Un épisode de la crise viticole de 1975-1976
Nous sommes dans la
période 1975-1976. Notre pays enregistre
une baisse de la consommation de vin de table. Nos viticulteurs doivent faire
face à une concurrence de plus en plus forte des vins étrangers. La situation
est désespérante, le gouvernement sourd comme un pot, la Communauté Européenne
et ses prétextes fallacieux, l’Italie butée, l’Allemagne parcimonieuse. L’avenir
du vignoble français, mais aussi de nos fruits et légumes était en jeu…
Le 29 décembre 1975 cinq
mille viticulteurs et professionnels bloquent le port de Sète, font barrage aux
pinardiers italiens et vident les cuves.
Emmanuel Maffre-Baugé
nous raconte cette période dans son livre « Vendanges Amères ».
L’exaspération et la
colère, toutes deux mauvaises conseillères, annoncent que la période de
non-violence prenait fin dès la dislocation de la manifestation de Sète.
Manifestants et CRS s’affrontent en véritables batailles rangées sur les quais,
autour de la gare. A Béziers les affrontements se succèdent. On assiste à une
escalade de la violence ; en haut lieu on n’a pas voulu entendre les revendications
des viticulteurs. Eternel recommencement…
Ce jour-là, l’auteur se
trouve au barrage de Mireval, avec de nombreux amis, le député Frêche et son
épouse. Tous les départements de l’Est Montpellier, les cantons entourant cette
ville étaient représentés. Cinq à six mille manifestants, quelque uns excités,
mais la plupart respectueux des consignes, à savoir constituer un barrage
humain sans commettre la moindre déprédation. Il s’agissait avant tout de
bloquer les importations.
Mais tout à coup, des
clameurs s’élèvent du côté de Sète. Une personne arrive pour chercher des
responsables capables de calmer la foule. « Venez vite, ils ont coincé un
CRS qui faisait une patrouille et je crains pour lui ».
Sur les lieux un homme
d’une trentaine d’années, assis sur sa moto, vêtu de son équipement de motard,
était entouré d’une trentaine de visages hostiles. Il expliqua qu’il venait de
guider un car de manifestants du Var en difficulté, vers une aire de repos en
attendant un réparateur. Sa mission accomplie, il rejoignait son unité à
Montpellier, accompagné d’un autre CRS. Ce dernier avait fait machine arrière,
mais lui totalement inconscient avait voulu traverser cette masse de
manifestants en pleine ébullition.
Des voix anonymes
s’élevaient, « Ordure, on va te l’arranger ta sale gueule, il faut le
boucler… » »à poil, il faut le garder comme otage… ». L’avant-gout
du lynchage défigurait les visages, une lâcheté anonyme qui poussait à dire et
à faire n’importe quoi.. La violence sous son aspect le plus hideux laissait
présager le pire. Le député et Maffre-Baugé se sentaient responsables de la
sécurité de ce garçon. Juché sur le toit d’une voiture, l’auteur essaie de
ramener à la raison les plus excités : « on n’est pas des gangsters,
on ne se bat pas avec de tels moyens, les viticulteurs ne sont pas des salauds…. ».
Frêche intervint dans le même sens.
Mais comment tirer cet
homme de cette situation. Un peu plus loin un petit cabanon-buvette. Il fallait
coûte que coûte l’entrainer là pour le mettre à l’abri. Il ne voulait pas
laisser sa moto, mais quelqu’un dit qu’il allait la ranger. La tension montait,
une bande d’irréductibles continuaient à menacer, tentaient d’entrainer la
masse des viticulteurs. Le CRS visiblement ne comprenait pas ce déchainement
contre lui. Frêche, l’auteur et des amis venus en renfort escortèrent le jeune
homme jusqu’au cabanon, le protégeant de leurs corps. Soudain une grande flamme
jaillie au-dessus de la foule, les plus excités venaient de mettre le feu à la
moto.
Les propriétaires du
cabanon se firent un peu tirer l’oreille pour ouvrir et mettre les hommes en
sureté pour un instant. Mais comment gérer la situation ? Le visage du CRS
était décomposé. Il ne cessait de dire « j’ai des balles dans mon
barillet, j’en liquiderai quelques-uns, la dernière sera pour moi. Ils ne m’auront
pas vivant… ».
Quelqu’un proposa de le
mettre en civil et s’enfuir à travers les vignes. Quelques vieux vêtements
trouvés là, mais il ressemblait plus à un épouvantail qu’à un homme. Il
pleurait à grosses larmes, comme un homme, avec simplicité, courage. Dehors la
foule grondait. La pression se sentait sur les parois en bois de la baraque. Des
meneurs faisaient lever la colère et encourageaient les autres.
Il fallait faire vite. Le
jeune homme repassa son uniforme et il fut décidé de sortir coûte que coûte.
Dehors, difficile d’évaluer le nombre de personnes. Frêche avait mis son
écharpe tricolore de député, son épouse avait avancé courageusement la voiture.
Il fallut parlementer pour fendre la foule. Maffe-Baugé prit le parti de
bloquer les provocateurs : »certains sont ici pour tout autre chose
que la défense viticole, ils salissent notre cause… ne les laissez pas faire…
nous ne sommes pas des gangsters pour prendre des gens en otage, ni des
assassins pour laisser lyncher un homme par quelques cinglés dangereux et
irresponsables…. ». A un des manifestants qui lui demandait qui il était,
Maffe-Baugé lui répondit : « si tu étais des nôtres tu saurais qui je
suis : dis-moi plutôt où sont tes vignes !!! »...Frêche prend la
parole, il possède un étonnant pouvoir de persuasion, il a de la présence et il
est écouté et même applaudi. Un semblant de calme grondant est revenu, il faut
faire vite. Le député se met au volant de la voiture, sa femme à côté.
Maffe-Baugé, un ami et le CRS montent à l’arrière. La voiture avance
prudemment, les camarades venus à l’aide se serrent autour du véhicule faisant
rempart de leurs corps. Ils ont compris qu’il s’agissait de l’honneur d’hommes
et de vignerons. La voiture avance toujours au milieu de cette masse de
manifestants. Peu à peu la pression disparaissait. On les regarde parfois avec
gêne, les groupes se faisaient plus clairsemés…. Dans le véhicule, personne ne
parlait.
Ils conduisirent le CRS
jusqu’aux grilles de la préfecture de Montpellier. Le député expliqua à son
commandant ce qui s’était passé. Le jeune homme dit simplement « je n’oublierai
pas….je n’oublierai pas… »
La violence avait failli
faire son ravage. La colère aveugle des hommes les fait retourner à des
réflexes ou instincts animaux. Elle les dessert ou trop souvent elle sert d’autres
causes que les leurs.
Ce sera un peu plus tard
le drame de Montredon : Emile Pouytès, 50 ans, un vigneron d’Arquettes-en-Var
et Joël le Goff 42 ans un commandant de CRS sont tués au cours d’une véritable
fusillade au pont de Montredon.
Emmanuel Maffre de Baugé, dit Emmanuel Maffre-Baugé
(Marseillan, 12 décembre 1921 – Bélarga, 22 juin 2007 (à 85 ans)), est un
vigneron et écrivain marseillanais, catholique fervent fortement engagé dans la
cause vigneronne et aux côtés du Parti communiste français. Il occupe un siège
de député au Parlement européen3 de 1979 à 1989 dans le Groupe Communiste et
apparentés, fait partie de la
Commission de l'agriculture (1re législature), la Commission de
l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, puis de l'agriculture, de la
pêche et du développement rural (2e législature).
Politique et aussi
historien. Il est également le petit-fils du poète occitan Achille Maffre de
Baugé.
Sources et pour en
savoir plus : « Vendanges Amères » 1977- ISBN 2-245-00632-1--- www.midilibre.fr/2021/12/12/lheraultais-emmanuel-maffre-bauge-la-cause-viticole-lengagement-de-toute-une-vie-9987098.php- /www.geneastar.org/celebrite/maffrebaugee/emmanuel-maffre-bauge---
fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Maffre-Baugé--- www.midilibre.fr/2014/08/21/1976-un-affrontement-entre-crs-et-viticulteurs-fait-deux-morts,1040129.php---
france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/aude/narbonne/montredon-1976-affrontement-sanglant-toujours-memoires-audoises-940555.html
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