vendredi 13 juillet 2018

Le Fort de Peccaïs en Camargue



Le Fort de Peccaïs


Un monument à visiter au cœur de la Camargue, bordé d'étangs aux envols d'oiseaux, au clapotis de fleur de sel, aux horizons infinis....
Le fort de Peccais ou Peccaï en provençal est une construction du 16ème siècle, au cœur d’une nature languissante et silencieuse, proche d’Aigues-Mortes en Camargue. Etrange construction au milieu des marais. Bateau fantôme qu’on imagine peuplé d’êtres d’un autre univers.  Le delta du Rhône autrefois fut hérissé de forts et de tours de guet au gré de la mouvance des cours d’eau qui ont modifié constamment la géographie de la Camargue. Le fort et l’abbaye de Sylveréal construit sous le règne d’Henri III en 1577, détruit puis rebâtit au 18ème siècle, l’abbaye de Psalmodi, celle d’Ulmet à l’est de l’étang du Vaccarès ne sont plus que dans nos mémoires… la tour Saint-Louis à Port Saint Louis du Rhône, construit vers 1737 encore debout. La Camargue affamée de pierres engloutit les œuvres des hommes dans ses sables.
Tour Saint-Louis
Le fort de Peccais est inscrit monument historique par arrêté du 13 décembre 1978. Il est en fort mauvais état, longtemps ignoré même des habitants d’Aigues-Mortes. Il est vrai que la promenade n’est pas de tout repos : c’est le royaume des moustiques et des arabi, petites mouches très actives.
ruines de Psalmodi

Le fort est situé au cœur du marais de Peccais, marais salant exploité dès l’Antiquité et même probablement dès l’époque néolithique. De ce marais sont nés les Salins du Midi au 19ème siècle. Une si longue exploitation et peu de vestiges certainement détruits au fur et à mesure de l’utilisation du site. Des céramiques grecques du VIème et Vème siècle avant notre ère ont été malgré tout trouvées sur le site, prouvant l’exploitation et le commerce du sel du delta du Rhône.
Peut-être un ingénieur romain du nom de Peccius serait à l’origine du nom de ce marais. Il aurait été en charge de l’exploitation des salines.
 
Grenier à sel Moyen Age -BNF
Au Moyen-Age, l’abbaye du sel, Psalmodi, possédait en partie les salines de Peccais qui faisaient sa richesse. Encore aujourd’hui, une terre jouxtant le fort s’appelle la « plaine de l’abbé », souvenir de cette possession monastique. Le reste des terres de Peccais appartenaient aux seigneurs d’Uzès et d’Aimargues qui les inféodèrent à des petites propriétaires tout en se réservant le droit de septain, c’est-à-dire le septième de la récolte. Un seigneur de Saint-Quentin la Poterie notre voisine, possédait un bout de cette terre si convoitée, terre qu’il échangera contre une tour de son château, tour que le roi Louis VIII possédait on ne sait pas pourquoi, peut-être un résidu de la croisade contre les Albigeois.
(grenier à sel Moyen-Age)
Une convention entre le seigneur d’Uzès et les moines établissait un règlement commun pour l’exploitation des marais. «…. les mesures, boisseaux ou setiers employés dans leurs salins respectifs seraient de même dimension et que les ouvriers chassés de la propriété des uns ne seraient point reçus dans la propriété des autres… » . Il semble que l’exploitation d’un nouveau salin, le Salin de l’Abbé » date de cette époque. La Confrérie du Sel de Mer date du 12ème siècle. Elle est réactivée actuellement avec un Grand Prévôt, trois membre de droit les « protecteurs-nés ». Elle tient son chapitre pour la fête de la Saint-Louis avec l’intronisation de nouveaux chevaliers et ambassadeurs.
( Départ de la septième croisade d'Aigues-Mortes, sur un chenal creusé dans le marais de Peccais)
Puis arrive le roi Louis IX, Saint-Louis, qui a des vues sur le secteur pour construire Aigues-Mortes, son port pour embarquer vers l’Orient. Dès 1244, les maçons d’Alès sont requis pour travailler « sous peine de leurs personnes et de leurs biens ». En 1248 le roi achète une partie des terres de Peccais à l’abbé de Psalmodie. Le pape Innocent IV autorise la transaction avec l’évêque d’Uzès (archives nationale J295n°12 Layette III p45 n°3706 et archives départementales du Gard H 109 n°12) Le roi accorde aux habitants du secteur, le droit de prélever librement dans les salines le sel nécessaire à leur consommation.
Philippe III son fils achète aux Hospitaliers la Terre des Ports à l’ouest de Psalmodi en 1272. Son petit-fils Philippe le Bel en 1290/92 récupère à l’est du territoire les terres seigneuriales en échange de divers châteaux de la région. Ainsi Bermond d’Uzès en cédant ses droits sur Peccais devient seigneur de Pouzilhac, Saint-Martin-de-Jonquières et Remoulins, ville verrou sur le Gardon et le Rhône proche. Le roi donne les salins en fermage contre le septième de la récolte. Des fortunes vont se construire sur le droit d’exploiter à ferme les salines. Un grand négociant du 14ème siècle Francesco di Marco Datini, finança le retour du pape Grégoire XI à Rome contre le droit d’exploitation de Peccais, avec son associé Nastagi di ser Tommaso : le sel entreposé et vendu à partir des greniers à sel de Beaucaire, Orange, Pont Saint esprit remontait le Rhône et fit de Datini une puissance économique incontournable alliée aux drapiers, autre puissance économique de l’époque…. Nous sommes dans les années 1367-1376.
(Aigues-Mortes Porte de la Reine ou de Peccais- une glacière sur le devant).
Pendant la Guerre de Cent Ans, les Bourguignons tiennent la ville d’Aigues-Mortes. En janvier 1421 les troupes royales les attaquent avec succès les soldats bourguignons qui sont passés par les armes et la légende dit que leurs corps sont entassés dans la « Tour des Bourguignons » en plusieurs couches bien salées en attendant d’être enterrés.
Dans les années 1500, l’exploitation s’intensifie. François 1er en 1532 fait creuser un canal qui relie les salins à la mer. C’est le chenal du Grau-Henri qui s’ensabla rapidement. Il restreint aussi le droit des habitants d’Aigues-Mortes à prendre du sel pour leur consommation en fixant un plafond. Ce sera le résultat d’une longue procédure entre la ville et le roi qui ne put abolir la franchise accordée par Saint-Louis.
En 1546, les salines s’agrandissent : le Grand Prieur de Saint-Gilles fief de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem construit le salin de Saint-Jean dans un étang proche de Peccais.


Mais il faut lutter contre la contrebande et le pillage des salins. Le roi a le monopole de la distribution du sel qui assure une source importante de revenus par le biais des impôts (la gabelle).
Enfin en 1568, la construction du fort de Peccais est décidée pour protéger les salines et les canaux qui servent au transport. Pirates, pilleurs, contrebandiers infestent la Camargue et nos côtes. Les « barbaresques » venaient s’embusquer dans les bras du Rhône pour attaquer les bateaux qui venaient à la foire de Beaucaire. François 1er d’ailleurs exemptera de toute peine le meurtre de ces pilleurs même en cas d’erreur de la part du meurtrier ! Des braconniers de poissons en feront les frais… Le sel est le principal mode de conservation des aliments. Celui qui domine l’exploitation du sel domine l’économie. Le sel va générer des conflits entre pays mais aussi entre provinces : contrôle des voies de passage pour le transport du précieux ingrédient, installation de monopole, utilisation du sel comme arme entre belligérants, développement du transport maritime et des échanges commerciaux…arrivée des harengs de la mer du Nord sur le marché européen !

Ce fort à quelques 5 kilomètres de la mer, était là pour maintenir l’ordre dans ces temps troublés des Guerres de Religion naissantes. Il était essentiel pour l’économie de la Camargue, dont le sel et la pêche étaient les seules sources de richesse. Et puis, Aigues-Mortes était située entre la Provence et le Languedoc, avec le Rhône, voie de transport. Il va suivre de très près notre Histoire, prenant toute sa place dans les épisodes sanglants des guerres de religion. Pendant  longtemps ce secteur sera la plaque tournante du commerce, des déplacements, des enjeux politiques.
(au fond les camelles blanches de sel)
160 mètres entre les pointes des deux bastions est-ouest, des fondations supposées sur pilotis comme la Tour de Constance d’Aigues-Mortes. Des archives du 17ème siècle nous décrivent une porte monumentale à fronton, trois corps de bâtiments autour d’une cour centrale, des logements pour le gouverneur, le major, la troupe, des hangars, des magasins, une boulangerie, une petite chapelle. Deux citernes de grande capacité surmontées d’une petite coupole. Une glacière très utile dans ce pays où l’eau était saumâtre et le soleil de plomb. La glace venait des Cévennes. Un lieu insalubre où sévissait le paludisme. En 1742, on trouve dans les archives le curetage du fossé et de l’avant-fossé pour « enlever toutes les vases qui corrompent l’air et nuisent à la santé de la garnison »..
Tout cela a disparu pour servir de carrière aux Camarguais. Il ne reste qu’un quadrilatère flanqué aux quatre angles d’un bastion, un fossé et un contre-fossé que l’on devine. Tapi dans les salicornes et les tamaris nains. Peu visible dans les vastes horizons plats camarguais.
En 1569, le fort est un temps aux mains des protestants.  Peccais est constamment disputé entre troupes catholiques et soldats huguenots. Le roi envisage de démolir le fort, mais Montmorency désobéit et le fait réparer. En 1598, sous le roi Henri IV, le fort devient place de sûreté et est confié au pouvoir des protestants avec une garnison de 18 hommes. Montpellier et Aigues-Mortes reçoivent une garnison de 128 soldats, la Tour Carbonnière, trois hommes. C’est en 1599 que Henri IV crée le poste de contrôleur général en Languedoc, qui remplace les Visiteurs de Gabelle, emploi crée en 1411 et ancêtre de notre percepteur.
 
Le fort abrite parfois des personnages hauts en couleur. En 1627 pendant la guerre de religion déclenchée par Rohan, le gouverneur protestant de Peccais Jacques Gautier seigneur de Saint-Blancard, lieutenant de Rohan, s’autoproclame amiral du Levant, arme des bateaux et entreprend la guerre de course, pillant nos côtes jusqu’à l’Ile de Ré où il trouvera la mort.
(Porte de la Reine ou de Peccais- remparts d’Aigues-Mortes-gravure 19ème –anonyme BNF)
Le gouverneur suivant Charles de Saint-Simon de 1634 à 1644 ne mettra jamais les pieds à Peccais. Mais le roi ordonne en 1636 des réparations importantes du fort. L’intendant des fortifications d’Argencourt nous a laissé un devis qui laisse entendre qu’il s’agit de réparations importantes, peut-être une reconstruction. Un impôt est levé sur tous les contribuables du Languedoc pour ces réparations, 36 000 livres au moins. Ce tribut plus la gabelle, des émeutes ensanglantent notre province. Celle de Carcassonne aboutit en 1657 à la décision de justice très lourde : les cloches qui avaient sonné le tocsin seront fondues, la ville écope d’une très forte amende, ses foires et marchés sont supprimés, la maison consulaire rasée, plus de grenier à sel, canons transférés, des peines de mort…. Heureusement cette sentence ne sera pas appliquée dans sa totalité car il faut préserver l’essor économique de la ville.
D’autres réparations du fort auront lieu au 17ème siècle, mais il a perdu de l’importance. Sa présence ne décourage pas les faux-sauniers. La contrebande était pourtant punie par l’envoi aux galères ou de peine de mort en cas de contrebande armée. En 1637 l’intendant du Languedoc se plaignait des difficultés à lutter contre les faux-sauniers : « les marais remplis de roseaux et de broussailles qui leur servent d’entrepôts et de retraite leur donnent une sûreté à n’être pas découverts… ». « Ils se servent des petits bateaux utilisés pour la chasse aquatique… ».
A la fin du 17ème siècle dix-sept salins étaient en activité dans le marais de Peccais : L’Abbé, Les Aubettes, Bourbuisset, Les Brassives, La Courbe, La Donzelle, Les Étaques, La Fangouze, La Gaujouze, Le Gay, La Lone, Le Margagnon, Mirecoule, Roquemaure, Saint-Jean, Les Tuillières et Les Terrasses. Un consortium de propriétaires sauniers est créé en 1716 ; l’Eglise ne s’associe pas à cette société. Elle possède encore les salins de l’Abbé et de Saint-Jean. Un syndic élu tous les ans gère l’exploitation commune. Plus tard l’évêché d’Alès propriétaire du salin de l’Abbé les rejoignit.
La garnison du fort en 1775 n’était composée que d’une compagnie d’invalides. La Révolution en 1790 décréta les salins de Peccais propriété de l’Etat. Puis ils seront restitués à leurs propriétaires sauf ceux de l’Abbé et de Saint Jean qui restent dans le giron de l’Etat. Comme à bien d’autres endroits, la bourgeoisie montpelliéraine achète les salins classés biens nationaux.
L’abolition de la gabelle en 1791 signe la fin du fort qui va tomber en décrépitude.


Porteurs de sel --Groupe Salins

Au début du 19ème siècle, le fort est déclassé. Après les grandes inondations du Rhône de 1840 et 1842, une société Renouard et Cie de Montpellier rachète et exploite les salins des marais de l’Abbé et de Saint Jean. En 1842 Achille Durand fermier du salin de Villeneuve convoque en assemblée générale les propriétaires des autres marais qui en 1847 s’associent dans une première Compagnie des Salins. Les débouchés commerciaux sont favorisés par le développement des chemins de fer, l’apparition des bateaux à vapeur sur la Rhône et surtout par les besoins de l’industrie naissante de la soude. En 1856 la Compagnie des Salins du Midi est créée par Auguste Renouard avec son siège social à Aigues-Mortes. Cette société va prospérer et prendre le contrôle et la propriété de tous les salins de la côte méditerranéenne française. La situation est plus fluctuante depuis quelques années. Mais c’est une autre histoire que nous compterons peut-être ici un jour.

Pendant la guerre de 1914-1918, le fort sert de prison. Nous avons vu précédemment que le marquis de Baroncelli en a été le pensionnaire bien malgré lui.

Les troupes allemandes d’occupation pendant la seconde guerre mondiale s’installent dans le fort, construisant à l’intérieur du bâtiment plusieurs petites casemates et un fortin plus important à l’extérieur, proche de l’entrée. Le fort devient ou redevient un emplacement stratégique contre un éventuel débarquement. A la Libération ces ajouts seront dynamités, laissant des ferrailles tordues et des blocs de béton, témoins d’un proche passé.

En 1978 les quelques vestiges et le fossé sont classés à l’inventaire général des monuments historiques. La Cie des Salins du Midi cède le site en décembre 2012 au Conservatoire du Littoral. Des travaux sont envisagés par le Conservatoire des Monuments Historiques.

A visiter à Aigues-Mortes les Salins et son petit train, ses camelles, ses installations….
Tout est salé : les bons mots, l’histoire un peu leste, la note du restaurant, la correction, l’impôt, la peine salée qui condamne le demi-sel, peine prononcée par un juge poivre et sel. Et même le mari paresseux qui selon la coutume, devait être salé au lieu de sa paresse pour lui rendre sa vigueur. On n’oublie pas le salaire (part de sel attribuée au soldat romain), la sauce, le saucisson, la salade….. On en trouve d’autres ?
Plan Aigues-Mortes gravure de Belin 1764 BNF


Sources : Henri-Paul Eydoux Monuments Méconnus Provence 1978  édit Librairie Académique Perrin --  Christiane Villain-Gandossi Les salins de Peccais au 14ème siècle d’après les compte du sel de Francesco Datini Annales du Midi 1968 + Comptes du sel Paris 1969 collection des documents inédits sur l’Histoire de France VolVII –Ménard Histoire de Nîmes archives nationales J295 n°33  Preuves p 388 + Pagézy – Jean Raybaud Histoire des Grands Prieurs de Saint-Gilles 1904 édit Abbé Nicolas Nîmes in 8è T1 p188 – wikipedia –photos collection privée + France-voyage, tripadvisor.fr -- Guilaine (J.) et Fabre (D.), dir, Histoire de Carcassonne, Privat, 2001.-- Jean-Félix Cuny  Le Sel que j'aime édit Hachette Art de Vivre ---Groupe Salins --Aigues-Mortes Musée du Sel --







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