Uzès et la guerre
de 1939 :
Depuis la crise de 1929,
petit à petit l’Allemagne s’acheminait vers la guerre de 1939 entrainant
l’Europe. En 1933 ce pays quitte la Société des Nations, en 1935 rétablit le
service militaire, en 1936 occupe militairement la Rhénanie, envoie sa légion
Condor en Espagne et participe à la guerre civile espagnole de Franco. Et c’est
Guernica.
Des milliers de familles
espagnoles s’enfuient et arrivent en France. Nous en avons déjà parlé ici dans
le texte sur les « Indésirables ».
Les hommes de plus de 15 ans sont parqués en février dans les camps du
sud, comme à Argelès au début de l’exode, où pas grand-chose n’était prévu pour
les recevoir. Les femmes et les enfants seront d’abord logés dans des hangars
comme à Port-Vendres puis dispatchés par train, cars, dans des villes autour de
Remoulins, Avignon… ou dans des camps.
Le 9 février 1939, arrivent
à Uzès 206 réfugiés espagnols, femmes et enfants, entassés dans les fameux cars
« bleus » de la SNCF. Ils sont accueillis par le maire Marcel Martin,
Albert Tribes, brigadier de son état, et d’un autre policier. Ils sont logés
dans l’ancienne maison d’arrêt, rue des Prisons. Les bâtiments, la tour, la
chapelle seront intégralement occupés. Les réfugiés dormaient sur la paille,
serrés les uns contre les autres. Ils devaient prendre leur repas trois fois
par jour à l’hôpital d’Uzès, escortés par les gendarmes. Malgré les épreuves et
le froid, ils chantaient sur le chemin des chansons espagnoles,
l’Internationale.. L’accueil des
riverains était plutôt froid, les volets se fermaient sur leur passage. Ils
sentaient le malheur à venir. Ils seront ensuite employés dans les fermes
lorsque les Français seront mobilisés, ou prisonniers dans des camps en
Allemagne.
L’Europe empestait la
poudre de plus en plus. Pacte germano-soviétique, Pologne, Finlande…la guerre
était là. Hitler et Staline ne se cachaient même plus pour mettre l’Europe à
sac.
A Uzès, comme dans l’ensemble
du pays, la déclaration de guerre fit l’effet d’une bombe. La veille on n’y
croyait pas, on espérait, tout en sachant que cela nous pendait au nez. On se
rappelait la précédente, ses morts, ses destructions. On avait la ligne
Maginot, certes, mais …
Uzès gare et établissement Michalier-briqueterie |
Uzès
comme beaucoup de villes françaises vivotait doucement, avec ses usines de réglisse,
ses établissements de produits réfractaires, sa ligne de chemin de fer, son
Sporting Club et le « Goujon Uzétien ». On voyait encore beaucoup de
chevaux dans les rues, les habitants avaient encore des vaches chez eux et
vendaient le lait à domicile. L’électricité était arrivée dans la ville vers
1925 et l’eau dans les maisons qu’après la fin de la seconde guerre mondiale.
Le Journal d’Uzès informait les villageois, la TSF n’avait pas encore conquis
toutes les maisons. On prendra l’habitude d’écouter les informations de la
radio devant la fenêtre ouverte du voisin.
La fête votive d’Uzès se
déroulait en septembre à cette époque, le premier samedi du mois. En août les
familles la préparaient, les forains commençaient à s’installer, les
accordéonistes accordaient leurs instruments pour les bals qui se déroulaient
dans toute la ville. On attendait l’événement fébrilement, joyeusement. Les
familles se retrouvaient pour l’occasion, après la récolte des céréales et
avant les vendanges. La « Vote » était un événement culturel,
sociétale essentiel encore à cette époque.
La mobilisation générale
fut décrétée le 2 septembre, et la fête votive annulée. Les forains et leurs
manèges de chevaux de bois remplacés par de vrais chevaux réquisitionnés et
rassemblés sur la promenade des Marronniers. Le 3 septembre 400 Uzétiens seront
envoyés au combat. Un sentiment de basculement, de page tournée, de vide qui
nous happe, dira une amie, jeune à
l’époque.
L’état de siège de la
ville déclaré le 19 septembre s’organise et occupe les habitants : les
phares de tout véhicule devaient être masqués par de la peinture bleue, les
éclairages publics ou privés calfeutrés, tout regroupement de personnes
interdit à la tombée de la nuit…. Des tranchées sont creusées avec les moyens
du bord, sur le Portalet, la promenade des Marronniers, devant la cathédrale,
vers le collège, à différents lieux de la ville.. Des affiches indiquaient où
trouver des caves pour se protéger en cas de bombardement. Le jeudi, des
exercices d’alerte avec tocsin sont programmés. Mais à la première alerte, les
tranchées s’avèrent trop peu profondes ou pas terminées. Les caves prévues
comme abri anti-aérien ne sont pas accessibles. Après cet échec des habitants
qui le pouvaient se réfugient à la campagne autour d’Uzès dans la famille.
A chaque entrée de la
ville des murs d’un mètre d’épaisseur et de un mètre 80 de hauteur avaient été
édifiés pour ne laisser passer les véhicules qu’au compte-goutte. La vitesse
dans Uzès avait été réduite à 20 km/h.
Le 21 juin 1940 c’est la
signature de l’armistice. Le pays est coupé en deux, au nord de la Loire, la
zone occupée, et au sud la zone libre.
Mais dès le 10 juin et la
déclaration de guerre de l’Italie de Mussolini, la situation des Français
d’origine italienne va changer. Exclus de leurs professions, suspectés de tout,
spoliés, parfois sur dénonciation. Même des fonctionnaires, des anciens de la
guerre de 14-18 qui avaient combattu pour notre pays. Certains se retrouveront
en camp de concentration soupçonnés d’être communistes ou traitres à leur
patrie (laquelle ?). D’autres s’engageront aux côtés des résistants. Cela
concernait un grand nombre de Languedociens dont les grand-pères avaient fait
souche dans notre région après avoir travaillé dans les salins ou les
vignobles.
Vichy et la collaboration
s’installent. L’Alsace et la Lorraine deviennent allemandes, le Pas-de-Calais
et le Nord sont rattachés au commandement allemand de Bruxelles.
Hollandais, Belges,
Luxembourgeois sur les routes
Dans notre région la faim
arrive. Environ 3000 réfugiés et recrues belges, un millier de réfugiés
français expulsés du Nord, des militaires sous les ordres du commandant Wolf
(400 à 600 mécaniciens et apprentis pilotes d’avion), qu’il faut ravitailler. Avec
parfois des rejets violents de la part des habitants, des replis communautaires.
Les dissensions viendront souvent de la langue des déplacés proche de celle des
allemands. Un choc culturel, parfois religieux évident. Les Cévennes se feront
remarquer par un accueil beaucoup plus chaleureux. Environ 630 000
Alsaciens, Mosellans, Ardennais, probablement 2 millions de Belges, 70 000
Luxembourgeois, 50 000 Hollandais sont sur les routes de France. Quand les
nazis arrivent à Paris il ne reste qu’à peine un tiers des habitants. (à lire Philippe Nivel dans Persée Internet
Les réfugiés de guerre dans la société française 2004 V23 N°2). Huit à dix
millions de personnes se lancent sur les routes dans un exode du Nord vers le
Sud emportant ce qui leur semble essentiel sans but sans point de chute pour la
plupart. On s’installe dans le provisoire. Certains Belges et Ardennais seront
employés dans les usines métallurgiques du Creusot remplaçant les Français soldats ou
prisonniers. Dès l’automne 1940 des retours sont organisés en particulier pour
les populations belges suivant les conventions de l’armistice. Ce ne sera pas
le cas pour les Alsaciens, Lorrains jugés indésirables par l’occupant.
Juin 1940
Le 8 mars 1940 les cartes
de ravitaillement sont mises en service à Uzès ainsi qu’un comité de
ravitaillement de la population civile. Un rapport de l’inspecteur Boyer nous
dit « la
population n’a pas l’air d’attacher une très grande importance aux évènements
actuels… Elle n’a les yeux tournés que vers un seul objectif : le
ravitaillement » (adg IW200 Direction de la Sureté Nationale n°94 B)
A Uzès l'armée se réinstalle en 1939
dans la caserne rebaptisée Guynemer avec une compagnie de réservistes suivie
par des élèves mécaniciens de l'armée de l'air. Puis par les troupes
allemandes en 1942. La caserne Brueys
n'accueillait plus de militaires depuis 1921.
Les petits enfants doivent très rapidement ne plus employer le mot de "boche" pour désigner les soldats allemands. La prudence et le silence deviennent une vertu essentielle.
Des journaux sont suspendus et même interdits dès
le 29 août, Le Cri du Gard, Rouge Midi, Paysan…
Uzès Caserne |
Dès août 1940, des hommes s’interrogent, se
regroupent, réfléchissent à une action. C’est à Flaux Pierre Floutier, et bien
d’autres, Ange Alvarès 15 ans, les frères Guiraud, Péras, Rousson, Bastide, sur
Alès et ses environs, Pont St Esprit avec Couderc, Combarmond, Suaze…à Nîmes.
Joseph Frac acteur emblématique de la résistance à Uzès qui utilisait le vélo
de sa fille Gilberte comme boîte aux lettres lorsqu’elle se déplaçait,
« Bassso » ou Elie Vincent, le politique du mouvement à Uzès….. Le
parti communiste est interdit le 26 septembre, le Secours populaire, la
Coopérative Ouvrière dissouts. Les communistes ou sympathisants, politiques,
ouvriers faisaient l’objet d’une chasse violente qui devait les conduire vers
l’action clandestine et l’organisation de protection de leurs membres.
L’ »Organisation Spéciale » formera militairement les cadres des
groupes de résistants FTPF. D’autres Uzétiens de toute origine et de toute
opinion politique vont suivre le même chemin.
Au château des Fouzes, 15 Polonais, 7 Espagnols
et 7 Français dirigés par le commandant Bertrand décryptaient le code de la
machine Enigma avec la bénédiction discrète d’un secrétariat d’Etat du
gouvernement de Vichy. Première liaison avec Londres en décembre 1940. Cette
section clandestine d’espionnage officia jusqu’en novembre 1942. Dès juillet
1939, les services du renseignement polonais avaient transmis à la France et à
la Grande Bretagne les plans d’une réplique de la machine chiffrante allemande
Enigma. Des milliers de messages allemands seront décryptés grâce à ces équipes
de cryptologues dont celle de Fouzes. Le commandant Bertrand alias Balzac,
achète en 1940 le château des Fouzes grâce aux fonds secrets du général
Hutzinger. Contraire aux clauses de l’armistice, cette organisation devait
demeurée discrète et le ravitaillement se fera grâce à Françoise Boutane,
secrétaire de mairie d’Uzès qui fournira les tickets de ravitaillement et aussi
grâce à la protection efficace de la brigade locale de gendarmerie.
La ville s’installe dans cette période avec son
lot de héros, de dénonciateurs, d’informateurs et de profiteurs comme partout
ailleurs. Des vies sont examinées à la loupe, surveillées. Les fonctionnaires
signent une attestation de non-appartenance à un parti politique interdit, aux
francs-maçons, sociétés secrètes…. La liberté de penser n’est plus de mise. Le
préfet Angelo Chiappe prend en main le Gard, zélé représentant du régime de
Vichy. On vit au jour le jour, en attendant demain. Les petites consciences et
les grandes se réveillent. Bien des gens vont se révéler dans la souffrance, mais
aussi dans des actes de courage, de résistance petite ou impressionnante.
Uzès perdra deux statues en bronze très symboliques de la ville : celle de Jacques de Crussol mort en Afrique, et celle du
vice-amiral de Brueys héros d’Aboukir. Les deux en janvier 1942, par décision
de l’Etat Français qui récupère les métaux non-ferreux théoriquement pour
l’industrie française mais plus surement pour l’effort de guerre nazis. Ces
gestes seront très mal acceptés par la population. Les villages avaient participé financièrement aux côtés d'Uzès à la construction du monument de Jacques de Crussol (Vallabrix avait donné 10 frs en juin 1910, somme importante pour l'époque pour un village en déficit chronique dont les recettes avoisinaient 3000 frs)
Vice-amiral de Brueys |
Modèle d'un monument à la mémoire de Jacques de Crussol,
duc d'Uzès
Saint-Marceaux Charles René de Paul de (1845-1915)
Vizzavona François Antoine (1876-1961) Paris, agence photo RMN-Grand Palais, fonds
Druet-Vizzavona
Uzès sera libérée en août 1944, le 24 par les
forces locales de résistance, un détachement FTPF et des sympathisants. Du 21
au 23 le nombre de soldats allemands était très important à Uzès. Les troupes
remontaient vers l’Allemagne faisant encore des morts comme Lucien Crouzet et
Georges Allègre. Les Uzétiens se terraient dans leur maison. Ceux qui étaient
encore en ville. Le 24 la mairie, la poste, la caserne et l’unité cantonnée à
l’évêché seront pris en tenaille par les résistants et gagnés sans trop de mal
(202è compagnie d’Uzès du 5è bataillon FTPF du Gard à la manœuvre).. Un
gouvernement provisoire de libération sera installé et le drapeau français à
nouveau sur l’Hôtel de ville. Le 28 les troupes françaises débarquées en
Méditerranée entraient dans Uzès. Ce qui explique les deux dates que les
historiens mentionnent : le 24 et 28 août.
A lire sur ce sujet - Laurent
Bossi Chroniques de la Résistance des
Franc Tireurs et Partisans Français à Uzès de 1939 à1945 édit Nouvelle Edition INSN 979-10-92826-12-8
-oct 2015- (peut—être épuisé mais à la médiathèque
de St Quentin la Poterie)
Pont St Nicolas le 24 août
1944carte de ravitaillement malgré le nombre de jardins |
Bruxelles arrestation 10 mai 1940 |
Réfugiés belges |
Sources : adg
IW200-325 – 700 –arch municipale d’Uzès
ID33 -- Direction de la Sureté Nationale
n°94 B - Laurent Bossi Chroniques de la Résistance des Franc Tireurs
et Partisans Français à Uzès de 1939 à1945
édit Nouvelle Edition INSN 979-10-92826-12-8 -oct 2015 - Fabrice Suger La Résistance dans le Gard
association Mémoire et Résistance – Aimé Vielzeuf Pierre Mazier Quand le Gard résistait Le temps des
pionniers 1996 Edit Lacour Nîmes -Ange
Alvarez L(Epopée patriotique des FTPF Cévenols édit Lacour 2007 - Jean Medrala, Les réseaux de
renseignement franco polonais 1940-1943. - Philippe Nivel dans
Persée Internet Les réfugiés de guerre dans la société française 2004 V23 N°2 –
Jean Vidalenc L’Exode de mai et juin 1940 PUF 1957 - archives communales de Vallabrix 30-6-1910 - Merci à Suzanne, Guy et à Paul pour leurs
souvenirs -
(FTPF : Francs Tireurs et Partisans
Français)
Hôpital Uzès début 20ème siècle avec
encore sa galerie.
Uzès Théâtre et Poste Grand Merci à Michel Desplans pour ces deux documents sur la statue de Jacques de Crussol. |
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