre l’autre, irascibles, ne reculant devant rien et surtout pas devant la diffusion de rumeurs qui détruiront des hommes et allumeront des bûchers.
Deux théories s’affrontent. Le roi souverain de tous ses sujets, ne doit dépendre d’aucun autre pouvoir, même pas de celui du pape. Les conseillers du roi notamment Guillaume de Nogaret poussent le souverain à s’affirmer comme le pouvoir suprême en son royaume. Les fausses informations vont discréditer tous ceux qui se dressent contre lui. Les Templiers en auront un aperçu plus tard.
Le pape Boniface qui vient de clouer le bec à l’Empereur du Saint-Empire Germanique n’est pas de cet avis et va s’opposer à l’autorité royale. Il écrit :"Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le matériel [temporel], mais l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise ; l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois", et concluait que "toute créature humaine, par nécessité de salut, doit être soumise au pontife romain".

Philippe Le Bel a besoin d’argent. Il a des offensives diplomatiques à mener, une guerre contre les Flamands sous le coude. Il a dévalué la monnaie, dépouillé les banquiers lombards et les juifs du royaume, mais cela ne suffit pas. Alors il lève un impôt « occasionnel » sur le clergé en 1295, la décime. Sans demander l’autorisation au pape. Il y ajoute peu après une taxe supplémentaire la « cinquantième » et là les évêques se plaignent au pape, qui réplique par une bulle qui précise que le clergé ne peut être soumis à l’impôt sans l’accord du Saint-Siège. Pour les prélats et avec raison, cet impôt est une astuce politique pour renflouer les caisses royales et non pour une hypothétique croisade contre les Infidèles.
Alors Philippe le Bel interdit toute exportation de valeurs hors du royaume de France. Le pape y perd une bonne partie de ses ressources. Nogaret, l’homme de confiance du roi attise les braises en interdisant à tout membre du clergé de quitter le royaume. Pour payer la solde des soldats mercenaires il faut l’argent des abbés qui ne doivent pas sortir du pays. Boniface VIII met un peu d’huile dans les rouages.

Mais l’évêque de Pamiers Bernard Saisset se met à ruer dans les brancards, conteste la légitimité du roi, pousse des comtes comme celui de Foix de se libérer de la tutelle royale. Enquête, séquestre des biens de l’évêque, et finalement arrestation et condamnation par un tribunal laïque. Contrairement au droit canonique dont dépend Bernard Saisset. Il serait un traître au service du pape, il aurait tenu des propos injurieux contre le roi et il est arrêté. Le procès repose sur des rumeurs, des ouï-dire. Boniface VIII menace de déposer le roi et prononce au moins trente bulles contre le roi dans le seul mois de décembre 1301. Dont les célèbres bulles Clericis laicos, Ausculta fili — dont Pierre Flote, juriste du roi, écrivit une version falsifiéeLe souverain pontife réaffirme que le roi est soumis au pape qui est supérieur à toute autorité temporelle. Primauté du Saint-Siège sur les souverains temporels !!

Bernard Saisset dira de Philippe le Bel : « ce n’est ni un homme, ni une bête, c’est une statue qui n’entend rien d’autre que sa raison». Le roi apparait dur, distant, peu bavard. Il se réclame de la pureté d’un Thomas d’Aquin tout en pratiquant une politique d’intrigues. En fait avec lui le Moyen Age s’achève et nous pouvons dire qu’il en est le dernier suzerain féodal qui va se tourner petit à petit vers un monde nouveau, un monarque de droit divin. Avec lui on ne dira plus « le roi en son conseil » mais « le roi et son conseil ». Il est vrai que tous les bûchers allumés sous son règne ne lui ont pas fait bonne presse !!

Alors la rumeur d’hérésie et de sorcellerie contre le pape se répand comme une trainée de poudre. Débauches diverses et variées, blasphèmes, meurtres, vente des trésors de l’Eglise…. Début 1303, Philippe le Bel est menacé d’excommunication, par un pape au tempérament coléreux et excessif.. Le roi, tout aussi droit dans ses bottes,  réplique par la convocation d’un concile œcuménique à Lyon pour juger de l’indignité du pape et le déposer.

Nogaret se rend à Italie pour notifier au souverain pontife les volontés du roi, qui dans la foulée est officiellement excommunié. Nogaret est depuis le 20 juillet en Italie chez le sieur Mouche Guidi banquier du roi dans le château de Staggia près de Sienne, aux sources des informations. Il faut agir vite avant que la sanction d’excommunication du roi ne soit publiée et mise en vigueur, dès le 8 septembre, jour du retour du pape à Rome.
(cathédrale d’Anagni)
Dans la nuit du 7 au 8 septembre 1303, (ou du 6 au 7 selon les auteurs et les fantaisies du calendrier qui fait commencer l’année le jour de Pâques, fête mobile)  Anagni, petite ville tranquille du Latium est investie par une troupe, nous disent les chroniques, de 600 cavaliers et 1500 fantassins menés par deux chefs de guerre ennemis du pape Sciarra Colonna et Rinaldo da Supino. Chiffres certainement exagérés car autant d’hommes auraient alerté. Anagni est la résidence d’été du pape et son village natal. Parfois appelée la ville des Papes parce qu’un autre pape Grégoire IX (1227-1241) y est né aussi. Elle est située à environ 50 km de Rome, bâtie sur un rocher dominant une rivière le Socco. C’est un gros bourg d’agriculteurs, vignerons, éleveurs de moutons.  
Et que vient faire Rinaldo da Supino dans cette histoire ? Boniface VIII a un neveu François Caetani, qui avant d’être promu cardinal par son oncle, était marié à la sœur de Rinaldo. Mariage annulé par le pape faisant entrer le déshonneur et le scandale dans la famille da Supino ainsi qu’un grand besoin de vengeance. Il est probablement manipulé par Nogaret qui a intérêt à se servir de la colère du petit baron. Comment se sont-ils rencontrés ? Peut-être par l’entremise du banquier Guidi.
Nogaret et ses hommes sont arrivés la veille, cachés dans une ferme proche au bord de la rivière, dont les occupants sont des alliés de la famille da Supino. Des Français, des Italiens recrutés sur place. Les Colonna avec le baron Sciarra et une petite troupe de cent-cent cinquante hommes sont en route. Les Colonna dont Boniface a spolié la plupart de leurs biens et exilé le patriarche Etienne Colonna et son frère Sciarra le chef de guerre du clan. Ils ont des amis à Paris (ils ont habité au Palais Royal), en Campanile et même à Rome au palais pontifical.
Le pape n’a autour de lui que quelques princes de l’Eglise et des serviteurs. Ce jour de septembre tout le monde dort au village. Au palais du souverain pontife, on s’amuse en compagnie de paysannes peu farouches. En cette époque l’Eglise usait largement du droit de cuissage réservé en principe aux seigneurs temporels du Moyen Age. Les récalcitrantes étaient facilement accusées de sorcellerie, de pratiques avec le diable.
Pour Guillaume de Nogaret il s’agit de s’emparer du pape et non de le tuer. Le légiste Nogaret voulait le ramener en France et le faire juger par le concile de Lyon. Boniface s’était fait tant d’ennemis dans l’Eglise, qu’une bonne partie approuvait le projet.
Un bourgeois d’Anagni recruté par Colonna, Adinolfo di Matteo se propose d’ouvrir les portes de la ville. Au château pontifical la garde de nuit est réduite.
Adinolfo conduit les soldats jusqu’à la chambre du pape. Colonna entré le premier négocie : récupération des biens de la famille, réparation à l’égard des cardinaux Colonna, abdication…. Il menace le pape qui refuse d’abdiquer. Le ton monte. Nogaret arrive à temps pour empêcher le meurtre du pape.
Nogaret lit son acte d’accusation au pape qui réplique « voici mon cou, voici ma tête »… Là les chroniques divergent : Nogaret s’avance vers le lit du souverain pontife et le soufflette de son gant de fer. Ou bien est-ce Sciarra Colonna l’auteur de ce crime de lèse-majesté ?
Toujours est-il que Boniface VIII renonce à excommunier le roi, s’engage à réunir un concile. Tous les prélats Caetani sont destitués. Colonna et ses hommes pourront faire leur entrée dans Rome.
Les Français ne se saisiront pas du pape. Après deux jours, les paysans du village les chasseront. Le pape et sa suite retourneront à Rome, où le souverain pontife décèdera (de chagrin ou d’humiliation si ce n’est des deux) un mois après en octobre.
Boniface VIII d’abord avocat et notaire du pape à Rome était devenu cardinal en 1281 sous le pontificat de Martin IV, et pape en décembre 1294. Nous devons à Boniface VIII la canonisation de Louis IX, désormais appelé saint Louis de France, au mois d'août 1297.
Il est né Benoît Caetani, famille ennemie des Colonna. Une bonne partie des pouvoirs sur le centre et le sud de l’Italie sont partagés par trois familles : les Orsini, les Colonna et les Caetani. Son prédécesseur Célestin V renonce à ses fonctions, peut-être poussé par Boniface VIII qui le fit plus ou moins emprisonner dans un couvent napolitain. Célestin avait été moine-ermite bénédictin avant d’être pape. Dès son élection, Boniface montre son intransigeance ; il met l’interdit sur le royaume du Danemark, il incite les princes allemands à se révolter contre Albert Ier, il a des démêlés avec les Colonna, famille importante qui soutient les droits de la couronne d’Aragon…. (crypte de la cathédrale d'Anagni fresque de 1237-55 frère Romanus ?)
Le pape Benoît XI qui prend la suite abroge les bulles de Boniface mais n’écarte pas la faute des coupables directs Sciarra Colonna et Nogaret par une bulle d’excommunication en juin 1304. Nogaret sera condamné par contumace. Benoît XI meurt en juillet 1304 et commence la papauté à Avignon en 1309 avec Clément V qui en 1311 annule toutes les condamnations portées contre le roi et ses conseillers, dont l’attitude avait été « bonne et juste ». Il est plus que probable que Philippe le Bel rêvait depuis longtemps de déplacer la papauté à Avignon dans le Comtat Venaissin pour mieux tenir en main la Chrétienté et contenir les envies de pouvoir des papes. (voir les articles précédents sur ce blog les papes d’Avignon  15/10-27/10-19/11/2017 -22/1/2018 )
Célestin V, le moine-ermite bénédictin devenu pape avant Boniface VIII sera canonisé en 1313 comme saint confesseur et non comme martyr comme le souhaitait Philippe le Bel. Le dominicain Robert d’Uzès en 1295 avait déjà qualifié Célestin V de « pape angélique » ou « pasteur angélique ».
Philippe le Bel dès 1305-1306 avait demandé au pape Clément V une enquête sur la vie et les miracles de Célestin. Rancunier, il avait aussi demandé l’ouverture d’un procès contre Boniface VIII, procès refusé par le pape Clément. Vengeance du roi contre feu Boniface ? Rancune tenace ?
Jusqu’à la fin de sa vie Nogaret se flattera d’avoir giflé un pape. Réalité ou besoin de se grandir aux yeux du roi ? Les Colonna n’ont jamais évoqué cet incident et le grand Dante n’y a pas fait allusion dans le passage de son livre »Purgatoire » consacré à l’épisode d’Anagni.
« La dolor s’entend aussi bien de l’esprit que du corps » !!
Dans son roman « Les Rois Maudits », Maurice Druon raconte la scène : « (...) Là, le vieux pape de 68 ans, tiare en tête, croix en main, seul dans une immense salle désertée, voyait entrer cette horde en armures. Sommé d'abdiquer, il répondait : « Voilà mon cou, voilà ma tête ; je mourrai, mais je mourrai pape. » Sciarra Colonna le giflait de son gantelet de fer. Et Boniface lançait à Nogaret : « Fils de cathare ! Fils de cathare ! » »
(François Guizzot 1787-1874 – History of France from the Earliest Times to the year 1789 London)
L’historien Jean Favier qui a beaucoup travaillé sur les biographies des papes, remet en question la gifle de Sciarra Colonna. Elle n’est mentionnée dans les chroniques qu’au 19ème siècle et il semble qu’aucun contemporain des événements ne parla de cette gifle. Il faut peut-être y voir une métaphore plutôt qu’un acte réel et historique. Le fait même de pénétrer chez le pape sans y avoir été invité est déjà une gifle en soi. Mais il est vrai que nous sommes en présence de personnes au sang chaud !

Sources : Claude Mosse Les Histoires de l’Histoire Le Bas Moyen Age édit Acropole 1981 ISBN2-7144-1437-0 H60-2094-5  - Jean Favier Philippe le Bel Fayard 1980  - Guillaume de Thieulloy Le Pape et le roi Anagni 7/9/0303 Galimard 2010---Antoine de Lévis-Mirepoix l’Attentat d’Anagni Gallimard 1969  - Catherine Kikuchi Université de Versailles Saint Quentin Yvelines et Paris Saclay –lepoint.fr 11/6/2017 --
Fresque intérieur crypte cathédrale d’Anagni-1237-55 frère Romanus ?—printerest.fr







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