vendredi 14 avril 2023

Les frèrres Blanc, premiers "hackeurs"

 

François Blanc

Les frères Blanc, premiers « hackers » du monde ?

Pour mieux comprendre voir sur ce blog Le télégraphe de Chappe 10/01/2019

 



Poste de télégraphie aérienne. Gravure (colorisée ultérieurement)
extraite des Merveilles de la science ou description populaire
des inventions modernes
 (Tome 2) par Louis Figuier, paru en 1868

Nous sommes dans les années 1830 au 19ème siècle et dans l’affaire du réseau télégraphique détourné. Le télégraphe aérien inventé par Claude Chappe est une révolution qui nous mettait en communication avec presque l’ensemble de notre territoire et même jusqu’à nos frontières. En 1790, il fallait trois jours en malle-poste pour porter un courrier de Paris à Lille et quatre de Paris à Strasbourg. En 1820 grâce au télégraphe, dans le premier cas, 56 minutes suffisaient et dans le deuxième cas 76 minutes. Une dépêche de 40 mots mettait moins de deux heures entre Montpellier et Paris par temps favorable !!  Le transport de la pensée va être révolutionné dès la fin du 18ème siècle grâce à l’invention de Claude Chappe. Et cela ne sera qu’un début !

Les différents gouvernements du 18-19ème siècle, Empire, Restauration, celui de Juillet, augmentent nos lignes, créant une toile d’araignée de structures. Mais le siège administratif était toujours situé rue de l’Université à Paris dans un hôtel d’accès facile et qui aisément pouvait être enlevé d’un coup de main.

Les départements étaient encore desservis par les télégraphes aériens dans les années 1830. C’était là une vive préoccupation pour le gouvernement. Sous les Bourbons et sous Louis-Philippe les émeutes n’étaient pas rares à Paris. Et puis des hommes d’affaires y verront un moyen de s’enrichir sans trop de peine. Celui qui a un renseignement avant les autres a toutes les chances de toucher le jackpot !! Un exemple parmi tant d’autres : le cours de la Bourse de Paris n’était connu à Bordeaux, Rouen, Lyon, Marseille qu’à l’arrivée de la malle-poste. Celui qui connaissait le mouvement des fonds publics douze heures avant les autres pouvait faire des bénéfices assurés !


Reddit-CultureCarte des lignes de télégraphe optique (Télégraphe Chappe) établies entre 1793 et 1852 ..

Dans chaque poste du téléphone aérien,  deux stationnaires, de l’aube à la nuit tombante ; l’un manipule le télégraphe, l’autre à la lunette pour lire les messages des autres postes. C’est un métier réservé à des invalides, parfois à des artisans ou des fils de paysans. Très mal payé, peu de gens envient leurs places. Plus tard chacun ne fera qu’une demi-journée et pourra avoir d’autres activités, jardinage, artisanat… Ils sont sous l’autorité d’un inspecteur qui surveille leur travail soit sur place, soit de loin avec une lunette particulière. Il a la responsabilité du poste, décide des réparations, vérifie l’état du matériel, rédige un rapport, apporte la paye des stationnaires. Il est lui-même sous l’autorité d’un directeur de ligne qui a la responsabilité de décoder et coder les messages. Celui-ci est le seul à détenir et utiliser le vocabulaire télégraphique. C’est lui qui va décider d’envoyer le message à son destinataire ou au poste suivant.

Avant le télégraphe, on avait bien utilisé les moulins dont les ailes étaient disposées d’une certaine façon, les pigeons voyageurs… Mais le gouvernement y perdait son latin et la loi n’avait rien prévu pour ce problème ou pas grand-chose d’efficace.

En mai 1836, le directeur des télégraphes de Tours Monsieur Bourgoing est informé que deux employés Guibout et Lucas, stationnaires du télégraphe n°4 situé sur la mairie faisaient un usage bizarre de leurs signaux. Une enquête prudente est diligentée, mais Lucas très malade et près de mourir fait des aveux complets. Guibout aussitôt après l’arrivée de la malle-poste de Paris, introduisait un faux signal dans la première dépêche qu’il avait à transmettre sur la ligne de Bordeaux, et qu’aussitôt après il indiquait : erreur. Mais le faux signal n’en parcourait pas moins sa route forcée, était répété de station en station, allait à fond de ligne, c’est-à-dire jusqu’à Bordeaux, où le directeur le rectifiait, corrigeait la dépêche fautive et empêchait qu’elle ne parvînt plus loin avec cette indication parasite et inutile. La fraude partait donc de Tours pour aboutir à Bordeaux.

Les frères François et Louis Blanc, bordelais, agents de change, joueurs de bourse et spéculateurs de profession entrent en jeu. Leur intelligence et leur sens aigu de la communication vont assurer leur réussite. Ils ont l'idée d'utiliser les ressources, alors réservées à la seule administration, du télégraphe Chappe. Renseignés ainsi avant tout le monde, ils vont amasser une fortune confortable,

Un de leur agent à Paris était en contact avec Guibout. Lorsque la rente à 3% baissait dans une certaine proportion, il envoyait par la poste à Guibout à Tours une paire de gants ou une paire de bas gris : lorsqu’au contraire, la hausse était là, il envoyait des gants blancs ou un foulard. Selon la nature ou la couleur de l’objet reçu, le préposé faisait un faux signal convenu qui arrivé à Bordeaux était communiqué par le stationnaire de la tour Saint-Michel au commis des frères Blanc. Ils connaissaient ainsi 24 heures à l’avance la cote de Paris, et empochaient d’importants bénéfices.

Tout ce petit monde est arrêté et emprisonnés vers la fin du mois d’août 1836 et envoyés devant la cour d’assisses de Tours le 11 mars 1837.

(archives Touraine)

Une foule importante se déplacait chaque jour pour assister aux débats. On notait la présence du préfet d’Indre et Loire, le directeur du télégraphe de  Tours, des experts comme Joseph Marie Allard et Jean Gabriel Flocon qui avaient longuement et minutieusement préparé l’enquête.

 

Les accusés font des aveux complets ; Guibout recevait des frères Blanc 300 frs par mois et 50 frs de gratification par faux signal. A cette époque, un employé gagnait par jour autour de 1,50 frs. Un ténor du barreau plaida, Gustave-Louis Chaix d’Est-Ange. Il fut habile comme à son habitude ; il joua avec le jury, le fit rire, l’émut, le troubla. Pourtant les frères Blanc avaient reçu pas moins de 120 fois le signal indicatif du mouvement de fonds ! Mais il n’y avait pas lieu de recourir aux articles 177 et 179 du Code Pénal…

Les frères Blanc se défendent en invoquant que tout moyen d’information était licite pour gagner de l’argent. Pour eux, les gens de bourse avaient pour unique préoccupation de savoir d’avance le cours des fonds publics pour jouer à coup sûr !! Ils s’appuient sur d’autres exemples comme celui des Rotchild qui utilisent aussi les lignes télégraphiques et les pigeons voyageurs. Des témoins plaident en leur faveur, ils n’ont jamais eu de démêlés avec la justice….Bref ils n’avaient rien à se reprocher… Dans le domaine des communications télégraphiques nous sommes en présence d’un vide juridique, et ici pas de véritables preuves… Ils sont acquittés et condamnés à régler les frais de procédure et une amende pour corruption de fonctionnaire. Les sommes gagnées restent en leur possession. Leurs complices ne sont plus autorisés à exercer.

Cet épisode fit réagir le ministère qui dès lors voulut posséder le doit d’un monopole réel sur l’usage du télégraphe. Le 6 janvier 1837 Adrien de Gasparin ministre de l’Intérieur s’exprime avec raison :  « Nous sommes forcés de demander plus à la législation que nos devanciers, parce que nous demandons moins à l’arbitraire. » En février 1837 une commission parlementaire présente un rapport appelant à réserver exclusivement l’usage du télégraphe à l’Etat. Le 28 février suivant, Portalis rapporteur de la commission de la Chambre des Députés conclut à l’adoption d’un article unique qui tient compte des progrès techniques futurs :

 « Quiconque transmettra, sans autorisation, des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 1000 à 10 000 francs. L’article 463 du code pénal est applicable aux dispositions de la présente loi. Le tribunal ordonnera la destruction des postes, des machines ou moyens de transmission. »

 « L’esprit humain est inépuisable en ressources nouvelles et il s’agit de prévoir ce qui n’existe pas encore, ce qui n’a été ni connu, ni imaginé, ce qui pourrait être inventé pour éluder la loi, si des expressions trop restrictives venaient enchaîner la conscience du juge. Il faut atteindre toutes les combinaisons à l’aide desquelles on pourrait arriver à ce résultat. »

Le ministre de l’Intérieur déclara que « si des entreprises particulières pouvaient fonder des établissements semblables, les fauteurs de troubles et de désordres y trouveraient un moyen efficace pour l’exécution de leurs projets ». Regrettant qu’aucune autre solution n’ait pu être trouvée, il ajouta : « Nous n’aimons pas les monopoles pour eux-mêmes, et nous serions heureux de pouvoir sans péril étendre à tout le monde les facilités que le télégraphe présente au gouvernement. » Il conclut : « Vous penserez avec nous que de tels avantages doivent être réservés au gouvernement... Les privilèges dont i jouit ne sont pas des privilèges, car le gouvernement, c’est tout le monde, et l’on peut dire ici sans paradoxe que le seul moyen d’empêcher le monopole c’est de l’attribuer au gouvernement. »

La loi est votée le 14 mars 1837 avec 249 votants (sur les 556 députés), dont 212 pour l’adoption et 37 contre. L’argumentaire reposait sur le fait que la télégraphie deviendrait un instrument de sédition des plus dangereux, si par malheur on ne lui interdisait pas sévèrement de servir aux correspondances du public.

Les frères Blanc continueront sur leur lancée, casino, roulette, établissement thermal, salle de spectacle, de bal, jardins, restaurants et hôtels de luxe construits par d’autres entrepreneurs mais avec des parts pour eux, puis Monte-Carlo, en  jouant sur une nouvelle industrie « la publicité »  vantant les charmes de la station et sachant utiliser, bien avant tout le monde, les ressources de la « relation presse », payant journalistes et publicistes pour répandre une image idyllique…

Arrêté d’absolution des frères Blanc et de Pierre Guibout

 

Expérience du télégraphe de Chappe dans le parc de Saint-Fargeau à Ménilmontant,
le 12 juillet 1793. Illustration extraite du Supplément illustré du Petit Journal du 1er décembre 1901

§  Sources et pour en savoir plus :  « Paris : ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié
du XIXe siècle » (par Maxime Du Camp) Tome 1 édition de 1879
et « Communications » (sous la direction de Georges Friedmann) paru en 1974)--- La France Pittoresque février 2023------
2U235 et 2U236 , Journal d'Indre-et-Loire - Archives d'Indre-et-Loire--- Article de Jean-Michel Boubault,  membre de l’Association Recherche et Histoire Postes et Télécommunications de la région Centre  "François Blanc, auteur d'une fraude au télégraphe Chappe, édifie le Monac actuel"---

Wikipédia  https://fr.wikipedia.org/wiki/Piratage_du_t%C3%A9l%C3%A9graphe_Chappe  --- BLANC FRANÇOIS & LOUIS - Encyclopædia Universalis--- /www.appl-lachaise.net/blanc-francois-1806-1877/

 

 

 

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