(Palais papal d’Anagni)
Le pape Boniface
VIII et La gifle d’Anagni :
(Philippe le Bel)
Les deux protagonistes
sur le ring de l’Histoire : Philippe le Bel roi de France
de 1285 à 1314 et le pape Boniface VIII (1235-1294-1303), deux hommes qui
se ressemblent, avides de pouvoirs l’un contre l’autre, irascibles, ne reculant
devant rien et surtout pas devant la diffusion de rumeurs qui détruiront des
hommes et allumeront des bûchers.
Deux théories
s’affrontent. Le roi souverain de tous ses sujets, ne doit dépendre d’aucun
autre pouvoir, même pas de celui du pape. Les conseillers du roi notamment Guillaume
de Nogaret poussent le souverain à s’affirmer comme le pouvoir suprême en son
royaume. Les fausses informations vont discréditer tous ceux qui se dressent
contre lui. Les Templiers en auront un aperçu plus tard.
Philippe Le Bel a besoin
d’argent. Il a des offensives diplomatiques à mener, une guerre contre les
Flamands sous le coude. Il a dévalué la monnaie, dépouillé les banquiers
lombards et les juifs du royaume, mais cela ne suffit pas. Alors il lève un
impôt « occasionnel » sur le clergé en 1295, la décime. Sans demander
l’autorisation au pape. Il y ajoute peu après une taxe supplémentaire la
« cinquantième » et là les évêques se plaignent au pape, qui réplique
par une bulle qui précise que le clergé ne peut être soumis à l’impôt sans
l’accord du Saint-Siège. Pour les prélats et avec raison, cet impôt est une
astuce politique pour renflouer les caisses royales et non pour une
hypothétique croisade contre les Infidèles.
Alors Philippe le Bel
interdit toute exportation de valeurs hors du royaume de France. Le pape y perd
une bonne partie de ses ressources. Nogaret, l’homme de confiance du roi attise
les braises en interdisant à tout membre du clergé de quitter le royaume. Pour
payer la solde des soldats mercenaires il faut l’argent des abbés qui ne
doivent pas sortir du pays. Boniface VIII met un peu d’huile dans les rouages.
Mais l’évêque de Pamiers
Bernard Saisset se met à ruer dans les brancards, conteste la légitimité du
roi, pousse des comtes comme celui de Foix de se libérer de la tutelle royale.
Enquête, séquestre des biens de l’évêque, et finalement arrestation et
condamnation par un tribunal laïque. Contrairement au droit canonique dont
dépend Bernard Saisset. Il serait un traître au service du pape, il aurait tenu
des propos injurieux contre le roi et il est arrêté. Le procès repose sur des
rumeurs, des ouï-dire. Boniface VIII menace de déposer le roi et prononce au
moins trente bulles contre le roi dans le seul mois de décembre 1301. Dont les célèbres bulles Clericis laicos, Ausculta fili — dont Pierre Flote, juriste du roi, écrivit une version falsifiée — Le
souverain pontife réaffirme que le roi est soumis au pape qui est supérieur à
toute autorité temporelle. Primauté du Saint-Siège sur les souverains
temporels !!
Bernard Saisset dira de
Philippe le Bel : « ce n’est ni un homme, ni une bête, c’est une
statue qui n’entend rien d’autre que sa raison». Le roi apparait dur,
distant, peu bavard. Il se réclame de la pureté d’un Thomas d’Aquin tout en
pratiquant une politique d’intrigues. En fait avec lui le Moyen Age s’achève et
nous pouvons dire qu’il en est le dernier suzerain féodal qui va se tourner petit
à petit vers un monde nouveau, un monarque de droit divin. Avec lui on ne dira
plus « le roi en son
conseil » mais « le roi et son
conseil ». Il est vrai que tous les bûchers allumés sous son règne ne lui
ont pas fait bonne presse !!
Alors la rumeur d’hérésie
et de sorcellerie contre le pape se répand comme une trainée de poudre. Débauches
diverses et variées, blasphèmes, meurtres, vente des trésors de l’Eglise…. Début
1303, Philippe le Bel est menacé d’excommunication, par un pape au tempérament
coléreux et excessif.. Le roi, tout
aussi droit dans ses bottes, réplique
par la convocation d’un concile œcuménique à Lyon pour juger de l’indignité du
pape et le déposer.
Nogaret se rend à Italie
pour notifier au souverain pontife les volontés du roi, qui dans la foulée est
officiellement excommunié. Nogaret est depuis le 20 juillet en Italie chez le
sieur Mouche Guidi banquier du roi dans le château de Staggia près de Sienne,
aux sources des informations. Il faut agir vite avant que la sanction d’excommunication
du roi ne soit publiée et mise en vigueur, dès le 8 septembre, jour du retour
du pape à Rome.
Dans
la nuit du 7 au 8 septembre 1303, (ou du 6 au 7 selon les auteurs et les
fantaisies du calendrier qui fait commencer l’année le jour de Pâques, fête
mobile) Anagni, petite ville tranquille du
Latium est investie par une troupe, nous disent les chroniques, de 600
cavaliers et 1500 fantassins menés par deux chefs de guerre ennemis du pape
Sciarra Colonna et Rinaldo da Supino. Chiffres certainement exagérés car autant
d’hommes auraient alerté. Anagni est la résidence d’été du pape et son village
natal. Parfois appelée la ville des Papes parce qu’un autre pape Grégoire IX
(1227-1241) y est né aussi. Elle est située à environ 50 km de Rome, bâtie sur
un rocher dominant une rivière le Socco. C’est un gros bourg d’agriculteurs,
vignerons, éleveurs de moutons.
Et
que vient faire Rinaldo da Supino dans cette histoire ? Boniface VIII a un
neveu François Caetani, qui avant d’être promu cardinal par son oncle, était
marié à la sœur de Rinaldo. Mariage annulé par le pape faisant entrer le
déshonneur et le scandale dans la famille da Supino ainsi qu’un grand besoin de
vengeance. Il est probablement manipulé par Nogaret qui a intérêt à se
servir de la colère du petit baron. Comment se sont-ils rencontrés ?
Peut-être par l’entremise du banquier Guidi.
Nogaret
et ses hommes sont arrivés la veille, cachés dans une ferme proche au bord de
la rivière, dont les occupants sont des alliés de la famille da Supino. Des
Français, des Italiens recrutés sur place. Les Colonna avec le baron Sciarra et
une petite troupe de cent-cent cinquante hommes sont en route. Les Colonna dont
Boniface a spolié la plupart de leurs biens et exilé le patriarche Etienne
Colonna et son frère Sciarra le chef de guerre du clan. Ils ont des amis à
Paris (ils ont habité au Palais Royal), en Campanile et même à Rome au palais
pontifical.
Le pape n’a autour de lui
que quelques princes de l’Eglise et des serviteurs. Ce jour de septembre tout
le monde dort au village. Au palais du souverain pontife, on s’amuse en
compagnie de paysannes peu farouches. En cette époque l’Eglise usait largement
du droit de cuissage réservé en principe aux seigneurs temporels du Moyen Age.
Les récalcitrantes étaient facilement accusées de sorcellerie, de pratiques avec
le diable.
Pour Guillaume de
Nogaret il s’agit de s’emparer du pape et non de le tuer. Le légiste Nogaret
voulait le ramener en France et le faire juger par le concile de Lyon. Boniface
s’était fait tant d’ennemis dans l’Eglise, qu’une bonne partie approuvait le
projet.
Un bourgeois d’Anagni
recruté par Colonna, Adinolfo di Matteo se propose d’ouvrir les portes de la
ville. Au château pontifical la garde de nuit est réduite.
Nogaret lit son acte
d’accusation au pape qui réplique « voici mon cou, voici ma tête »…
Là les chroniques divergent : Nogaret s’avance vers le lit du souverain
pontife et le soufflette de son gant de fer. Ou bien est-ce Sciarra Colonna l’auteur de ce crime de lèse-majesté
?
Toujours est-il que
Boniface VIII renonce à excommunier le roi, s’engage à réunir un concile. Tous
les prélats Caetani sont destitués. Colonna et ses hommes pourront faire leur
entrée dans Rome.
Les Français ne se saisiront pas du
pape. Après deux jours, les paysans du village les chasseront. Le pape et sa
suite retourneront à Rome, où le souverain pontife décèdera (de chagrin ou
d’humiliation si ce n’est des deux) un mois après en octobre.
Boniface VIII d’abord avocat et notaire du pape à Rome était devenu
cardinal en 1281 sous le pontificat de Martin IV, et pape en décembre 1294. Nous devons à Boniface VIII la
canonisation de Louis IX, désormais appelé saint Louis de France,
au mois d'août 1297.
Le pape Benoît XI qui prend la
suite abroge les bulles de Boniface mais n’écarte pas la faute des coupables
directs Sciarra Colonna et Nogaret par une bulle d’excommunication en juin
1304. Nogaret sera condamné par contumace. Benoît XI meurt en juillet 1304 et
commence la papauté à Avignon en 1309 avec Clément V qui en 1311 annule toutes
les condamnations portées contre le roi et ses conseillers, dont l’attitude
avait été « bonne et juste ». Il est plus que probable que Philippe
le Bel rêvait depuis longtemps de déplacer la papauté à Avignon dans le Comtat
Venaissin pour mieux tenir en main la Chrétienté et contenir les envies de
pouvoir des papes. (voir les articles précédents sur ce blog les papes d’Avignon 15/10-27/10-19/11/2017 -22/1/2018 )
Célestin V, le
moine-ermite bénédictin devenu pape avant Boniface VIII sera canonisé en 1313
comme saint confesseur et non comme martyr comme le souhaitait Philippe le Bel.
Le dominicain Robert d’Uzès en 1295 avait déjà qualifié Célestin V de
« pape angélique » ou « pasteur angélique ».
Philippe le Bel dès
1305-1306 avait demandé au pape Clément V une enquête sur la vie et les
miracles de Célestin. Rancunier, il avait aussi demandé l’ouverture d’un procès
contre Boniface VIII, procès refusé par le pape Clément. Vengeance du roi
contre feu Boniface ? Rancune tenace ?
Jusqu’à la fin de sa vie
Nogaret se flattera d’avoir giflé un pape. Réalité ou besoin de se grandir aux
yeux du roi ? Les Colonna n’ont jamais évoqué cet incident et le grand
Dante n’y a pas fait allusion dans le passage de son livre »Purgatoire »
consacré à l’épisode d’Anagni.
« La dolor s’entend
aussi bien de l’esprit que du corps » !!
(François
Guizzot 1787-1874 – History of France from the Earliest Times to the year 1789
London)
L’historien Jean Favier qui a beaucoup travaillé sur les
biographies des papes, remet en question la gifle de Sciarra Colonna. Elle
n’est mentionnée dans les chroniques qu’au 19ème siècle et il semble
qu’aucun contemporain des événements ne parla de cette gifle. Il faut peut-être
y voir une métaphore plutôt qu’un acte réel et historique. Le fait même de pénétrer chez le pape sans y avoir été invité est déjà une gifle en soi. Mais il est vrai que nous
sommes en présence de personnes au sang chaud !
Sources : Claude Mosse Les
Histoires de l’Histoire Le Bas Moyen Age édit Acropole 1981 ISBN2-7144-1437-0
H60-2094-5 - Jean Favier Philippe le Bel
Fayard 1980 - Guillaume de Thieulloy Le
Pape et le roi Anagni 7/9/0303 Galimard 2010---Antoine de Lévis-Mirepoix
l’Attentat d’Anagni Gallimard 1969 -
Catherine Kikuchi Université de Versailles Saint Quentin Yvelines et Paris
Saclay –lepoint.fr 11/6/2017 --
Fresque intérieur crypte
cathédrale d’Anagni-1237-55 frère Romanus ?—printerest.fr
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