jeudi 14 avril 2022

Les Assemblées Constituantes

 


 

Les Assemblées Constituantes :

(ce qui suit ne va pas plaire à tous mes lecteurs, je m'en excuse, mais je vais prendre le droit de donner mon opinion)

En ce moment, ici et là, nous entendons proposer une « Assemblée Constituante », seul remède semble-t-il à la crise politique que nous traversons. Un peu moins depuis quelques temps.. Emplâtre sur jambe de bois ou réelle opportunité ?

A quoi ressemble une telle assemblée ? Il s’agit d’une assemblée de représentants du pays ayant pour mission de rédiger ou d’adopter une constitution ou des modifications de la constitution en vigueur. Un texte fondamental qui organise les pouvoirs publics. Il peut être entériné par le pouvoir en place ou par référendum. Les rédacteurs sont désignés expressément pour cette mission, députés, sénateurs, fonctionnaires, professeurs de droit constitutionnel, juristes divers…. Une nécessaire prudence et honnêteté demanderaient qu’ils soient de toutes les tendances politiques, car tout doit être envisagé, éviter de faire le lit de tel parti, de tel influenceur… (c’est probablement pour cela que le quinquennat est démocratiquement ingérable !). Il est bien évident que la tentation est grande pour le groupe politique en place ou celui qui souhaite y accéder, de se conforter, de s’installer grâce à un texte législatif taillé à sa mesure.

Cette assemblée peut s’être autoproclamée en cas de crise majeure comme une guerre civile, un coup d’Etat, une invasion. Mais la précédente constitution peut avoir prévu des cas de révision constitutionnelle.

Les précédents dans notre pays :

-1789-1791  L’Assemblée Nationale des Etats Généraux du 17 juin 1789 devient l’Assemblée Nationale Constituante le 9 juillet 1789. L’Assemblée Constituante en octobre 1789 issue de la révolte des délégués du Tiers Etat lors des Etats généraux, décide que le roi n’est plus « roi de France » mais « des Français ». Elle instaure la monarchie constitutionnelle le 3 septembre 1791.  La Constituante, celle de septembre 1791  limite le pouvoir royal et donne la première constitution au pays. 745 députés élus au suffrage censitaire indirect pour deux ans, le roi exerce le pouvoir exécutif (au Palais des Tuileries). Cette Constituante n'a pas protégé le pays des excès de la Terreur, ni du jacobinisme parisien dont on a encore du mal à se séparer .

-1848 : après la Révolution de 1848, le gouvernement provisoire décide le 23 avril de faire rédiger une nouvelle constitution par une assemblée constituante élue au suffrage universel masculin. Ce qui a permis à Louis Napoléon de s’engouffrer dans le pouvoir suprême et de nous pondre le Second Empire…On va ici éviter de parler de la constitution du 14 janvier 1852 modifiée le 7 novembre 1852 qui abroge la précédente après le coup d’état du 2 décembre 1851 plébiscité  les 21 et 22 décembre 1851, plébiscite qui montre combien le peuple s’est fait manipuler.

Le gouvernement de 1848 avait pourtant promulgué la loi sur les temps de travail : 10 heures par jour, 6 jours sur 7…. « un travail manuel trop prolongé non seulement ruine la santé du travailleur mais encore en l’empêchant de cultiver son intelligence porte atteinte à la dignité de l’homme ». On pouvait espérer des temps nouveaux.... L’échec de cette révolution sonne le glas de cette loi et on retourne aux journées de travail de 12 heures . Il faudra attendre le Front Populaire de 1936 pour reconnaitre le droit aux loisirs et à la culture pour le peuple !!!

- 1871-1875 :l’Assemblée Nationale élue le 8 février 1871 instaure la IIIème République le 30 janvier 1875 par l’amendement Wallon ; élection du Président de la République et trois lois constitutionnelles établissent le régime  républicain. Les lois sur l’éducation attendront 1881-1882. Les lois sur le temps de travail des femmes et des enfants arrivent en 1874 et 1892 au nom de « la protection de la race » et pour lutter contre la mortalité des plus jeunes. La journée de travail de 11 h est promulguée en 1900, 10 h en 1904, 8 h en 1919…. en « récompense du travail fourni par la population pendant la période de guerre ».

-1945-1946 : Le CFLN (Comité Français de la Libération Nationale), organe politique de la Résistance, devient gouvernement provisoire de la République.  Le référendum et l'élection du 21 octobre 1945 établissent l'Assemblée Nationale Constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Après le rejet d'un premier projet de Constitution lors du référendum le 5 mai 1946, une nouvelle Assemblée Constituante est élue le 2 juin. La constitution de la IVe République est définitivement adoptée par référendum le 13 octobre 1946. La IVè République ne sera pas un modèle de stabilité, dans une France déchirée par cinq ans de guerre, d’occupation, de restrictions alimentaires et un pays qui devait se préparer à la décolonisation, événements dont la Constituante n'avait pas tenu compte.

- 1958 : L'établissement de la Ve République ne s'est pas fait au moyen d'une assemblée constituante, mais d'une équipe conduite par Michel Debré chargée par le général de Gaulle de préparer un projet de constitution. Celui-ci fut approuvé par référendum le 28 septembre 1958.

Nous voyons qu’une assemblée constituante est vraiment nécessaire dans des cas très graves, une révolution, un changement de régime, une guerre…. Nous n’en sommes pas encore là. C’est une décision lourde qui demande l’adhésion d’une grande majorité du peuple, de la réflexion, moins d'ego de la part de la classe politique et le respect d'une opposition politique qui est toujours  riche d'enseignements (ne serait-ce pour nous obliger à un peu de recul par rapport à nos certitudes). 

Nous ne sommes pas à l’abri de manœuvres politiques de la part d’un parti ou d’un groupe de pression, d'une réaction émotionnelle face à une situation angoissante. En particulier le référendum sert le plus souvent à installer un parti politique à la tête du pays par un "vote de confiance", un blanc-seing accordé par le peuple à une classe politique à laquelle pourtant actuellement il ne croit plus trop. Ce qui est mépriser les fondements-même du référendum. On ne peut pas demander à monsieur tout-le-monde de se prononcer sur un texte ardu sans un minimum de formation constitutionnelle. On ne gère pas un pays à coup de «y-a-qu’a » !! Les discussions de comptoir, l’opinion publique ne proposent trop souvent que des solutions "magiques" aux problèmes d’un Etat… Méfions-nous des effets de manches, de ce qui nous parait une vérité par sa simplicité, sa commodité…. C’est la porte ouverte à des réponses à l’emporte-pièce. Méfions-nous de l’inculture ou des raccourcis historiques de certains : aux dernières élections un candidat écrivait que le Front populaire de 1936 était hitlérien !!! 

 Il ne s'agit pas ici de renier le vote par référendum, mais il nous est plus facile de répondre par ce mode d'expression à des questions plus terre-à-terre, un aménagement de quartier, de route, le restaurant scolaire, l'installation d'une usine, d'une antenne relais, .... des sujets auxquels nous avons des réponses qui viennent de notre expérience sur le terrain.

Une adoption par le Parlement risque de prendre du temps : à l’heure actuelle, aucun parti n’aura une majorité suffisante pour un passage en force et donc du temps perdu pour relancer la machine gouvernementale. Et puis en période de crise faut-il un passage en force ? Les précédents montrent un temps entre les prises de décisions, les votes, ce qui impliquent la création d’un gouvernement provisoire pour gérer les affaires courantes. Ce qui est toujours très dangereux, l'Histoire nous a appris que les dictatures s'installent souvent pendant ou après un gouvernement provisoire.

Une révision ou l’adoption de certains articles de la constitution comme le quinquennat, le climat, le renforcement des pouvoirs du Parlement (quand il n’est pas majoritairement à la botte du président de la République grâce au quinquennat…) par exemple serait plus judicieux me semble-t-il. Se souvenir qu’il n’y a pas de démocratie sans une opposition. 

Et la crise politique est probablement plutôt dans l’offre de la classe politique que dans nos institutions !! Quand on s’abstient de voter c’est que l’on n’a pas trouvé « chaussures à son pied » ou bien qu’on est persuadé que c’est plié d’avance….. Peut-être revoir la gestion des sondages et des « experts » qui ronronnent sur les plateaux-télé et qui sont persuadés d’avoir la réponse au vote bien avant l’élection !!!.

"Puisqu'il est difficile de distinguer les vrais prophètes des faux, méfions-nous de tous les prophètes ; il vaut mieux renoncer aux vérités révélées, même si elles nous transportent par leur simplicité et par leur éclat, même si nous les trouvons commodes parce qu'on les a gratis." Primo Levi