mercredi 14 décembre 2022

Un Indien dans la ville

 



Un Indien dans la ville

Le 14 avril et 2 mai 1909, D’Jelmako traverse les arènes de Nîmes sur un fil tendu à plus de trente mètres de hauteur.

De son vrai nom Etienne Blanc, D’Jelmako, « Le tonnerre qui gronde » en langue sioux, est né à Marseille en 1857. Il sera enterré à Montpellier au cimetière St Lazare en 1933 après une carrière bien remplie.

Cette fin de 19ème siècle est à la mode indienne. Nous avons une fascination pour le Nouveau Monde.  On est persuadé que les Indiens d’Amérique ne connaissent pas le vertige. Le grand Buffalo Bill promène son spectacle dans toute l’Europe avec Indiens, chevaux, bisons… avec un passage à Nîmes. Etienne va construire son personnage sur cette vague. D’autant plus, qu’il a des origines canadiennes sinon indiennes. Son père Louis Etienne Blanc en 1846 émigre au Canada. Il est régisseur dans une grande coupe de bois au contact des trappeurs et il va épouser la fille de l’un d’eux Sophie Laurent, une belle brune. En 1856 la famille revient en France et s’installe dans une ferme d’élevage La Grande Bastide, dans la banlieue de Marseille à Sainte Marguerite. Etienne Marie Joseph nait le 25 décembre 1857.

Portrait de Djelmako (indien d'Amérique), funambule, ayant traversé la rivière de la Drôme sur un fil, le 29 septembre 1901, lors de la fête de la Saint Ferréol, à Crest.

Référence du document : 17MDSERRO3
Date : 1900

 «  L’enfant aurait été baptisé au cours d’une cérémonie syncrétique respectueuse des usages en vigueur chez les Sioux, selon la légende familiale. Qui ne paraît pas être conforme à la réalité car les Sioux, qui formaient la nation de langue lakota, n’ont jamais occupé le Canada mais plutôt des territoires correspondant aux États actuels du Nord et Sud Dakota, et des portions des États du Minnesota, de l’Iowa, du Wisconsin à l’est, du Wyoming à l’ouest et du Nebraska au sud. Assez loin des tribus indiennes du Canada qui étaient plutôt constituées par les peuples algonquins, micmacs, abénaquis, cris, hurons et autres mohawks. » s’interrogent ses biographes. (René Samson « Les Biographies Célébres »1929—Henri Louis Escuret 1962).

Ascendances indiennes affirmées, nostalgie du père…. Certains lui prêtent des grands-parents maternels sioux. En tout cas, ce prénom D’Jelmako, réellement de baptême  ou inventé par la suite devint un élément non négligeable pour sa carrière d’artiste. Et puis un artiste est là pour faire rêver !!

On dit que c’est sur la corde à linge de sa mère qu’il commence son apprentissage de funambule. Il promène sa sœur sur son dos. Puis son oncle lui installe un câble de chanvre à huit mètres de hauteur. Petit à petit il apprend et excelle. A cette époque, le funambulisme est à la mode mais plus l’artiste est haut et plus la traversée est longue et plus le succès, le respect était là. Il fallait des traversées grandioses, spectaculaires, les chutes du Niagara avec Charles Bondin le père du funambulisme (1824-1897), des exhibitions qui coupent le souffle.


Il devient de plus en plus habile, courir, marcher en arrière, en avant, se coucher sur la corde, tirer, les yeux bandés…. A 19 ans il perd sa mère, son père et son oncle. Il est en charge de sa petite sœur. Il est engagé par le directeur du théâtre de Rivesaltes. En 1880 il fait une tournée avec la troupe du Palais Royal. Il y rencontre son épouse, Paulia, l’amour de toute sa vie. Il signe un premier contrat avec le Casino de Toulouse, un show à Carcassonne…. Une tournée à Lisbonne, à Barcelone. Il est célèbre.

La presse le surnomme « le métis canadien », « l’indien au visage pâle », « Le Blondin moderne »… Le Petit Courrier de Biarritz s’enthousiasme dans son édito du 6 septembre 1889 : » c’est le plus fort des funambules que nous ayions vu à ce jour… ». Il faut dire que la traversée du Vieux Port de Biarritz se fait à 37 mètres de hauteur sur une longueur de 167 mètres. La traversée de la rade de Villefranche-sur-Mer est encore plus exceptionnelle : un fil tendu entre deux montagnes à 95 mètres de hauteur, un silence absolu des spectateurs, les voitures arrêtées, tous les yeux braqués sur lui !!

Et sa traversée des cascades de Terni en Italie à 115 mètres de haut… Et à Bruxelles, la traversée du parc Léopold où D’Jelmako toujours sur son fil s’amuse à tirer sur des ballons rouges qu’on lâche devant lui…

Jongler avec des couteaux, abattre des ballons avec un fusil, marcher avec un charmeur de serpent accroché à son dos…tout en marchant sur son fil de chanvre ou d’acier…

Mais à Nîmes il va innover. Il va y présenter le 15 avril pour la première fois sa « torpille aérienne ». Il va construire un petit appareil sur le modèle des engins automoteurs prévus pour la guerre, en forme de cigares sur lesquels glissent l’air et l’eau. Deux roues, l’une mobile, l’autre libre, qu’il équipe d’un moteur à pétrole assez puissant pour lui permettre d’avancer sur un fil qui ploie un peu et remonte vers la passerelle. C’est très risqué puisqu’en cas de déséquilibre, il ne peut pas saisir le câble qu’il ne voit pas lorsqu’il est à califourchon sur sa torpille.

Le journaliste de l’Eclair raconte : « l’appareil placé sur le câble, D’Jelmako l’a enfourché, les deux jambes dans le vide et s’est élancé accompagné des pétarades de son bizarre appareil…L’émotion était générale et l’anxiété à son comble quand le petit véhicule gravissait lentement la corde qui pliait…La traversée a duré exactement une minute 12 seconde, un siècle pour nous les spectateurs de cet acte téméraire…. ». Il renouvèlera l’exploit le 2 mai, puis dans toute l’Europe toujours costumé en Sioux, jusqu’à la Première Guerre Mondiale.


A la déclaration de la guerre en août 1914 il a 57 ans, trop vieux pour s’engager comme soldat. Mais il va faire sa part en conduisant des camions de ravitaillement des troupes. Après la guerre il reprend la route et les shows. A 65 ans il est à Montpellier où il donne une représentation sur la promenade du Peyrou. Mais quelques jours plus tard dans les arènes de Bézier, alors qu’il allume un feu d’artifice du haut de son fil, le dispositif s’embrase et il est grièvement brûlé. Il finit sa traversée, et il est transporté à l’hôpital de Montpellier. Pendant un an, il doit arrêter les représentations, mais en 1922 on le revoit à Marseille où il est engagé pour des représentations à l’Exposition coloniale.

Paulia son épouse décède de maladie en 1924. D’Jelmako est désespéré. Il lui survit jusqu’en 1933. Il est en représentation près de Tarbes à Riscles. Louis-Henri Escuret de la Société française d’Histoire de médecine raconte « Au moment de son passage sur le câble aérien avec sa torpille, il perd l’équilibre, son appareil s’étant trop ralenti. Il tomba d’une hauteur de neuf mètres sur la piste des arènes….Fracture de la base du crâne, grave lésion à la colonne vertébrale. La torpille de 85 kilos s’était abattue sur son corps ». Il s’éteint le 1er août dans son appartement de Montpellier veillé par sa petite sœur.


Il avait passé une bonne partie de sa vie sur un fil, dès l’âge de 7 ans jusqu’à près de 77 ans…..

(Le Petit Méridional du 1er août 1933)

 



(Marseille ? 1890)

Sources et pour en savoir plus : D’Jelmako, le funambule indien (lagglorieuse.info)Musée Carnavalet, Histoire de Paris--www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/...—Adrian L’Encyclopédie du cirque –Le Sens de l’équilibre 1993 BNF--- René Samson Les Biographies Célèbres 1929—la gazette de Nîmes n)1052-1053 août 2019—wikipédia .org--- Les Arènes de Nîmes, 1909BnF, département des Arts du spectacle, 4-COL-180 (151)© Bibliothèque nationale de France---: Louis-H. Escuret, D’Jelmako, le célèbre funambule (1857-1933), Montpellier, chez l’auteur, 1962.---

 


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