dimanche 19 août 2018

La Cantatrice incendiaire


1910


La Cantatrice Incendiaire


Lundi 27 octobre 1952 18h 30 : le théâtre de Nîmes est en feu !!
Robert Dauby, le chef électricien présent sur place nous dit : « j’ai vu une lueur, puis une explosion a retenti. Le concierge M Sicard hurlait à tue-tête : le feu ! le feu !!! » Les danseuses qui répétaient dans une salle à côté de la scène ont cru à un orage de grêle. Une « hirondelle », un agent cycliste finissant sa ronde, aperçoit de la fumée et alerte M Durand le président du Syndicat d’Initiative dont les locaux sont situés dans l’aile droite du théâtre.
Les pompiers partent de la caserne à 18 h 50, caserne route d’Avignon située Parc à Fourrage, loin du théâtre. C’est le commandant Domergue qui dirige les opérations. Huit pompiers présents sur les 24, trois véhicules. Le ciel était rouge en direction du théâtre, les flammes se voyaient déjà place des Carmes. Rapidement la scène est en feu, la toiture écroulée. Les pompiers d’Alès sont appelés en renfort. Ils s’attaqueront au feu à l’arrière du bâtiment, rue Racine, protégeant les loges et une partie des costumes de scène en les jetant par les balcons. Les gens dans la rue, les ballerines, les choristes aident de leur mieux. Les pompiers de Montpellier seront appelés avec du matériel plus moderne, une grande échelle en particulier.

Une grosse poutre de la scène en tombant défonce le rideau de fer qui isolait la scène de la salle, une porte ouverte entre la loge municipale et la scène et le feu se propage dans la salle. Le commandant Domergue 30 ans plus tard nous explique : « le théâtre au point de vue sécurité était bien noté, puisqu’il y avait un rideau de fer, il y avait un rideau d’eau qui devait arroser le rideau de fer, ensuite il y avait un Grand-secours qui devait noyer la cage de scène, en cas de feu. Ce Grand-secours devait être manœuvré par deux vannes, une sur la scène, l’avant-scène, et une dans un local en dehors du théâtre. Personne ne l’a manœuvré. C’est un pompier qui l’a manœuvré après. Il était trop tard ! Pour la bonne raison, c’est que les pommes d’arrosoir étaient en dessous la toiture, et les poutres en tombant, ont arraché le Grand-secours ; plus rien n’existant, à ce moment-là, il n’y avait plus rien à faire ! Si le Grand-secours avait été actionné de suite, la scène aurait été presque sauvée. La meilleure des preuves, c’est que le plancher de scène et tout le dessous n’ont pas brûlé et ont été intacts. »


 Le rideau de scène
Un témoin raconte « Il y avait un rideau qui faisait le dessin de deux pans de rideaux, et qui faisait effet de store, comme le rideau était ouvert. Dans ce rideau ouvert, vous avez au fond la Tour-Magne, la Maison Carrée, les Arènes et une partie des Jardins de la Fontaine. ». Les samedi et dimanche précédents, un programme particulièrement chargé avait enchanté les Nîmois : « La Juive » avec Humbert, « Lakmé » avec Mado Robin, et les « Pêcheurs de Perles avec François Gatto, Jeannette Vivalda et Ernest Blanc.


Balcons et lustre

Le théâtre de Nîmes avait une très bonne réputation. De nombreux grands artistes lyriques ont chanté sur cette scène : Caruso, Lily Pons, Villabella, José Luccioni, François Audiger, André Girard que nous venons d’entendre, Charles Hébréard, Géori Boué, Mado Robin, Régine Crespin. Des comédiens, comme Talma, y ont joué des œuvres classiques, des grands musiciens aussi. ». Le « petit Lizt » jouera à Nîmes lors de sa tournée dans toute la France. Il avait 13 ans !! La saison lyrique durait six à sept mois. Les tournées des chanteurs de variété passaient ensuite à Nîmes : Maurice Chevalier, Charles Trenet, Georges Hulmer…. Une troupe de sédentaire de choristes, chanteurs, musiciens travaillaient là à l’année.


Que de souvenirs pour les Nîmois ! Lorsque le ténor Baragno chantait, le lustre tremblait. Ce lustre qui était un don de la Compagnie du Gaz au moment de l’installation du gaz dans la ville.
La construction du bâtiment avait débuté en 1798 avec l’architecte Meusnier. Il sera inauguré le 3 février 1803 bien qu’inachevé. La Maison Carrée lui fait face. En 1827 la colonnade est ajoutée. Il est agrandi en 1837. Déjà en 1860 un incendie vite maitrisé se déclare dans un local abritant les décors et les accessoires. C’est un théâtre « à l’italienne », un théâtre en hauteur pouvant contenir un millier de personnes. Des balcons surplombaient une grande salle assise, un lustre majestueux, une scène avec un rideau de 1830. C’était un des plus anciens de France. Il est classé monument historique en 1949.



Les Nîmois étaient très attachés à leur théâtre. Ils avaient la culture de la musique, des spectacles lyriques ou dramatiques. Des bals mondains se déroulaient dans ce bâtiment avec son lot de belles toilettes féminines et de messieurs en smoking, un grand orchestre. Autant d'événements qui constituaient des attractions de choix pour l’ensemble de la ville. : « Il y avait un très beau foyer, avec des grandes glaces. C’était immense. Tous les gens qui étaient au théâtre venaient y faire les Cent-Pas, et bavarder pendant les entractes. Un foyer très agréable et très fréquenté. »

Parfois l’ambiance était électrique : des bagarres qui obligeaient à appeler la police pour remettre de l’ordre. Les spectateurs du Cinquième balcon envahissaient les premières. Le maire recevait des lettres anonymes menaçantes si le spectacle était troublé par des factieux. Le « sang coulera si le maire ne prend pas les dispositions nécessaires pour assurer l’ordre public… »





Eva Closset
Photo première page du Midi Libre du 31 octobre 1952

Quelques jours après la nouvelle tombe : l’incendiaire venait de se dénoncer : Eva Closset, artiste lyrique belge de second plan âgée de 47 ans, divorcée. Elle était arrivée à Nîmes 20 jours auparavant pour faire auditionner son beau-fils Henri José Faes 20 ans.
C’est l’histoire d’ambitions ratées, d’illusions perdues : elle rêvait de défilés de mode, de grands rôles du répertoire lyrique où elle se distinguerait. Mais elle est sans charme remarquable, des moyens vocaux limités. Elle avait eu son heure de gloire dans les années quarante, contralto dans Carmen ou la Traviata. Un mariage raté avec un artiste de talent qu’elle trompe allègrement. Elle reporte toute son affection sur son neveu que sa sœur a abandonné et qu’elle a adopté. Asthmatique dès 1947 elle doit dire adieu aux cachets confortables, aux applaudissements. De cantatrice vedette un temps, elle doit s’intégrer à des chorales. Puis souffleuse de théâtre, modèle, des rôles minables…Elle décide de devenir le mentor de son neveu, s’occupera de sa carrière, elle veut en faire une star.
Elle avait loué un modeste studio dans l’Ecusson de Nîmes avec son beau-fils.
Francis Lenzi codirecteur du Théâtre avec Mr Ferdinand Aymé refuse d’engager comme choriste son beau-fils. Une autre explication : le licenciement d’Henri le 26 octobre après le troisième gala. Il n’a pas de talent. Autre rumeur elle aurait eu une liaison avec le directeur et s’attendait à ce qu’il engage son beau-fils. Il lui annonce la mauvaise nouvelle après l’avoir fait attendre, elle la grande Eva Closset !! En colère et quelques verres de vin plus tard, elle décide alors de se venger en mettant le feu pour « donner une leçon au directeur » dira-t-elle plus tard !! « J’ai trouvé très abusif de nous avoir fait venir de Belgique pour nous laisser sans travail »…Elle sort de son sac une bouteille d’alcool et en projette le contenu contre les décors côté jardin de la scène. Elle raconte lors de son procès que le feu se propagea avec une effarante rapidité, elle n’aura que le temps de s’enfuir.
Le lendemain de l’incendie, elle se confesse au prêtre de l’église Saint-Paul. Elle envoie deux courriers à la police, s’accusant du geste. Puis elle se rend d’elle-même au commissariat. Lors de la reconstitution début novembre elle tente de se suicider.



Photo de la façade restante du Théâtre de Nîmes,prise derrière les colonnes de la Maison Carrée. Source Wikipédia. DR

Pour calmer la population et faire oublier ce spectacle de désolation, la saison lyrique se poursuit dans la salle du foyer communal place de la Calade. Ce n’est évidemment pas pareil, mais les mélomanes dès le 29 novembre verront La Tosca et Cavalleria rusticana.

Le procès d’Eva Closset aura lieu le 10 juillet 1953, à Nîmes, moins de neuf mois après les faits. La salle d’audience est comble et surchauffée par la passion des spectateurs. Eva Closset est vêtue d’un sobre costume noir. L’acte d’accusation la présente comme une extravagante, une exaltée. Mais les experts psychiatres l’ont reconnue entièrement responsable de ses actes. L’avocat général requière 20 ans de travaux forcés. Me Bernard de Montaud-Manse l’avocat d’Eva, plaide le ressentiment d’une mère pour son fils, c’est « une pauvre fille folle d’amour maternel »…. C’est un avocat de très grand talent, il est nîmois, félibre et manadier, de chez nous donc. Il déstabilise les témoins, questionne, retourne la situation, devient la vedette de la salle d’audience. Eclats, émotion, il plaide les circonstances atténuantes….. Le jury ne condamna Eva Closset qu’à sept ans de travaux forcés qu’elle effectua dans une prison pour femmes. Clémence qui ne sera pas comprise par la population. En prison faisant preuve d’une grande religiosité, elle cherchera à expier ce qu’elle considérait comme un crime. Crime gratuit car son neveu n’avait aucune envie de faire une carrière lyrique. Elle finit sa vie à Liège en Belgique et l’on n’entendit plus jamais parler d’elle.

1900


E Taihlades maire de Nîmes

Dès le lendemain de l’incendie, le maire de Nîmes Edgar Tailhades, s’engage à reconstruire le théâtre dans un délai de trois à cinq ans. Son premier adjoint s’y engage lui dans un délai d’un an.

Par cet incendie la ville subit une perte culturelle, intellectuelle mais aussi financière. Il fallait prendre en charge tout le personnel, une troupe sédentaire, des choristes et parer au plus pressé pour sauver la saison lyrique.












Plusieurs projets de reconstruction seront étudiés. Mais il faudra attendre la mandature de Jean Bousquet qui en 1983 aborde le sujet avec un œil neuf : on ne reconstruit pas un théâtre mais une médiathèque. Le Carré d’Art inaugurée en 1992 est un bâtiment moderne de l’architecte anglais Norman Foster. Une page nîmoise est définitivement tournée. On n’a gardé du théâtre que la colonnade ionique évoquant l’architecture antique. Un temps restée en place jusqu’en 1980, elle est transférée sur l’aire de repos de Caissargues de l’autoroute A54 entre Nîmes et Arles. La médiathèque vient d’être remaniée.

(Arria Belli 12/2006 wikipedia)



Nîmes -Aquarelle Second Empire- anonyme
Sources : Jean Michel Cosson Gisèle Vigouroux  Les grandes affaires criminelles du Gard  édit De Boréee 2009 ISBN 978-2-84494-676-8 --  Adolphe Pieyre 1886 Histoire des théâtres de Nîmes nemausensis.com ---Étienne Marie, 2009. Nîmes. Equinoxe Impressions du Sud ed., 144 p., p. 49.-- Théodore Picard, 1994, réimpression de l'éd. de 1901. Nîmes, autrefois, aujourd'hui. Lacour/Rediviva, 183 p., p. 159-160.—L’Incendie du théâtre de Nîmes en 1952 nemausensis.com --- photos collections privées nemausensis internet ---www.objectifgard.com/2015/10/29/nimes-il-y-a-63-ans-le-theatre-de-nimes-disparaissait-sous-les-flammes/--/www.midilibre.fr/2012/10/27/theatre-apres-le-drame-l-incendiaire-se-denonce,584878.php
- --archives radiophoniques de Radio France 3 Nîmes, 1982. :« Archives radiophoniques de l’incendie, comprenant des enregistrements de 1952 ainsi que ceux du trentième anniversaire, en 1982, retranscrits par Philippe Ritter. »





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.