lundi 26 septembre 2022

Corrida, la fête sanglante

 

Goya, Le Cid combattant un toro-- Francisco de Goya, La tauromaquia, 1816 http://www.britannica.com/bps/media-view?1

Corrida la fête sanglante ,

Avec la Camargue et l’Espagne tout proches, Nîmes est une terre de tradition tauromachique. Mais que veut dire « tradition » ? L’Histoire nous démontre chaque jour que nous sommes condamnés à évoluer, et nous adapter au temps qui passe et qui nous impose ses déguisements. Demain ne sera plus comme aujourd’hui et encore moins comme hier….

Actuellement un député soutenu par son groupe à l’Assemblée Nationale souhaite légiférer en la matière. En cette période d’inflation, de guerre, de crise sanitaire, le sujet parait un peu décalé, discordant. Pas essentiel… Et puis nous sommes encore nombreux à manger de la viande qui sort de nos abattoirs où les animaux sont abattus d’une manière bien peu sympathique !!

Corrida, course à la cocarde, les anti et les pro, chaque année s’affrontent. On mélange allègrement course de vachette, jeux gardians, corrida…. Même les historiens s’en mêlent, chacun affutant ses arguments avec passion.

Ces  distractions avec des vaches (ou de « bœufs » ou jeux taurins avec ou non mise à mort) sont très anciennes. Culte de Mithra avec ses jeux sportifs, survivance des jeux romains plus sanglants ? Les historiens sont très partagés. La rencontre de l’homme et du taureau remonte à la préhistoire, lors de la domestication des bovins, domestication qui n’a pas dû être sans danger. Peut-être trainons nous un passé, une rencontre compliqués avec le taureau ?

Il y a tout un imaginaire développé autour du toro de combat et la corrida. Mon père et ses copains s’amusaient de la « tradition » de manger du toro tué dans l’arène : à Beaucaire, une boucherie pendant longtemps proposait une trentaine de testicules alors que seulement trois toros avaient été tués et des rôtis en veux-tu en voilà !! Les gens faisaient la queue devant la boutique pour acheter ce qui devait leur apporter santé et vigueur. Il est plus que probable que ces toros de combat n’étaient pas tous morts dans l’arène…

Les corridas vont se développer chez nous au 19ème siècle. La corrida à l’espagnole telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne sera introduite pour un premier essai à Nîmes qu’en 1853, puis avec plus de succès en 1863. L’Impératrice Eugénie, femme de Napoléon III, d’origine espagnole, avait favorisé ce divertissement. Une arène à Paris lors de l’exposition universelle de 1889 sera même construite. Les règles de la corrida actuelle ne seront codifiées qu’en 1836 par Francisco Montes.

Mais en Espagne, Francisco Romero avait déjà depuis 1726, fortement influencé les jeux taurins avec mise à mort de l’animal. Son petit-fils écrira un premier traité sur la tauromachie en 1796. La plus ancienne trace de « corrida » remonte en Espagne à l’an 815 lors de fêtes royales données par le roi des Asturies Alphonse II. Bayonne organisera une espèce de corrida en 1701 en l’honneur du roi d’Espagne Philippe V.

Il était de « tradition » lorsque le taureau (de Camargue ou autre) allait à l’abattoir de le poursuivre en le maltraitant : c’était la course à la bourgine ou à la longe.

.nemausensis.com/MidiLibre/article29jan2006.ht

Les courses à la cocarde, les ferrades, les abrivados et autres jeux gardians sont appréciés depuis longtemps dans des bouveau, petites arènes privées, ou simplement champ entouré de char, de ballots de paille, de fagots. En 1793 le conventionnel Philippe Charles Goupilleau du village de Montaigu et député de Vendée sillonne les villages afin de réquisitionner des chevaux pour l’armée révolutionnaire. En novembre il est dans notre région et il s’émerveille de tout ce qu’il voit : arènes, Pont du Gard, Uzès, Nîmes…Partout il est reçu à bras ouverts, probablement pour qu’il ne regarde pas de trop près dans les écuries. A Arles on l’emmène assister à une corrida.

« Après dîner, on me mena voir des bœufs qu’on agitait et qu’on faisait combattre pour le peuple avant de les tuer. Je regardai cet usage comme un reste de la férocité des Romains ».

(on ne connait pas son opinion sur la guillotine qui démontrait aussi une certaine férocité !)

On a quelques traces chez nous de jeux taurins avec mise à mort fin 17ème siècle : où cela se passait-il ? Des tableaux, des gravures nous montrent des hommes à pied ou à cheval tuant un taureau avec une lance. Ils ne semblent pas être tous des aristocrates, comme c’était le cas en Espagne. Un de ces jeux consistait pour les participants à poser des banderilles, à sauter à la perche au-dessus du taureau. L’animal était mis à mort quand il était trop affaibli pour continuer le jeu. Notre conventionnel a-t-il assisté à une corrida ou à un de ces jeux taurins ?

Depuis semble-t-il, la nuit des temps, le taureau a cimenté l’identité collective de la population de la région-sud. Il faisait partie des distractions, des transactions, de la sociabilité populaire. Au 18ème siècle. « La grande affaire sur la place, c’est de parler de la course de taureaux de demain »…En 1740 on compte, rien qu’à Aigues-Mortes un peu plus de 1100 bêtes à cornes, 319 chevaux et près de 10 000 moutons.

Dans notre pays, les autorités vont essayer tout au long du 18ème siècle,  en vain, de règlementer les jeux taurins, craignant ces rassemblements populaires et l’excitation qui en découle, qui pouvait entrainer une contestation de l’ordre établi. Déjà en 1647 Louis XIV s’était prononcé contre ces jeux dans le but de protéger l’ordre public.

En 1762 il est fait « défense d’introduire des vaches dans la ville qu’on fera courir pour l’amusement du public… ». Des peines d’amende sont prévues contre quiconque maltraitera ces animaux. Une ferrade parfois remplace une course de vaches. De même en 1778 le conseil de ville de Nîmes s’inquiète de « ces courses qui occasionnent toujours des malheurs, qui portent atteinte au bon ordre et à la tranquillité publique et qui sont très nuisibles au commerce et aux manufactures ayant toujours été proscrites par les officiers municipaux… ». Un arrêté de l’administration centrale du Gard du 20 fructidor an IV (6/9/1796) prohiba expressément les courses de taureaux dans le département, défense renouvelée le 5/9/1800.

 « Toutes courses ou combats de taureaux sont interdits dans tout le ressort du département, même lors de la célébration des fêtes républicaines ordonnées par la Loi. Il est fait défense aux propriétaires ou gardiens des dits taureaux de les prêter pour cet usage. En cas de contravention, il est enjoint aux municipalités de faire tirer sur les dits taureaux et de les tuer dès qu'ils paraîtront dans l'arène, sans que les dits propriétaires qui les auront fournis puissent réclamer aucune indemnité. » 

En 1844 le conseil municipal d’Aigues-Mortes justifie son autorisation d’une course contre l’avis du préfet : « si la municipalité refuse d’organiser une course, les habitants se cotiseront et en feront deux ! 

En France nos arènes sont souvent habitées, en très mauvais état, rendant impossible ce genre de spectacle jusqu’à la fin du 18ème début du 19ème siècle. Les arènes de Nîmes sont nettoyées, déblayées en 1813. On va y donner toutes sortes de spectacles : jeux équestres avec le célèbre Franconi en 1820, des concours de lutte très à la mode en ce début de siècle, des spectacles d’équilibristes, une ascension en ballon en 1853. Mais le taureau devient rapidement une distraction populaire. Les autorités gardoises jugent ces spectacles grossiers, brutaux, encourageant la violence et les interdisent de 1796 à 1800. En 1804 une course à la bourgine a lieu malgré tout.



Course à la longue ou bourgine 1804-nemausensis.com/MidiLibre/article29jan2006.ht

En 1811, le préfet du Gard autorise à nouveau les courses lors des festivités en l’honneur de la naissance du roi de Rome, le fils de Napoléon. Ferrade dans les arènes en 1814, 1824 sous les yeux du comte d’Artois et de la duchesse d’Angoulême. Mais en 1824, sous l’influence catholique, l’administration se montre de plus en plus hostile. Ci-dessous Journal du Gard 15 octobre 1814 A Joseph d’Arbaud 1924 –nemausesnsis internet

 « A trois heures S. A. se rendit à l'amphithéâtre, vulgairement, appelé les arènes, où l'on avait préparé un spectacle connu dans ces contrées sous le nom de ferrade, et qui est dans le genre de ceux qu'on donne à Madrid. II consiste en des exercices de force et, d'adresse contre des taureaux sauvages paissant toute l'année dans les marais de la Camargue. Des tauréadors à cheval et à pied, armés de tridents, luttent contre ces animaux, les abattent et les tiennent, couchés jusqu'à ce qu'ils crient été marqués sur la cuisse avec un fer rouge, de la lettre initiale du nom du propriétaire. Cet exercice parut amuser le Prince, mais ce qui l'intéressa davantage, ce fut le spectacle de plus de trente mille personnes réunies dans cette enceinte, et qui, il tous moments, faisaient éclater la joie que causait sa présence. Nulle part sans doute on n'a pu offrir à S. A. R. un spectacle pareil parce que nulle part on ne trouve un local aussi bien disposé ».

Et en 1850 la loi Grammont est votée, protectrice des animaux.


Mais sous l’influence de l’Impératrice Eugénie, les courses à l’espagnole avec mise à mort sont à nouveau autorisées. Celle de 1853 à Nîmes sera tellement désastreuse qu’il n’y en aura pas d’autre avec 1863. Mais à ce moment-là, ces courses dans une atmosphère passionnée,  devinrent parfois des affrontements politiques, rouges contre blancs. Ce fut le cas en juin 1878 lors d’une course donnée en l’honneur de l’exposition universelle.

La loi Grammont était toujours en vigueur. A partir de 1886, le gouvernement républicain renouvelle et fait respecter les interdictions, qui sont de plus en plus mal supportées. De 1883 à 1891 les afficionados et le gouvernement s’affrontent ouvertement. En 1894 Frédéric Mistral s’en mêle : « Lève-toi peuple...fais entendre ta voix, qu’on te rende tes jeux favoris… ». Le gouvernement cède en 1896.

Autres temps, autres mœurs…. Il est fort probable que nos petits-enfants trouveront cette pratique complètement ringarde !! A nous de ne pas être en retard sur cette évolution naturelle.

En France, la tauromachie est inscrite en janvier 2011 à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France.. Le ministre de la culture Frédéric Mitterrand, de toute évidence assis entre deux chaises, souligne que cette décision, en dépit de la démarche lancée en 2009 par l'union des villes taurines françaises et l'Observatoire national des cultures taurines n'implique « aucune forme de protection, de promotion particulière ou de cautionnement moral et ne vise pas à proposer la tauromachie à l'inscription au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco », mais relève simplement « l'existence factuelle d'une pratique et d'un développement alentour d'un certain nombre d'éléments de nature culturelle (rituels, œuvres inspirées, rassemblements populaires, pratiques d'un vocabulaire spécifique) ».

Course à la cocarde  Arles 1922 – Les raseteurs à l’œuvre—A ne pas confondre avec la corrida !!

Jusqu’au début du 19ème siècle, la corrida va éclipser les autres jeux taurins, en particulier les jeux camarguais qui restent confidentiels, entre les deux bras du Rhône.

Très différente, la course à la cocarde ou course libre, camarguaise apparaît au 19ème siècle. Pas besoin d’arène : des charrettes, des bottes de paille délimitaient le cercle. Des « bouvaou » existaient un peu partout, piste délimitée par des fagots pouvant servirent de petite arène.  Parfois, des paris sur les « vachers » étaient pris. C’était plutôt une fête familiale, d’après la messe, chaque famille ou commune avait son champion, homme ou animal. C’était aussi un moment de tradition, de ciment sociétal.

Depuis 1975, le caractère sportif de ces courses à la cocarde est reconnu par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Une réglementation avait vu le jour en 1966. Une Fédération, des écoles de raseteurs sont crées.

Ces jeux sont certainement dans la suite logique des jeux plus anciens mais là, le taureau n’est jamais mis à mort. Il va prouver sa combativité, son intelligence. Au départ ces jeux taurins avaient pour but de sélectionner les animaux les plus solides, les plus aptes à vivre en liberté dans les marais camarguais. C’est encore vrai aujourd’hui, avec en plus un aspect économique, les propriétaires de taureaux champions recevant une jolie somme pour chaque prestation. .  Théoriquement seuls les bovins de Camargue peuvent participer à ce genre de spectacle. Dans certaines de ces courses, nous pouvons voir le taureau se jouer de l’homme, être capable d’analyser le jeu. Intelligence, expérience, sélection naturelle ? Et puis ce sont les hommes qui prennent des coups ce qui est un juste retour des choses. Les taureaux champions prennent une retraite paisible dans les marais avec leur harem ; certains sont enterrés avec honneur et statue…

 

Sources : wikipédia – couradou de Vallabrix mars 2011 p3—Histoire de Nîmes  Collectif Edisud La calade 13090Aix en Provence ISBN 2-85744-134-7-- --Première Corrida à Nîmes en 1853 (nemausensis.com)-- Article Midi Libre du 28 mai 2006--

 

 

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