dimanche 4 décembre 2022

Le tombeau du Sanglier

 

Le tombeau du Sanglier

En Camargue, les taureaux de légende ont leur statue. Des marques de reconnaissance pour des « bious » d’exception qui ont procuré des émotions fortes aux amateurs de courses camarguaises et qui ont marqué les mémoires. Rappelons ici que la course à la cocarde ou camarguaise n’est pas la corrida, loin de là. Dans cet exercice, ce sont les hommes qui prennent les coups.

Sur le rondpoint du Cailar trône Le Sanglier. « Ici est enterré Le Sanglier de la manade F. Granon-Combet 1916-1933 ». En fait, la stèle a été déplacée et il n’est pas enterré là. Il était le fils du grand Belcita, cocardier d’avant-guerre.

Un certain flou (ou de merveilleux) quant à sa naissance. Nous sommes en pleine guerre de 14-18, au cœur du Bois des Rièges, derrière le château d’Avignon, dans une Camargue sauvage, dans une atmosphère de brouillard, de légende, de mysticité. Sa mère Caillette met bas à côté d’une laie qui vient de mettre au monde ses petits. Caillette meurt et c’est le facteur Claudius (ou le gardian Chabalet) qui les découvre, d’où le nom de Sanglier. La laie aurait nourrir le taurillon. Le Sanglier est un veau solitaire, courageux, espiègle. Curieux il arpente les quatre coins du bois.

Il effectue sa première course dans le plan d’Aigues-Vives à l’âge de trois ans. Lansagues, Lunel …. Il construit sa légende. Cocardier complexe, barricardier, explosif, audacieux, malin… Il ne pardonnait pas la moindre erreur. Il enthousiasmait les foules.

Autre taureau Muscadet (manade Rouquette)dans ses coups de barrière à Maugio et à Nîmes

Prompte comme la foudre dans les arènes, Le Sanglier était le premier à avoir effectué les « coups de barrière ». Il poursuivit les raseteurs Julien Rey et Benoît, Margaillan jusqu’aux planches, passa ses cornes derrière pour les attraper ou les taper d’un redoutable coup de tête. Il va tuer de deux coups de cornes en 1925 Pierre Vite le portier des arènes d’Aramon. On dit aussi qu’il est responsable du « coup de sang » fatal arrivé au peintre en bâtiment Coulet, quelques temps après avoir été sévèrement secoué à Lansargues par un Sanglier jeune qui pourtant n’avait pas encore fait ses preuves…  Ses cornes d’or faisaient la fortune des parieurs, de son raseteur préféré le beaucairois Julien Rey. On se pressait à toutes ses courses. Les primes que l’on mettait à chaque course sur ses cornes approchaient les 1000 euros actuels. (Les primes : argent gagné par le raseteur qui enlève qui un ruban, qui la cocarde…en plus de l’engagement pour raseter). En 1927 Julien Rey touchera 8000francs pour raseter Sanglier à Lunel. 16 fois son salaire de charretier. Son nom s’inscrivait en grand sur les affiches, « Rey et Cie ». Mais cette fortune trop vite gagnée, Rey flambera tout et finira employé municipal.

Ce sera pour Sanglier qu’on jouera l’air du toréador de Carmen de Bizet. Un jour de retour d’une de ses courses, le train de Nîmes-Le Grau du Roi cala, trop lourdement  chargé d’admirateurs. La locomotive n’arrivera pas à passer la côte de Générac.

Le Sanglier et le taureau du Trocadéro - midilibre.fr

Hemingway, le grand écrivain, en parle admiratif. Il assiste à une course où la cocarde entre les cornes du « Sanglé » rapporte 3000 francs à celui qui l’enlève.

Des primes de 500 à 1000 francs étaient gagnées pour seulement toucher sa tête et déclencher l’ovation du public.

Entre 1925 et 1929, ses cornes rapportèrent pas moins de 120 000 francs de primes à ceux qui lui enlevait sa cocarde..

Il est l’orgueil de la Camargue, le héros, un guerrier…..peut-être la revanche pour certains après l’accusation injuste de désertion de 1917 contre les bataillons venus du Midi.

Mais la gloire a aussi ses revers même pour les taureaux talentueux. En 1927 dans les arènes d’Arles, les provençaux jaloux et pensant sa réputation usurpée vont lui tendre un piège. Trente raseteurs entrent en piste, enragés comme une meute de chiens, ils vont tenter de lui prendre sa cocarde. Les portiers refusent de lui ouvrir les portes pour qu’il sorte de l’arène. Pendant 25 minutes Le Sanglier reste en piste et il rentre enfin avec sa cocarde entre les cornes. Echec et mat pour les provençaux. Plus jamais, son manadier acceptera de conduire un seul taureau à Arles.

Le Sanglier fera ses adieux le 31 août 1930 à Nîmes devant plus de 12 000 personnes. Pour son biographe le taureau sera encore dans les arènes d’Aigues-Vives pour une dernière course le samedi 3 octobre 1931.

Mais avant de prendre définitivement une retraite bien gagnée, le Sanglier fit encore quelques sorties en 1930 et c’est ainsi qu’il parut en présentation dans les arènes d’Aramon, le 15 juin ; du Cailar, le 3 août ; de Châteaurenard, le 4 août ; de Nîmes, le 31 août et de Saint-Gilles, le 28 septembre. Enfin, sa dernière présentation eut lieu le 7 juin 1931 dans la piste de Lunel où seuls Julien Rey et Charles Garonne eurent l’honneur de lui faire les deux derniers rasets.


(ci-contre Saumade) 

Il prit une retraite méritée dans les pâturages du Cailar. Monsieur Bouzanquet, une personnalité de Nimes souhaitera faire naturaliser (empailler) Le Sanglier pour l’installer au musée de la Ville. Granon refusa car il voulait que son taureau meure sur ses terres où il serait enseveli et où il était né.

Mais un jour Le Sanglier décida de quitter les près, suivit le Vistre, traversé le Cailar de nuit et vint se coucher devant la maison de son maître Fernand Granon. Dès lors il finira ses jours dans la cour de Granon, visité régulièrement par ses admirateurs. Son patron venait le visiter chaque soir sauf le soir du 22 octobre 1933. Le lendemain Sanglier gisait mort les deux cornes plantées dans un tas de fumier, ultime « coup de barrière ». Il sera enterré dans des draps neufs.

D’autres taureaux de légendes auront leurs statues : Clairon,Goya, Gandar, Muscadet, Pascalet….. Nous nous intéresserons à leurs histoires dans quelques temps….


 Autre taureau de légende Pascalet, la Bombe noire, et le raseteur Jacky Siméon, fin des années 1970

 

 

 

 

Sources et pour en savoir plus : La légende du SANGLIER de Fernand Granon. - TORILTV LE BLOG—Gazette de l’été juillet 2006 Jacques  Durand Alain Laborieux—photos André Hampartzoumian--

Le Sanglier (taureau de Camargue) - Data BnF

https://data.bnf.fr › le_sanglier__taureau_de_camargue_---

 

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