mercredi 12 septembre 2018

Jean-Gaston Darboux, le savant hors-lignes





JEAN-GASTON DARBOUX un savant hors-lignes

Nul n’est prophète en son royaume dit le dicton. Qui se souvient des Darboux à Nîmes et dans les environs. Ceci est vrai pour un certain nombre de savants languedociens du 19ème siècle.

Les deux frères Darboux, Jean-Gaston et Jean-Louis, dans un premier temps élèves d’un établissement protestant, puis demi-pensionnaires au lycée impérial de Nîmes sont des élèves fantaisistes. Un fonctionnaire de l’établissement dira à leur mère « vos enfants ne réussiront pas dans leurs études et n’arriveront à rien ! ». Un professeur qualifiera même Jean Gaston « d’inintelligent » ! ». Et pourtant !! Ce qui suit démontre que parents et enseignants doivent être prudents dans leur jugement sur un enfant. 
Gaston Darboux, ainsi que son frère sont  l’exemple même de l’élitisme républicain de la fin du 19è/début 20ème siècle,  c’est-à-dire des personnes qui par leurs qualités intellectuelles, morales, arrivent au plus haut niveau de la reconnaissance sociale par le biais de l’Ecole Publique.
sa maison natale -collec privée
Jean Gaston nait à Nîmes le 13 août 1842 au n°2 de la rue Saint-Castor, dans une maison qui avait été autrefois une chapelle de la cathédrale. Il s’agit de la maison de sa grand-mère maternelle qui abrite une des douze merceries de la ville. Son père François est brigadier de gendarmerie et sa mère Alix s’occupe du magasin, aidée par son mari. Il manque de se faire enlever à l’âge de cinq ans alors qu’il joue sur le parvis de la cathédrale. Ses cris alertent sa mère qui fait fuir l’individu, un saltimbanque d’après les témoins. C’était l’époque où des enfants régulièrement disparaissaient mystérieusement à Nîmes. Son père décède en 1849. La famille n’est pas riche, mais les enfants développent un gout certain pour la lecture. Leur père, un homme instruit, avait constitué une bibliothèque bien fournie. Jean-Gaston a un ouvrage préféré : Don Quichotte de Cervantès.
Le baccalauréat en poche à 17 ans, Gaston part à Montpellier pour intégrer une 1ère mathématiques spéciales. A 19 ans il entre premier à l’école Normale Supérieure (ENS) rue d’Ulm à Paris, classé aussi premier au concours d’entrée de l’école Polytechnique. Il s’était présenté à ce concours pour faire « plaisir à ses professeurs » ! Une telle réussite ne s’est jamais vue : la nouvelle fait grand bruit et les notables nîmois se succèdent rue Saint-Castor chez la maman. Une grande carrière d’ingénieur l’attend avec prestigieux uniforme, bicorne et épée. L’école Polytechnique formait à l’époque l’élite politique, administrative du pays associée à l’armée.  

Mais il s’oriente par vocation vers l’enseignement et à 25 ans il devient titulaire de la Chaire de Géométrie Supérieure au Collège de France. Il enseigne aussi à la Faculté de Sciences de Paris et à la Sorbonne pendant 51 ans jusqu’en 1917. Il enseigne aussi au Lycée Louis-le-Grand en 1868 et au Lycée Descartes en 1870 comme professeur titulaire. Le directeur de l’ENS Désiré Nisard écrit au ministre de l’Instruction Publique et des Cultes « c’est un jeune homme d’un rare savoir et de la plus grande espérance ».
Louis Pasteur, alors directeur de l’Ecole Normale, crée pour lui le poste d’agrégé préparateur. Une ère nouvelle dans l’étude des Hautes Mathématiques. Il rencontre et travaille avec les plus grands mathématiciens de l’époque qui l’estiment. Pasteur écrira : « Élève hors ligne, travail, conduite, distinction d'esprit, » de caractère, de tenue, rien ne laisse à désirer. Ce jeune homme se placera rapidement au nombre de nos mathématiciens les plus éminents. L'esprit d'invention était la seule qualité dont on pouvait attendre la réalisation chez ce jeune maître. Or, il en a témoigné récemment par un travail très remarquable présenté à l'Académie des Sciences et par diverses notes qu'il a remises à Messieurs les Maîtres de Conférence, dans le courant de l'année, sur divers sujets à l'étude desquels il a pu se livrer sans cesser de tenir le premier rang dans sa division, malgré les préoccupations de la préparation au concours de l'agrégation.  Il faut absolument que ce jeune homme reste à Paris. »

C’est un enseignant et un chercheur aux qualités de finesse et d’analyse, modernes dans ses méthodes : développement du sens critique, du raisonnement, expérimentation au lieu de charger la mémoire de ses étudiants.
Mais aussi il participe au développement de l’Instruction Publique avec le ministre Jules Ferry. Il défend la cause des femmes et en 1880 c’est la création de l’école Normale Supérieure de jeunes filles de Sèvres, équivalent de ENS de la rue d’Ulm pour les garçons. 
Réorganisation de la Faculté des Sciences, Doyen de cette faculté de 1889 à 1903, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences....  de vraies qualités d’administrateur aidées par une vue scientifique des problèmes. Auteur de plusieurs publications qui feront date. Emile Picard secrétaire perpétuel des Sciences dira : «  Ces grands traités, également remarquables par le richesse du fond et la beauté de la forme, sont dignes d’être proposés comme modèles à ceux qui cultivent les sciences mathématiques ». L'analyse mathématique, sur les équations aux dérivées partielles, sur l'intégration algébrique des équations différentielles du premier ordre, sur les solutions singulières, sur la géométrie analytique et sur la géométrie infinitésimale…..  Aujourd’hui les étudiants débutent leurs études en connaissant le théorème de Darboux sur les valeurs intermédiaires. Une de ses interventions reflète la pensée et le caractère de Gaston :
"Le temps n'est plus où le travail scientifique pouvait rester morcelé, où l'œuvre du savant, du lettré était celle d'un solitaire enfermé dans son cabinet. La science se mêle à tout aujourd'hui, les Académies et les Universités même ne lui suffisent plus. Pour accroître son domaine ou pour répandre ses bienfaits, elle a pénétré dans les usines et dans les laboratoires industriels, dans la maison de l'ouvrier, dans la chaumière du paysan."
Dans ses écrits nous sentons le sens du partage et de la transmission de la connaissance. Il travaille jusqu’à son décès, trois jours après son dernier cours en février 1917.
Il ne s’inquiète pas des inimitiés que ses prises de position engendrent. Il va s’opposer avec d’autres mathématiciens à Bertillon en pleine tempête de l’affaire Dreyfus lorsqu’en 1904 la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation lui confie le soin d’examiner les résultats de graphologie de Bertillon. Il démontre scientifiquement que le bordereau imputé n’a pas été écrit par Dreyfus, contrairement à ce que prétend l’examen de Bertillon. Par conséquent Darboux innocente le capitaine. Gaston et ses collègues n’ont pas accepté que la science soit détournée à des fins politiques ou judiciaires. En bons scientifiques ils savaient que la vérité resurgit toujours malgré les masques qu’on lui met sur le visage. Darboux montre ainsi une liberté vis à vis des notables scientifiques et politiques, peut être même une rigueur, une intransigeance.
Alès statue JB Dumas

En 1910 il encourage la candidature de Marie Curie à l’Académie des Sciences. Il écrit dans le journal « Le Temps » : « s’il arrive souvent à notre pays de marcher à l’avant-garde des nations, dans ce cas actuel, c’est l’étranger qui nous aura donné l’exemple ».
Il représente la France en 1898 à un congrès international à Londres, mais aussi en 1909 à New-York pour le tricentenaire de la découverte de l’Hudson et le centenaire du premier essai de navigation à vapeur par Robert Fulton. Grand officier de la Légion d’Honneur en France, il est membre de 25 académies à l’étranger dont la prestigieuse Royal Society de Londres.
Darboux est nommé membre du Bureau des Longitudes en 1907, délégué par le Gouvernement français auprès de l’Association géodésique internationale. En 1908 il intègre le Comté International des Poids et Mesures.

Il n’a pas tourné le dos à ses racines nîmoises. Chaque année il participe à Paris au dîner « La Brandade » qui réunit des nostalgiques nîmois de la capitale. Croquants de Villaret, pâtés de Laye Fortuny, brandade… Il revient pour les fêtes d’Alès, inaugure une statue de Jean-Baptiste Dumas en 1889 dans cette ville devant 30 000 personnes, et à Valleraugue en 1894 le monument de Quatrefages de Bréau…des scientifiques languedociens comme lui.  Il marie sa fille et son fils à Nîmes. Malgré ses activités nombreuses il avait le temps d’être nostalgique des années passées à Nîmes ; « je rêve de revoir la lumière pure du midi ». Il envie son frère Louis qui fait carrière à Nîmes, proviseur du lycée Daudet.

Darboux jeune
Poincaré  en s’adressant à Gaston Darboux dira : « Les mathématiques sont une secrète harmonie qui est une source de beauté, et qui assurent, à ceux qui vivent dans leur intime commerce, des joies incomparables; mais il n'est pas toujours facile, dans un court et rapide exposé, de les faire goûter d'un nombreux auditoire, ainsi qu'il conviendrait. Je ne puis même promettre d'être bref; mais ce n'est pas ma faute, c'est la vôtre si vous avez fait trop de découvertes qu'il est impossible de passer sous silence. », .

Statue Valleraugue Quatrefages de Bréau








On lui doit des livres  importants sur l'Association internationale des Académies, la Carte du Ciel, l'Unité de la Science, Fulton et l'Académie des Science.'!, 'l'Esprit de Géométrie et l'Esprit de finesse, l'École de Sèvres, le rôle des Sociétés savantes, etc.
Selon sa volonté, il sera enterré cimetière Montparnasse dans le caveau familial, sans fleurs ni couronnes, ni honneurs militaires, ni discours. Etaient présents pourtant Albert 1er prince de Monaco, Emile Loubet ancien président de la République, le baron Edmond de Rothschild, de nombreuses personnalités. Nîmes va attendre octobre 1933 pour lui rendre hommage avec l’inauguration d’un buste dans la cour du lycée Daudet et une plaque rue Saint-Castor. En 1935, on pense à donner son nom au lycée, sans suite. Gaston est protestant, donc suspecté d’être trop républicain, un peu trop laïc pour l’époque, trop brillant, pas assez "politique". Plus tard une rue et un lycée porteront son nom. Jean Gaston Darboux reste une sommité mondiale dans le milieu scientifique.

NB Jean Baptiste Dumas, chimiste célèbre en Suisse et à Paris, Quatrefages de Bréau à 19 ans doctorat sciences, biologiste, deux autres doctorats, anthropologue, zoologue..... Qui dit mieux ?!


Sources : Ernest Lenon Gaton Darboux édit Gauthier-Villars janv 1910 – Emile Picard Eloge académique déc 1916 –Paul Appelle Gaston Darboux–  wikimedia.org --Gazette de Nîmes n°925 23 février 2017 journaliste Norman Jardin –professeur Pierre Tardat-  midi libre 2/7/2013  -  citations-celebres.fr/auteurs/jean-louis-armand-de-quatrefages-de-breau/--




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