vendredi 7 décembre 2018

La Révolte d'Anthoine du Roure




La Révolte d’Anthoine de Roure

Les événements actuels me font penser à un épisode sanglant du 17è/18ème siècle. Il serait bon que l’Histoire ne se reproduise pas et qu’elle nous apprenne quelque chose !

Le régime du roi Louis XIV ne sera pas tendre avec les rébellions du peuple. La révolte du Roure sera une jacquerie ardéchoise antifiscale qui embrasera le Languedoc d’avril à juillet 1670. L’hiver 1669, tous les oliviers de la province gèlent, de Montpellier à Aubenas ; le printemps suivant c’est la grêle qui détruit les récoltes. Le prix de vente du vin et du blé baisse. Le problème religieux démoralise le pays…. Les guerres de Louis XIV saignent les gens. Partout on se plaint de la multiplicité des taxes et impôts. L’évêque de Viviers qui présidait la tenue des Etats du Languedoc à Montpellier observait en novembre 1669 que les tailles (impôts) croissaient plus vite que les revenus des produits de la terre. Aux impositions ordinaires et aux contributions exceptionnelles s’ajoutaient deux mesures très impopulaires : le désarmement des habitants et la réglementation draconienne de la chasse.

La taxe sur les cabarets qui doit financer les travaux du Canal du Midi met le feu aux poudres.
Une rumeur court les campagnes, l’instauration d’impôts nouveaux, sur les chapeaux, les souliers, les chemises, sur les journées des travailleurs, sur la naissance des enfants….10 livres pour la naissance d’un garçon, 5 pour une fille, 5 sous pour un chapeau, 3 pour des souliers…. 10 livres c’est trois semaines de salaire pour un manœuvre !! L’exaspération, la colère sont souvent cousines de l’imaginaire des foules…. La rumeur s’amplifiait, se gonflait au gré d’une rage sourde.

Le 30 avril un commis des fermes Barthélemy Casse venant de Béziers est mis à mal par des manœuvres et des femmes du quartier Saint-Antoine à Aubenas. Il placarde des affiches qui concernent cette fameuse taxe sur les auberges : 2 écus pour chaque cheval de louage, 8 livres pour chaque cabaretier. Donc des taxes qui ne visaient que très peu de personnes. Mais les habitants la plupart ne sachant pas lire croient qu’il s’agit des impôts de la fameuse rumeur. Plusieurs femmes et ouvriers vont attaquer Casse à l’auberge des Trois Pigeons où il est descendu ; il saute par la fenêtre et s’enfuit par la porte de Belvèze. On le poursuit à coups de pierres jusqu’à la tuilerie du sieur Rogier où il demande un confesseur. Les soldats du prince d’Harcourt seigneur d’Aubenas écartent les attaquants et le conduisent au logis du Pont. Le lendemain les mutins décident de s’en emparer. Les femmes enfoncent les portes. En s’enfuyant Casse se noie dans l’Ardèche au Pont-d’Arc.

Le chef des émeutiers Bancatte est arrêté et emprisonné. Le lendemain il est libéré par les manifestantes. Et la région du Vivarais s’enflamme. Le tocsin sonne, la révolte est générale.
En Vivarais 4000 paysans entrent dans le village de Joyeuse où devait se tenir l’Assemblée de l’Assiette (où l’on discute et vote les impôts). Le village de Largentière est aussi investi. On dévalise les commerces, on saccage des maisons… Des paysans armés de faux, de fourches, de quelques mousquets menacent les notables, notaires, prêteurs, nobles… Privas est menacé, Aubenas saccagé... 

Le 14 mai, Anthoine du Roure prend la tête du mouvement sous la pression populaire. C’est un propriétaire terrien, de petite noblesse, de ceux qui travaillent sur leurs terres. Sa famille sortait du Mas de Chartrenas de la paroisse de La Chapelle-sous-Aubenas ; ménagers ayant évolués vers une plus large aisance. Son surnom est le Chevalier-Laboureur. Il vit dans le village de La Chapelle-sous-Aubenas en Ardèche. Il est aisé, il dispose de 10 000 écus de biens et biens apparentés. Il a servi dans l’armée, en Flandres et en Roussillon comme capitaine des milices. Il est éduqué, respecté, intelligent. Bon catholique, trois enfants dont un fils qui étudie chez les jésuites d’Aubenas, il est touché par la misère des paysans et des artisans. C’est un tribun remarquable.. Ce sera sa bannière bleue et un ruban bleu au chapeau qui seront l’emblème de la révolte. Il devient Jacques Roure. Il est âgé de 45 ans environ.

Le gouverneur du Languedoc le Marquis de Castries, depuis Bourg-Saint-Andréol où il est arrivé par marches forcées signe une ordonnance défendant sous peine de mort, les attroupements, la mise en circulation de faux nouvelles irritant le peuple. 200 soldats partent pour Aubenas.
Roure nommé généralissime et protecteur du peuple est à la tête de 6000 hommes venus de 20 paroisses autour d’Aubenas. Ils marchent sur Villeneuve et met en fuite le Grand-Prévôt. Le comte de Vogüé essaie une conciliation jusqu’à ce que le Marquis de Castrie fasse connaître ses nouvelles idées. Ce dernier par une nouvelle ordonnance promet l’abolition du passé, et les troupes de Roure se séparent. On a évité le pire pour un temps. Le commerce et le travail reprennent.

Mais le châtelain d’Aubenas fait savoir que le roi ne pardonne pas les meurtres, les sacrilèges, et l’affichage appelant à la révolte.
Alors tout recommence : les partisans de Roure décident qu’est venu le temps pour eux de gouverner un peu et qu’ils ne veulent plus marcher en aveugles. « Le pot de terre doit casser le pot de fer ». La colère et la surdité des uns et des autres sont mauvaises conseillères.

Des députés promettent d’aller exposer au roi les demandes du peuple. Des soldats arrivent à Aubenas, les bourgeois se réfugient au château et au collège des Jésuites. Roure entre dans la ville avec 8000 hommes. On se tire dessus, des habitants sont massacrés, souvent ceux qui n’ont pas choisi leur camp quel qu’il soit. Au bout de quelques jours le ravitaillement devient difficile et Roure quitte Aubenas avec ses hommes. Des rencontres ont lieu à Alba : on promet à Roure et à ses lieutenants l’amnistie générale s’ils posent les armes et s’ils font amende honorable.
Mais ces entrevues ont pour but de gagner du temps. L’armée royale n’est pas loin. Roure comprend qu’il a été dupé. Il publie un manifeste envoyé à toutes les communautés :"NOUS JACQUES ROURE, À TOUS NOS AMIS, ET À TOUS LES PEUPLES DU VIVARAIS, SALUT !…" Il y expliquait les causes de la révolte, les détournements de fonds publics par des seigneurs et des élus, et exhortait tout le monde à une défense légitime.
Le gouvernement veut frapper un grand coup : les mousquetaires de la Maison du Roi dont d’Artagnan, 3000 fantassins, 1600 cavaliers, 400 suisses et toute la noblesse des alentours.. Tout ce monde se retrouve à Lavilledieu entre l’Auzon et le village… Ce sera un carnage : les cavaliers, les soldats à pied poursuivant les insurgés dans les rochers, les broussailles. Les paysans n’avaient aucune chance.

L’armée royale est à Aubenas le 27 juillet. Le 28 commence le procès des coupables à Nîmes : dans l’immédiat, deux sont roués, six pendus sous les halles, deux autres aux galères, un grand nombre sont banni, deux femmes condamnées au fouet…. Mais la répression sera encore plus effroyable à l’extérieur des tribunaux. Les hameaux brûlés après avoir été pillés, bestiaux, foin, meubles, tout était volé…  600 personnes sont tuées et 400 envoyées aux galères. On torture, on pend, on fouette jusqu’à la mort.
Les soldats pillent, passent au fil de l’épée les gens qu’ils trouvent. C’est la terreur comme punition. Les habitants se terrent dans les montagnes. Il faudra une ordonnance de l’intendant du Languedoc du 20 août 1670 exigeant sous peine de mort que les habitants regagnent leurs demeures pour ramener calme et activités dans la région.
Les biens d’Anthoine du Roure sont détruits, maisons, grange, fondations comprises, les bois dégradés. Sa famille est proscrite. (Sa maison devait être détruite, ses terres vendues et sa famille bannie. La sentence ne fut semble-il pas entièrement exécutée.)
Les clochers des villages de La Chapelle, Ailhon, Lavilledieu sont étêtés, les cloches descendues.
Le 21 août Roure en fuite est condamné par contumace à Villeneuve-de-Berg..
Roure proscrit veut présenter une requête à Louis XIV. Il demande conseil au procureur de Toulouse, Bouet, qui lui déconseille de le faire et lui recommande plutôt de gagner l’Espagne. Mais Bouet pris de remords le fait arrêter à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il sera roué vif à Montpellier le 29 octobre, son cadavre exposé sur le grand chemin de Montpellier à Nîme, sa tête placée au-dessus de la porte Saint-Antoine à Aubenas. Ces crimes : lèse-majesté, rébellion, attroupements avec port d’armes, sacrilèges, incendies, cruautés énormes, expédition d’ordres et de passeports, convocation d’assemblée contre le service du roi….


(Ancienne maison de Jean Balazuc, gendre d'Anthoine du Roure, actuellement mairie de Lachapelle) La ville d’Aubenas est condamnée à 500 écus d’amende envers le roi et La Chapelle à 800 écus ainsi qu’aux frais de justice. Le roi pardonne par une lettre du 30 août 1670 mais le pardon ne s’applique pas aux meneurs et aux cinq ville ou villages accusés d’avoir aidé les révoltés : La Chapelle, Aubenas, Ailhon, Vogüe, Lavilledieu. Ces communautés n’auront plus de consuls, leurs syndics ne porteront plus le chaperon signe de leur dignité. La ville d’Aubenas sera exclue des Etats du Languedoc et du Vivarais. Les villages de La Chapelle et Lavilledieu ne seront pas autorisés à reconstruire leurs remparts…..

L’épouse d’Anthoine reprit son nom de jeune fille Isabeau de Goutte de Vissac. Elle habita à Chasternac, mas de ses beaux-parents. Leur fils revint à Villeneuve-de-Berg en 1695 lieutenant de la Compagnie Bourgeoise, Il sera tué en Alsace en 1703. Leur plus jeune fille Marie épousera Jean Balazuc, maire de La Chapelle. Il sera enterré dans la chapelle de feu Anthoine Roure.
20 ans après les évènements, Isabeau redevint de Vissac-Roure et Marie, Marie du Roure.

Pendant longtemps, des générations d’Ardéchois porteront le deuil de leur martyr. Cette révolte sera souvent rappelée lors des autres émeutes qui émailleront l’Histoire. Déjà en mars 1672 pendant la Révolte des Femmes d’Alzon. Les Ardéchois transmettront la haine des Grands de cette époque, préparant le grand embrasement de 1789. Le nombre de participants côté Roure varie selon les historiens et le moment de l’insurrection. Ce qui est sûr c’est qu’il était très élevé, 4000 à 8000 personnes.

Aubenas aura une place Jacques Roure en 1896 et La Chapelle sous Aubenas une place Anthoine du Roure, Juste Défenseur de la Paysannerie au XVIIème siècle.

Sources : L. Gout, J. Roux, J. Volane, Histoire de l'Ardèche, E. Tourrette, Aubenas, 1908---Raoul de Vissac, Anthoine du Roure et la révolte de 1670, Paris, Emile Lechevalier, coll. « Librairie Historique des Provinces », 1895---Marquis de Voguë., Une famille vivaroise : Histoire d'autrefois racontées à ses enfants, t. 1, Paris, Honoré Champion, 1912---Emmanuel Le Roy Ladurie Les paysans de Languedoc, Paris, Flammarion, 1993 ISBN 978-2080810076  ---Pierre Ribon, D'Artagnan en Ardèche : La révolte de Roure en 1670, Valence, E&R, 2001ISBN 978 2910 669904 --medarus.org/Ardeche/07celebr/07celTex/roure_anthoine.htm----généanet--www.patrimoine-ardeche.com/visites/roure.htm Michelle Pouzache--- wikipedia.org—archives départementales du Gard abbé Charais Insurrection du Bas Vivarais au temps de Louis XIV revue de Villenauve-de-Berg 1986 n°42---archives départementales de l’Hérault C603---et bien d’autres sources---


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