La voyante, le bagnard et l’espion
Une guerre montre toujours
les travers les plus sombres de l’homme mais aussi parfois nous le retrouvons
dans des situations des plus cocasses.
Alexis Lecaye dans son
roman « La Voyante, le Bagnard et l’Espion » (édit Fayard) nous
relate une histoire bien saugrenue. Des faits peut-être vrais ou qui s’appuient
sur une partie de vérité ?. Mais dans le monde de l’espionnage, qui croire ?
Les personnages : la
Guerre de 1914-, Clémenceau le jusqu’auboutiste, Joseph Caillaux le pacifiste,
la Politique et son vilain penchant la Haine…., un espion et une voyante.
Mme Caillaux vient
d’assassiner le directeur du journal le Figaro à la suite d’une violente
campagne et une terrible vague de haine contre son époux.
A partir de là nous
allons naviguer entre fiction et réalité.
Réalité : Cette
hargne de Clémenceau contre Caillaux ne faiblit pas. Le capitaine-instructeur
Bouchardon nous confiera dans ses Mémoires qu’en 1918, l’affaire Caillaux sera
la préoccupation essentielle de Clémenceau et l’indépendance de la justice ne
sera pas toujours son souci !! Le Tigre vient de prendre la tête du
gouvernement. En cette période de 1917-18 il faut ranimer la combativité des
Français. La psychose de la trahison hante tous les esprits ; cette guerre
traine en longueur, n’a rien de triomphale, donc on cherche des coupables si possible
politiques pour mieux marquer les esprits…
Caillaux, coupable idéal,
avait confié à un journaliste en octobre 1914 :
"Ceux qui sont là dedans ne savent
rien, ne comprennent rien. Ils ne savent pas à quel ennemi nous avons affaire,
ils ne comprennent pas que nous sommes lancés - par qui ? - dans une
guerre effroyable... Comment finira-t-elle ? Moi, je voulais éviter
cela »…
Caillaux partisan d’une paix de compromis, a des contacts imprudents avec des diplomates allemands. Il est arrêté pour « intelligences avec l’ennemi » le 14 janvier 1918 et est condamné en février 1920 à trois ans d’emprisonnement et privations de ses droits politiques. On ne lui reproche plus alors qu’une « aide involontaire » à l’ennemi par ses paroles, ses relations et son opposition politique. Sa condamnation indigne toute une partie de la classe politique ainsi que la Ligue des Droits de l’Homme.
Pour des poursuites judiciaires
qui tiennent la route, on a manqué de preuves, on sent bien que cette
condamnation risque de reposer sur pas grand-chose. Ces preuves il faut aller
les chercher dans les dossiers allemands.
Fiction (roman d’Alexis
Lecaye) ? Pourquoi pas dans les coffres de l’ambassade d’Allemagne à
Berne, bien connue pour être un nid, une plaque tournante de l’espionnage….
Ni une ni deux,
Clémenceau ordonne au capitaine Renaud des Services Secrets français
d’embaucher un professionnel de l’ouverture des coffres. Evidemment pas le
serrurier du coin de la rue. Un discret.
C’est ainsi qu’entre dans
l’histoire Baptistin Travail, « l’As de la Cambriole », relégué à vie
au bagne de Cayenne et interné dans l’Ile du Diable. C’est un expert en
fric-frac, avec une oreille extrêmement fine et une prodigieuse habilité. On le
teste en lui demandant d’ouvrir tous les coffres forts d’une grande banque de
Cayenne. Dans un premier temps, Baptistin qui comprend bien ses intérêts, exige
un temps de préparation : remise à niveau de son ouïe pendant huit jours
durant, par des concerts, la femme du directeur de la banque au piano jouant
Chopin. Il semble aussi que la domesticité féminine de la maison du banquier
qui l’héberge l’aide dans sa préparation. Il y gagne le surnom de « sabre
au clair ». (Nous allons jeter un voile pudique sur cette partie de la
préparation). Il est loin des cailloux à casser et de son cachot de bagnard.
La préparation a fait son
effet et Baptistin ouvre chambre-forte et coffres de la banque en un tour de
main.
Il s’agit maintenant
d’amener notre bagnard à Berne grâce à un scénario à toute épreuve.
On le ramène en Europe en
brouillant les pistes. Faux papiers vénézuéliens en poche, il embarque sur un
paquebot neutre, argentin. Il s’engage dans la troupe de danseurs de tango en
tournée européenne. Il apprend rapidement quelques rudiments de cette danse.
Mais il ne parle pas espagnol. Renaud l’espion qui le chaperonne décide de le
faire passer pour muet. Arrivé à Barcelone dans une Espagne neutre, il est pris
en charge par une « agence de placement » en fait une officine de
couverture des Services Secrets français.
Entre dans le jeu,
l’appât, une voyante, une aventurière espagnole Raya, tombée dans les griffes
des services français pour avoir tenté de faire passer de l’opium à la
frontière. Un oubli du délit et une coquette somme d’argent arrondissent le
chantage. Elle simule un accident de voiture qui l’oblige à se déplacer dans un
fauteuil roulant et à engager un ambulancier et un chauffeur. La presse
espagnole raconte l’accident. Bien entendu, l’agence de placement lui procure
ces deux serviteurs, le bagnard et le capitaine-espion.
Pourquoi une voyante ?,
La femme de l’ambassadeur d’Allemagne en Suisse a un fils aviateur disparu sur
le front français. Elle consulte toutes sortes de charlatans pour savoir ce
qu’est devenu son enfant. Raya est connue en Espagne mais pas en Suisse. Alors
il faut lui construire de toute urgence une réputation.
Le trio part pour Paris.
On monte deux ou trois affaires où de faux voleurs, en fait des espions, volent
à des personnalités des bijoux dont Raya retrouve la trace par simple voyance.
La presse est mise à contribution.
A l’occasion et grâce à
une impunité sans faille, Baptistin
renoue avec d’anciennes connaissances et en profite pour régler quelques
comptes.
Pour passionner les
foules, le summum sera l’affaire Rosengart. Celui-ci, un grand industriel a une
épouse cliente de Raya, mais surtout une maitresse. Les services secrets
français ont évidemment un dossier sur la liaison. La voyante va donner petit à
petit à l’épouse les détails de la liaison de son mari. Poussée à bout, la
femme tire un chargeur de révolver sur la maitresse. La presse en fait ses
choux-gras !!
Des personnalités telles
Barrès, Proust deviennent client de Mme Raya et s’en vantent sur la demande du
gouvernement. Il faut à tout prix que la réputation de la voyante dépasse les
frontières !
Le trio part pour Genève
pour consulter un chirurgien célèbre, spécialiste des os : la jambe de Mme
Raya aurait du mal à se «ressouder ».
Peu de temps après, une
grande dame, voilette sur le visage, vient consulter Raya. C’est la femme de
l’ambassadeur d’Allemagne. Le poisson est ferré…
Pour entrer en contact
psychique avec le fils aviateur, Raya doit voir les lieux où il a vécu,
c’est-à-dire l’ambassade de Berne.
Durant deux mois, le trio
se rend quotidiennement à l’ambassade, endormant ainsi la sécurité allemande.
Baptistin est
heureux : liberté, confort, belle vie, faveurs des femmes qui trouvent en
lui un danseur muet plein de qualités… Mais Raya s’est pris de pitié et
d’amitié pour l’ambassadrice. Et les services secrets allemands montrent des
signes inquiétants d’intérêt….
La fête nationale suisse
le 1er août offre enfin une occasion rêvée. Les bureaux des
ambassades sont vides, les officiels, diplomates, hommes d’affaires, marchands
d’armes banquettent, dansent, oubliant les soldats et cette guerre qui n’en
finit pas. Les services secrets français ont fourni à Baptistin des outils
spécialement conçus par le meilleur ingénieur-serrurier de l’époque, formé par
l’Ecole des Arts et Métiers et la maison Fichier. Il s’agit de photographier
les documents et non de casser. Le coffre s’ouvre facilement … Mais dedans pas
de documents pouvant incriminer Caillaux. En revanche, le code de la marine
allemande s’y trouve. Un document de la plus haute importance : le
gouvernement français pourra anticiper les déplacements des sous-marins
allemands, mettre fin au blocus des côtes.
De retour en France,
Baptistin sera félicité et gracié par Clemenceau. Mais s’il est réhabilité dans
ses droits civils, il est envoyé soldat de première ligne !
Baptistin demande une
permission de deux ou trois jours pour raisons personnelles et familiales,
permission accordée. Il est encore sous la surveillance du capitaine-espion
dont la sœur a une liaison avec l’ex-bagnard.
Trois jours plus tard, on
retrouve dans les coffres du célèbre joaillier Melerio rue de la Paix les
outils si pratiques confiés à Baptistin par les services secrets français. Un
petit mot : « un coup pour vous, un coup pour moi, nous sommes
quittes ». On ne le reverra jamais.
Raya, peut-être,
l’attendait de l’autre côté de la frontière ,,,
Cette histoire est trop
belle pour ne pas être vraie, au moins en partie. En temps de guerre,
l’espionnage est une occupation plus que naturelle. D’autres auteurs ont écrit
sur Baptistin Travail, l’as de la cambriole. A-t-il vraiment existé ? Sous
ce nom ? Et la haine entre politiciens prend parfois des tournures
incroyables.
D’après les archives
judiciaires il y a bien eu un coffre à
ouvrir, mais à Florence en Italie, coffre que Caillaux avait loué en décembre
1915. On va y trouver une étude sur les responsabilités de la guerre, des notes
sur ses refus, sur une éventuelle réforme de la constitution, des lettres
personnelles, en particulier une correspondance avec un agent double qui essaie
de le persuader en vain de négocier avec l’Allemagne, quelques bijoux, quelques
titres que la presse qualifie d’argent de la trahison…. Le Président de la
République aimerait bien envoyer son « ami d’autrefois » dans le
fossé de Vincennes où l’on fusille les traitres, mais le capitaine-instructeur
Bouchardon a beau faire du zèle, interroger espions, traitres, presse
allemande… il n’avance pas. Chaque piste se perd. On aboutit à un procès avec
une sentence mi-figue mi-raisin. Trois ans, c’est la libération immédiate.
Caillaux reviendra au
pouvoir. En janvier 1925 il est amnistié et devient trois mois plus tard
ministre de Finances. En 1937-38, il participe au renversement du gouvernement
de Léon Blum, se séparant ainsi de la gauche qui avait été son soutien dans la
tourmente et dont il avait été l’un des symboles. En 1940 il vote les pleins
pouvoirs à Pétain, puis s’enferme avec son épouse dans leur maison de Mamers.
Il refusera de voir le moindre Allemand, de se rendre à Vichy, silencieux à
jamais. Il décède en 1944.
Sources
et pour en savoir plus : Alexis Lecaye Le Bagnard, la voyante et l'espion, Fayard, 1984 ; réédition, Le Livre de poche no 5936,
1984--- F. Dumas-Vorzet (Auteur), Faralicq (Auteur)Baptistin Travail, l'as
de la cambriole. Préface de M. Faralicq [Texte imprimé] / F. Dumas-Vorzet Paris, impr. E. Ramlot et Cie ; libr.
Bernardin-Bechet, 1931. (19 août.) In-8, 24 p. 8 fr. [9667]Collection Les
Grands Criminels Identifiant de la notice : ark:/12148/cb32056431h—Historia
avril 1983 n°437
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.